Noël, Tamiflu et Relenza sont bien là !
Quand le kit bogue
Nouvelle, petite mais bien éclairante controverse ; ou quand le kit bogue. Avec cette précision liminaire : il ne faudrait jamais omettre de lire le Journal officiel de la République Française (JO) ; un JO qui ose user du « kit » (pourquoi avoir abandonné « panoplie » ou « attirail » et laisser croire à tous qu’il s’agit d’un « ensemble de pièces prêtes à monter » ?). « Kit », donc, faute de pouvoir parler de « bug ». Pour ce qui nous concerne (Antoine, vous, moi) il ne fallait surtout pas rater l’édition datée du 4 décembre. Notre JO publiait alors l’ « arrêté du 3 décembre 2009 relatif à la distribution de kits destinés au traitement des patients atteints par le virus de la grippe de type A (H1N1) 2009 » ; un texte signé par Roselyne Bachelot ministre de la santé et des sports et par Eric Woerth ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat.
Mme Bachelot et M. Woerth y rappellent la situation épidémiologique sévissant dans le monde, et notamment le fait que « selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 206 Etats ou territoires ont été, à ce jour, concernés par l’épidémie provoquée par le virus de la grippe de type A (H1N1) 2009 et que plus de 6 770 personnes résidant dans ces Etats ou territoires en sont décédées ». Les deux ministres rappellent aussi que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré la mise en œuvre de la phase 6 du plan mondial de préparation à une pandémie de grippe et que le gouvernement français a déclaré la mise en œuvre de la phase 5A du plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale ».
Il faut en outre compter avec « l’évolution de la situation épidémique sur le territoire national décrite par l’Institut de veille sanitaire depuis le début de la pandémie » ainsi qu’avec « le caractère pathogène et contagieux du virus de la grippe A (H1N1) 2009 et la menace sanitaire grave qu’il constitue ».
Omniprésence vaccinale oblige on en avait presque oublié que la France disposait de volumineux stocks nationaux de traitements antiviraux et de masques anti-projections individuels. Et le gouvernement juge aujourd’hui (mais pourquoi donc aujourd’hui ? sur quelles bases ? sur quelles expertises ? sur quelles publications et échanges européens ?) « nécessaire d’organiser l’accès de ces traitements antiviraux et masques anti-projections individuels aux personnes atteintes ou exposées au virus de la grippe de type A (H1N1) 2009 et prises en charge en dehors des établissements hospitaliers lorsque leur état de santé le permet ».
D’où cet arrêté en quatre articles :
« Art. 1
Un kit, comprenant un traitement antiviral et une boîte de masques anti-projections issus du stock national, est délivré gratuitement sur prescription médicale par les officines de pharmacie, les pharmacies mutualistes ou de secours minières telles que définies à l’article L. 5125-9 du code de la santé publique. Cette délivrance est limitée à un kit par personne et par ordonnance. Il peut être délivré, conformément à la prescription médicale établie, un seul des produits composant le kit. Cette délivrance est également gratuite.
Art. 2
La distribution effectuée conformément à l’article 1er donne lieu au versement d’une indemnité financée par l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires dont le montant est fixé comme suit :
― pour l’entreprise dont relève l’établissement pharmaceutique de distribution en gros : 0,50 € hors taxes pour la distribution du kit ou du traitement antiviral seul ou des masques seuls conformément à la prescription médicale ;
― pour le pharmacien titulaire ou le pharmacien gérant dont relève la dispensation au détail : 1 € hors taxes pour la délivrance du kit ou du traitement antiviral seul ou des masques seuls conformément à la prescription médicale.
Art. 3
Les mesures prévues par le présent arrêté seront levées par arrêté du ministre chargé de la santé dès qu’elles ne sont plus justifiées.
