Dans les Alpes, Schleck et Contador ont touché leurs limites

Alberto Contador et Andy Schleck. REUTERS/Denis Balibouse

Avec Frédéric Portoleau

La traversée des Pyrénées avait été marquée par des performances en baisse par rapport aux dernières années. On attendait une confirmation dans les Alpes, tant la course avait semblé tactique à Luz-Ardiden et au Plateau de Beille. Ce fut tout l’inverse dans les étapes du Galibier et de l’Alpe d’Huez, menées tambour battant, et où les favoris ne pouvaient pas, de toute évidence, aller plus vite.

Les calculs de l’ingénieur Frédéric Portoleau, dont il a déjà expliqué la méthode sur ce blog, montrent des performances légèrement supérieures dans l’ensemble. Frédéric Portoleau juge que la régularité d’Evans et ses performances passées en font le vainqueur du Tour le plus crédible depuis le début de l’ère Indurain, si l’on excepte Oscar Pereiro en 2006.

Les deux étapes des Alpes sont parties très vite avec les attaques d’Andy Schleck dans l’Izoard jeudi puis d’Alberto Contador dans le Télégraphe vendredi. Dans ces deux cols, des performances très élevées ont été réalisées, comparables avec celles des dernières années. Mais tout le peloton l’a payé par la suite, dans le Galibier jeudi et dans l’Alpe d’Huez vendredi.

La performance la plus notable est celle de Contador et Andy Schleck qui ont développé 443 watts en puissance étalon lors de leur montée du Télégraphe, au début de la courte étape de l’Alpe d’Huez. Derrière eux, dans ce col, Thomas Voeckler a dépassé son record historique et l’a payé dans la suite de l’étape.

Note: toutes les puissances évoquées ci-dessus sont des puissances théoriques, calculées pour un poids du coureur + équipement de 78 kilos. Il ne s’agit pas de la puissance réelle développée par les coureurs. Celle-ci dépend entre autre de la masse à élever pour vaincre la pente, or le poids des coureurs n’est pas toujours connu avec précision le jour de la mesure. Ils peuvent se déshydrater en cours d’étape et perdre quelques kilogrammes. Le nombre de bidons portés est variable. Cette valeur étalon est utilisée pour faire nos comparaisons. (1)

  • L’échappée d’Andy Schleck

Le col d’Agnel a été gravi à une vitesse modérée. Peu après Brunissard dans la montée de l’Izoard, Andy Schleck se dresse sur les pédales et démarre. Il grimpe le col d’Izoard (14,7km) depuis le bas du col en 40min40s. Depuis l’église d’Arvieux, à 1543m, il a pédalé 31min02s et, depuis La Chalp, 25min20s.

Depuis Arvieux, Andy Schleck a été plus rapide que Lance Armstrong qui avait gravi l’Izoard en 32min17s depuis Arvieux en 2000. Mieux aussi que Di Luca au Giro 2007, en 32 minutes. Depuis La Chalp, il a aussi été plus rapide que Miguel Indurain (25min30s) lorsqu’il avait remporté l’étape de Briançon du Dauphiné en 1996.

Le Luxembourgeois développe 400 watts de moyenne en puissance étalon sur la dernière portion du col (6,95km à 7,2 % effectué en 19min10s). Au sommet du col, les autres favoris ont 2min15s de retard. Ils ont développé 50 watts de moins.
La performance est d’un haut calibre car, comme tout le monde, les athlètes de haut niveau souffrent d’hypoxie au dessus de 1600m en moyenne. Au dessus de 1600m, on perd 3% de consommation maximale d’oxygène tout les 300 mètres (cf ce livre de Véronique Billat, chercheuse spécialisée dans la physiologie de l’effort). Tous les coureurs ne réagissent pas de la même manière à l’altitude.
Avec toutes les précautions requises, on peut dire que l’équivalent de cette puissance pour un col en-dessous de 1600m serait de 420 watts sur moins de 20 minutes (on ajoute 5% à la puissance réelle, l’altitude moyenne de la fin de l’Izoard étant de 2100m).

Vient ensuite le col du Galibier, où Schleck va payer ses efforts. En raison du vent fort souvent défavorable, je ne peux que calculer une limite inférieure de puissance sur l’ensemble du col. La puissance étalon minimum d’Andy Schleck sur les 8,7 km a été de 360 watts durant 25min03s. Il faut ensuite tenir compte de l’altitude (2300m de moyenne depuis le Lautaret): pour l’équivalent d’un col en-dessous de 1600m, Andy Schleck aurait développé 387 watts. On constate donc qu’Andy Schleck a payé le prix de ses efforts de l’Izoard, de la vallée puis du Lautaret, et perdu une trentaine de watts dans le Galibier.

Derrière lui, les autres favoris du Tour, qui avaient fourni moins d’efforts, ont été quatre à dépasser les 410 watts (valeurs corrigées) : Frank Schleck, Evans, Basso et Voeckler.

Frank Schleck (387 watts, 416 watts corrigés) a établi à l’occasion un nouveau record d’ascension pour le versant sud du Galibier. Un record attendu puisqu’il y avait pour la première fois une arrivée au sommet. Il s’agit pour tous ces coureurs de performances comparables à celles observés à Luz-Ardiden et au Plateau de Beille, sur des durées qui étaient un peu plus longues. Mais rappelons qu’il s’agit de puissances minimales compte tenu du vent de face qui soufflait sur la montée.

Sur le haut du Galibier, à partir de 2346 mètres après un virage à gauche, la mesure est plus exacte car le vent souffle de côté. Sur cette portion de 4,4 km, Cadel Evans, qui a semblé être le coureur le plus à l’aise en altitude, a fait une grande performance en tirant des favoris, comme le lendemain sur l’autre versant du Galibier. Il a fini le Galibier sud en moins de 12 minutes, à 423 watts en puissance étalon corrigée de l’altitude – 2500m de moyenne – (387 watts sans tenir compte de l’altitude).

  • Festival Contador dans le Télégraphe (2)

Sur une pente de 12 km à 7,09%, Contador attaque en bas du col et dynamite le peloton après sa défaillance de la veille, en haut du Galibier. Seul Andy Schleck peut le suivre jusqu’en haut du Télégraphe. Ensemble, ils vont établir un nouveau record en 30min26s. Ils développent 444 watts en puissance étalon. Cela constitue la plus grande performance de ce Tour en chiffres bruts. Les deux hommes ont ici approché leurs records sur le Tour de France pour une demie-heure d’ascension, mais notons qu’il s’agit du début d’une étape courte (109 km).

