Après les “débats” qui se sont tenus sur ce blog quand j’ai publié mes billets sur le suaire de Turin (ici et là), je me suis dit que la science avait encore beaucoup de progrès à faire pour ne plus être un machin systématiquement suspect, un complot de sorciers modernes affairés à nuire à l’humanité. Dans notre histoire récente, jamais on n’a autant remis en cause la notion de progrès, jamais les filières scientifiques n’ont été autant désertées, alors même que notre civilisation est de plus en plus techno-dépendante. La suspicion est partout et le débat souvent compliqué à mener parce qu’on s’enferme dans ses croyances en refusant de regarder les faits. Soupçons sur la réalité et la cause du réchauffement climatique, soupçons sur les organismes génétiquement modifiés, soupçons sur les nano-technologies, soupçons sur les vaccins. Je ne dis évidemment pas que la société doit se prosterner devant les chercheurs et accepter tout ce qu’ils avancent sur ces sujets comme paroles d’évangile. Je prétends qu’il ne s’agit pas de politique, mais de science : le débat doit être mené en analysant les faits et non pas en s’arcboutant sur des opinions.
Quelqu’un le dit mieux que moi. C’est Michael Specter, un journaliste américain, ancien du New York Times, qui travaille aujourd’hui pour le New Yorker. En 2009, il a publié un livre intitulé Denialism, qui s’inquiète du courant de pensée consistant à rejeter systématiquement les produits de la science. Ce livre n’est pas encore traduit en français et j’espère, après en avoir lu quelques passages, qu’il le sera. En attendant, j’ai trouvé cette vidéo de Michael Specter, sous-titrée en français (cliquez sur “View subtitles”), dans laquelle il expose son point de vue. Vous pouvez ne pas être d’accord sur tout (je ne le suis pas forcément moi-même d’ailleurs) mais le débat, c’est d’abord écouter les autres et les faits qu’ils exposent…
Pierre Barthélémy
lire le billetPour vivre plus vieux, courons au rez-de-chaussée. Non, non, je n’ai pas fumé la moquette, je n’invente rien, on le savait déjà et une très jolie expérience vient de nous le confirmer. Mais avant de la décrire, expliquons de quoi nous parlons.
Il y a cent cinq ans, en 1905, un certain Albert Einstein publiait dans Annalen der Physik un article où il exposait sa théorie de la relativité restreinte. Une théorie qui heurtait le sens commun car elle réduisait en bouillie le caractère absolu de l’espace et du temps. Pour faire simple, avec la vitesse, les longueurs se contractent et le temps se dilate. L’illustration la plus célèbre de la théorie de la relativité restreinte est une très jolie expérience de pensée. Imaginons deux frères jumeaux. L’un monte dans une fusée hyper-méga-rapide et s’en va faire un grand voyage interplanétaire à une vitesse proche de celle de la lumière. L’autre reste sur Terre et regarde pousser les haricots de son jardin. Et que se passe-t-il ? Quand l’astronaute revient, il a moins vieilli que son frère jardinier : pour lui, le temps s’est écoulé moins vite. Les secondes, les minutes et les heures n’ont donc pas la même valeur suivant que l’on se déplace ou pas. Cela a été vérifié expérimentalement de nombreuses fois, avec notamment, au début des années 1970, des horloges atomiques embarquées dans des avions de ligne.
Mais ce n’est pas tout. En 1915, dix ans après la relativité restreinte, Einstein en remit une couche en exposant sa théorie de la relativité générale, qui devait supplanter la théorie de la gravitation universelle de Newton. Elle expliquait que la gravitation n’était pas une force mais la traduction de la courbure de l’espace-temps par la masse des objets célestes (planètes, étoiles, etc). Conséquence de tout cela : plus on est proche d’un corps très massif, comme une planète par exemple, plus le temps passe lentement. Ainsi, les satellites GPS, qui naviguent à plus de 20 000 kilomètres d’altitude, tiennent-ils compte à la fois du ralentissement du temps induit par leur vitesse et de l’accélération du temps due à leur distance à la Terre !
Et nous ? Les effets relativistes sont-ils mesurables pour nous, à notre petit niveau d’homme et non pas dans des avions allant à des centaines de kilomètres par heure ou dans des satellites perchés sur des orbites lointaines ? Eh bien, la réponse est oui, comme viennent de le prouver quatre chercheurs américains et deux horloges atomiques optiques, dans un article publié par la revue Science le 24 septembre. Les horloges en question sont d’une précision extrême et c’est nécessaire, étant donné que les effets relativistes, avouons-le, sont infimes à notre petite échelle. Dans un premier temps, les chercheurs du National Institute of Standards and Technology ont simulé, pour une des deux horloges (l’autre servant de référence), un mouvement d’une vitesse de 10 mètres par seconde, soit 36 km/h. Ce qui revient à se demander de combien le temps ralentirait pour Usain Bolt s’il parvenait à sprinter toute sa vie. Une minuscule variation a pu être mesurée. Rapportée à une vie d’homme de 80 ans, cette variation nous donne un gain de temps de, hem… 1,5 millionième de seconde. Pas terrible, Usain.