Art. 4
Le directeur général de la santé, le directeur de la sécurité sociale et le directeur du budget sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française. »
Quelques heures après la publication de cet arrêté le ministère de la santé faisait savoir, en urgence, que ce nouveau dispositif ne serait en réalité pas opérationnel avant, au mieux, la « mi-décembre » ; un délai incompressible compte tenu de la nécessité « de positionner ce stock dans les 22 000 officines pharmaceutiques et d’informer les professionnels de santé concernés des nouvelles modalités de prescription, ce qui prendra quelques jours ». Interrogés par différentes stations radiophoniques (au risque d’être accusée de superficialité la radio est bel et bien, après les sites d’information, le média le plus réactif dans ce domaine) des pharmaciens d’officine fulminent (autant que peut fulminer un pharmacien d’officine) : « Nous ne sommes, malheureusement, au courant de rien… ! On ne nous a rien dit ! »
Mardi 1er décembre le Premier ministre François Fillon avait cru pouvoir indiquer que ce dispositif serait en place « dans les tout prochains jours ». Après des années de répétition des différents aspects du plan national de lutte contre les pandémies grippales il semble donc bien que des rouages grincent encore, que l’intendance sanitaire manque d’huile. Voilà qui fait désordre après la toute récente ire publique de Nicolas Sarkozy apprenant, sous d’autres longitudes, que les files d’attente vaccinale s’allongeaient sans fin devant les portes, parfois fermées, des gymnases-dispensaires. Des sanctions vont-elles bientôt tomber ?
Mais, à dire vrai, faudrait-il que des sanctions tombassent ? Quelques jours de retard avant de pouvoir disposer gratuitement du kit salvateur ? Quelle importance quand on se souvient que de nombreuses voix d’experts s’étaient élevées ces dernières semaines et ces derniers mois pour que l’on use au plus vite et au mieux des stocks d’antiviraux et de masques individuels de protection ? Antoine Flahault rappellera sans doute sous peu ici son analyse et ses prises de position publiques.
L’AFP garde en mémoire que le mois dernier, plusieurs experts qui rencontraient la presse « à l’initiative du ministère de la santé » (on appréciera comme il convient la précision) avaient défendu un usage élargi des antiviraux antigrippaux, en s’ inspirant notamment d’observations faites en Argentine. Le Pr Catherine Weil-Olivier, spécialiste de pédiatrie (Université Paris 7) avait quant à elle critiqué l’usage « très conservateur » des antiviraux.
En septembre, l’OMS s’était déclarée contre un usage des antiviraux à titre préventif, en cas d’exposition à une personne contaminée par exemple, pour éviter toute résistance. Et depuis l’apparition du H1N1pdm des cas –toujours isolés- d’une même mutation du virus au Tamiflu ont été signalés en Norvège, au Brésil, en Chine, à Taïwan, en Finlande, en France, en Italie, au Japon, au Mexique, en Espagne, en Ukraine et aux Etats-Unis. Ces cas auraient-ils été plus nombreux (plus dangereux ?) si les autorités sanitaires françaises avaient, bien avant la Noël 2009, accepté que les personnes présentant le petit cortège des symptômes grippaux puissent avoir gracieusement recours au Tamiflu ou au Relenza et disposer –enfin !- de masques ? Voilà bien une question, parmi tant d’autres, à laquelle spécialistes et experts ne pourront jamais répondre de manière indiscutable. Et c’est, sans doute, grand dommage.
Question connexe (qui ne manquera pas d’être soulevée lors d’une future commission d’enquête parlementaire) : pourquoi les citoyens n’ont-ils pas disposé en temps et en heure de toutes les informations concernant la chaîne de décision de la mise en disposition des « kits » ? Quid des raisons précises de ce petit gap temporel concernant nos kits à venir et qui prend, déjà, les dimensions d’un nouveau bug ?
Jean-Yves Nau
Comme si le pays passait du 220 au 110 volts
Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’histoire de l’actuelle pandémie H1N1 on saisit mieux certains des effets, pas toujours bénéfiques, de la préparation à une autre pandémie : celle qui aurait pu émerger à partir du H5N1, de la grippe aviaire. Les rigidités observées au moment de l’adaptation à la pandémie H1N1pdm se sont souvent révélées pénalisantes. On a aujourd’hui une impression étrange : il semble presque aussi difficile de passer du plan H5N1 (sur lequel toute notre réponse est construite) à un nouveau plan H1N1 que si le pays voulait faire passer nos habitations brutalement du 220 volts au 110 (ce que personne n’envisage, grâce à Dieu !).
Ainsi, il avait été planifié que pour prévenir toute violence (pour éviter que les Français se battent pour obtenir du Tamiflu, voire qu’ils vandalisent les officines pharmaceutiques) que ce serait l’armée qui allait gérer les stocks qui sont à l’origine de ces fameux « kits ». Il a dû cependant être plus simple aujourd’hui de faire évoluer cette partie du dispositif (qui s’est révélé totalement inadapté à la pandémie que nous connaissons) que d’ouvrir la vaccination aux médecins généralistes et aux pédiatres, quand bien même seules contre presque tous, les autorités françaises persistent à ne pas le proposer.