Le précédent record du Télégraphe avait été établi par Evans, Christophe Moreau et Leonardo Piepoli sur le Critérium du Dauphiné en 2007, en 31min13s. Thomas Voeckler fait mieux aussi en 31 minutes tout rond. Avec 433 watts en puissance étalon, il retrouve son meilleur niveau atteint lors du dernier Critérium du Dauphiné, dans le Collet d’Allevard.

Vient ensuite le Galibier, sur le versant nord. Depuis Plan Lachat (6,8lm à 8,37%), Evans est enregistré à 388 watts (417 watts corrigés) durant 21min32s, lorsqu’il tente de revenir sur le groupe Contador/Schleck. Evans développe 14 watts de moins qu’en 2007 sur le même col.
Contador et Schleck faiblissent après leur très rapide montée du Télégraphe. En 22min48s, ils réalisent 364 watts (391 watts corrigés) en puissance étalon. Pour l”Espagnol, c’est près de 50 watts de moins que sa montée de 2007, qui était réalisée en fin d’étape et dans laquelle il avait attaqué.

Sur l’enchaînement Télégraphe-Galibier, jusqu’au tunnel du Galibier, Andy Schleck et Contador ont grimpé en 1h22min08s. Il s’agit d’une performance légèrement supérieure à celle du Colombien Juan Mauricio Soler, en 2007, réalisée presque intégralement en solitaire.

Sur le seul Galibier, depuis Valloire (16,7 km), les deux hommes ont grimpé un peu moins vite que Marco Pantani en 1998 et Soler en 2007.

  • Un peloton fatigué à l’Alpe d’Huez

Après ce début d’étape très rapide, les meilleurs ont logiquement faibli en fin d’étape, sur l’Alpe d’Huez, où Pierre Rolland s’est imposé. Le meilleur temps a été réalisé par Samuel Sanchez en 41min27s. C’est quatre minutes et demie de plus que le record établi par Pantani en 1995 (36min50s), et près de deux minutes de plus que Gianni Bugno, Miguel Indurain et Luc Leblanc en 1991. Le groupe Schleck/Evans a escaladé l’Alpe d’Huez dans un temps similaire à celui du Suisse Beat Breu en…1982.
L’ascension a pourtant été menée tambour battant dès le pied, avec une attaque de Contador. Après le Télégraphe à 443 watts, Contador a développé 424 watts en puissance étalon durant 23 minutes, jusqu’au lacet baptisé « virage des Hollandais ». L’Espagnol a fléchi sur la fin.

Seul Sanchez et Contador ont dépassé les 400 watts sur l’Alpe d’Huez (respectivement 405 et 403 watts). Le vainqueur, Pierre Rolland, a réalisé 398 watts.

  • Cadel Evans, un coureur constant depuis 2005

Pour des longs cols en fin d’étape, j’ai enregistré pour Evans les performances suivantes:

2005: moyenne 390 watts, maximum à Courchevel avec 407 watts
2006: moyenne 405 watts, maximum à l’Alpe d’Huez 420 watts
2007: moyenne 410 watts, maximum au col de Peyresourde avec 421 watts
2008: moyenne 407 watts, maximum au col d’Aspin 414 watts
2009: une seule performance à Verbier avec 452 watts (sur 22 minutes seulement)
2010: une seule performance à Avoriaz avec 415 watts
2011: moyenne 407 watts, maximum au Galibier 421 watts

Evans n’a jamais dépassé les 6 watts/kg pour des longues ascensions en fin d’étape. Au niveau des performances et de son parcours, il apparaît comme un vainqueur un peu plus crédible que ses prédécesseurs. (Contador, Sastre, Armstrong, Pantani, Ullrich, Riis et Indurain)

Cependant, la puissance moyenne sur les derniers cols des étapes est moins représentative du niveau cette année. En effet, dans les Alpes, la course a été très intense en début d’étape avec les attaques de Schleck à l’Izoard et de Contador au Télégraphe. Les coureurs ont dépensé de l’énergie avant le dernier col. Avec des débuts d’étape plus calmes, la moyenne de Cadel Evans aurait pu facilement dépasser les 410 watts sur le dernier col. Evans est donc sûrement un peu meilleur aujourd’hui qu’en 2007 ou 2008, quand il avait terminé 2ème du Tour.

(1) Comment faire pour développer 400 watts ?

Alignez des sacs de ciment de 40 kg au pied d’un mur de 1 m de haut.
Le but du jeu est de soulever un sac par seconde et de le poser sur le mur.
Si vous arrivez à enchaîner 10 sacs, vous aurez développé 400 watts pendant 10 secondes.

Petite explication:
Pour soulever le sac, vous devez exercer une force de 40X10 (9,81 exactement)=400 Newtons
La puissance est le produit de la force par la vitesse. La puissance sera égale à 400X1 (1m/s)= 400 watts.

Comparaison avec un cheval…
La puissance moyenne des chevaux de trait a été évaluée à 736 watts par James Watts. Ses chevaux étaient capables de soulever des charges de 75 kg à une vitesse de 1m/s. Mais je pense qu’ils étaient capables de le faire pendant plusieurs heures.
Je connais pas la puissance d’un cheval de course, mais elle doit être bien supérieure à celle des chevaux de trait mais pour une durée d’effort plus courte.

… et un scooter

Un scooter par exemple peut développer 3 ch soit environ 2200 watts.

La différence entre une machine et l’homme, c’est que l’être humain se fatigue beaucoup plus vite!

(2) : Validation de la méthode avec la puissance réelle de Jérémy Roy sur cette étape, grâce à son capteur de puissance SRM:

Télégraphe : 408 watts réels, 413 watts estimés

Haut du Galibier: 340 watts réels, 335 watts estimés

Alpe d’Huez: 350 watts réels, 349 estimés

 

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Et maintenant, 300 bornes dans les Alpes

REUTERS/Denis Balibouse

On est bientôt sur les Champs. Samedi soir, Qatar Airways ramène tout ce beau monde à Paris, nuit en boîte et avion le lundi pour de nouvelles courses, avec forcément moins de pression.

D’ici là, il y a une course à gagner. Et si les Pyrénées nous avaient donnés l’impression qu’elle n’intéressait pas grand monde, la petite montée du col de Manse mardi, sur une pente de moins de 6% peu propices aux attaques, a subitement éclairé la course d’attente de Luz Ardiden et du plateau de Beille : les frères Schleck étaient conscients de leurs limites, Evans n’avait aucun intérêt à bouger et Contador se remettait d’une blessure au genou droit.

Il n’y avait donc que l’Espagnol pour tirer le Tour de ce mauvais pas de sénateur et visiblement, ça lui chatouille les jambes, puisqu’il a attaqué sur des pentes faiblardes, dont il dit souvent, à juste titre, qu’elles ne lui permettent pas de faire parler son explosivité. On ne dira jamais assez que Contador est un vrai coursier, comme on dit, et ce indépendament de ses problèmes de carnivore. Contador est présent toute l’année, n’a pas de point faible, et a la réputation d’être un grand professionnel.