Dans une seconde expérience, nos chercheurs ont voulu voir s’il était possible de détecter une différence en posant leurs horloges sur deux barreaux d’échelle séparés de 33 centimètres. En s’éloignant de la Terre de si peu, y a-t-il vraiment un changement ? Encore une fois, la réponse est oui. La variation est encore plus petite : sur 80 ans, l’horloge la plus basse gagnerait 0,1 millionième de seconde par rapport à sa voisine du dessus…
Mais bon, en cumulant les deux, en courant comme un dératé dans son rez-de-chaussée, entre la télé et le grille-pain, on devrait en mettre plein la vue au feignant qui se prélasse sur sa terrasse du 10e étage. En théorie, on devrait.
Pierre Barthélémy
– “Gare au gori-i-i-i-i-ille !”, chantait Georges Brassens et il avait peut-être raison, nous explique Le Monde : c’est notre cousin qui a servi de réservoir au Plasmodium falciparum, le parasite responsable du paludisme, avant que la bestiole ne contamine l’homme.
– C’est suffisamment rare pour être noté : Libération a consacré sa page Portrait à un mathématicien, Cédric Villani, qui vient de recevoir la prestigieuse Médaille Fields. A lire sous la plume de Sylvestre Huet.
– Avec les records de chaleur battus un peu partout dans le monde cette année, les spécialistes des coraux s’attendent à ce que les récifs souffrent énormément, explique le New York Times.
– C’est une question que les enfants me posent souvent lorsqu’ils entendent parler du dioxyde de carbone que les activités humaines envoient dans l’atmosphère lors de la combustion d’énergies fossiles : ne peut-on pas faire le contraire ? Récupérer le gaz carbonique et en faire de l’essence ou du gaz de ville ? En fait, c’est possible mais c’est une solution gourmande en énergie, sur laquelle on devrait néanmoins réfléchir davantage. Ci-dessous une petite vidéo (en anglais) du Scientific American pour expliquer très clairement la chimie du problème.
– En Zambie, la déforestation va probablement connaître un pic : les tarifs de l’électricité viennent d’augmenter de 40 % et la population va se tourner vers le charbon de bois comme source d’énergie.
– L’excellent magazine américain The Atlantic raconte l’histoire de Donald Triplett, le premier enfant autiste reconnu par la médecine, en 1943. L’auteur de l’article est allé rencontrer Donald qui a aujourd’hui 77 ans et va finalement plutôt bien.
– Pour terminer et renouer avec la veine “embouteillage” de mon précédent billet, un article du Telegraph nous apprend que les vagues ralentissements qui créent des bouchons, pour peu que les routes soient un peu remplies, sont engendrées soit par des conducteurs trop agressifs qui pilent au dernier moment, soit par des conducteurs trop timides, qui sur-ralentissent par excès de prudence. Conclusion, il faut rouler décontracté, mais pas trop…
lire le billetC’est arrivé à tout le monde un jour ou l’autre. On est arrêté au feu rouge à un carrefour, avec dix autres voitures, et, dans la rue perpendiculaire, le vert flamboie comme une sucette à la menthe radioactive mais il n’y a personne pour en profiter… Les feux de circulation dictent leur loi, parfois très bêtement, aux automobiles. Et si c’était le contraire ? Evidemment, il n’est pas question que tout un chacun se bricole une télécommande à feu vert, comme l’invente Fantasio dans Vacances sans histoire. On imagine déjà le monstrueux embouteillage sur les grands boulevards, avec des feux passant frénétiquement du rouge au vert trois fois par seconde…
L’idée qu’ont eue deux spécialistes de la question, Stefan Lämmer (Université de technologie de Dresde, Allemagne) et Dirk Helbing (Ecole polytechnique fédérale de Zurich, Suisse), est nettement plus intelligente. Ils ont d’abord analysé le fonctionnement du système. A l’instar des machines à laver le linge, les feux tricolores sont en général programmés sur un cycle censé optimiser le flux des voitures. Le problème, c’est que les critères retenus pour cette optimisation restent la plupart du temps virtuels. Comme l’explique Dirk Helbing, “en raison de la grande variabilité du nombre de voitures présentes derrière chaque feu rouge, même si nous disposons d’un schéma optimal, il est optimal pour une situation qui ne se présente pas.” Certes il existe des solutions un peu plus sophistiquées (comme la vague verte où les feux successifs sont synchronisés pour permettre un écoulement rapide des voitures sur les grandes artères), mais l’ordre de passer au rouge vient toujours d’en haut et reste indépendant ce qui se déroule au niveau du macadam. Nos deux chercheurs ont donc conçu le modèle inverse, un modèle souple, autogéré et non imposé, réagissant en temps réel aux conditions tout aussi réelles de circulation, lesquelles commanderaient en direct les feux tricolores, loin de tout cycle imperturbablement pré-établi. Le critère principal consiste à se soumettre rapidement à la pression de la circulation, quitte à ce que les plages de feu vert soient plus courtes mais aussi plus fréquentes. Pour schématiser : dès que des voitures commencent à s’amasser derrière un feu, celui-ci passe au vert.
