Réveil sanitaire à Atlanta

Ce que nous voyons en 2009 est inédit…

Changement de programme. Jean-Yves Nau me suggère aujourd’hui d’inverser nos deux rôles. Pourquoi pas ? Il sera ainsi un moment « l’expert » tandis que je serai dans le même temps le « journaliste ». Espérons que l’expérience sera  provisoire et que nous pourrons au total et autant que faire se peut bénéficier de votre indulgence, plénière ou partielle.

« Nous surveillons la grippe depuis plusieurs décennies. Ce que nous voyons en 2009 est totalement inédit. La grippe H1N1 est actuellement le motif de consultation de 8% des médecins nord-américains, soit le taux le plus élevé rapporté depuis 40 ans de surveillance continue » ; ce sont les mots prononcés avant-hier (12 novembre 2009, verbatim en anglais, en ligne) par Mme Schuchat, la responsable du centre des maladies respiratoires et des vaccinations des célèbres Centers for Disease Control and Prevention (CDC) basés à Atlanta et véritable temple de la veille sanitaire nord-américaine ; CDC qui emploient 12 000 personnes à plein temps.

Mme Schuchat ajoute : « les autorités de santé nord-américaines sont à la recherche d’un modèle plus fiable pour évaluer les effets de cette pandémie de grippe H1N1. Le système actuel a potentiellement transmis une image imparfaite du film de cette pandémie. Nous sommes vraiment en train de tenter de donner une image plus conforme à la réalité ». Ainsi dans cet effort – et cet aveu – les CDC nous révèlent qu’ils viennent de revoir à la hausse leurs précédentes estimations, et que désormais, il faut évaluer à 22 millions le nombre de cas de cette grippe pandémique survenus sur le territoire US, 98 000 le nombre d’hospitalisations et 3600 décès. Soit des chiffres… quatre fois supérieurs à ceux rapportés avec les précédents instruments de mesure.

Désormais, les données chiffrées seront basés sur un échantillon de cas confirmés provenant de 10 Etats (des USA) avant d’être extrapolés au niveau national. Ces estimations seront mises à jour toutes les trois ou quatre semaines. Que nous apprennent encore les responsables sanitaires américains ? Que 90% de ces décès rapportés avaient moins de 64 ans, les jeunes, les femmes enceintes et les personnes atteintes d’asthme et de diabète étant les plus à risque de décès ; que la grippe saisonnière fauche, en moyenne chaque année, 36 000 vies aux USA.

Mais ces chiffres, rappellent de nombreux expert(voir site Health Sentinel, billet du 3 novembre 2009, en anglais, en ligne), ne sont pas des nombres exacts non plus, ils sont déduits de modèles statistiques forgés à partir des statistiques de décès. « Car les Etats n’ont pas l’obligation de notifier les cas et les décès par grippe chez l’adulte ; et la grippe est rarement rapportée dans les certificats de décès des personnes qui meurent de ses complications, rendant la mortalité très difficile à tracer ». Par ailleurs, et dans ce contexte, on se plaint aux USA des retards de livraison des vaccins. « Seulement » 41,6 millions de doses ont pu être distribuées aux Etats-Unis à ce jour, moins de la moitié de ce qui était prévu , des chiffres qui laisseront songeurs les autorités sanitaires françaises qui ne savent comment écouler leurs stocks. Elle est compliquée cette grippe pandémique à appréhender, n’est-ce pas ?

Antoine Flahault

Vade retro

Avant toute chose, parvenir à résister à la tentation. Proposer ici, un instant, le jeu du changement des rôles ; mais pour tenter aussitôt d’expliquer que tout ceci n’est pas un jeu. Du moins pas dans les deux sens. Car il est sans doute moins dangereux que  l’ « expert » prenne la place du « journaliste » que l’inverse.

Car de quoi s’agit-il sur le fond en matière de journalisme ? De savoir lire et écrire, observer et écouter ; souvent d’oser  prendre la parole sur un sujet que l’on connaît, non pas dans les infinis détails, mais bien dans les grandes lignes raisonnables et citoyennes ; de hiérarchiser autant que faire se peut les questionnements sous-jacents aux faits ; puis parfois, si on en a le talent, de faire en sorte que rien en soit plus beau que la vérité sinon une histoire joliment racontée  – pour reprendre la belle formule de Jean-Pierre Quélin, qui fut journaliste au Monde et qui sut enseigner ce que, papier journal ou pas, pouvait et devait être l’écriture. On voit bien que l’expertise est d’un autre ordre, qu’elle renvoie à d’autres considérants professionnels.