Avec Contador de retour à son niveau – reste à voir si c’est le très bon Contador du Tour 2010 ou Giro 2011 ou le Contador exceptionnel du Tour 2009 -, la course a commencé. Contador étant triple vainqueur – en sursis -, invaincu sur ses six derniers Grands Tours, elle est forcément calquée sur lui. Et si Cadel Evans a toujours été le mieux placé pour remporter le Tour, depuis la toute première étape, c’est bien Contador que les Schleck ont toujours observé durant les ascensions.

Trois questions se posent avant la traversée des Alpes :

  • Voeckler peut-il tenir au même rythme ?

Thomas Voeckler a développé dans les Pyrénées une puissance étalon autour de 400 watts, ce qui semble dans ses possibilités depuis l’an dernier. Mais il n’a jamais eu à répéter ce genre de performances durant plusieurs jours d’affilée. De plus, les cols des Alpes, plus pentus que dans les Pyrénées, correspondent moins en théorie à son style de grimpette.

Il porte le maillot jaune depuis dix jours, ce qui implique qu’il a forcément moins bien récupéré que les autres premiers du classement général. Après chaque étape, le maillot jaune passe au contrôle antidopage et enchaîne mondanités, interviews et conférence de presse obligatoires. Il arrive forcément plus tard au massage, et le retard de récupération s’accumule. Son erreur dans la descente vers Pinerolo, lui qui est un bon descendeur, est un premier signe de sa fatigue.

Enfin, Voeckler semble vouloir se convaincre qu’il ne peut pas gagner le Tour, là où son attitude en course semble le situer au niveau des autres dans les cols. Mardi à Gap, c’est presque soulagé qu’il expliquait avoir « affiché ses limites ». On ne gagne pas une course en étant persuadé qu’on a rien à faire là. Mais le garçon est malin et connaît parfaitement son corps. Un podium reste largement posssible, la victoire à Paris ne peut être exclue.

  • Quelle tactique pour Contador ?

Contador a deux minutes de retard sur Cadel Evans. Il doit reprendre au moins une minute d’ici le contre-la-montre. Vu le profil de l’étape de l’Alpe d’Huez, il est probable qu’elle s’apparente à une course de côte sur 14 km, en bas de l’Alpe. Contador doit donc passer à l’attaque dès jeudi, sur un terrain qui lui convient bien.

Il doit faire douter Evans, lui montrer qu’il est à nouveau Contador et qu’il n’y aura rien à faire contre lui. Ca tombe bien, Evans est un coureur réputé fragile. Il sait grimper au train et revenir sur l’Espagnol après une accélération franche, mais combien de fois ?

Si Contador commence à creuser un écart, Evans va gamberger. Il est déjà tellement passé à côté ! Une défaillance en 2002 alors qu’il était leader du Tour d’Italie, deux fois deuxième du Tour (2007-2008) alors que la victoire était accessible, une blessure l’an dernier alors qu’il portait le maillot jaune : Evans n’a jamais répondu présent quand il le devait et c’est là où personne ne l’attendait, lors du championnat du monde 2009, qu’il a obtenu sa plus belle victoire.

La meilleure manière de faire douter Evans sera de le priver d’équipier dès le col d’Agnel, peut-être le plus dur de ce Tour, placé au milieu de l’étape de jeudi. Tout est plus facile quand on a un équipier avec soi. Il permet de se focaliser uniquement sur la course et sa présence rassure. Dans le col d’Izoard, Contador aura plusieurs kilomètres à 10% de pente moyenne ou presque sur lesquels son démarrage peut faire des ravages. Restera ensuite le Galibier, un col long qui convient mieux à Evans.

  • Quel rôle pour les Schleck ?

Le moins possible, non ? Andy et Frank Schleck, comme Ivan Basso, se distinguent de Contador, Sanchez et Evans en ce qu’on les voit trop rarement le reste de la saison. Six ans après ses débuts professionnels, le palmarès du cadet, hors championnat du Luxembourg, tient sur un timbre-poste: six victoires individuelles, dont Liège-Bastogne-Liège et deux étapes du Tour.

Le cyclisme des Schleck est tout ce qui fait le malheur du cyclisme moderne: froid, stéréotypé et monomaniaque. Avant le Tour, Andy, sûr de lui, dessine son plan sur la carte du Tour et s’y conforme vaille que vaille. L’an dernier, il n’a pas écouté l’an dernier les conseils de Bjarne Riis, un des plus grands stratèges du peloton.

Tant pis pour lui, il a perdu le Tour. Mardi à Gap, c’est Frank qui confessait ne pas s’attendre à une attaque de Contador: mal placé, il a perdu du temps. La descente a été fatale à Andy, qui a déboursé une minute. C’est pô juste, a-t-il dit, jugeant en substance que le Tour ne devrait pas se jouer dans les descentes. Le problème, c’est que les Schleck voudraient que le Tour ne se joue pas non plus dans les contre-la-montre, les chutes ou les bordures. En résumé: une course de côtes et on règle ça entre nous. Contador n’est pas de cet avis et leur a fait savoir une fois de plus à Pinerolo.

Une fois écrites ces quelques remarques qui me brûlaient les doigts, il faut admettre que les Schleck auront probablement un grand rôle dans les Alpes, où Andy attaquera sans aucun doute. Mais ils se retrouveront probablement dans la position de faiseurs de roi. A eux de voir s’ils préfèrent voir Contador ou Evans en jaune à Paris. Ils peuvent aussi décider de favoriser Contador et faire craquer Evans pour briguer la deuxième place, qui pourrait valoir une victoire une semaine plus tard.

Il est aussi très possible qu’on ne voit aucun Schleck sur le podium à Paris. Lundi, journée de repos, Andy a eu cette lapalissade: “On ne peut pas gagner tous les deux.” Et perdre ensemble, c’est possible ?

 

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Le cauchemar de Bruyneel

Le Tour de France a décidé qu’il en avait assez de Johan Bruyneel. Son équipe Radioshack est décimée et jeudi, première étape des Pyrénées, le coup de grâce: un contrôle d’alcoolémie en pleine course. Sûrement la gendarmerie s’est-elle dite que Bruyneel avait de bonnes raisons de boire en ce mois de juillet pourri.

Bruyneel: un Belge qui courait dans les années 1990 chez la Once de Manolo Saiz, Espagnol magicien pour les uns, alchimiste pour les autres. Un jour, Bruyneel a rencontré Lance Armstrong et ils ont décidé de faire leur vie ensemble. Avec l’US Postal puis la Discovery Channel, ils ont gagné sept Tours de France.