Pour tester leur idée, Stefan Lämmer et Dirk Helbing ont modélisé le centre ville de Dresde, un quartier que les spécialistes locaux de la circulation jugent particulièrement ardu à contrôler et où les problèmes de coordination sont fréquents. On y trouve : 13 carrefours gérés par des feux tricolores ; deux routes principales qui encadrent une gare utilisée chaque jour par 13 000 personnes ; 7 lignes de bus et de tramways traversant chacune le réseau routier toutes les dix minutes, dans les deux directions ; et, pour finir, 68 passages cloutés, car les deux chercheurs ont choisi de mesurer aussi l’impact de leur modèle sur les piétons ! Précisons que les feux du quartier sont gérés selon un schéma de vague verte assez complexe. Faire mieux relevait donc de la gageure.
Les deux modèles, les deux philosophies, ont donc été comparés : d’un côté le contrôle programmé, de l’autre la flexibilité à la volée. Comme l’écrivent Stefan Lämmer et Dirk Helbing dans leur étude, “le premier essaie d’obtenir des flux de réseau routier globalement coordonnés, tandis que le second vise à minimiser localement le temps d’attente de tous les modes de transport”. Dans les trois domaines étudiés (transports en commun, voitures et camions, piétons), le modèle adaptatif a été le plus performant. En traversant le quartier, bus et tramways ont vu leur temps d’attente aux feux baisser de 56 % (44 secondes contre 101). Pour les piétons, le gain a été de 36 % (38 s contre 59). Dans le cas des voitures et des camions, qui étaient particulièrement favorisés par le modèle de la vague verte en place, l’amélioration a été faible mais réelle : 9 % (soit 45 s au lieu de 49). Les 24 séances de simulation ont montré que la vague verte handicapait les transports en commun, lesquels avaient très peu d’occasions de traverser les carrefours critiques. Ce modèle a également tendance à fabriquer de gros pelotons de voitures derrière chaque feu rouge, qui déferlent en paquets espacés de longs temps morts, tandis que le modèle à la carte, avec ses feux verts plus fréquents mais plus courts, engendre des pelotons plus petits qui circulent plus fréquemment. Pour tenter une comparaison textile, la vague verte tricote la circulation avec de grosses aiguilles, lui conférant une trame épaisse mais lâche, alors que le modèle autogéré la tricote avec de petites aiguilles, ce qui crée une trame plus fine où les fils se croisent plus souvent.
Evidemment, un tel modèle de fluidification de la circulation nécessite d’installer des capteurs à chaque carrefour, ainsi que des moyens pour les feux de communiquer entre eux. Le coût n’est pas chiffré mais on peut en revanche parier que la technologie nécessaire n’est pas loin, lorsqu’on sait que Siemens travaille sur des feux tricolores mettant les voitures en réseau grâce à du wifi et leur envoyant des informations sur les conditions de circulation. Par ailleurs, s’il faut parler gros sous, un récent rapport sur la mobilité urbaine aux Etats-Unis indiquait qu’en 2007 les Américains avaient perdu 4,2 milliards d’heure dans les embouteillages (pas tous dus, je le concède, aux feux rouges). Ce qui représentait la combustion de 10,6 milliards de litres d’essence (et l’émission conséquente de dioxyde de carbone). Quant au coût de ces embouteillages, basé sur le prix du carburant consommé et la productivité perdue, il était estimé, toujours pour 2007, à la bagatelle de 87,2 milliards de dollars, soit environ 750 dollars par conducteur… De quoi faire réfléchir à une régulation plus intelligente de la circulation automobile.
Pierre Barthélémy
lire le billet– C’est Uranus que vous pouvez voir sur la photo ci-dessus. Il se pourrait bien que cette planète gazeuse ait joué à la boule de flipper lors de la jeunesse du système solaire, à une époque où les orbites des planètes n’étaient pas aussi stables qu’aujourd’hui.
