C’est arrivé à tout le monde un jour ou l’autre. On est arrêté au feu rouge à un carrefour, avec dix autres voitures, et, dans la rue perpendiculaire, le vert flamboie comme une sucette à la menthe radioactive mais il n’y a personne pour en profiter… Les feux de circulation dictent leur loi, parfois très bêtement, aux automobiles. Et si c’était le contraire ? Evidemment, il n’est pas question que tout un chacun se bricole une télécommande à feu vert, comme l’invente Fantasio dans Vacances sans histoire. On imagine déjà le monstrueux embouteillage sur les grands boulevards, avec des feux passant frénétiquement du rouge au vert trois fois par seconde…
L’idée qu’ont eue deux spécialistes de la question, Stefan Lämmer (Université de technologie de Dresde, Allemagne) et Dirk Helbing (Ecole polytechnique fédérale de Zurich, Suisse), est nettement plus intelligente. Ils ont d’abord analysé le fonctionnement du système. A l’instar des machines à laver le linge, les feux tricolores sont en général programmés sur un cycle censé optimiser le flux des voitures. Le problème, c’est que les critères retenus pour cette optimisation restent la plupart du temps virtuels. Comme l’explique Dirk Helbing, “en raison de la grande variabilité du nombre de voitures présentes derrière chaque feu rouge, même si nous disposons d’un schéma optimal, il est optimal pour une situation qui ne se présente pas.” Certes il existe des solutions un peu plus sophistiquées (comme la vague verte où les feux successifs sont synchronisés pour permettre un écoulement rapide des voitures sur les grandes artères), mais l’ordre de passer au rouge vient toujours d’en haut et reste indépendant ce qui se déroule au niveau du macadam. Nos deux chercheurs ont donc conçu le modèle inverse, un modèle souple, autogéré et non imposé, réagissant en temps réel aux conditions tout aussi réelles de circulation, lesquelles commanderaient en direct les feux tricolores, loin de tout cycle imperturbablement pré-établi. Le critère principal consiste à se soumettre rapidement à la pression de la circulation, quitte à ce que les plages de feu vert soient plus courtes mais aussi plus fréquentes. Pour schématiser : dès que des voitures commencent à s’amasser derrière un feu, celui-ci passe au vert.
Pour tester leur idée, Stefan Lämmer et Dirk Helbing ont modélisé le centre ville de Dresde, un quartier que les spécialistes locaux de la circulation jugent particulièrement ardu à contrôler et où les problèmes de coordination sont fréquents. On y trouve : 13 carrefours gérés par des feux tricolores ; deux routes principales qui encadrent une gare utilisée chaque jour par 13 000 personnes ; 7 lignes de bus et de tramways traversant chacune le réseau routier toutes les dix minutes, dans les deux directions ; et, pour finir, 68 passages cloutés, car les deux chercheurs ont choisi de mesurer aussi l’impact de leur modèle sur les piétons ! Précisons que les feux du quartier sont gérés selon un schéma de vague verte assez complexe. Faire mieux relevait donc de la gageure.
Les deux modèles, les deux philosophies, ont donc été comparés : d’un côté le contrôle programmé, de l’autre la flexibilité à la volée. Comme l’écrivent Stefan Lämmer et Dirk Helbing dans leur étude, “le premier essaie d’obtenir des flux de réseau routier globalement coordonnés, tandis que le second vise à minimiser localement le temps d’attente de tous les modes de transport”. Dans les trois domaines étudiés (transports en commun, voitures et camions, piétons), le modèle adaptatif a été le plus performant. En traversant le quartier, bus et tramways ont vu leur temps d’attente aux feux baisser de 56 % (44 secondes contre 101). Pour les piétons, le gain a été de 36 % (38 s contre 59). Dans le cas des voitures et des camions, qui étaient particulièrement favorisés par le modèle de la vague verte en place, l’amélioration a été faible mais réelle : 9 % (soit 45 s au lieu de 49). Les 24 séances de simulation ont montré que la vague verte handicapait les transports en commun, lesquels avaient très peu d’occasions de traverser les carrefours critiques. Ce modèle a également tendance à fabriquer de gros pelotons de voitures derrière chaque feu rouge, qui déferlent en paquets espacés de longs temps morts, tandis que le modèle à la carte, avec ses feux verts plus fréquents mais plus courts, engendre des pelotons plus petits qui circulent plus fréquemment. Pour tenter une comparaison textile, la vague verte tricote la circulation avec de grosses aiguilles, lui conférant une trame épaisse mais lâche, alors que le modèle autogéré la tricote avec de petites aiguilles, ce qui crée une trame plus fine où les fils se croisent plus souvent.