Quand Lance a pris sa retraite une première fois, en 2005, Bruyneel a sorti un joker de sa manche. Alberto Contador lui a fait gagner deux Tours de plus. C’est l’an dernier que la machine s’est grippée, lorsque le Texan et le Flamand ont voulu refaire un casse tous les deux, sous la bannière Radioshack, avec leurs vieux complices Klöden, Popovych et Leipheimer. Sur le Tour 2010, Armstrong, dans les tourments d’une enquête américaine le visant après des accusations de dopage, ne tenait plus sur son vélo. Râpé de partout, il a laissé filer son rêve dès la première étape de montagne. Le Portugais Sergio Paulinho a bien gagné une étape mais pour Bruyneel, c’était presque accessoire.

Cette année, c’est pire. Bruyneel disait tenir un carré prometteur: le Slovène Janez Brajkovic, un aspirant champion de 27 ans, et trois vétérans de presque 40 ans, Horner, Klöden et Leipheimer. Quatre leaders, donc. Trois de trop, se disait-on. En réalité, il en aurait fallu huit ou dix car tous sont tombés en une semaine. A l’arrivée à Lourdes, vendredi soir, Leipheimer était le dernier encore debout, 17e du classement général. Cinq coureurs de la Radioshack –sur neuf – restaient en course.

« UN TRUC QUI NOUS TOMBE DU CIEL »

Quand l’équipe de Bruyneel était soudée autour d’Armstrong ou Contador, elle n’avait jamais un souci, pas une chute. Alors on s’interroge: de la malchance, seulement, où une équipe mal conçue?

Bruyneel garde un sourire figé et refuse de faire dans l’autocritique :

«On ne pouvait pas s’y attendre. Ca ne nous est jamais arrivé à ce point-là. Il est sûr que quand on a un leader unique, on roule plus en système, avec une équipe autour d’un leader et là c’est un peu plus difficile. Mais bon, là ça fait beaucoup. Quand on en a quatre et qu’on en perd deux, il en reste deux. Mais perdre les quatre, c’est beaucoup quand même. Je pense qu’on ne peut pas miser tout sur un coureur quand on en a trois autres qui ont des possibilités. »

Alain Gallopin, le directeur sportif français, blâme aussi la malchance :

«Au début, on a joué un peu en venant avec plus de grimpeurs que de rouleurs. Mais la malchance de Klöden, c’est inexplicable. C’est un truc qui nous tombe du ciel, on sait pas pourquoi. Il a toujours couru devant, il a toujours été protégé. C’est comme ça.»

Bruyneel traînant sa misère sur le Tour, ça ne tire pas de larmes à grand monde. Pendant dix ans, il a tenu le peloton. Rien ne se faisait sans l’accord de son équipe. Qu’est-ce que cela fait de ne plus pouvoir peser sur la course, de ne plus être au centre de l’attention médiatique?

«Non mais ça c’est bien ! Après tant d’années de stress et de chaos autour de l’autobus, c’est bienvenu d’être un peu tranquille. Depuis que Lance est parti, on est à nouveau une équipe normale.»

Armstrong revient lundi soir en France, pour des actions de promotion. Il va grimper le mont Ventoux, un bon souvenir, et s’il met un pied sur la course, ce sera uniquement pour consoler Bruyneel. Parce que tout sourire qu’il est, le Belge ne respire pas le bonheur.

«Sauvons ce que nous pouvons sauver. Il ne reste plus que la possibilité d’une éventuelle victoire d’étape, tout le reste c’est fini. A partir d’aujourd’hui on va penser à ça, espérons qu’on ait moins de malchance.»

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En montagne, chaque watt compte

9e étape du Tour 2011. Stefano Rellandini / Reuters

9e étape du Tour 2011. Stefano Rellandini / Reuters

Le dopage avance, recule ou fait-il du surplace? Les contrôles positifs, comme celui (pas le plus inattendu) du Russe Alexandre Kolobnev, ne permettent pas de le dire. Ils sont trop isolés, les contempteurs du cyclisme y voient le signe que ce sport n’est qu’une farce et ses défenseurs le signe que les tricheurs finiront tous par tomber.

Il y a les observations que font les autorités sportives ou de la lutte antidopage sur la base des prélèvements sanguins effectués toute l’année, et qui montrent une nette tendance à la baisse des paramètres anormaux chez les coureurs.

Une autre méthode, du domaine des sciences physiques, consiste à calculer les puissances développées aux différents échelons du peloton, et à les comparer d’une année sur l’autre. C’est ce que fait l’ingénieur Frédéric Portoleau. Ses calculs, qu’il explique ci-dessous, ne permettent pas de pointer du doigt des coureurs dont les performances seraient hors-normes, d’autant plus qu’ils n’expriment pas la puissance réelle mais la puissance théorique. Ils offrent toutefois une vue d’ensemble de la force des leaders.

Ses chiffres sont critiqués parce qu’ils sont faits devant la télévision mais lorsqu’il les compare avec ceux des capteurs de puissance mis en ligne par le fabricant SRM, la marge d’erreur n’est pas supérieure à celle des instituts de sondage.

Frédéric Portoleau a écrit avec Antoine Vayer, l’ancien entraîneur de l’équipe Festina, le livre «Pouvez-vous gagner le Tour?». Sur la base de ses calculs, Antoine Vayer tient une chronique dans Le Monde durant ce Tour de France. Frédéric Portoleau publiera sur ce blog ses calculs après les Pyrénées et les Alpes, comme il le faisait ces dernières années sur le site Cyclismag. Je lui laisse la parole.

«La notion de puissance est assez simple à comprendre. Pour un système mécanique en rotation comme un pédalier, la puissance est égale au produit du couple moteur, lié à la force appliquée sur les pédales, par la fréquence de rotation (vitesse). Un coureur en très grande forme qui dispose d’un fort potentiel physique va mettre un grand braquet et tourner vite les jambes: sa puissance sera élevée. A l’opposé, un coureur fatigué ou relativement limité physiquement va, sur le même terrain, diminuer sa fréquence de pédalage ou mettre le petit plateau, sa puissance sera plus basse.

On peut évaluer la puissance de deux façons: soit en mesurant avec des capteurs au niveau du pédalier ou de la roue arrière le couple et la fréquence de pédalage, soit en la calculant de manière indirecte par simulation. La mesure directe par capteur est disponible sous des conditions météo variées (avec ou sans vent) et pour toutes les durées d’effort, instantanée sur quelques secondes à plusieurs heures.

Limites et zones de précision

Le calcul indirect par simulation présente plus de limites que la mesure directe par capteur.