– Le site LiveScience dresse le palmarès des 10 maladies les plus mystérieuses. En tout cas de celles qui résistent le mieux aux efforts des chercheurs.
– Des chercheurs californiens ont annoncé qu’ils allaient commencer la fabrication d’un prototype de rein artificiel implantable, ce afin d’éviter les dialyses et de réduire les listes d’attente des personnes en attente d’une greffe. Les premiers essais cliniques sont prévus d’ici cinq à sept ans.
– Une rafraîchissante mise au point sur la manière dont la génétique fonctionne, pour remettre à leur place certains confrères qui n’hésitent pas à titrer sur la découverte du gène de la religiosité ou de l’intelligence…
– C’est la course au génome du chocolat. Deux équipes concurrentes (une des deux travaille notamment pour la firme Mars Inc., qui fabrique les fameuses barres chocolatées du même nom) ont annoncé avoir achevé les travaux préliminaires. L’idée consistera à étudier le génome pour mettre au point des variétés résistantes aux maladies.
– Ce lundi 20 septembre, la très solennelle Académie des sciences débat des sciences du climat. Pour savoir s’il s’agit vraiment de sciences, ce que conteste Claude Allègre ? Le Monde nous apprend que ce débat se fera à huis clos… une pratique ridicule à l’heure de Twitter. La suite d’une guéguerre picrocholine d’arrière-garde sur le sujet du réchauffement climatique, dans un lieu qui, malheureusement, fait de moins en moins autorité dans le monde scientifique.
– Il y en a, en tout cas, qui sont contents du réchauffement climatique : ce sont des archéologues norvégiens à qui la fonte des glaciers permet d’explorer des terrains qu’occupaient les ancêtres des Vikings.
– Alors que les navettes spatiales américaines s’en vont doucement mais sûrement vers la retraite, une flopée de constructeurs privés se jettent sur le créneau du transport de cargaisons et d’équipages dans l’espace. Mais, étant donné que la demande est tout de même très limitée, ne va-t-on pas assister, après l’explosion des bulles Internet, immobilière et financière, à l’explosion d’une bulle spatiale ?
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : la semaine dernière, Globule et télescope a accueilli son cent millième visiteur. Celui-ci n’a pas gagné de voiture ni de grille-pain mais une invitation à revenir. Le billet sur le goût de la chair humaine a battu tous les (jeunes) records du blog, plus de 30 000 personnes l’ayant lu… Un grand merci à tous et si ce que j’écris vous plaît, n’hésitez pas à parler du Globule autour de vous !
lire le billetEn cet été finissant, le grand frisson à la mode dans les stations balnéaires des Baléares s’appelle le “balconing”. Le jeu consiste à sauter, depuis le balcon de sa chambre d’hôtel, dans la piscine en contrebas. En général, il se trouve toujours quelqu’un pour filmer l'”exploit” et le publier sur Youtube ensuite. Evidemment, plus on monte dans les étages, plus la dose d’adrénaline est forte. Mais le plongeon est une discipline olympique qui nécessite concentration, coordination et précision, ce dont manquent quelque peu les fêtards de Majorque et d’Ibiza. Comme tout le monde ne s’appelle pas Greg Louganis, plusieurs dizaines d’accidents graves ainsi été recensés cet été, dont une demi-douzaine se sont soldés par la mort du candidat au haut vol. On n’a pas encore donné de nom aux adeptes de ce nouveau sport et je vais donc proposer un néologisme : le balconnard. Alors, ami balconnard, si tu n’es pas trop alcoolisé, essaie de te souvenir de quelques lois de la physique avant de tenter le grand splash.
Pierre Barthélémy
lire le billetCela s’est passé à la fin du mois d’août et rares sont ceux qui en ont parlé en France. Une campagne publicitaire diffusée en Allemagne à la télévision et dans la presse annonçait l’ouverture à Berlin d’un restaurant assez unique en son genre. Un restaurant où l’on aurait servi des plats à base de chair humaine. On appelait les volontaires à passer sur la table… d’opération pour donner un peu d’eux-mêmes. Tollé monumental. Bien sûr, il s’agissait d’un canular, mis sur pied par des végétariens pour dénoncer la consommation de viande animale. Leur communiqué explique, dans un rapprochement fracassant, que “manger de la viande, c’est comme consommer des gens”, une assertion qui part du principe que les aliments donnés aux animaux seraient mieux utilisés à nourrir les affamés.