Et l’on pourrait se cantonner à ces évidences; cesser là ce billet. On pourrait mais ce serait cacher qu’une tentation, parfois, émerge : celle de profiter de sa plume pour monter en chaire. Donner des leçons. Dire où est, dans l’instant, le vrai et le faux quitte à changer de registre quand les vents commenceront à tourner. La tentation est grande et parfois contagieuse. On peut ainsi ne pas toujours fréquenter sans risque ceux qui détiennent un fragment de pouvoirs (le maire, le préfet, le capitaine d’industrie, l’évêque, le ministre, le président…) sans être atteint par une forme momentanée de griserie ; celle inhérente à un spectacle dans lequel on est sur la scène tout en pouvant raconter (une partie de) ce qui se passe dans les coulisses.

Pour revenir à notre sujet et à la pandémie c’est dire toute l’importance –disons démocratique – qu’il y a à maintenir les frontières  entre les « journalistes » et les « experts ». Ce qui n’interdit nullement aux premiers de se coltiner avec les seconds quand ils l’estiment nécessaire (avouera-t-on ici que l’on aimerait que la chose puisse exister publiquement dans l’autre sens ?). Et a fortiori (faudrait-il le rappeler) l’importance qu’il y a à maintenir les frontières entre « journaliste », « expert » et « décideur».

En rapportant les nouveaux chiffres américains des CDC concernant la pandémie grippale Antoine Flahault joue le jeu sans tricher. Il rapporte au mieux les faits comme le font les reporters. La gamme journalistique est certes plus large. L’analyste (qu’il est aussi) pourrait tenter de comprendre pourquoi les Etats-Unis sont, en 2009, à ce point impuissants quand il s’agit des statistiques concernant la vie et de la mort de leur peuple ; sans même parler des incuries de leur système d’assurance maladie. Le commentateur pourrait commenter les failles  américaines dans ce domaine et l’éditorialiste prodiguer les leçons qui lui semblent urgentes et indispensables.

Mais en aucun cas, nous semble-t-il, l’éventail journalistique ne saurait intégrer le travail et les prérogatives des « experts », et ce quel que soit les domaines d’exercice de ces derniers. Les entendre, certes, leur donner la parole, confronter leurs conclusions, aider aux débats, faire la lumière sur l’articulation ingrate, difficile, parfois douloureuse entre l’expert et le décideur, le scientifique et le politique. L’expérience nous a appris que ceci était tout particulièrement indispensable lors des crises sanitaires. Angélisme ?

Jean-Yves Nau

lire le billet

Vaccin contre H1N1 : bientôt l’armistice ?

Quel spectacle ! Et osons les qualificatifs : quel triste et pitoyable,  quel désespérant et régressif spectacle ! Pas un jour sans qu’un médecin parisien de renom (mandarin « émérite », mandarin définitivement à la retraite ou mandarin mort-né), sur les ondes ou sur les écrans, ne nous parle de son cas. Les différentes formes séculaires de la danse du ventre ont sans aucun doute leurs raisons et leur vertu. Il reste à démontrer ce qu’il en est, ce qu’il en sera, de cette nouveauté parisienne qu’est la danse du ventre médicale et vaccinale.

Le journaliste : « allez-vous ou non faire vacciner, docteur ? » Et le docteur au salon de dire oui, de dire non, de dire peut-être, de dire je vous attends. Comment raisonnablement comprendre ? Il  fallait, sur ce thème, entendre (dans l’aube du lundi 9 novembre) un célèbre syndicaliste français de l’urgence réanimatrice invité  à s’exprimer sur les ondes d’une station qui ne renie pas ses racines luxembourgeoises. Ce praticien est célèbre depuis l’été 2003 pour avoir (fort justement) trouvé (par le plus grand des hasards) les moyens d’attirer l’attention du plus grand nombre sur les premières conséquences sanitaires d’une canicule.

Hier il expliquait publiquement les raisons profondes qui le poussaient à refuser l’immunisation. Aujourd’hui il bredouille pourquoi, en définitive « il s’est fait piquer ». On croit comprendre qu’il a voulu de la sorte protéger des « malades immunodéprimés ». Dont acte. Puis il ajoute en substance que la politique gouvernementale du « tout vaccinal » est une erreur, sinon une faute. Il ajoute que pour ce qui est des personnes âgées mourir prématurément de la grippe ou d’autre chose…. Aussitôt le journaliste de faire remarquer au médecin qu’il y a six ans il développait une argumentation inverse. Et le médecin de rétorquer que cela n’a rien à voir. Et les auditeurs d’être conviés à passer à un autre sujet ; par exemple le XXème anniversaire du début de la chute du Mur de Berlin.

Au même instant ou presque, soit trois jours de l’ouverture des 1 000 centres de vaccination Roselyne Bachelot, ministre française de la Santé  présentait à la presse la campagne et le dispositif de pharmacovigilance « activé autour des effets secondaires du vaccin ». Pour la ministre de la Santé, qui se fera vacciner –publiquement- au lendemain de l’anniversaire de l’armistice ce dispositif va fonctionner « dans une transparence totalement inédite dans l’histoire sanitaire de notre pays  ».