La principale difficulté provient de l’estimation des frottements aérodynamiques et de l’absence de donnée précise sur la vitesse du vent. Il faut donc des conditions de course où les frottements de l’air apparaissent relativement faible par rapport aux autres forces que doit vaincre le cycliste, en particulier la pesanteur. Par conséquent, seule la puissance sur des efforts relativement longs en montagne, sur des pentes fortes et à l’abri du vent, peut être estimée avec assez de précision. L’idéal est une pente supérieure à 6%, une vitesse inférieure à 25 km/h, une force de vent sur l’échelle de Beaufort terrestre de 1 ou 2, un cycliste qui roule seul et ne profite pas de l’aspiration, une route forestière et en lacets (nombreux changements de direction) pour diminuer l’impact du vent.

L’image ci-dessous présente un exemple du choix de la bonne zone de mesure pour la puissance sur le col d’Izoard. Cette zone se situe entre les points 3 et 4 de Brunissard à la Casse déserte, surligné en vert.

Dans le cyclisme d’aujourd’hui, les équipes des leaders contrôlent la course en cours d’étape et ce n’est que dans la dernière ascension que les meilleurs donnent leur pleine mesure. Sur ce Tour de France, c’est donc dans les montées de Luz Ardiden, du plateau de Beille et de l’Alpe d’Huez que nous aurons les calculs les plus précis de la puissance développée par les premiers du classement général.

Le principe du «coureur étalon»

En plus de l’erreur de mesure due à l’évaluation des forces de frottement, la masse des coureurs n’est pas connue avec assez de précision. Ils peuvent se déshydrater en cours d’étape et perdre quelques kilogrammes. Le nombre de bidons portés est variable.

Pour toutes ces raisons, nous préférons calculer la puissance d’un «coureur étalon» de 70 kg avec un équipement de 8 kg. Cette valeur est utilisée pour faire nos comparaisons.

Le «coureur étalon», de 78 kg avec son vélo, est le témoin de l’évolution des performances. C’est comme si on plaçait un coureur fictif dans le peloton en regardant la puissance qu’il doit développer pour suivre les meilleurs coureurs du Tour de France. Cela donne une échelle de performance en watts. Si un coureur pèse en réalité moins lourd (comme les plus grands favoris du Tour), sa puissance réelle développée pour grimper sera inférieure. S’il est plus lourd (comme l’Allemand Tony Martin), elle sera supérieure.

Un bon coureur de 70kg peut développer 1.200 watts pendant 15 secondes, 450 watts pendant 6 minutes, 400 watts pendant 30 minutes. Sur le triathlon d’Hawaii, la puissance sur la portion de vélo a déjà été évaluée pour le vainqueur à 300 watts pendant cinq heures. Plus la durée d’effort est longue, moins la puissance moyenne est élevée.

Cette grandeur permet de mettre en évidence les grands exploits ou les défaillances des coureurs du tour de France. En 1996, le quintuple vainqueur Miguel Indurain ne développa que 325 watts sur les derniers kilomètres de la montée des Arcs au moment d’une défaillance mémorable alors qu’un an plus tôt, lors de sa cinquième victoire, il se situait à plus de 500 watts au cours de la montée de La Plagne.

Contador, Frank Schleck et Rodriguez, les rapides du printemps

Le suivi des performances du vainqueur du Tour (puissance théorique avec un coureur étalon) montre que les niveaux les plus élevés ont été atteints au milieu des années 1990, lorsque l’usage de l’EPO était répandu dans le peloton. Après 1998, le niveau a subitement baissé, avant de remonter et de se stabiliser depuis l’an 2000 à un niveau légèrement inférieur aux années EPO.

Mes calculs sur la première partie de la saison 2011 montrent des chiffres de puissance élevés avant même le Tour de France, en vue duquel les coureurs sont censés progresser. Tous les chiffres suivants sont donnés pour un coureur étalon, 78 kg avec vélo, témoin des performances.

Lors du Critérium International, une course par étapes sur un week-end disputée fin mars en Corse, Frank Schleck a développé une puissance théorique de 445 watts pendant une grosse demie heure sur une seule ascension. S’il parvient à ce niveau dans les Pyrénées, il ne devrait pas être loin des meilleurs.

Sur le Tour d’Italie, au printemps, Alberto Contador s’est baladé face à une concurrence qui n’a pas développé des puissances extraordinaires. L’Espagnol, qui a devancé de plus de six minutes les Italiens Vincenzo Nibali et Michele Scarponi (absents sur le Tour), a réalisé ses meilleures performances athlétiques en montagne sur la montée vers le Grossglockner (429 watts) et lors du contre-la-montre en côte de Nevagal (433 watts). Lors de sa montée victorieuse de l’Etna, la force du vent ne nous permet pas de fournir une puissance assez précise. Lors de la montée de la Gardeccia, à l’issue d’une des étapes de montagne les plus longues et difficiles de ces dernières années, il a logiquement baissé de niveau mais développé malgré tout 404 watts en moyenne, ce qui lui a suffi à lâcher tous ses adversaires.

Sur l’ensemble du Tour d’Italie, Contador est apparu au même niveau qu’au Tour de France 2010 et à un niveau moindre que sur le Tour 2009. Avec des adversaires plus coriaces, il aurait certainement amélioré sa moyenne.

Les concurrents de Contador, souvent des poids plumes, n’ont pas dépassé les 410 watts de moyenne en puissance étalon sur les quatre cols étudiés. Rujano et Scarponi ont développé 408 watts tandis que Gadret et Nibali se sont contentés de 400 watts.

Dans le Critérium du Dauphiné, en juin, la meilleure performance en montagne a été réalisée par l’Espagnol Joaquim Rodriguez (Katusha), qui ne dispute pas le Tour et avait donc atteint son pic de forme. Dans le collet d’Allevard, avec ses 11,7 km à 8.22% de pente moyenne, ce pur grimpeur a développé 457 watts de moyenne pendant 32min05s, en puissance étalon. Pour une course en ligne, je n’ai jamais mesuré un tel niveau de performance sur un Dauphiné, même à l’époque de Lance Armstrong.

Kern et Voeckler à leur plus haut niveau

Vainqueur du Dauphiné, Wiggins avait retrouvé son niveau de 2009 qui lui avait permis de finir quatrième du Tour. Mais il a abandonné le Tour de France sur chute lors de l’étape s’achevant à Chateauroux.

Wiggins a développé 442 watts sur le collet d’Allevard. Avec respectivement 445 watts et 426 watts, les coureurs d’Europcar Christophe Kern et Thomas Voeckler, l’actuel maillot jaune, n’ont jamais été aussi forts en montagne.