Si l’on met de côté le tabou du cannibalisme, bien plus fort que tous les interdits alimentaires dictés par les religions, ce fait divers incite à se poser une question (au choix : une question de curieux, de journaliste en mal d’audience ou de détraqué) : quel goût a la chair humaine ? C’est ce qu’a fait Martin Robbins dans le blog qu’il tient pour The Guardian. Et bien que les exemples d’anthropophagie soient nombreux, les informations précises sur la saveur de la viande taboue ne courent ni les rues ni les articles scientifiques. A défaut d’avoir sous la main le docteur Lecter, le célèbre “Hannibal le Cannibale” du Silence des agneaux, à la fois chercheur et cuisinier spécialisé dans le ragoût d’homme, Martin Robbins a fouillé dans les récits d’autres tueurs en série.
Le premier et l’un des plus célèbres d’entre eux est l’Allemand Armin Meiwes, connu sous le surnom de “Cannibale de Rotenburg”, qui avait passé des annonces où il déclarait chercher un volontaire désirant être mangé. Il en trouva facilement un, qui vint se faire dévorer chez lui en mars 2001. Lors d’une interview donnée en 2007, Armin Meiwes, condamné à la prison à vie, expliqua comment il avait préparé son steak d’ingénieur, qu’il l’avait trouvée un peu dur et que la viande “avait un goût de porc, en un peu plus amer, plus fort”. Evidemment, étant donné la personnalité très particulière du sujet, il est difficile de lui faire confiance à 100 %. Le rapprochement avec la viande de porc prend un peu plus de consistance avec les histoires, tout aussi réelles et horribles, du Polonais Karl Denke et de l’Allemand Fritz Haarmann, deux personnages dignes du film Delicatessen, de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, ou des Bouchers Verts, du Danois Anders-Thomas Jensen. Ces deux hommes ont vécu dans les années 1920 et tué des dizaines de personnes, dont ils revendaient la viande au marché en la faisant passer pour du porc.
Il y aurait de bonnes raisons, scientifiquement parlant, pour que l’homme ait un goût de porc… Le cochon est en effet considéré comme un bon analogue, sur le plan physique et physiologique, d’Homo sapiens : un mammifère pas trop gros qui mange de tout. Les organes internes des deux espèces font à peu près la même taille. Je me souviens d’ailleurs qu’un médecin de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, à Rosny-sous-Bois, m’avait expliqué que les travaux sur la décomposition – très utiles pour dater les crimes lorsqu’on retrouve les cadavres tardivement – se faisaient principalement sur des cochons (il existe un centre au monde, où ces recherches sont menées sur des corps humains, mais c’est une autre histoire, que j’ai racontée dans Le Monde il y a dix ans).
L’homme a un goût de cochon, emballé c’est pesé ? Pas si vite. Tout le monde n’est pas d’accord. A commencer par un autre assassin anthropophage, Nicolas Cocaign, surnommé le “Cannibale de Rouen”, condamné en juin à 30 ans de réclusion criminelle pour avoir tué un codétenu, dont il a ensuite mangé un morceau de poumon : “Ce qui est terrible, c’est que c’est bon. Ça a le goût de cerf. C’est tendre”, avait-il déclaré à un psychologue en 2007.
Autre témoignage discordant, celui de William Buehler Seabrook. Journaliste au New York Times après la Première Guerre mondiale, il voyagea de par le monde, et notamment en Afrique, où il s’interrogea sur le cannibalisme au point de vouloir tenter lui-même l’expérience. Il finit par rencontrer une tribu d’anthropophages qui mangeaient leurs ennemis tués au combat. Un des guerriers lui expliqua quelles parties étaient le plus appréciées : pour la viande, tout le dos (ce qui correspond, chez le bœuf, à l’entrecôte, au filet et au rumsteak), pour les abats, le foie, le cœur et le cerveau étaient considérés comme les morceaux de choix. Un guerrier lui avoua que, pour lui, “la paume des mains était le plus tendre et délicieux morceau de tous”. Néanmoins, Seabrook ne put satisfaire son envie : on lui servit du singe.
Mais l’homme était têtu. Revenu en France, il réussit à se procurer un morceau de chair auprès d’un interne de la Sorbonne et, dans la villa du baron Gabriel des Hons, à Neuilly, se livra enfin à son expérience, devant témoins. Seabrook cuisina la viande comme il l’aurait fait pour du bœuf, s’attabla avec un verre de vin et une assiette de riz, et goûta : “Cela ressemblait à de la bonne viande de veau bien développé, pas trop jeune mais pas encore un bœuf. C’était indubitablement comme cela, et cela ne ressemblait à aucune autre viande que j’aie déjà goûtée. C’était si proche d’une bonne viande de veau bien développé que je pense que personne qui soit doté d’un palais ordinaire et d’une sensibilité normale n’aurait pu le distinguer du veau. C’était une viande bonne et douce, sans le goût marqué ou fort que peuvent avoir, par exemple, la chèvre, le gibier ou le porc. (…) Et pour ce qui est de la légende du goût de porc, répétée dans un millier d’histoires et recopiée dans une centaine de livres, elle était totalement, complètement fausse.”