Nos stocks de Tamiflu et de Relenza s’accumulaient et ne servaient à rien, ils périssaient tandis que la sécurité sociale remboursait les prescriptions d’antiviraux sans puiser dans les stocks de l’Etat puisque ces derniers n’étaient pas libérés. En toute rigueur il aurait fallu attendre le passage officiel au niveau 6 pour libérer ces stocks ; tout comme les masques. On est évidemment clairement, épidémiologiquement, en niveau pandémique avéré (donc 6). Mais l’expérience des rigidités d’un plan jacobin qui a tant de difficultés à s’adapter, à s’assouplir, a conduit les autorités dans leur sagesse à différer le passage au niveau pandémique. Demi-aveu d’échec concernant le plan et son adaptatibilité à la situation d’aujourd’hui. Mais preuve aussi de pragmatisme d’autorités qui souffrent évidemment sous le poids d’une organisation complexe et lourde mise en place pour lutter contre des fléaux autrement plus redoutables.
Nous étions nombreux à penser : « qui pouvait le plus, pouvait le moins ». La préparation contre H5N1, un virus grippal certes aviaire, certes d’une virulence inouïe (60% de létalité attendue) devait être utile à la préparation contre un virus H1N1pdm à très faible létalité, et pour la plupart des patients, extrêmement bénin. Les antiviraux seraient efficaces (tant que la nouvelle souche ne serait pas résistante), les masques auraient le même pouvoir protecteur, le lavage des mains aussi, les fermetures des écoles également. Quant au vaccin, les usines “d’armement” fraîchement construites pour faire face à l’hécatombe seraient ainsi prêtes à se reconvertir.
Beaucoup de ces présupposés devaient fonctionner puisqu’ils répondaient à une cohérence des arguments avancés. Qu’il est difficile de prévoir et de prévenir les événements inattendus ! La réalité fut différente. La population a rapidement compris qu’elle n’avait pas affaire à une peste noire : elle ne porte pas les masques de protection, les préfets ne ferment pas les écoles dès le troisième cas signalé, fut-il confirmé, bien peu se lavent les mains trente fois par jour. Le niveau d’adhésion à la campagne vaccinale reste très faible. A-t-il augmenté ces dernières semaines ou bien sont-ce ceux, les 17 à 20% qui avaient déclaré très tôt vouloir être vaccinés qui se précipitent aujourd’hui vers les centres ? Les études en cours et à venir nous le diront.
Ce n’est pas un phénomène français : de Hong Kong (qui a connu le SRAS en 2003), en passant par l’Amérique du Nord et la plupart des pays européens, les réactions sont très voisines, malgré quelques différences notables qu’il conviendra d’analyser de près. La réalité est que nous sommes très mal préparés contre cette pandémie massivement bénigne mais qui tue rarement (mais pas exceptionnellement) des adultes jeunes et des enfants, dont une proportion importante était en très bonne santé auparavant. Cette pandémie est à la fois singulière, mais très proche des grippes saisonnières que l’on négligeait jusque dans le passé récent. On sent bien aujourd’hui que la meilleure préparation contre une telle pandémie aurait été de se préparer à affronter efficacement les épidémies de grippe saisonnière plutôt que de les contempler comme nous l’avons fait pendant un siècle. Contempler, sans jamais s’atteler sérieusement à en diminuer l’impact en dehors de campagnes de vaccinations destinées à protéger les personnes à risque et âgées. Sans d’ailleurs véritablement en évaluer rigoureusement l’efficacité auprès de ces populations.
Plusieurs blogueurs l’ont rappelé utilement dans le Journal de la Pandémie 2.0 :, T. Jefferson a publié dans le Lancet en 2005 (résumé gratuit en ligne en anglais) une revue systématique de la littérature sur le sujet, remettant en question l’efficacité de la vaccination anti-grippale saisonnière chez les personnes âgées (le vaccin semble plus efficace chez les adultes jeunes). Les chiffres parfois avancés par certains d’une efficacité de 80% dans la population ne reposent donc pas aujourd’hui sur des études cliniques sérieuses, seulement sur des niveaux d’anticorps, un critère biologique dont le niveau de corrélation avec la clinique reste encore à établir formellement.