Avec 439 watts, Jean-Christophe Péraud, co-leader d’AG2R sur ce Tour, continue de progresser par rapport au Critérium International (423 watts sur la montée de l’Ospédale) et à Paris-Nice (405 watts au col de la Mure). David Moncoutié et Jérome Coppel ont aussi fait de belles ascensions mais sont plus proches de leurs potentiel habituel.

Ces performances dans le collet d’Allevard ont aussi été permises par la vitesse modérée de l’ascension précédente, le col du Grand Cucheron, à 350 watts de moyenne seulement. Les coureurs ont abordé le dernier col avec une certaine fraîcheur. De plus, l’ascension a été lancée sur une allure très soutenue avec un relais d’Edvald Boasson Hagen, le puncheur norvégien vainqueur à Lisieux: l’équipier de Wiggins a lessivé le peloton avec une puissance étalon de 490 watts pendant 10 minutes.

Le lendemain, l’ultime ascension du Dauphiné, vers la Toussuire a été gravie moins vite. Sur la portion basse du col, le Néerlandais Robert Gesink, maillot blanc du Tour, a développé 420 watts avant de se faire reprendre par le groupe des favoris.

Le Tour de Suisse était la dernière course par étapes de préparation au Tour de France et a marqué le retour en forme de Damiano Cunego, le grimpeur italien vainqueur du Giro en 2004. L’Italien a développé lors de l’ascension de la Grosse Scheidegg 390 watts de moyenne pendant 48 minutes et 33 secondes sur l’ensemble du col. Ce n’est pas extraordinaire mais son accélération sur le haut du col (5,5 km à 9,2% de pente moyenne) l’est davantage: 421 watts pendant 17min33s. Il a ainsi pris du temps à tous ses adversaires mais a fini par perdre le Tour de Suisse face à Levi Leipheimer, dans le dernier contre-la-montre.

Pour ce qui est des autres favoris, nous manquons de repères. Andy Schleck n’était pas à son meilleur niveau lors du Tour de Suisse et n’a jamais semblé donner sa pleine puissance. Ivan Basso a dit sur le site Cyclingnews avoir développé 440 watts au seuil (puissance réelle) lors d’un test physique avant le départ du Tour. La puissance au seuil est celle que peut développer un coureur sur un effort prolongé car il est juste en-dessous de la zone rouge, celle qui va faire exploser ses jambes et son cœur.

Les chiffres de la première partie de l’année montrent que le niveau athlétique devrait être plus élevé cette année qu’en 2010. Il pourrait y avoir des coureurs à 450 watts en puissance étalon sur les ascensions clés du Tour de France : Luz-Ardiden, plateau de Beille et l’Alpe d’Huez. »

Frédéric Portoleau

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Chute à l’arrière

 

Yaroslav Popovych, de Radioshack, le 6 juillet 2011. REUTERS/Denis Balibouse

Bim, bam, boum, crac, ouille. Un carnage, cette cinquième étape du Tour de France entre Carhaix-Plouguer et le Cap Fréhel. Les victimes du jour n’étaient pas les premiers venus. Janez Brajkovic, le Slovène de RadioShack, vainqueur du Critérium du Dauphiné l’an passé? Traumatisme crânien, fracture de la clavicule droite, abandon. Tom Boonen, le Belge ancien champion du monde? Déchiré à l’épaule droite, perdu dans la pampa, arrivée dans les délais pour une poignée de minutes. Parmi les autres coureurs pris dans les chutes, beaucoup de leaders: Alberto Contador, Robert Gesink, Sylvain Chavanel, Bradley Wiggins notamment. Ils sont arrivés dans le peloton mais les blessures nuisent à la récupération et tout finit par se payer dans le Tour.

Pourquoi toutes ces chutes aujourd’hui? Hormis la fameuse gamelle du premier jour, celle qui a coûté plus d’une minute à Contador, ce Tour 2011 n’avait pas eu droit à sa journée de chutes à répétition. Bizarrement, aucun des coureurs (et anciens coureurs) interrogés n’a la même explication.

Jens Voigt (Leopard-Trek),14e Tour de France:

«Trop de coureurs sur une trop petite route. Voilà, c’est très simple. Les petites routes comme ça, tu peux les choisir dans la dernière semaine. En première semaine, les coureurs sont encore frais, il y a de la tension, tu essayes de protéger le sprinteur, le leader, et là, la route est trop petite. Il y a beaucoup de trucs sur les routes en France (des îlots directionnels partout, notamment) mais malheureusement c’est comme ça. »

Plus tôt, sur RMC, le professeur Cyrille Guimard (sept Tours de France remportés en tant que directeur sportif) disait une toute autre chose:

«Les chutes ont eu lieu sur des routes larges et de longues lignes droites. Les étapes comme aujourd’hui, sans grand enjeu, on parle plus dans le peloton, il y a un relâchement général. Hier, la consigne était de faire attention, il pleuvait, ça glissait donc il fallait rester concentré et il y a eu moins de chute. »

Le fait qu’il n’y ait pas eu de chute dans le sprint, malgré un parcours tortueux, tend à accréditer la thèse de Guimard.

Mais Jérémy Galland (Saur-Sojasun), qui dispute son premier Tour de France, n’a pas vu les choses comme ça au sein du peloton:

«C’était très nerveux, une route très sinueuse. Il y a eu du vent dès le départ, tout le monde voulait rester placé et voilà. Il y avait toujours autant de concentration dans le peloton mais tout le monde a peur du vent. Les équipes ne veulent pas se faire piéger comme le premier jour. Beaucoup de leaders ont perdu du temps donc tout le monde est vigilant, tout le monde veut frotter et ça provoque des chutes. »

Frotter ? Placer son leader ? Pierre-Henri Menthéour, ancien équipier de Laurent Fignon et vainqueur d’étape sur le Tour 1984, explique:

«Dès qu’il y a du vent, c’est une lutte de tous les instants pour protéger son leader. Il y a 22 équipes, donc 22 fois quatre coureurs qui jouent des coudes pour remonter dans le peloton. Un équipier qui veut remonter avec son coureur, il joue des coudes, il lâche le guidon pour pousser un type et ouvrir la voie. »

Je vous rappelle que tout cela se fait entre 45 et 65 km/h.

Pourquoi remonter ? Dans la deuxième moitié du peloton, un leader peut être piégé si le peloton se scinde en plusieurs parties et perdre du temps. Il a aussi plus de chances d’être retardé par une chute, comme le sait Contador. Le travail des équipiers est d’aller le chercher, parfois par la peau du cul car le leader n’aime pas toujours frotter, et de le replacer devant. C’est d’autant plus vrai par jour de grand vent, comme aujourd’hui sur la côte bretonne.