Encore un avis divergent… Quelle saveur a donc la chair humaine ? Répondre à cette question n’est-il pas aussi insoluble que le problème auquel est confronté quelqu’un qui souhaite décrire l’odeur du jasmin ? Dépeindre une saveur est un exercice très personnel, qui rassemble les sensations venant de la langue (saveurs primaires comme le sucré, le salé, l’acide, l’amer, mais aussi la texture, l’onctuosité, etc.), celles venant du nez (car les odeurs sont une composante importante du sens du goût) mais aussi la mémoire de tout ce que l’on a déjà mangé et des circonstances particulières au cours desquelles on a découvert de nouveaux aliments. Le jasmin sent le jasmin (ou éventuellement le parfum d’une femme). Et sans doute la chair humaine n’a-t-elle que le goût de la chair humaine, sans autre référent exact qu’elle même.
Lors du deuxième voyage de Christophe Colomb en Amérique (1493-96), le médecin de l’expédition, Diego Alvarez Chanca, rédige ce qui est le premier récit ethnographique consacré aux peuples du Nouveau Monde. Les cannibales dont Colomb avait entendu parler sans les voir au cours de son premier voyage sont enfin au rendez-vous. Chez ces Indiens Caraïbes, on trouve quantité d’ossements humains. Chanca écrit : “Ils prétendent que la chair de l’homme est si bonne à manger que rien au monde ne peut lui être comparé.”
Pierre Barthélémy
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Vous avez trucidé des zombies à la tronçonneuse pendant cinq heures sur votre console vidéo tout en écoutant en boucle le dernier tube hard rock intitulé “Explose ton voisin” ? Dans ce cas, ne sortez pas tout de suite faire vos courses au supermarché du coin. Vous risquez fort de transformer votre chariot en rouleau compresseur sur la petite grand-mère qui – ARGHHH !!! – cherche ses pièces à la caisse depuis trois minutes pour payer sa salade, parce qu’elle ne s’est toujours pas habituée aux euros. C’est prouvé depuis de nombreuses années, l’exposition à des médias violents (jeux, vidéos, chansons) augmente l’agressivité. Mais l’inverse est-il vrai ? Ecouter une jolie chanson romantique incite-t-il à l’amour ?
C’est ce qu’a voulu tester une équipe de psychologues français dans une étude aussi astucieuse qu’amusante, parue dans le numéro de juillet de la revue Psychology of Music. Nicolas Guéguen (dont Slate.fr a déjà parlé lorsqu’il a montré que le succès d’une auto-stoppeuse était directement relié à la grosseur de sa poitrine…), Céline Jacob et Lubomir Lamy ont mis sur pied une vraie petite machination, comme c’est souvent le cas en psychologie, pour que les cobayes ne se doutent pas une minute de ce que l’on mesurait réellement.
Le scénario était le suivant. Plusieurs dizaines d’étudiantes en sciences sociales ou sciences du management, dont une enquête préliminaire s’était assuré qu’elles n’avaient pas de petit ami, étaient recrutées pour un sondage-produit. Chacune devait goûter deux sortes de cookies en compagnie d’un étudiant et discuter avec lui des qualités des biscuits en présence d’une sondeuse. Un sondage très banal en apparence. Mais, lorsqu’elle se présentaient, l’étudiant en question (en réalité un complice choisi pour son physique avantageux) n’était pas encore arrivé. On invitait donc la jeune femme à patienter trois minutes dans une salle d’attente, laps de temps pendant lequel une chanson était diffusée. Soit Je l’aime à mourir, de Francis Cabrel, sélectionnée par un panel féminin pour les pensées et sentiments amoureux qu’elle suscite, soit L’heure du thé, de Vincent Delerm, retenue par le même panel pour sa neutralité de ton. A la fin de la chanson, l’étudiant arrivait et on pouvait goûter les cookies. Au bout de quelques minutes, la sondeuse faisait une pause et laissait en tête-à-tête la fille et le garçon.
Celui-ci jouait alors un petit sketch, toujours le même. D’abord un grand sourire puis deux phrases : “Je m’appelle Antoine, je te trouve très jolie et je me demandais si tu me donnerais ton numéro de téléphone. Je t’appellerai plus tard et nous pourrions prendre un verre la semaine prochaine.” Puis silence, regard charmeur et re-sourire. Si la jeune femme acceptait, Casanova-pour-la-science notait son numéro. S’il se prenait un râteau, il répondait : “Dommage. Mais bon, pas de problème.” Et re-re-sourire. A ce moment-là, la sondeuse revenait… et dévoilait le pot-aux-roses à l’étudiante.
