À quoi sert de briller lorsqu’on est aveugle ?

Tout le monde connaît les extravagances du monde animal en matière de couleurs, de l’éclat des papillons Morpho à la roue du paon, en passant par les coloris éblouissants d’insectes-bijoux comme les cantharides ou les cétoines. Mais il faut bien admettre que dans ce défilé de mode la pilosité des Mammifères fait figure de parent pauvre, avec une palette assez limitée et une notable absence de quoi que ce soit d’étincelant.

À ce triste constat, une seule exception : les Chrysochlores, dont les poils présentent une délicate iridescence allant du violet au vert, à laquelle les photos peinent à faire justice. Peut-être à la lecture de cette description, imaginez-vous une importance capitale à cette livrée mordorée : briller de mille feux pour aider à la parade nuptiale, pour effrayer les prédateurs ou encore pour attirer les proies ?

Hé bien pas vraiment.

Les Chrysochlorides, dans leur ensemble, font penser à une espèce de quenelle poilue dotée d’une truffe rose et, point important, sont complètement aveugles, leurs yeux étant recouverts de peau.  Ces taupes dorées, comme leurs cousines plus communes, vivent sous terre : elles n’ont que peu l’occasion de faire la démonstration de leur iridescence, et encore moins de la voir.

Mais alors, comment expliquer cette propriété ? Très probablement par l’adaptation des poils de ces taupes à leur mode de vie.

Les  poils de ces taupes viennent en effet d’être étudiés à l’échelle microscopique. Les chercheurs ont pu constater qu’ils sont aplatis et extrêmement lisses (contrairement à nos cheveux cylindriques et pleins d’écailles). Ils forment donc des couches très fines et empilées, comme les épaisseurs de chitine des élytres des scarabées ou les couches des écailles de poissons. La lumière qui passe à travers — une fois la bestiole extraite de son terrier — est donc à la fois réfléchie et réfractée, et c’est cette interférence qui cause l’aspect brillant du pelage.

Quant à la variété des couleurs visibles sur le même animal, elle proviendrait des différences d’épaisseurs entre les poils.

Mais quel est l’intérêt adaptatif d’avoir des poils si lisses, me direz-vous ? C’est que lorsqu’on vit sous terre, un manteau de poils qui n’accroche ni le sable ni la crasse constitue simplement un avantage indubitable, tant pour faciliter le nettoyage que pour limiter les forces de frottement lors des déplacements. Utile : assurément, mais ornemental,  guère…

 

Fabienne Gallaire

 

Source : Iridescent colour production in hairs of blind golden moles (Chrysochloridae), Holly K. Snyder et al., Biology Letters, 2012.

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