Faut-il utiliser le Tamiflu en masse ? Comment ? A quel moment de la pandémie ? En traitement curatif ou préventif ? Le réserver aux seules formes sévères ? Personne ne peut réellement répondre à toutes ces questions de stratégie collective de lutte contre la grippe. La seule réponse que l’on peut apporter aujourd’hui, un peu comme nous l’avons proposé pour la vaccination, est d’ordre individuel. Oui, à un niveau individuel, les essais cliniques sont unanimes : face à une infection par une souche sensible de grippe de type A, le Tamiflu et le Relenza pris à dose curative réduisent chacun de 1 jour la durée des symptômes s’ils sont administrés dans les 48 premières heures après les premiers symptômes et l’efficacité est d’autant plus importante qu’ils sont administrés précocémment.
Face à une infection avérée, l’administration préventive réduit de l’ordre de 90% le risque d’infection des personnes en contact avec un malade vivant dans le même foyer. La question qui a été soulevée par plusieurs d’entre nous concerne la dose de ces traitements que l’on appelle (un peu à tort) préventifs et qui sont en réalité des traitements « post-exposition ». On sait qu’environ 30% des contacts d’un malade dans un même foyer sont à leur tour contaminés au moment où l’on institue une telle prophylaxie « post-infection ». Or chez ces personnes contaminées, il conviendrait de leur prescrire des doses curatives et non préventives (1/2 doses), car de facto elles sont-elles mêmes infectées et ne le savent pas (ni leur médecin). Le danger d’un traitement à mi-dose chez ces personnes est la sélection de souches résistantes de virus aux antiviraux, ce d’autant que les virus sont alors à leur phase de plus grande multiplication et donc de plus grande vulnérabilité et d’augmentation de la probabilité de mutations. Ce discours n’est pas incitatif à une prescription deux fois plus importante d’antiviraux (quelle chance pour l’expert qui écrit), car dans les deux cas il est proposé de terminer la boîte entamée qui comporte 10 comprimés (soit 2 comprimés par jour pendant 5 jours en traitement curatif ou 1 comprimé par jour pendant 10 jours en traitement « préventif »). Il conviendrait certainement de préconiser clairement un traitement de « post-exposition » de même nature que le traitement curatif et réserver la notion de traitement « préventif » aux personnes que l’on mettrait sous Tamiflu pour une durée longue en l’absence de notion de contact. Seules situations pouvant justifier une telle attitude purement préventive : la contre-indication absolue à la vaccination malgré un facteur de risque avéré et une probabilité d’exposition élevée, soit des situations rarissimes.
La pandémie n’a pas nécessairement dit son dernier mot, il est important que nos autorités de santé ne se démobilisent pas, comme elles le démontrent jusqu’à présent, sachons leur en rendre acte. Mais il est important aussi qu’elles fassent preuve de plus de souplesse dans l’application des dispositions du plan pandémique pour mieux l’adapter à la situation présente. Nous avions (impertinemment ?) suggéré dans notre livre (paru chez Plon en septembre dernier) que le plan antipandémique se devait désormais de s’écrire avec les outils du XXIème siècle, c’est-à-dire sur le web 2.0. De fait c’est bien un peu de cela dont il s’agit : évoluer vers un dispositif davantage participatif, même si la décision (toujours difficile à prendre dans ce cas) doit rester l’affaire des politiques.
Pour résumer ce long billet, les politiques vont continuer à avoir à décider non seulement dans une situation de forte incertitude (on se hasarde moins souvent aujourd’hui à proposer des scénarios précis et encore moins à y affecter des probabilités de survenue), mais aussi de forte impréparation collective. Nous disposons des résultats d’essais cliniques certifiant la qualité, bornant l’efficacité et la sécurité des produits de la « panoplie » à notre disposition (pour reprendre l’expression de Jean-Yves Nau). C’est utile pour préconiser des stratégies individuelles. Mais nous ne disposons pas encore d’essais en population apportant des preuves d’efficacité de stratégies à mettre en place. Et pourtant il faut bien décider pour la collectivité dans son ensemble.