La parole à Menthéour, régional de l’étape:

«Le vent a une grosse importance car tout le monde veut s’abriter. Quand on est dans les 30 premiers, c’est très organisé, le leader est protégé par ses équipiers. Derrière, il n’y a plus de bordure, on est dans la caillasse.»

«Dès que t’es obligé de freiner, tu perds 30 places que t’avais gagnées en frottant grave», poursuit Pierrot:

«Au moindre trou que tu vois, tu sprintes pour t’y engouffrer. Au bout d’un moment, tu ne freines plus parce que tu veux pas reculer. Et quand plus personne ne veut freiner et aller au même endroit, ça tombe ou ça fait un écart. Et le moindre écart pour ne pas tomber, mettons de 30 cm, est multiplié par deux pour le mec derrière toi. Le cinquième, il va faire un mètre cinquante de côté et tomber.»

Evidemment, il y a des coureurs qui ne connaissent pas ces ennuis. Philippe Gilbert, deuxième sur la ligne, à nouveau maillot vert, parle comme le numéro un mondial qu’il est : «Vous savez, les chutes, ça se passe à l’arrière donc ça me concerne pas trop.»

Brajkovic et Contador? «Ils n’étaient pas bien placés au moment où (l’équipe) Garmin a accéléré et voilà, on connaît le résultat.» Prenez ça les grimpeurs.

PS : Au fait, Cavendish a gagné et a dédié la victoire à son chien, piqué il y a deux jours.

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Le contre-la-montre par équipe, l’art du collectif

Dimanche, c’est contre-la-montre par équipes. J’en connais qui on dû mal dormir. Pas grand chose à gagner, beaucoup à perdre, par exemple faire tomber son leader en prenant mal un virage, ou perdre la roue de ses coéquipiers au bout de cinq kilomètres. L’humiliation.

Le contre-la-montre par équipes est sans doute l’épreuve la plus télégénique du cyclisme. Disputée sur 23 kilomètres plats et à l’abri du vent, elle sera d’ailleurs davantage l’occasion de regarder le ballet des coureurs et de découvrir les maillots que de creuser des écarts importants. Hormis Samuel Sanchez et peut-être Ivan Basso, tous les leaders seront d’ailleurs bien entourés sur cette épreuve.

Parmi les coureurs qui courront le contre-la-montre par équipes, il est probable que certains n’en aient jamais disputé. Le calendrier en compte une demi-douzaines par an au maximum, essentiellement sur les Grands Tours.

Cette épreuve nécessite préparation, cohésion et solidarité au sein de l’équipe. Les directeurs sportifs ont parfois organisé des stages et fait leur sélection de coureurs en fonction de cet effort de moins d’une demi-heure. L’équipe Garmin-Cervélo, qui sera favorite – avec deux autres équipes américaines, RadioShack et HTC-Highroad – a ainsi sélectionné au dernier moment le champion de Lituanie Ramunas Navardauskas (comme ça se prononce) au détriment de Johan Van Summeren, le vainqueur de Paris-Roubaix, parce qu’il était plus efficace lors des derniers tests. Pour celles qui ne l’avaient pas fait avant, toutes les équipes ont reconnu le parcours jeudi ou vendredi.

Un contre-la-montre par équipe, explications technico-tactiques

Pour comprendre le contre-la-montre par équipes, il faut comprendre un principe de base de la course cycliste : celui qui roule en tête d’un groupe fournit plus d’effort que ceux qui sont derrière lui. C’est de la simple physique. Dans la roue d’un autre, voire, encore mieux, encadré par plusieurs autres coureurs, on subit moins de résistance de l’air. Sans vent et à vitesse moyenne pour un peloton (40-45 km/h), l’économie d’énergie lorsqu’on reste dans la roue est d’environ 30%. Avec du vent, c’est encore plus. Dans les deux cas, c’est énorme.

Une fois que l’on a digéré ça, on comprend déjà mieux le Tour de France, mais ça ne suffit pas pour le contre-la-montre par équipes.

Les neuf coureurs vont donc se relayer en tête de groupe, en tentant de maintenir l’allure du relayeur précédent pour ne pas produire d’à-coups qui font perdre du temps et des forces à tout le monde. On peut le faire en file indienne ou en deux files parallèles, s’il y a un vent de côté ou si l’on veut raccourcir les relais.

L’idée est d’utiliser au mieux les forces de chacun, puisque tous les coureurs ne se ressemblent pas. Un grimpeur d’1m68 roule moins vite sur le plat qu’une bête à rouler d’1m98. Accessoirement, il abrite moins ses coéquipiers du vent. Faites le test en roulant derrière votre petit cousin, vent de face.

Ce contre-la-montre est court, 23 kilomètres. Pourquoi ne pas laisser les trois meilleurs rouleurs de l’équipe partir avec le leader et laisser les boulets derrière ? Parce que le temps est pris sur le cinquième coureur à l’arrivée. Et que même si vous n’êtes plus que cinq dans les derniers kilomètres, vous prenez le risque de perdre beaucoup de temps avec une chute ou un incident mécanique.

Ces bases posées, cinq conseils si vous voulez organiser un contre-la-montre par équipes avec vos voisins :

  • Connaître le parcours Un chrono par équipes, ça se prépare. On reconnaît le parcours pour connaître les virages piégeux et ne pas y arriver trop vite, car les vélos utilisés ne sont pas du tout adaptés pour tourner. Et que si le meneur tombe, c’est tout le monde dans le décor, comme Bouygues Télécom et Lampre il y a deux ans.
  • Ne pas penser qu’à sa gueule Ce n’est pas parce qu’un coureur va vite que toute l’équipe ira vite. Il faut au contraire aller à un rythme qui convienne à tous, sous peine d’épuiser les plus faibles d’entrée. Après un virage, une relance trop énergique créera un écart entre les coureurs et désorganisera l’équipe. Une file de cyclistes se comporte comme un accordéon (sans passer dans la rame de métro après l’effort).
    • L’équité, pas l’égalité En demandant à chacun de rouler autant, on court à la catastrophe. Un mauvais rouleur tiendra deux relais avant d’exploser en vol. Mieux vaut laisser les moins forts prendre des relais d’une dizaine de secondes et les plus résistants prendront des relais plus long, parfois jusqu’à 30 secondes.
    • On ne part pas par ordre alphabétique « Dans l’idéal, explique le rouleur Jimmy Engoulvent dans Vélo Magazine, l’ordre des coureurs se fait en fonction des qualités physiques de chacun. On va avoir tendance à regrouper les sprinteurs entre eux, puis les rouleurs et les grimpeurs. Ensuite, la taille entre en compte et il est aisé de comprendre qu’on va plutôt placer les coureurs de grand gabarit pour proéger ceux qui suivent. » Pour le départ, on privilégiera un coureur puissant, qui puisse passer de 0 à 50 km/h sans à-coups. Au fil des kilomètres, la file doit être réorganisée à mesure que des coureurs lâchent.
    • Ne pas regarder le paysage L’écart entre les coureurs est de moins d’un mètre. Le moindre écart, la moindre faute d’inattention peut provoquer la chute. N’est-ce pas Van den Broeck…
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    Il s’est passé quelque chose