Evidemment, un tel modèle de fluidification de la circulation nécessite d’installer des capteurs à chaque carrefour, ainsi que des moyens pour les feux de communiquer entre eux. Le coût n’est pas chiffré mais on peut en revanche parier que la technologie nécessaire n’est pas loin, lorsqu’on sait que Siemens travaille sur des feux tricolores mettant les voitures en réseau grâce à du wifi et leur envoyant des informations sur les conditions de circulation. Par ailleurs, s’il faut parler gros sous, un récent rapport sur la mobilité urbaine aux Etats-Unis indiquait qu’en 2007 les Américains avaient perdu 4,2 milliards d’heure dans les embouteillages (pas tous dus, je le concède, aux feux rouges). Ce qui représentait la combustion de 10,6 milliards de litres d’essence (et l’émission conséquente de dioxyde de carbone). Quant au coût de ces embouteillages, basé sur le prix du carburant consommé et la productivité perdue, il était estimé, toujours pour 2007, à la bagatelle de 87,2 milliards de dollars, soit environ 750 dollars par conducteur… De quoi faire réfléchir à une régulation plus intelligente de la circulation automobile.
Pierre Barthélémy
je suis étonné de voir présenter cette intéressante étude comme une “nouveauté” : un tel dispositif a déjà été testé, me semble-t-il, à Bordeaux, avec succès, il y a pas mal d’années… alors ?
@Duban : Alors ? Ben, “me semble-t-il” c’est un peu vague comme référence… Et “un tel dispositif” ne veut pas dire grand chose non plus. De nombreux systèmes ont été essayés depuis des décennies… Lire l’article de Lämmer et Helbing pour en savoir plus.
Je suis surpris que vous découvriez ce système.
Le système de signalisation tricolore “intelligent” est déjà mis en oeuvre en Allemagne.
Par exemples:
1. feux tricolores munis de radars automatiques, si vous dépassez la vitesse autorisée le feu passe au rouge, à l’approche il repasse au vert,
2. intersections munie de boucles capacitives ou de détecteurs de présence, en l’absence de véhicules sur les voies secondaires le feu reste au vert pour la voie principale,
3. variante pour la sécurité routière nocturne, de nuit les feux restent au rouge, à l’approche de véhicules les feux verts s’activent, la vitesse doit être respectée (cf. 1.) et l’ordre de passage est dépendant du trafic (cf. 2.).
D’autres variantes existent…
@L. Lebas : désolé mais cela n’a strictement rien à voir. Le système évalué par l’étude que je cite est plus adaptatif et fait pour gérer les grosses affluences aux carrefours en temps réel, en jouant en permanence sur la durée et la fréquence des feux verts. Le système que vous décrivez, même s’il est dépendant du terrain, reste contrôlé par en haut : quand des voitures se présentent aux différentes branches d’un carrefour, c’est un cycle classique qui s’impose à la circulation.
J’ai bien conscience que la différence peut vous sembler subtile mais la philosophie n’est pas la même.
À Bordeaux, ça n’a pas juste été testé, c’est d’actualité depuis plusieurs près de 30 ans et ça a été déployé dans d’autres villes, en France et dans le monde.
Gestion Electronique de Régulation en Temps Réel pour l’Urbanisme, les Déplacements et l’Environnement
http://www.gertrude.fr
(voir la présentation de la société…)
ben je vois pas la nouveauté…
la plupart des feux sont équipés de capteur au sol…
et quand je dis la plupart je parle d’environ 90%.
n’avez vous jamais remarquez les croisillons au sol (sur les premières versions, maintenant totalement noyés) ainsi que les panneaux “merci de s’avancer jusqu’au feu”? vous pensez qu’ils sont là pour vous occuper en attendant que le feu passe au vert??
C’est une très bonne idée, surement moins dangereux que de mettre les feux tricolores hors service la nuit comme cela ce fait dans certaines villes. On pourrait imaginer un système similaire pour gérer la vitesse sur autoroutes. Actuellement que la circulation soit très dense ou pas la limite est de 130 km/h ou 110 km/h par temps de pluie ou mauvaise visibilité ( critères difficiles à évaluer ) Avec ce système plus flexible on pourrait varier la limitation de vitesse suivant la densité de véhicule et les conditions météo du moment ex:
– peu de voiture (comme ca arrive souvent en semaine ou la nuit) bonne conditions météo limitation à 150km/h
– circulation très dense, limite à 110km/h
– mauvaise météo, limite à 90km/h voir moins suivant le danger
Mais tous cela à un coup, plus de panneaux signalitiques, système wifi etc…
Ce système est en place dans de nombreuses communes depuis plus de 20 ans. c’est le système gertrude :
Gestion Electronique de Régulation en Temps Réel pour l’Urbanisme, les Déplacements et l’Environnement
Créée en 1981 par la Communauté Urbaine de Bordeaux, Gertrude SAEM, société anonyme d’économie mixte, est aujourd’hui présente en Europe et dans le monde !
voir ici : http://www.gertrude.fr/
@ Rhaegar : Gertrude est essentiellement un système d’analyse de la circulation, pas d’adaptation des feux en temps réel.