Aucune n’a jamais fait le rapprochement entre la chanson écoutée et le jeu de séduction. Et les résultats ? Quand la chanson de Francis Cabrel était diffusée, plus de la moitié des demoiselles a accepté (23 sur 44, soit 52,2 %) de donner son numéro de téléphone et l’invitation à boire un verre y afférente. Lorsque c’était le titre de Vincent Delerm, un bon quart seulement de ces jeunes personnes s’est laissé enjôler (12 sur 43, soit 27,9 %). Quel tue-l’amour ce Delerm…
Pour les chercheurs, la différence – quasiment du simple au double – est significative et la musique adoucit vraiment les cœurs. “Ecouter les paroles d’une chanson romantique, par comparaison avec des paroles neutres, augmente la probabilité d’accepter, quelques minutes plus tard, une demande de rendez-vous galant, écrivent en conclusion les auteurs de l’étude. Cet effet confirme l’impact comportemental d’une exposition à un contenu médiatique. Cependant, il le confirme dans un nouveau registre comportemental qui n’avait pas été testé auparavant, étant donné que les recherches précédentes s’est surtout concentrées sur l’effet des médias violents sur les comportements, pensées et sentiments violents ou agressifs.” Cela dit, Nicolas Guéguen et Céline Jacob devaient s’attendre à ce résultat car, en 2009, avec deux autres collègues, ils avaient noté que les hommes dépensaient plus d’argent chez le fleuriste lorsqu’une chanson d’amour y était diffusée… Il faudrait aussi calculer l’impact des violonistes de restaurants sur la consommation de champagne. Et on ne saurait trop suggérer aux clubs de rencontres, agences matrimoniales et autres organisateurs de speed datings d’investir dans la sono et quelques CD romantiques.
Un dernier point. Francis Cabrel lui-même n’avait-il pas le pressentiment de ce phénomène quand il écrivait, précisément dans Je l’aime à mourir, “Pour monter dans sa grotte / Cachée sous les toits / Je dois clouer des notes / A mes sabots de bois” ?
Pierre Barthélémy
lire le billet– Magnifique “une” pour le Scientific American de septembre. “The end”, ce n’est pas juste la fin du film, c’est surtout notre appétit pour les histoires de fin du monde (surexploitées par les médias de toutes sortes), qui ne sont que le reflet, sur une autre échelle, de la fascination-attraction-répulsion que nous éprouvons à la perspective de notre propre mort.
– C’est un chimiste, Gérard Férey, spécialiste des solides poreux, qui est lauréat 2010 de la médaille d’or du CNRS. Il est interviewé dans Le Monde, où il défend vivement sa discipline, qui souffre d’une bien mauvaise image dans l’imaginaire collectif.
– Quand un Anglais vous dit “I spent yesterday evening with a neighbor”, il vous est bien difficile de deviner si cette personne est un homme ou une femme et votre traduction donne ceci : J’ai passé la soirée d’hier avec un(e) voisin(e). En Australie, un langage aborigène n’indique pas les positions ni les routes à suivre avec des mots comme “droite”, “gauche”, “devant” ou “derrière”, mais utilise les points cardinaux pour se repérer. La langue que vous parlez modèle-t-elle votre façon de penser ? C’est le thème d’un passionnant article du New York Times.
– Connaissez-vous l’île d’Ascension, territoire britannique situé au beau milieu de l’Atlantique sud ? Charles Darwin s’y arrêta en 1836, peu avant la fin de son voyage à bord du Beagle et, saisi par ce désert volcanique aride, imagina de planter une oasis sur les cendres. Le botaniste Joseph Hooker, ami de Darwin, réalisa le projet en faisant apporter sur l’île, à partir de 1850, des assortiments végétaux provenant d’Europe, d’Afrique du Sud et d’Argentine. Aujourd’hui, sur les flancs de la Green Mountain prospère une forêt artificielle composée d’essences qui ne se côtoient nulle part ailleurs dans le monde.
– Il ne fait pas bon être sismologue en Italie. Sept chercheurs sont inquiétés par la justice italienne dans le cadre du séisme meurtrier de l’Aquila, survenu le 6 avril 2009. Il leur est reproché de ne pas avoir donné l’alerte alors que de nombreuses petites secousses avaient été enregistrées dans la région au cours des mois précédents. Dans une interview donnée à La Recherche, Aldo Zollo, professeur de sismologie à l’université de Naples, juge cette accusation absurde, étant donné qu’“en l’état actuel de nos connaissances, il est toujours impossible de prévoir un séisme, c’est-à-dire où et quand il se produira, et d’estimer sa magnitude, donc les dégâts éventuels”.
