La dernière du Globule

Bien. C’est aujourd’hui la dernière du Globule et, tout comme le rideau, je tire ma révérence sur Slate.fr qui m’a fait la gentillesse de m’accueillir il y a presque un an et demi. Ne croyez néanmoins pas que l’aventure s’arrête ici. Non. Elle va simplement se poursuivre ailleurs car j’ai été invité à bloguer sur lemonde.fr. Je continuerai là-bas ce que j’ai commencé ici. Avec toujours ma liberté de ton et de choix des sujets, avec l’envie de traiter tout ce que je trouverai intéressant, important, original mais aussi futile et drôle, car si l’actualité manque d’une chose, c’est bien d’humour.

Avant de partir, je tiens à remercier ceux qui ont rendu possible cette aventure journaliste 2.0, comme on dit quand on est branché, à commencer par toute l’équipe de Slate.fr, et notamment Eric Leser, Cécile Chalancon, Cécile Dehesdin, Johan Hufnagel et Greg Giglietta. Et puis, il y a eu aussi vous, les lecteurs, les internautes, les surfeurs numériques. Merci. Plus de 2 millions de pages vues, plus de 3 000 commentaires laissés, quelques “accros” (quelques trolls aussi !) qui, je l’espère, ne m’en voudront pas de ce transfert. Disons que le mercato d’hiver des blogueurs commence avant celui des footballeurs…

Mon nouveau blog s’appelle “Passeur de sciences” et il parlera des grandes et petites nouvelles du monde de la science et de l’environnement. Dans le prologue, j’y répète une nouvelle fois pourquoi je crois en la nécessité de développer le journalisme scientifique, parce qu’il ne peut être d’honnête homme ni d’honnête femme sans un minimum de culture dans ce domaine. Et le premier billet, j’explique comment une science mal faite peut aboutir à des affirmations loufoques comme “Fumer peut améliorer les performances dans les sports d’endurance”. Voilà, qui m’aime me suive.

Pierre Barthélémy

lire le billet

La sélection du Globule #73

Ce samedi, le robot à roulettes américain Curiosity a quitté la Terre en direction de la planète Mars sur laquelle il se posera en août 2012, avant d’en explorer une petite partie à l’aide de ses dix instruments (dont deux français pour tout ou partie). L’objectif : découvrir si, dans le passé, Mars a pu offrir des conditions propices à l’apparition de la vie.

– Selon une étude publiée dans Science, le climat n’est peut-être pas aussi sensible à l’augmentation du taux de gaz carbonique que ce que l’on croyait. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite : malgré cette correction, les chercheurs prévoient tout de même une hausse des températures de plus de 2° C à la fin du siècle.

Le rapport annuel d’Onusida montre cette année des résultats encourageants, avec notamment une baisse des nouvelles infections et une augmentation du nombre de personnes sous traitement. Néanmoins, en 2010, 2,7 millions de personne dans le monde ont été contaminées par le VIH.

Le premier bilan exhaustif de l’état des sols en France a été rendu public. Même s’il est meilleur que dans certains pays comme le Royaume-Uni, les sols ne sont pas gérés de manière durable et subissent les assauts du béton, de la pollution et de l’érosion.

Il y a 42 000 ans, l’homme pêchait déjà du thon, comme vient de le montrer une équipe d’archéologues travaillant au Timor oriental. Des hameçons taillés dans des os ont ainsi été mis au jour, ainsi que des restes de poissons. Cette découverte fait remonter de plusieurs dizaines de milliers d’années la pratique de la pêche (en haute mer qui plus est) par nos ancêtres.

Chaque année depuis des décennies, la Nikon Small World Competition récompense les meilleures photographies prises au microscope. Ces images de science ont toujours de grandes qualités esthétiques. Le palmarès 2011 est ici.

Nephila antipodiana est une araignée qui, pour se défendre des fourmis, imprègne les fils de sa toile d’un produit insecticide.