Un premier rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) mis en ligne le 9 novembre (et qui devrait être actualisé chaque semaine, tous les mercredis) concerne les 50 000 premiers professionnels de santé qui se sont fait inoculer le vaccin commercialisé sous la marque Pandemrix. Ce rapport fait état d’une trentaine de cas d’effets indésirables, d’intensité bénigne à modérée, survenus dans les heures suivant l’injection : des réactions au site d’injection parmi lesquelles prédomine la douleur (24 cas), 1 cas d’urticaire localisé et 25 cas de réactions générales, essentiellement maux de tête, fièvre et fatigue. Trois cas de malaise associés à une poussée hypertensive ont été relevés, avec retour rapide à la normale.

On ajoutera (pourquoi ?) un cas de conjonctivite bilatérale, un cas d’hématome au niveau de la cheville et un cas de saignement nasal. Tous ont connu des évolutions favorables et rapides. « À ce jour, selon Mme Bachelot, rien ne distingue ce bilan de celui observé pour d’autres vaccins contre la grippe, des vaccins très largement utilisés. ». « Dans tous les cas, chronologie n’est pas causalité, souligne pour sa part Jean Marimbert, directeur général de l’Afssaps. Chaque cas a été notifié à l’un des 31 centres régionaux de pharmacovigilance) soit par les professionnels de santé ayant constaté un effet indésirable grave ou inattendu susceptible d’être dû au vaccin, soit par les patients eux-mêmes, au moyen d’un formulaire téléchargeable, fera l’objet d’une analyse de la causalité avec toutes les informations disponibles, afin de permettre d’évaluer le rôle propre du vaccin lui-même. Ce n’est qu’au terme de cette démarche que l’imputabilité pourra être établie. »

S’agissant du désormais célèbre syndrome de Guillain-Barré, régulièrement évoqué par les adversaires de la vaccination, le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé,  a annoncé la création imminente d’un observatoire qui réunira les plus importants centres neurologiques français, pour assurer un suivi en temps réel. Le Pr Houssin a tenu a rappeler que l’on recensait en moyenne chaque année en France entre 1 700 et 1 800 cas de ce syndrome ; soit trois à cinq par jour. Il s’agit donc de vérifier si l’incidence des cas dépasse ce « bruit de fond ». Il ajoute que la cause principale de ce syndrome étant une infection virale, il y a tout lieu de considérer que la vaccination devrait réduire le nombre des cas. A suivre.

Dans l’attente, et jusqu’au 6 décembre, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé va lancer une nouvelle campagne d’information destinée à convaincre les quelque 6 millions de personnes concernées par la première vague à se rendre à leur centre de vaccination (personnels de santé, femmes enceintes, entourage des nourrissons de moins de six mois, asthmatiques ou personnes atteintes de bronchite chronique obstructive). Un spot va être diffusé sur les chaînes nationales (hertziennes, câbles, TNT) pour mettre en valeur l’importance individuelle et collective que revêt la vaccination, avec une voix off qui précise : « On peut tous faire quelque chose pour limiter la propagation de l’épidémie. Contre la grippe, la meilleure protection, c’est la vaccination. » Depuis le début de la vaccination réalisée au sein des hôpitaux, seuls 80 000 praticiens hospitaliers, ou médecins et infirmiers de ville se sont fait vacciner. Pour le Pr Houssin il s’agit là d’un « pourcentage faible ». La proposition de vaccination des quelque 12 millions d’enfants scolarisés  (de la maternelle au lycée) commencera à partir du 25 novembre. On devrait ainsi, avant la fin de l’année, voir ce qu’il en sera du pourcentage.

Jean-Yves Nau

11 novembre 2009 : veillée d’armes vaccinales

Bénéfices versus risques. La question des effets indésirables du vaccin se pose aujourd’hui notamment au regard des bénéfices attendus, durant cette période qui précède le véritable démarrage de la campagne vaccinale. Cette question sera peut-être au centre des débats dans quelques mois, lorsque seront rapportées des suspicions de réactions imputées (à tort ou à raison) au nouveau vaccin antigrippal. Et il ne suffit pas de mettre en ligne un système de recueil d’effets indésirables pour que la question soit résolue ; loin de là.

Comme le souligne le directeur général de l’Afssaps dans les propos que rapporte Jean-Yves Nau ci-dessus, la seule séquence chronologique ne suffit pas : le fait qu’un syndrome de Guillain et Barré surviennent quelques semaines après l’injection vaccinale ne signe pas la responsabilité du vaccin. Car comme le rappelle le directeur général de la santé, on dénombre quotidiennement en France entre trois et cinq syndrome de ce type (indépendamment de tout vaccin) dont, qui plus est, on connaît mal l’origine. Nous pouvons donc d’ores et déjà imaginer que bon nombre des cas qui surviendront (par le « simple » fait du hasard) dans la fenêtre de temps qui suivra l’injection vaccinale seront attribués à tort à la vaccination.