– Il y a 4 000 ans en Turquie, des proto-chirurgiens de l’âge du bronze essayaient d’opérer des personnes atteintes de tumeurs au cerveau, à l’aide de scalpels en obsidienne. Ouille !
– Pour terminer, je vous signale le journal de bord d’une expédition scientifique franco-russe partie fouiller les tombes des ancêtres des peuples sibériens. Cela s’intitule Momies de Sibérie.
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est à un exercice spatial très délicat que s’est livrée la Chine, le 19 août dernier. Un véritable exploit. On n’a pas pour autant sorti les tambours ni les trompettes comme lorsque le premier cosmonaute de l’Empire du milieu, Yang Liwei, est parti dans l’espace le 15 octobre 2003. Cela n’a pas été non plus le grand tintamarre du 11 janvier 2007, jour où un missile balistique chinois est allé détruire un vieux satellite météorologique (lui aussi chinois), produisant du même coup une bonne dose de débris en orbite et montrant surtout au monde que la guerre des étoiles comptait un nouveau joueur, asiatique. Non, cette fois, la discrétion la plus absolue était de rigueur. Et, pour que cette scène ne demeure pas dans la confidentialité feutrée appréciée des Chinois, il a fallu la curiosité d’Igor Lissov. En analysant les données publiques fournies par l’armée américaine, ce spécialiste russe du spatial s’est aperçu que le satellite chinois SJ-12, lancé le 15 juin, avait progressivement gagné l’orbite d’un de ses cousins, SJ-06F (qui date, lui, de 2008), et s’en était rapproché si près, moins de 200 mètres, que l’on pouvait qualifier cette manœuvre de rendez-vous dans l’espace.
Un rendez-vous entre deux satellites, complètement automatique, sans contrôle humain à distance. Des analyses approfondies des orbites laissent aujourd’hui penser que les deux engins se sont même touchés. Comme l’a déclaré au New Scientist Brian Weeden, consultant dans le domaine spatial pour la Secure World Foundation, “pour autant que je sache, c’est la première fois qu’un autre pays que les Etats-Unis effectue un rendez-vous rapproché qui ne soit pas dans le contexte d’une station spatiale. C’est une étape importante dans le développement de la technologie des Chinois et de leur capacité à opérer dans l’espace.”
Une question se pose tout de même. S’agit-il juste d’un exploit technique, d’une simple étape obligatoire avant que ne commence, en 2011, la construction de la station spatiale chinoise (vue d’artiste ci-dessous) ?
Si nous vivions dans le monde des Bisounours, sans doute répondrait-on par l’affirmative. Ou peut-être chercherait-on un autre usage civil à ce genre de savoir-faire comme le nettoyage des déchets spatiaux, la mise hors orbite des vieux satellites ou un entraînement pour de futurs ravitaillements en orbite. Mais nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours et le silence de Pékin sur le rendez-vous du 19 août suggère une autre possibilité, militaire celle-là : l’inspection, voire la destruction, de satellites “ennemis”. Quelques indices vont dans ce sens. D’une part, les engins utilisés pour ce rendez-vous, SJ-12 et SJ-06F, font partie d’une classe de satellites officiellement dédiés à la science, mais comme aucun chercheur n’a jamais publié d’article scientifique avec leurs données il est probable qu’ils soient consacrés à la collecte de signaux électroniques émanant de satellites étrangers. D’autre part, l’orbite choisie n’est pas anodine puisque c’est celle dédiée à l’observation de la Terre. Et qui dit observation dit satellites espions…
Parano ? Brian Weeden ne croit pas vraiment à ce scénario militaire mais il serait plus rassuré si les intentions chinoises étaient clairement affichées : “Si le but [des Chinois] était bienveillant, alors pourquoi ont-ils été si silencieux sur le sujet ? Si ce genre d’activité est fait en secret, si on les fait sans une certaine transparence, alors cela peut créer une perception erronée.” Belle litote. Interrogé par Wired, James Oberg, un ancien ingénieur de la NASA spécialisé dans les rendez-vous en orbite, voit dans cette affaire un coup d’intox’ à trois bandes : “Cela pourrait être simplement un jeu psychologique. Ils n’ont pas besoin d’attaquer les installations spatiales américaines – ils doivent juste nous faire croire qu’ils en sont capables.” Dans la grande course à la conquête spatiale, la Chine n’est pas partie la première mais elle refait rapidement son retard. Et beaucoup sont prêts à parier que le prochain drapeau qu’un homme plantera sur la Lune n’aura pas cinquante étoiles comme le précédent mais cinq. Jaunes, sur fond rouge.
Pierre Barthélémy
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