Neuf mois, déjà, que la pandémie a émergé. Neuf mois et tout indique que les temps changent. « L’activité grippale pandémique a atteint son apogée dans l’hémisphère Nord entre la fin octobre et la fin novembre et a continué de décliner depuis, vient de faire savoir l’OMS dans son dernier bilan hebdomadaire. Depuis l’apparition du nouveau virus, les deux continents les plus touchés ont été les Amériques (nord et sud) devant l’Europe, l’Asie extrême-orientale et le Pacifique ouest. C’est en Afrique du Nord, en Asie du sud et dans des zones limitées d’Europe de l’est que la transmission du virus continue d’être la plus intense. »
Le moment nous semble venu de dresser non pas un bilan final (qui oserait ?) mais bien de tirer les premières leçons (souvent interrogatives) du chemin pandémique que nous venons de parcourir. Ainsi donc sauf réémergence de sujets d’une brûlante actualité nous allons poursuivre ce blog en modifiant quelque peu le rythme, en proposant des relectures des sujets les plus saillants ; en proposant aussi quelques questions intéressant les mois ou, peut-être, les années à venir.
Pour l’heure janvier s’avance et, les autorités sanitaires françaises réduisent la voilure. Fermeture précipitée (le 30 janvier) des centres-dispensaires vaccinaux (opération militaire dont il faudra sans aucun doute reprendre un jour la genèse, faire les comptes et situer les enseignements) ; doses vaccinales annoncées à compter du 1er février dans les pharmacies d’officine et médecins libéraux enfin autorisés à vacciner dans leurs cabinets (du moins s’ils acceptent d’aller chercher les doses dans ces mêmes pharmacies…). Listes des personnes à risque qui n’ont pas encore été vaccinées (elles seraient environ cinq millions), vaccins présentés en volume de doses, doses unitaires, bons de vaccination, suivi de vaccinovigilance… l’intendance ne semble toujours pas en état de suivre comme il conviendrait dans un monde débarrassé de défauts.
Janvier s’avance et cette publication, étonnante, du Lancet qui, sur son site (www.thelancet.com) nous dit en substance que le nouveau virus aurait, en Angleterre, infecté dix fois plus d’enfants que ce que laissait supposer la surveillance des symptômes grippaux chez ces mêmes enfants (1). Ce constat est dressé par une équipe dirigée par le Pr Elizabeth Miller (Health Protection Agency, Londonà à partir d’échantillons sanguins dans lesquels on a recherché les stigmates biologiques (anticorps) de l’exposition de l’organisme au nouveau virus grippal. Ce même travail confirme le rôle majeur joué par les communautés d’enfants dans la circulation du virus au sein de la collectivité. Les taux d’anticorps les plus élevés ont été retrouvés à Londres et dans les West Midlands. Ils sont passés chez les enfants de moins de quatre ans de 1,8% à 21,3% en septembre 2009 ; de 3,7% à 42% chez les 5-14 ans et de 17,5% à 20,6% chez les 15-24 ans. Pour l’heure ce phénomène ne semble pas concerner les personnes plus âgées.
Il n’en reste pas moins vrai qu’au vu de ces chiffres une question, à l’évidence, s’impose. Combien d’humains ont-ils, ces neuf derniers mois été réellement infectés ? Au-delà des chiffres officiels colligés dans les différents pays touchés par la vague pandémique quelle est la proportion exacte de la population qui, sans manifester les symptômes grippaux, a été infectée par le virus ? Corollaire de taille : ces personnes (qui par définition ignorent leur statut sérologique) sont-elles protégées contre le retour prévisible du H1N1 dans quelques semaines ou dans plusieurs mois ? Dès lors faut-il ou non prévoir leur exclusion des prochaines campagnes de vaccination et programmer de vastes enquêtes de dépistage sérologique pour savoir qui est « naturellement » protégé et qui ne l’est pas ?
Jean-Yves Nau
(1) ‘’Incidence of 2009 pandemic influenza A H1N1 infection in England: a cross-sectional serological study’’. The Lancet, Early Online Publication, 21 January 2010 doi:10.1016/S0140-6736(09)62126-7 Cite or Link Using DOI Original Text Prof Elizabeth Miller, Katja Hoschler, Pia Hardelid, Elaine Stanford, Nick Andrews, Prof Maria Zambon.