Pour finir : ma chronique “Improbablologie” dans Le Monde évoque ces messieurs zoophiles qui risquent le cancer du pénis dans leurs amours de basse-cour…

Pierre Barthélémy

lire le billet

L’autoportrait caché de Leonard de Vinci

Depuis le 17 novembre, et jusqu’au 29 janvier 2012, se tient au palais royal de Venaria Reale, près de Turin, une exposition sur Léonard de Vinci, dans laquelle les visiteurs peuvent contempler son célèbre autoportrait en homme âgé, reproduit ci-dessus. Très rarement présenté au public en raison de sa fragilité, ce dessin à la craie rouge a en réalité un jumeau plus jeune, qui est demeuré caché pendant cinq siècles dans le Codex sur le vol des oiseaux, qui date de 1505. Précisons que l’œuvre, esquissée, était à peine visible, d’autant que Léonard de Vinci avait écrit par dessus. Il a fallu l’œil inspiré d’un journaliste scientifique italien, Piero Angela, pour deviner un visage sous le texte, en 2009.

Au départ, rien ne prouvait qu’il s’agissait d’un autoportrait de l’artiste. Celui-ci avait réalisé tant d’études et de dessins qu’il était bien difficile d’identifier qui que ce fût. C’était sans compter sur les outils modernes de traitement de l’image et la ténacité d’une physicienne italienne, Amelia Sparavigna, professeur à l’Ecole polytechnique de Turin. Comme celle-ci le retrace dans un article mis en ligne sur le site de chercheurs ArXiv, la “restauration” virtuelle de ce dessin caché s’est faite en trois étapes, récapitulées dans le montage ci-dessous :

En haut à gauche, nous avons le point de départ, c’est-à-dire la page du Codex sur le vol des oiseaux, remplie de l’écriture en miroir de Léonard de Vinci, sous laquelle on distingue assez aisément un nez. Comme le dessin a été réalisé à la craie rouge alors que le texte est rédigé avec une encre presque noire, la première étape a consisté à supprimer de l’image, grâce à un logiciel, tous les pixels les plus sombres, ce qui a mis le texte en blanc. Puis, dans un deuxième temps, le programme a été paramétré pour remplir tous ces blancs avec la couleur moyenne environnante, de manière à gommer complètement toute trace d’écriture (celles qui restent sont celles de l’encre au verso, qui se voit par transparence). Le résultat, en bas à gauche, étant assez peu contrasté, Amelia Sparavigna a eu l’idée d’utiliser un autre programme, Iris, écrit par l’excellent astronome amateur français, Christian Buil, qui s’est spécialisé dans l’imagerie numérique avant même que les appareils photo numériques existent… A l’origine, Iris a été conçu pour traiter les clichés pris au téléscope, mais rien n’empêche d’utiliser ce logiciel gratuit pour autre chose. La physicienne turinoise ne s’en est pas privée et a ainsi pu faire ressortir tous les détails du portrait, comme on le voit dans la dernière vignette, en bas à droite.

Restait à dire qui était cet homme assez jeune représenté dessus. Dans cette histoire, les dates et les apparences sont trompeuses. Le Codex date de 1505 et Léonard de Vinci a alors 53 ans. Mais on sait qu’il a recyclé, pour écrire une partie de ce texte, des feuilles dont il se servait pour dessiner dans les années 1480… A l’époque, il avait la trentaine, ce qui correspond mieux au visage découvert par Piero Angela. A l’inverse, il est difficile de croire que le Toscan, mort en 1519 à 67 ans, a jamais eu l’apparence de vieillard qui ressort de son célèbre autoportrait, réalisé aux alentours de 1512-1515. On suppose que l’artiste s’est délibérément ajouté quelques années en se dessinant… mais d’aucuns assurent que l’homme en question pourrait bien être son père ! Quoi qu’il en soit, la ressemblance entre les deux dessins est frappante, notamment au niveau du nez, fort et à plusieurs “étages”, et de la bouche un peu boudeuse. Comme, dans les deux cas, le portrait est de trois-quarts, Amelia Sparavigna a eu l’idée de continuer ses manœuvres informatiques et virtuelles, et d’utiliser un autre logiciel, GIMP (équivalent gratuit de Photoshop), pour superposer les deux visages. Voici ce que cela donne :