@Rodolphe : il y a une grande différence entre savoir ce qui se passe (ce à quoi servent les capteurs) et s’en servir pour adapter la durée du feu et la fréquence des passages au vert. L’immense majorité des feux sont réglés pour un temps fixe et dans un ordre de passage au carrefour donné. Qu’il y ait zéro voiture ou dix voitures n’y change absolument rien. Allez chronométrer au carrefour le plus proche et vous verrez !
@ Alonzo et Rhaegar : Gertrude est essentiellement un système d’analyse de la circulation, pas d’adaptation des feux en temps réel (sauf dans le cas de la priorité donnée aux tramways). C’est assez différent comme approche.
donc je vais ré-expliquer parce que apparemment je n’ai pas été assez clair…
les capteurs présents aux feux servent à adapter la longueur du passage, sinon je vois pas l’intérêt!
exemple: une rue passante est par défaut au vert et les rues secondaires ne se mettent au vert que si ils détectent la présence d’un véhicule.
Cela fonctionne aussi pour les longueurs de files, si une file est jugée trop longue le feu accélère le passage au vert…
L’analyse des temps d’attente ne fait pas tout :
“tendance à fabriquer de gros pelotons” “moins fréquent”
ou
“plus petits (pelotons) qui circulent plus fréquemment”
le temps d’attente sur 1 arret (pour les voiture ) a baissé de “9 % (soit 45 s au lieu de 49)” mais est ce que la fréquence des arrêts a augmenté de moins de 9% ?
pour évaluer la fluidité d’un transport il faut étudier l’ensemble d’un trajet.
et pour évaluer la qualité d’un systeme d’autres parametres sont aussi a prendre en compte, personnellement je suis plus enervé si je m’arrette 2s tout les 100 m plutot que 20s tout les km.
@Rodolphe : c’était très clair. Mais, dans la réalité, les capteurs ne servent PAS DU TOUT à ça ! Ils servent juste à compter. Ce sont des outils d’analyse, pas de réaction. Allez au feu tricolore le plus proche, et vous verrez !
@Pierre Barthélémy
certaine plaques servent effectivement a compter, d’autre servent a déclencher les feux ( vérifié tout les jours sur des feux qui ne se déclanche pas du tout quand les voitures ne s’approche pas assez)
les plaques servant a déclencher les feux sont sur des routes peu fréquenté, j’ai aussi pret de chez moi (montpellier) des voies comportant plusieurs plaques pour 1 seul feux servant a ne pas bloquer la circulation
je connais au moins une dizaine de cas similaire, renseignez vous et vous verrez !
oui ben justement le mien (de feu) il sert à ça! me faire passer au vert quand je suis devant le plus rapidement possible!
et je confirme que les capteurs servent à ça… de source sûre…
Dans ma ville (La Rochelle), les pouvoirs publics font tout pour dégouter les voitures. (les temps de trajets ont explosés récemment)
Ils utiliseront certainement ce système à l’envers !
@Tom et Rodolphe : je suis très bien renseigné : ces capteurs couplés à des feux existent bel et bien depuis des années mais ils fonctionnent selon un cycle préprogrammé et sont incapables de s’adapter à une situation complexe telle celle qui est décrite dans l’article. Il existe aussi des capteurs qui déclenchent des feux rouges à l’approche de véhicules, uniquement pour les faire ralentir. La plupart des capteurs fondus dans le sol en France ont une fonction de comptage de véhicules et non de fluidification du trafic. Ne mélangeons pas tout.
Bonjour,
Sans me prononcer pour l’ensemble des villes, en Suisse les carrefours sont quasi tous équipés de boucles (ou maintenant de caméra) détection.
Cette détection agit autant sur l’annonce que sur la prolongation.
Les carrefours fonctionnent comme suit:
– Temps fixe (= machine à laver) pour dépanner, travux, etc
– Plan cadre: coordination 1/. rigide
– Cyclique: tournus, saut d’un mouvement si pas demandé
– Acylclique. imprévisible, le temps d’attente le plus élevé sera le prochain au vert.
Dans tous les cas, l’image est calculée pour qu’un profiteur puisse se glisser.
Les transport en commun on une annonce privilégiée par télégramme, avec un pouvoir de coupure d’antagoniste plus élevé, selon son rang.
