La bienveillance réduit la douleur et augmente le plaisir

La mode des bons sentiments ne semble guère avoir survécu au changement de siècle. Désormais, on parle plus que d’incivilité et d’égoïsme, voire d’indifférence. Et pourtant ! Une étude publiée dans la revue Social Psychological and Personality Science par Kurt Gray, directeur du laboratoire Mind Perception and Morality de l’université du Maryland, rend à la bienveillance la place qu’elle ne devrait pas perdre.
“Nos résultats montrent que les bonnes intentions, même peu judicieuses, augmentent le plaisir et donne un meilleur goût à la nourriture”, note le chercheur. Pour arriver à cette conclusion, Kurt Gray a réalisé trois expériences.

Décharges électriques

La première concerne la douleur. Répartis en trois groupes, les participants envoient des décharges électriques dans la main de leur partenaire. Aux victimes du premier groupe, il est indiqué que cet acte est réalisé sans que leur partenaire ne soit au courant (si l’on peut dire…). Ceux du second groupe savent que leur partenaire est parfaitement conscient de leur infliger cette douleur et qu’il n’a aucune bonne raison pour le faire.  Enfin, les personnes du troisième savent que leur partenaire envoie volontairement les décharges mais qu’il agit ainsi pour leur faire gagner de l’argent. Résultat, les participants du dernier groupe ressentent une douleur inférieure à celle que subissent des membres des deux premiers groupes. Preuve qu’une douleur diminue lorsque celui qui la ressent sait qu’elle n’est ni accidentelle ni agressive mais qu’elle résulte d’une intention bienveillante à leur égard. Kurt Gray conclut que cette expérience “devrait soulager les médecins et des aidants qui sont amenés à infliger une douleur pour le bien d’un malade”.

Machine à plaisir

Deuxième expérience. Les participants sont assis dans un fauteuil de massage. Ce dernier est alternativement mis en marche par une personne qui leur veut du bien et par un ordinateur. Alors que le massage est strictement identique, les participants disent ressentir plus de plaisir lorsqu’il provient de la personne. “Bien que les ordinateurs puissent être plus efficaces que les humains dans maintes circonstances, le plaisir reste supérieur lorsqu’il provient d’une autre personne”, en déduit le chercheur.
Troisième expérience: Les participants reçoivent une sucrerie associée à une note. Pour le premier groupe, la note dit: “J’ai pris cela pour toi. J’espère que cela te fera plaisir”. Pour le second groupe: “Quoique ce soit, je m’en moque. J’ai pris cela au hasard”. Résultat: Non seulement le goût du bonbon a paru meilleur aux membres du premier groupe mais ils l’ont aussi jugé plus sucré. La conclusion de l’étude fleure bon une certaine évidence et fait, logiquement, la part belle aux bons sentiments: “La perception de la bienveillance améliore non seulement l’expérience de la douleur et du plaisir mais elle influence aussi le gout des choses”.

Effet placebo

Pas de quoi grimper au rideau ni entrer dans les ordres. Il semble néanmoins que plusieurs leçons instructives puissent être tirées de ces expériences. Globalement, elles soulignent l’impact des bonnes intentions sur nos sensations. Un constat dont pourrait tenir compte le personnel médical lorsqu’il visite un patient alité. Combien d’entre eux se plaignent de la froideur de certains médecins? Un mot gentil coûte toujours moins qu’un médicament… Les expériences de Kurt Gray ne peuvent également manquer de faire penser au placebo. Là encore, tout réside dans l’intention de celui qui le prescrit. Cet effet psychologique puissant explique, pour certains, l’efficacité de l’homéopathie observée même chez les enfants. Des études récentes montrent que, contrairement à ce que l’on pensait auparavant, l’effet placebo persiste lorsque le médecin, et même le patient, savent que le médicament ne contient rien! Il ne reste alors bien que l’intention. Attention, l’effet nocebo existe aussi…

Dieu bienveillant

Cette étude, apparemment anodine, explique pourquoi les publicités associent certains produits avec des symboles de la bienveillance comme les grand-parents ou les mamans souriantes. En matière de relations humaines, elle oblitère les comportements distants comme un câlin prodigué de façon distraite. Et que dire de la nourriture ?  Un vin présenté comme un grand cru très coûteux ne sera pas dégusté comme celui qui n’affiche pas d’étiquette connue. Le service dans les restaurants influence aussi directement la plaisir du repas. Dans les deux sens… L’étude va même jusqu’à mentionner la croyance en Dieu. “Des événements pénibles attribués à un Dieu bienveillant blessent moins que ceux provenant d’un Dieu vengeur”, note Kurt Gray. Le chercheur omet toutefois de faire état du risque d’exploitation de cette réaction à la bienveillance. Lorsque cette dernière est feinte mais bien jouée, peut-elle servir à faire passer d’amères pilules sans trop d’opposition? Si c’était le cas, nous aurions détecté depuis longtemps cette stratégie perverse chez certains hommes politiques ou chefs d’entreprise…

Michel Alberganti

4 commentaires pour “La bienveillance réduit la douleur et augmente le plaisir”

  1. “Si c’était le cas, nous aurions détecté depuis longtemps cette stratégie perverse chez certains hommes politiques ou chefs d’entreprise…”

    Les publicités évoquées dans cet article ne sont-elles pas précisément un exemple d’utilisation perverse de la bienveillance (bien qu’il y ait plus que de la bienveillance chez les grand-parents ou mamans souriantes, on ne peut pas être certain que c’est ce caractère précis qui entre en jeu) ? Les mesures d’austérité présentées comme “c’est pour votre bien” ne sont-elles pas du même ressort ? Idem pour les chefs d’entreprises qui diminuent les salaires ou délocalisent…

    Beaucoup de résultats en psychologie sociale illustrent des comportements retrouvés en marketing ou politique depuis longtemps…

  2. La phrase que vous citez se voulait humoristique… Quant aux publicités, ce sont bien entendu des exemples d’utilisation très publicitaire de la bienveillance.
    Bien à vous

  3. Ah désolé je n’avais pas détecté le sarcasme, surtout avec l’exemple publicitaire qui précédait !

    Je me demandais aussi dans quelle mesure on pouvait relier ça à de l’effet placebo. Pour considérer la perception de la bienveillance comme un placebo potentiel, il faudrait montrer qu’elle n’a objectivement aucun effet sur, par exemple, la douleur. Or ça ne peut pas être fait en utilisant le ressenti subjectif comme le font les chercheurs de cette étude. Des mesures électrodermiques associées seraient intéressantes.

    Je veux dire, on limite généralement les placebos à des traitements physiques mais la perception s’associe à des changements neuronaux qui pourraient très bien avoir un effet physiologique réel.

  4. Dans l’effet placebo, le rôle de la bienveillance est mesuré par l’effet constaté sur le patient d’un médicament qui ne contient pas de principe actif. Ces “médicaments” ne concernent pas uniquement la douleur mais bien d’autres affections, comme celles que soigne l’homéopathie. Pour la douleur, l’hypnose peut sans doute être considérée comme un placebo lorsqu’elle se substitue à l’anesthésie des patients.

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