Dans ce contexte  il faudrait arriver à faire le tri entre ceux qui surviennent par le fait du hasard et ceux qui pourraient être dus au vaccin. Est-ce possible ? On peut en douter. Nous sommes là dans une problématique hautement délicate, un écheveau pathologique pratiquement indémêlable. Car les évènements indésirables pouvant être imputés au geste vaccinal sont toujours des événements très rares et pour lesquels on ne connaît ni les mécanismes physiopathologiques ni l’origine précise. Et ce sont précisément ces « événements » qui alimentent les polémiques vis-à-vis des vaccins : la sclérose en plaque  pour le vaccin contre l’hépatite virale de type B (en France), les syndromes autistiques  pour le vaccin contre la rougeole (en Grande Bretagne), l’invagination intestinale du nourrisson pour le vaccin contre le rotavirus (aux USA), le syndrome de Guillain et Barré pour la vaccination anti-grippale (un peu partout).

Les études épidémiologiques qui sont lancées une fois que la suspicion est là ne permettent pas, bien souvent, de conclure. Certaines études semblent a priori convaincantes dans un sens. D’autres le sont dans l’autre. Et l’on sort de toute cette littérature « avec la tête comme une citrouille » comme l’évoquait l’une de nos lectrice-blogueuse à propos des multiples controverses scientifiques autour de ce vaccin.

Résumons-nous. Ces questions ne sont pas simples, et elles le sont d’autant moins que les « événements » auxquels nous faisons référence sont rarissimes : de l’ordre de 1 cas pour 100 000, voire par million d’injections. Ce ne sont pas, pour la plupart, des cas mortels ; et en l’occurrence de très loin moins mortels que le syndrome de détresse respiratoire aiguë qui, lui, peut sans difficulté être associé au virus de la grippe, et qui peut tuer une fois toutes les 10 000 infections. Pour autant, et quelques soient les incertitudes qui demeurent dans ce domaine, personne ne souhaite voir augmenter le nombre de ces événements indésirables dans les semaines à venir.

Mais plutôt que de nourrir des oppositions sans issue comment ne pas nous réjouir de voir que, d’une certaine façon, nous changeons d’époque. L’ensemble de la communauté scientifique mondiale spécialiste du sujet va enfin pouvoir se mobiliser au même moment sur ces sujets. C’est à la fois heureux : plus les chercheurs  sont nombreux à se pencher sur une question, plus la chance d’en trouver des solutions est élevée. A l’inverse, aucun utopisme : nous avons la quasi-certitude que la profusion des études ajoutera (au moins de manière momentanée) à la confusion et aux controverses (et donc la citrouille n’a pas fini de désenfler…). Me reviennent ici en mémoire les propos d’un éditorialiste de la revue Science qui traitait des nombreuses études épidémiologiques foisonnant de-ci, de-là, en quête d’associations controversées et souvent peu reproductibles. L’éditorial était titré : « Epidemiology faces its limits » (large extrait gratuit en ligne, en anglais). Et bien oui : l’épidémiologie, les épidémiologistes se heurtent à des verrous technologiques. Cette discipline  rencontre ses propres limites dès lors lorsqu’elle va s’intéresser à des risques très rares, peu connus, à des associations de faible force.

Désespérer ? Certainement pas ! Cette situation délicate ne doit en rien s’opposer à une vigilance accrue, à une véritable veillée d’armes : déploiement d’études en cas de doute, coopération internationale sur ces sujets avec les puissants moyens dont, fort heureusement, nous disposons aujourd’hui. Signalons déjà, avant la bataille, l’article paru dans le Lancet, le 31 octobre dernier par Steven Black et coll.  (seul le résumé en anglais est gratuit en ligne). Ce travail préoccupé par le risque de rumeur dévastatrice dans ce domaine dans les mois à venir, tente de chiffrer à l’avance, comme pour prendre date, les taux de base, sorte de bruit de fond, des principaux événements indésirables généralement attribués aux vaccins à tort ou à raison, mais ici avant même que le vaccin H1N1 ait été seulement mis sur le marché. Les auteurs de ce papier expliquent, un peu comme l’a fait le directeur général de la santé en France vis-à-vis du syndrome de Guillain et Barré, qu’il faut s’attendre à voir survenir durant les semaines qui suivront la vaccination, à tout le moins, les événements qui seraient survenus en l’absence de vaccination.

Antoine Flahault

lire le billet