Antoine Flahault
lire le billetSeuls certains syndicalistes savent nous rappeler l’existence des mots entrant dans leur phase d’obsolescence. Ainsi cette formule de François Chérèque, patron de la CFDT au charisme discuté : « il y a toujours une question de pognon derrière ça ». Pour les plus jeunes de nos lecteurs une définition s’impose peut-être. Pognon ? Ce nom masculin vient de l’ancien français « poigner » (saisir avec la main). De manière familière il est une forme de synonyme d’argent. Bénéficier d’un parachute doré c’est immanquablement en avoir beaucoup, c’est « avoir du pognon plein les poches » comme pouvait l’écrire Céline dont on se souvient qu’il était docteur en médecine. Or c’est bien des médecins dont parlait François Chérèque dimanche 29 novembre lors du « Grand Rendez-vous Europe1/Le Parisien-Aujourd’hui en France» ; de médecins généralistes et de vaccination.
Nous avons à plusieurs reprises évoqué ici les différents aspects de la controverse concernant les modalités de la nouvelle vaccination antigrippale et des incompréhensions multiples qu’elles génèrent. Nous sommes face à une grippe, pandémique certes, mais grippe néanmoins. Or à la différence de toutes les grippes saisonnières et depuis que les vaccins antigrippaux existent les médecins généralistes sont exclus du dispositif vaccinal. Pour de simples raisons pratiques et stratégiques répète, inlassablement sur les ondes, le Pr Didier Houssin délégué interministériel en charge de la lutte contre cette pandémie. Et inlassablement celui qui est par ailleurs Directeur général de la santé de faire œuvre de pédagogie citoyenne et politique : mieux vaut que les généralistes soignent plutôt que de vacciner ; mieux vaut, pour assurer la traçabilité et la vaccinovigilance vacciner dans des gymnases transformés en centres spécialisés ; le conditionnement « multidose » de lots vaccinaux se prête fort mal à une utilisation au cabinet libéral….
Or voici que ce dernier argument vient de tomber avec l’arrivée des premiers vaccins « unidoses » similaires à ceux des grippes saisonnières de jadis. Et la controverse de reprendre comme un feu de brousse opposant plusieurs syndicats de médecins libéraux ; un feu de brousse brutalement et fort curieusement alimenté par le leader de la CFDT qui depuis des années se refuse ostensiblement à jouer le rôle du pyromane dans le tissu social français.
Résumons les termes de l’équation. Pour MG France, syndicat de médecins généralistes le gouvernement doit dare-dare autoriser ces derniers à vacciner puisque 3 millions de vaccins conditionnés sous forme « monodose » ont (selon lui) été livrés à l’organisme en charge des stocks de vaccins. Pour ce syndicat médical l’heure est venue de permettre aux généralistes de compléter l’œuvre accomplie par leur confrères dans les centre spécialisés en vaccinant notamment les personnes les plus à risques et celles les plus isolées (elles sont plus d’un million) qui ne peuvent se déplacer et qu’ils sont souvent les seuls à voir (avec parfois, du moins pour l’heure , le facteur).
Or cet autre syndicaliste qu’est François Chérèque ne l’entend pas de cette oreille. Il s’est déclaré farouchement opposé à cette perspective, dénonçant « une question de coût » et précisant : « il y a toujours une question de pognon derrière ça ». Pognon ? M. Chérèque aurait pu parler autrement pour désigner le même unique objet de son courroux. Il aurait pu parler de monnaie, de fric, de ronds, espèces, de numéraire, de sous , de liquide et de liquidités, voire de pèse ou, dans un genre plus végétal d’oseille ou de radis. A l’attention des adhérents cinéphiles de sa laborieuse confédération il aurait même pu aller jusqu’au grisbi.
François Chérèque (qui n’est pas vacciné), dimanche 29 novembre : « Si vous allez chez votre médecin pour vous faire vacciner, vous allez payer une visite. On nous dit c’est 8 euros, mais on se moque de nous, parce que vous allez y aller, vous allez faire voir un autre problème de santé, et ce sera 22 + 8, ce sera 30 euros. » Favorable à l’idée de mobiliser les médecins M. Chérèque a, en substance, porté le diagnostic d’ « hypocrisie » concernant Michel Chassang, président du principal syndicat de médecins libéraux (CSMF). Le Dr Chassang (qui réclame depuis plusieurs semaines l’extension de la vaccination dans les cabinets médicaux) a aussitôt fait connaître son indignation à ses contemporains.