Comme l’écrit la physicienne italienne en conclusion de son article, “les deux visages semblent vraiment coïncider, en particulier les distances relatives des yeux, du nez et de la bouche, qui sont les mêmes” sur les deux dessins. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Pierre Barthélémy

lire le billet

La mort tient-elle compte de nos initiales ?

Monsieur et Madame Trucmuche ont des jumeaux, un garçon et une fille. Comment doivent-ils éviter de les appeler ? Benoît-Isidore et Pauline-Ursule. En effet, si l’on en croit une étude américaine publiée en 1999 dans le Journal of Psychosomatic Research, avoir des initiales à consonance négative (ici B.I.T. et P.U.T.) peut s’avérer un facteur non-négligeable d’espérance de vie réduite. A l’inverse, des initiales à consonance positive (F.O.R. ou V.I.E.) sont une petite promesse de vie plus longue. L’effet est sans doute nettement moins marqué en France qu’aux Etats-Unis, où la tradition d’insérer un deuxième nom entre le prénom et le patronyme est très vivace, comme on le voit fréquemment avec les présidents américains, de Franklin Delano Roosevelt à Barack Hussein Obama, en passant par John Fitzgerald Kennedy.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’impact du symbole (et donc de l’esprit) sur la mortalité humaine est un phénomène qui se rencontre en maintes occasions : ainsi, une étude a montré que les femmes mouraient en général moins la semaine précédant leur anniversaire, comme si la Camarde était priée de patienter jusqu’à ce que la ligne soit franchie… En revanche, la semaine suivant le changement d’âge était celle où, en moyenne, ces dames quittaient le plus volontiers ce monde (parce que le gâteau préparé par leurs héritiers était peu digeste ?). La même étude soulignait que ce n’était pas le cas chez les hommes, qui avaient une légère tendance à s’abstenir de souffler leurs ultimes bougies en décédant avant leur anniversaire. Nombreuses sont également les personnes tombant malades ou mourant à l’âge où l’un de leurs parents a disparu. A ces “réactions aux anniversaires” s’ajoutent d’autres exemples. Une étude a ainsi mis en évidence, chez des juifs pratiquants, une baisse sensible de la  mortalité dans les jours précédant la fête de Pessa’h et une hausse dans les jours suivants. Le même effet a été constaté, dans une communauté chinoise, au cours de la période entourant la fête de la mi-automne. Comme si la mort devait attendre dans le vestibule…