Et ceci depuis 25 ans au moins…
Je vois que Pierre Barthélémy a du mal à se faire comprendre. Pourtant il me semble clair que si ldifférents es capteurs décrits existent depuis longtemps un peu partout, l’utilisation qui en est faite dans cette expérience est complètement nouvelle.
On ne se pose pas la question de savoir si tel ou tel capteur est nouveau, mais de savoir ce qu’il déclenche. Dans l’expérience, il y a un réel programme d’optimisation reliant tous les capteurs qui permet de faire des choses bien plus complexes que juste mettre au vert un feu si une voiture se présente.
@Pierre Barthélémy : certe les capteurs actuels n’ont pas encore de fonction en réseau, et non donc pas une intelligence d’ensemble, par contre selon notre expérience ils semblent influencer le cycle préprogrammé
La partie qui je pense fait polémique dans cet article est la suivante
“Certes il existe des solutions un peu plus sophistiquées (comme la vague verte où les feux successifs sont synchronisés pour permettre un écoulement rapide des voitures sur les grandes artères), mais l’ordre de passer au rouge vient toujours d’en haut et reste indépendant ce qui se déroule au niveau du macadam”
L’avancé technologique est bien présente dans le nouveau model, mais le contraste entre “le controle programmé” et “la flexibilité à la volée” devrai être nuancé a mon avis par “la flexibilité du controle programmé”
@Tom et Toto : remarques très justes. Je n’ai sans doute pas été assez clair ou précis dans la formulation.
“Gertrude est essentiellement un système d’analyse de la circulation, pas d’adaptation des feux en temps réel (sauf dans le cas de la priorité donnée aux tramways).”
Pas d’accord ! Ou alors ils mentent ?
“GERTRUDE […] gère, chaque feu de chaque carrefour, à la seconde.”
“Chaque capteur […] détectent les véhicules et rassemblent les informations nécessaires au trafic : comptages, files d’attente, saturation, taux d’occupation, intervalles véhiculaires. Le système offre donc une vision globale et très précise de la circulation.”
Après, je veux bien que votre article évoque une nouvelle optimisation, mais en tout cas pas de nouveauté de fond comme le laisse penser le titre (qui aurait pu être “une nouvelle optimisation dans le système de gestion des feux”).
L’analyse du trafic et la gestion temps réel des feux, ça existe depuis longtemps.
Bon c’est vrai que tel que c’est formulé, on dirait que l’information n’est qu’analysée, sans action.
Ceci dit, à quoi serviraient ces données si ce n’était pas pour déclencher une action de régulation du trafic !
http://bit.ly/cSDijT
“Des installations comptent les véhicules ou les longueurs des files d’attente (boucles magnétiques implantées dans la chaussée, aux carrefours et sur les axes), et le tout est centralisé à un ordinateur, qui régule tous les feux de la ville ou de l’agglomération et fluidifie ainsi le trafic.”
Gertrude est bien un système de régulation du trafic en temps réel.
Donc je maintiens que la nouveauté n’est éventuellement que dans l’algorithmie, pas dans le système.
Peut-être aussi dans la prise en compte d’autres paramètres, je ne crois pas que Gertrude gère les piétons.
@Rhaegar : tout dépend ce que vous mettez derrière l’expression “gère chaque feu”… La deuxième phrase éclaire bien plus sur ce que fait Gertrude : “Le système offre donc une vision globale et très précise de la circulation.” Voilà : une VISION, des informations très précises sur le trafic, pas une adaptation en temps réel. Bien sûr que les recherches à ce sujet existent depuis un demi-siècle mais, très honnêtement, vous croyez que des chercheurs, qui travaillent dans ce domaine depuis des années, trouveraient des financements coûteux de la part de la Fondation pour la recherche allemande, de Volkswagen et de Daimler-Benz si les mêmes solutions existaient déjà dans le commerce ?
@Rhaegar : toute la nouveauté vient d’une philosophie différente : rien ne remonte à un ordinateur centralisé. Les feux se gèrent tout seuls. Le but du jeu n’est d’ailleurs pas de simplement synchroniser les feux, ce que beaucoup de systèmes font, y compris à Dresde.
[…] Pour terminer et renouer avec la veine “embouteillage” de mon précédent billet, un article du Telegraph nous apprend que les vagues ralentissements qui […]
Si le système ne permet que d’analyser la circulation, sans jamais intervenir sur les feux, à quoi servent alors les boutons associés au système, destinés aux piétons qui ne sont pas eux détectés par les capteurs ? ça ne sert qu’à les comptabiliser ou bien ça influe sur les feux pour pouvoir laisser passer les piétons lorsqu’il y en a qui se manifestent au moyen du bouton ?