Dans une déclaration à l’AFP il a clamé que « cette affaire
d’argent n’en est pas une ». Michel Chassang : « Ce n’est pas du tout des motivations financières qui nous poussent. Les médecins dans les centres de vaccination sont payés par les caisses d’assurance maladie et personne ne travaille gratuitement dans ces centres. Ce que nous demandons, c’est ni plus ni moins la même chose. Nous ne demandons pas aux Français de débourser de l’argent, en aucune façon. » Et puis, la perfidie syndicale pouvant être ce qu’elle est, parfois assez voisine de ce que peut être la confraternité médicale : « Chérèque dit tout haut ce que la ministre de la Santé pense tout bas: que ce serait un problème financier. Ils nous accusent ni plus ni moins, de vouloir utiliser la grippe pour nous en mettre plein les poches, c’est une accusation inacceptable. »
Les sémiologues observeront ici le caractère potentiellement contagieux du recours à la familiarité langagière déplacée pour ne pas parler de l’argot qui a ses codes et son honneur. Le Dr Chassang, pour finir : le choix des centres « dédiés » (terme qui rencontre un succès croissant) de vaccinations a été fait selon des considérations purement idéologiques (adjectif en relative désuétude). « Si chacun d’entre nous, médecins généralistes et pédiatres, vaccinons entre 15 et 20 patients par jour (…) on est en capacité de vacciner un million de personnes tous les jours » assure-t-il. D’autres voix syndicale et plus libérales encore se lèvent pour exhorter la ministre de la Santé à ne pas laisser les généralistes vacciner au motif qu’il ne faut pas réunir dans les mêmes salles d’attentes ceux qui sont infectés et ceux qui ne le sont pas encore.
Jean-Yves Nau
Prenons les généralistes au mot : expérimentons !
En France, pays jacobin, il y a vraiment une chose que nous ne savons pas bien faire en matière de politiques publiques : expérimenter. Lorsque les scientifiques ne sont pas d’accord sur un point donné, ils formalisent une approche que l’on appelle « expérimentation ». En l’occurrence la démarche serait la suivante. Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF formule une hypothèse : « les médecins généralistes vaccineraient plus rapidement que les centres dédiés ». François Chérèque, leader de la CFDT, est opposé à l’hypothèse du Dr Chassang en avançant un argument : « cela coûtera plus cher, et ce surcoût serait au bénéfice direct des médecins libéraux ».
Cette controverse naissante pourrait très bien trouver rapidement une solution sereine. Il suffirait pour cela de conduire une expérimentation dans une (ou plusieurs) région(s) de France dans où l’on autoriserait les médecins libéraux (généralistes et pédiatres) à vacciner leurs patients sous certaines conditions de sécurité et de tarifs. Et puis, il faudrait voir ce qu’il en est au bout de quelques jours : la couverture vaccinale (proportion de la population vaccinée) serait-elle substantiellement supérieure dans les régions ayant ajouté les libéraux au dispositif préventif ?
Quelques semaines plus tard, on aurait également la réponse pour ce qui serait de la comparaison des coûts. Bien sûr, il faudrait bien comptabiliser les coûts complets de chacun des dispositifs, notamment des centres dédiés à la vaccination (où ne travaillent pas que des médecins rémunérés à la vacation, mais aussi des infirmières et des agents municipaux). On pourrait ajouter des critères ancillaires, tels que la satisfaction des usagers, l’apaisement social, l’évolution comparée de la perception des risques, etc. Où sont les freins qui nous interdisent de tenter cette aventure expérimentale ?
Antoine Flahault
lire le billetC’est curieusement la première fois que le président de la République française, friand de tous les sujets de société, aborde ouvertement et clairement la question pandémique. Et il l’a curieusement fait le 27 novembre depuis Port-of-Spain (Trinidad-et-Tobago) en marge du sommet du Commonwealth auquel il participait. Nicolas Sarkozy a ainsi expliqué que face à la demande vaccinale croissante dans l’Hexagone les autorités allaient ouvrir un plus grand nombre de centres et élargir les plages d’ouverture de ces derniers, notamment le mercredi et le samedi.