Des premiers résultats d’une portée majeure
Les premières données issues des programmes de recherche sur H1N1pdm mis en place ça et là dans le monde commencent à affluer. Et ce n’est pas terminé car le rythme de la recherche n’est pas celui de l’actualité, ni même celui de la dynamique épidémique. Il fallait être très rapidement sur les lieux de transmission, puis recueillir les données, les analyser bien souvent en mettant au point des méthodes appropriées qui n’existaient évidemment pas sur le marché pour ce virus inconnu, et enfin publier les résultats dans des revues scientifiques qui ont aussi leur tempo
Ces résultats vont s’avérer cruciaux pour tirer les leçons de cette émergence épidémique et pour mieux comprendre les caractéristiques de ce cru pandémique 2009. Probablement, en raison des moyens déployés, mais aussi de l’avancée des techniques et de la science, les résultats de ces programmes de recherche nous conduiront-ils à revisiter un certain nombre de connaissances que nous supposions acquises dans le domaine de la grippe et qui se verront bousculées par les nouveaux résultats scientifiques.
Jusqu’à présent les infections asymptomatiques dues au virus de la grippe saisonnière ne représentaient pas plus de 40 à 50% des infections totales. Dans l’étude britannique, durant la première vague, c’est-à-dire durant le printemps-été 2009 (jusqu’en septembre), ce sont 90% des infections qui semblent être asymptomatiques (ou pauci-symptomatiques) chez les enfants et les jeunes de moins de 15 ans, puisqu’il y a eu 10 fois plus d’infections identifées par l’étude de séroprévalence que de cas répertoriés dans le système de veille sanitaire, basé sur les formes cliniques diagnostiquées par les médecins.
Une étude similaire conduite par notre groupe avec les chercheurs de l’île de la Réunion durant leur hiver austral (juillet-septembre 2009) devrait bientôt apporter des résultats assez concordants avec ceux des Anglais. Ces résultats vont aussi dans le même sens que ceux, préliminaires, que nous avons rapportés récemment dans la revue PLoS Currents Influenza (article gratuit en ligne en langue anglaise) auprès de femmes enceintes de France métropolitaine.
Ces premiers résultats sont d’une portée majeure, car ils permettent d’expliquer la taille relativement faible de la seconde vague (celle de l’automne 2009) dans l’hémisphère nord. Avec un tiers des moins de 15 ans immunisés contre H1N1pdm dès septembre 2009 au Royaume Uni, il y avait certes un réservoir encore conséquent pour permettre la circulation du virus, mais trop faible pour déclencher une épidémie de taille majeure. Nous verrons in fine la proportion de la population qui sera infectée par H1N1pdm avant qu’il ne mute et qu’il passe à un régime de grippe saisonnière. Il est probable que ce que l’on savait du taux d’attaque (40-50%) du virus de la grippe sera toujours exact, mais qu’en revanche, au moins pour cette souche pandémique, la plupart des infections seront restées peu ou pas symptomatiques. Et celles qui étaient symptomatiques ont parfois été d’une inhabituelle sévérité, conduisant un nombre anormalement élevé de patients en réanimation, voire en oxygénation par circulation extracorporelle dans un état critique de détresse respiratoire, parfois de complications bactériennes gravissimes, ou mortelles.
Et pour répondre à la dernière question de Jean-Yves Nau, je ne crois pas pour ma part que ces résultats modifient la stratégie vaccinale dans le sens de la mise en place d’un dépistage systématique pré-vaccinal. On ne le faisait pas pour la grippe saisonnière alors que bon nombre de personnes âgées étaient probablement déjà immunisées contre la souche circulante, pourquoi le ferait-on pour cette souche pandémique ? Vacciner quelqu’un qui a déjà été infecté par le virus ne représente pas de danger particulier. C’est tout au plus inutile. C’est davantage la cible de la vaccination, particulièrement dans les pays où les ressources en vaccins seraient limitées (il ne semble pas que ce soit le cas de la France…), qui pourrait être revue : vacciner les moins de 15 ans pourrait ne plus s’avérer très utile (sauf pour les moins de 1 an) l’an prochain, car une bonne proportion pourrait s’avérer déjà immunisées naturellement et sans le savoir. Pour les plus de 15 ans, il reste encore des trous dans notre connaissance à combler. Dans l’attente des prochaines études sur le sujet…
Antoine Flahault
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