    Comment ça on s’ennuie la première semaine sur le Tour ? Première étape et paf, plus d’une minute de retard pour Alberto Contador. Le triple vainqueur du Tour, qui n’avait déjà pas envie de venir, s’est fait siffler par le public jeudi et a été pris dans une chute massive lors de cette première étape près de l’arrivée. Il commencera demain une course à handicap sur Andy Schleck. Contador doit se demander dans quelle galère l’a mis son manager, Bjarne Riis. Quant à ce dernier, pointilleux comme il est, il doit enrager de voir son leader pris dans une cassure dans les dix derniers kilomètres.

    L’avantage pour l’Espagnol, c’est qu’il ne prendra pas de sitôt le maillot jaune. Il s’évitera ainsi les conférences de presse obligatoires et les affrontements stériles avec une partie des journalistes

    Pour la victoire d’étape, Philippe Gilbert a fait, comme on s’y attendait, une démonstration. Le peloton étant une machine à soupçons, il ne doit pas être facile pour lui d’être tellement au-dessus du lot. On est aussi un peu perplexe de voir un coureur si dominateur se teindre les cheveux couleur argent, comme, jadis, Dario Frigo et Richard Virenque, deux symboles du dopage sur le Tour de France. Son conseiller en communication n’a pas dû être consulté.

     

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    Prends ton bob et ta crème solaire

    Entre Morzine et Saint-Jean-De-Maurienne, le 13 juillet 2010. REUTERS/Francois Lenoir

    Entre Morzine et Saint-Jean-De-Maurienne, le 13 juillet 2010. REUTERS/Francois Lenoir

    Cette semaine s’arrête vendredi. En juillet, le premier samedi du mois, c’est plus seulement un film pour Pascal Feindouno, c’est le début d’un nouveau calendrier. Samedi, c’est Tour de France. Plus de dimanche mais des jours de repos – cette année les lundi, des étapes de transition – « je suis libre jusqu’à 16 heures » – ou étapes de montagne «busy de midi à 17h30».

    Sur ce blog, on vivra donc à ce rythme, tantôt devant l’écran, tantôt sur la course. On donnera la parole aux acteurs et aux techniciens, ceux qui savent pourquoi un tel n’a pas roulé avec tel autre (le cyclisme est un sport d’équipe), pourquoi le peloton a ralenti à tel moment (le cyclisme est un sport tactique) ou comment on peut être largué un jour et brillant trois semaines plus tard (le cyclisme est parfois déroutant).

    On ne va pas tenter de vous vendre le duel entre Alberto Contador et Andy Schleck. Les deux bretteurs sont trop polis pour enlever la mouche, qui permet, dit Wikipedia, « les assauts courtois ». Contador et Schleck s’excusent de s’attaquer et respectent la priorité au sommet du Tourmalet.

    On ne va pas non plus se convaincre que cette année, c’est sûr, regardez sa cadence, ses grimaces, le vainqueur du Tour est propre. Le cyclisme est depuis 13 ans dans l’ère du soupçon et n’en sortira plus, ce qui gâche un peu le plaisir.

    Parenthèse: c’est un peu de sa faute. Quand on cherche du dopage, on en trouve. Quand on trouve, on en parle. Et quand on ne trouve pas, on en parle aussi. Tout le monde est négatif ? Ce serait la preuve que les tricheurs passent entre les mailles du filet; pas qu’ils sont moins nombreux.

    Jeudi dernier, l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) présentait son rapport d’activité. Aux côtés des dirigeants de l’AFLD ont pris place le conseiller scientifique et le responsable de la communication de l’Union cycliste internationale (UCI), mais pas Michel Platini. Ça n’a pas surpris grand monde. Cyclisme et dopage se sont mariés dans les années 90 et il n’y aura pas de divorce par consentement mutuel.

    Citons pourtant le président de l’AFLD, Bruno Genevois:

    « Le chef de l’Oclaesp, le colonel Thierry Bourret, a dit urbi et orbi qu’aucune discipline n’était à l’abri du dopage. L’Agence mondiale antidopage (AMA) dit que le dopage a davantage cours dans les sports d’endurance et qu’il concerne davantage les hommes que les femmes. On sait enfin que, là où les intérêts économiques et financiers sont importants, c’est quand même une incitation au dopage. Ce sont les trois critères. »

    «Mais alors, c’est dans le football qu’il devrait y avoir le plus de dopage!», relançait un collègue. Et le tennis, murmurais-je. Elémentaire. Et pourtant, le soupçon nous effleure rarement lorsque l’on voit jouer Nadal ou Messi. L’inégalité de traitement a eu de quoi indigner le docteur Eufemiano Fuentes (1). Ce tranquille gynécologue espagnol faisait des miracles auprès des cyclistes, on l’a su grâce à l’affaire Puerto. Mais il s’est offusqué qu’on oublie sa contribution au tennis, au football et à l’athlétisme.

    Pas d’illusions au sujet des tous meilleurs, donc, mais pas non plus question d’oublier que des mois d’EPO, de clenbutérol et de transfusions autologues ne me feraient pas tenir dix kilomètres dans un peloton. Un docteur plus un fainéant ne feront jamais un champion. Le cyclisme est un sport de masos et les coureurs du Tour de France en bavent. Particulièrement à l’entraînement, lorsqu’il faut se lever à l’aube pour aller rouler avant l’arrivée des fortes chaleurs, ou lorsqu’il faut s’entraîner seul sous la pluie. Perso, quand il pleut fort, je prends le métro.

    On peut lire le classement général avec un sourire en coin mais se passionner pour les multiples enjeux du Tour. Lutte pour le maillot jaune, pour les victoires d’étapes – la seule accessible aux coureurs français, pour arriver dans les délais après trois cols hors-catégorie , lutte pour passer à la télé ou pour décrocher un nouveau contrat.

    Voilà ce qui rend passionnant le Tour de France, pour ceux qui s’y intéressent. Pour les autres, il reste toujours le plus sûr moyen de faire la sieste en été.

    Clément Guillou

    (1) : Le magazine Pédale, réalisé par l’équipe de So Foot, tire un portrait très documenté de l’animal. Cinq euros, c’est une pinte de moins mais du bonheur en plus.

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