Bien évidemment le message présidentiel ne se bornait pas au nombre des centres vaccinaux et à leurs jours d’ouverture. Face à la rapide évolution épidémiologique, à l’augmentation du nombre des morts, à l’émergence de mutations virales Nicolas Sarkozy a jugé que le moment était venu de souligner l’importance du phénomène et la justesse de l’action des pouvoirs publics. Mais il a aussi sifflé un rappel à l’ordre à l’adresse des responsables gouvernementaux et des acteurs des médias pour, autant que faire se peut, ajuster les discours à la réalité ; obtenir dans ce domaine un peu plus de cohérence ou un peu moins d’incohérence.
Il faut « prendre au sérieux cette épidémie de grippe » a déclaré M. Sarkozy ajoutant : « Si nous avons acheté des millions de vaccins, c’est parce que nous avons anticipé ce problème qui concerne d’ailleurs le monde entier (…) Dans les journaux, il y avait des sondages disant ‘’les Français ne croient pas à la grippe et ne veulent pas se faire vacciner’’. Trois jours après, il y a la queue dans les centres de vaccination ». Pour le président de la République « gouvernement comme médias, on doit garder notre sang-froid, faire en sorte de ne pas sur-réagir en permanence en disant un jour blanc, l’autre noir ».
Comment interpréter un tel message ? Faut-il voir là une critique à peine voilée de l’action gouvernementale en général et de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé (omniprésente dans tous les médias ou presque) qui n’aurait pas toujours su garder son « sang-froid » ? Et que signifie précisément « sur-réagir » en permanence quand on mesure mal, faute de références stables, la portée de chaque nouvelle information en provenance du front pandémique ? La France, ou plus précisément le gouvernement et les médias, ont-ils été péché par sur-réaction en commentant, comme ils l’ont fait, l’émergence des souches virales mutantes et mortelles et ce au moment même où le président de la République s’exprimait depuis Port-of-Spain ?
Nous avons vu, depuis la fin avril, à quel point les autorités sanitaires (et tout particulièrement la direction générale de l’OMS) ont pu apparaître hésitantes, souffler le chaud, souffler le froid, prendre peur avant de vouloir rassurer. Nous avons vu aussi (et comme l’a plusieurs fois souligné Antoine Flahault c’est un heureux symptôme démocratique) des experts plus ou moins autoproclamés formuler des analyses radicalement différentes. Comment dans un tel contexte les « médias » auraient-ils pu tenir un discours qui ne soit pas mouvant ? Et comment, dans un tel contexte, la blogosphère aurait-elle pu ne pas amplifier à l’infini une formidable somme de rumeurs ?
Le sujet qui cristallise tous ces phénomènes est bien évidemment le vaccin avec ce renversement de tendance assez surprenant dans l’Hexagone concernant la vaccination (750 000 personnes immunisées, dit-on, à ce jour). Certains y verront une nouvelle preuve du caractère décidemment bien versatile des Français. D’autres rappelleront qu’ils avaient annoncé que la bouderie initiale pourrait vite disparaître dès lors que la circulation du H1N1pdm irait s’intensifiant.
A Port-of-Spain les journalistes ne pouvaient manquer de lui poser la question traditionnelle, celle de savoir si lui-même s’était fait vacciner. Et M. Sarkozy de laisser entendre qu’il allait le faire. « C’est difficile de dire aux gens ‘’Vous avez raison de vous faire vacciner’’ et ne pas se faire vacciner soi-même ». Ce serait, en effet difficile. Question connexe : le président de la République se fera-t-il, comme la ministre de la Santé, vacciner devant les caméras de télévision ? Et question finale : pour quelles raisons l’expression « se faire piquer » a-t-elle progressivement depuis quelques semaines pris la place du verbe du classique « se faire vacciner » ? Réponses attendues.
Jean-Yves Nau
Trois scénarios pour cet hiver
Nous arrivons probablement dans la zone des turbulences attendues lorsque l’on dépasse un certain seuil d’une épidémie de grippe. Pendant les grippes saisonnières nous avions remarqué pratiquement chaque année (au sein du réseau Sentinelles de l’Inserm – en dehors donc de tout contexte médiatique et pandémique) un engorgement des hôpitaux, et une certaine tension sur le système de santé dès que l’on s’approchait du pic de l’épidémie ; soit au moment où le nombre de nouveaux cas atteint des niveaux élevés dans l’ensemble du pays.
