Sans pompe ni funèbre

Adieu Berthe – l’enterrement de mémé de Bruno PodalydèsDenis Podalydès et Michel Vuillermoz

Il y a quelque chose de particulièrement réjouissant dans le nouveau film de Bruno Podalydès – ou plutôt des frères Podalydès, puisque le scénario a été co-écrit avec Denis, et que l’ainé réalisateur est également un interprète du film dont son cadet est l’acteur principal. Il n’est d’ailleurs pas du tout exclu que cet aspect heureux du film ait à voir avec la fratrie qui a présidé à sa création. Ce qui séduit dans Adieu Berthe, c’est l’impression rare d’une composition narrative très élaborée, soignée au petit poil, mais qui est ensuite lâchée au fil du plaisir de jouer et de raconter, ouverte aux vents coulis d’une joie de rencontrer un visage, une intonation, une lumière.

Bruno Podalydès a un réel talent, et un gout revendiqué, pour la mécanique – que les génériques de ses deux adaptations de Gaston Leroux, Chambre jaune et Dame en noir, explicitaient gaiment. C’est aussi ce qui menace ses films, lorsque cette approche en devient la limite, au risque de sembler en être la seule raison, comme récemment dans Bancs publics. La mécanique, elle consiste ici à fabriquer un dispositif sentimentalo-familial farfelu pour travailler de l’intérieur, avec humour et attention, ce que notre modernité fait de notre rapport à la mort. Sérieux programme, qui sait devoir aller très loin dans la loufoquerie pour à la fois tenir son projet et ne jamais se laisser plomber par lui.

Les Podalydès inventent donc Armand, personnage de doux velléitaire, magicien amateur, doté d’une pharmacie en banlieue chic, d’une épouse qu’il aime mais veut quitter, d’une belle-mère castratrice, d’un père Alzheimer, et d’une maîtresse qu’il aime et avec qui il veut aller vivre, maîtresse elle-même affublée d’une gamine. Avec autant de petits ressorts, actions-réactions, enchainements de péripéties psycho socio boulevardo sentimentalo normales (vous avez noté la ressemblance entre Denis Podalydès et François Hollande ?  c’est troublant, a fortiori chez celui qui joua excellemment Sarkozy dans le par ailleurs exécrable La Conquête) qu’un pareil assemblage autorise, pour ne pas dire impose. Et là, crac, Berthe est morte.

Grand mère oubliée, MacGuffin apparent que les frères auront la grâce de traiter finalement avec tact et affection, ce n’est pas la moindre qualité de ce film qui avait 1000 raisons de devenir cynique, et ne l’est jamais. C’était qui Berthe ? Tout le monde l’avait oubliée dans son maison de retraite à Perpette-les-oies, de sa vie nul ne sait rien, de sa mort il faut pourtant décider : enterrement ou incinération, chez le croquemort supercool Onvapasprendrelatêtepoursipeu ou chez le postmoderne matois à 3 briques le catafalque hyperdesign, extrême onction numérisée en option…

On résume, on simplifie, le film a au contraire la passion du détail, de la petite question en plus (le tropisme mécano, pour le meilleur au risque du moins bien). Le film…, ou plutôt le scénario. Puisque la véritable réussite du huitième film de Bruno P., qu’il importe de créditer non seulement de ses six longs métrages mais aussi des plus brefs mais très réussis Versailles Rive gauche et Voilà, tient, on l’a dit, à la légèreté de sa mise en scène, à sa capacité de lâcher la rampe si méticuleusement chantournée par l’écriture. Incidents, objets, bidules. Bien entendu le mérite en revient aussi grandement aux interprètes. Autour de Denis P., parfait comme d’habitude, chacun(e) apporte une vibration singulière, introduit dans le cahier des charges du comique une sourdine, un vibrato, un écho à lui – mention particulière à Isabelle Candelier, singulièrement émouvante.

Denis Podalydès et Isabelle Candelier

Issue logique, c’est le scénario lui-même qui va finir par se dérégler, bifurquer vers une roulade arrière dans le pré du passé d’une jeune amoureuse inconnue. Elle mène à aujourd’hui, à demain, à une sorte de douce utopie champêtre, enfantine et pas infantile. Comme une chanson qui, quelque part entre Mouloudji et Moustaki, aurait le talent de ne pas vraiment finir.

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