Il y a quelques années le ministre de la santé d’alors (Philippe Douste-Blazy) avait décidé de mettre en œuvre le « plan blanc » au niveau national. Il s’agit ici d’un dispositif permettant de libérer des lits dans les hôpitaux, de soulager les réanimations et les urgences de tout ce que l’on appelle « les hospitalisations programmées », celles que l’on peut remettre à plus tard le temps que la vague passe. En Italie ou au Royaume-Uni cette même tension était également perceptible et largement relayée dans les médias. Précisons que ces mini-crises sanitaires peuvent être quelque peu instrumentalisées par les syndicats professionnels et/ou par les courants politiques d’opposition au pouvoir en place, tous arguant que les coupures budgétaires dans les services publics ne permettent plus au système de santé de leurs pays de faire face aux épidémies saisonnières naguère encaissées sans souci.
Généralement tout rentrait dans l’ordre en une à deux semaines au grand maximum car, précisément, le pic arrivait et la décrue s’amorçait opportunément. La question qui se pose aujourd’hui, face à la pandémie (question pour laquelle on n’a pas encore de réponse) est de savoir si nous arrivons au pic épidémique (ou au moins à « un premier » pic épidémique), ou bien si l’incidence (le nombre de nouveaux cas de grippe) va continuer son ascension. Plusieurs scénarios se profilent, sans que l’on puisse formellement en privilégier un.
Il se pourrait (1er scénario) que tout rentre dans l’ordre rapidement, comme pour une épidémie saisonnière classique : bientôt le pic suivi de la décrue. L’incidence (voir figure ci-dessous) n’est d’ailleurs pas exceptionnellement élevée à ce jour, mais le taux des hospitalisations est supérieur (1% des cas vus par les généralistes contre 0,3 à 0,4% durant les grippes saisonnières) ; cette situation majore certainement l’impact de la vague sur le système de soins. Mais les digues tiennent.
Un 2ème scénario est aussi possible : la courbe continue son ascension et la propagation géographique continue sa progression pendant plusieurs semaines encore (voir ci-dessous les cartes du réseau Sentinelles pour les trois dernières semaines) ; la gravité de la maladie chez certains patients ne mollissant pas, voire même pouvant être accrue par la circulation de souches mutantes qui seraient plus virulentes ou plus résistantes. Le système sanitaire serait alors sérieusement ébranlé, et c’est à ce scénario que les autorités de santé tentent de se préparer au mieux. Ce scénario n’est certes pas, encore une fois, le plus probable, mais en l’absence de références, en l’absence d’un catalogue des pandémies passées bien fourni (comme on dispose d’un catalogue des cyclones aux Antilles par exemple), il est difficile de lui affecter une probabilité précise.
Le 3ème scénario renvoie à une dynamique multimodale : la reprise après le déroulement du premier scénario d’une ou plusieurs nouvelles vagues épidémiques. L’hiver est encore devant nous, et la saison se prête fort bien à une recrudescence de l’activité grippale dans les mois à venir. La figure montre l’état actuel de la courbe épidémique en référence aux saisons précédentes. Elle indique aussi que depuis que l’on surveille les épidémies de grippe via le réseau Sentinelles en France (novembre 1984), nous n’avons jamais vu deux vagues épidémiques au cours d’une même saison grippale (soit de novembre à mars). Cela ne signifie nullement que cette pandémie ne va pas faire de nouvelles vagues puisque nous ne savons rien encore du potentiel épidémique de cette souche de virus grippal. De plus nous ne comprenons pas clairement, jusqu’à présent, les conditions d’émergence d’une vague épidémique saisonnière ou pandémique. De ce fait quand bien même ce 3ème scénario ne s’est pas réalisé depuis un quart de siècle rien ne permet aujourd’hui de l’écarter. Cette hypothèse ne nous laissera pas tranquille encore pendant les longs mois d’hiver où la vigilance sera de mise ; pour autant une dynamique étalée dans le temps sur plusieurs vagues aurait un avantage substantiel :permettre de mieux absorber le choc sur le système de santé et sur l’organisation sociale toute entière. La campagne de vaccination pourrait se poursuivre. Pour le dire autrement, les digues résisteraient mieux du fait d’une montée des eaux modérée et répétée, toujours préférable à une vague unique et scélérate.
C’est ainsi : entre ces trois scénarios, politiques, experts, et médias sont un peu contraints à des analyses « en yoyo », entre réassurance et appels à l’extrême vigilance.
Antoine Flahault
lire le billet
Recent Comments