Mais celle-ci peut-elle s’inviter plus tard lorsque vos initiales reflètent une notion positive, ou plus tôt si vous vous appelez Maurice-Alexandre Landouillette ? L’étude du Journal of Psychosomatic Research répond par l’affirmative. Pour le montrer, ses auteurs, chercheurs en psychologie à l’université de Californie (San Diego) ont ainsi épluché les registres des décès de cet Etat entre 1969 et 1995, car ils présentent l’avantage de donner le nom complet des morts. Deux listes d’initiales à consonances positive et négative avaient auparavant été testées et validées auprès d’un panel. Dans la première catégorie, on trouvait notamment ACE (as), GOD (dieu), LIF (pour vie), LOV (pour amour), VIP, WIN (gagner). La seconde rassemblait des mots ou abréviations comme APE (singe), ASS (cul), BAD (mauvais), DIE (mourir), DTH (abréviation de “death”, mort), DUD (raté), HOG (pourceau), ILL (malade), MAD (fou),  ROT (pourriture), SAD (triste), SIK (pour malade). Pour les morts portant ces initiales particulières, on notait l’âge au moment du décès, qui était ensuite comparé à l’âge moyen de groupes témoins dont les membres avaient des initiales sans signification. Les résultats ont été plus que surprenants. Les hommes portant des initiales “géniales” vivaient en moyenne 4,48 années de plus que le groupe témoin, et les hommes avec des initiales “pourries” vivaient 2,8 années de moins que le groupe témoin. Du côté des extrêmes, les 28 LOV ont vécu 76,85 ans en moyenne alors que les 194 DTH sont passés de vie à trépas à seulement 58,9 ans, toujours en moyenne. Chez les femmes, l’effet était moins marqué (3,36 années de plus pour la première liste et pas de différence significative pour la seconde), ce à quoi les chercheurs s’attendaient : au gré de leur(s) mariage(s), les femmes peuvent changer plusieurs fois d’initiales au cours de leur existence et si l’impact de celles-ci existe, il est nécessairement moindre. Autre point à signaler, les causes du décès chez les hommes aux initiales négatives étaient sensiblement différentes des autres, avec une surreprésentation des accidents et des suicides, c’est-à-dire des causes directement dues au comportement.

Pour expliquer ces écarts tout de même importants, les auteurs de l’étude ont cherché de nombreux biais. Une petite “controverse” a surgi quand une équipe d’économistes a remis en cause les méthodes statistiques utilisées, notamment le fait qu’il est toujours délicat de recruter des cohortes de sujets a posteriori. Un biais dont les chercheurs étaient parfaitement conscients et qu’ils ont tâché de contourner en établissant avec précision les groupes témoins. L’hypothèse d’une corrélation sans lien de cause à effet a aussi été écartée. Il était en effet envisageable que les mauvaises initiales trahissent simplement des parents négligents, que l’espérance de vie plus courte soit avant tout la conséquence de mauvais soins et non pas celle due à l’influence desdites initiales. Mais rien n’est venu confirmer cette hypothèse, notamment au niveau de la mortalité infantile.

Les psychologues californiens ont donc conclu à la validité de leur hypothèse sur la puissance symbolique des initiales (tout comme il existe une puissance symbolique du nom que l’on porte) : “Il semble improbable, écrivent-ils, qu’une personne ayant des initiales comme CUL ou JOI puisse ne pas remarquer leurs connotations négatives ou positives. Apparemment, de telles initiales (…) peuvent influencer la cause et le moment de la mort. Notre interprétation de cette découverte s’appuie sur l’examen des causes individuelles du décès. Le suicide et les accidents, qui sont, parmi toutes les causes de décès étudiées, les plus liées au comportement, montraient les plus fortes différences entre les groupes positif et negatif. L'”explication symbolique” est aussi soutenue par la découverte que les effets sont moins importants chez les femmes et absents chez les enfants : ces groupes sont plus faiblement attachés à leurs initiales.” Par conséquent, si votre patronyme commence par un “R” et si vous souhaitez donner un prénom composé à votre futur fils, préférez Franz-Olivier à Marc-Olivier ou Pierre-Olivier.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : Winston Churchill, en photo au début de ce billet, est mort à l’âge de 90 ans. En dépit de ses initiales, pourrait-on dire. Trois objections toutefois : 1/ en psychologie, il y a toujours des cas particuliers ;  2/ son vrai nom était Winston Leonard Spencer-Churchill, ce qui change un peu la donne ; 3/ l’expression “water closet” à laquelle ses initiales peuvent renvoyer est… beaucoup plus utilisée en France qu’outre-Manche !

lire le billet

La sélection du Globule #72

– Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a rendu un rapport spécial sur les événements météorologiques dits extrêmes : il confirme que les vagues de chaleur, pluies torrentielles, épisodes de sécheresse, etc, vont se banaliser d’ici à la fin du siècle. Une conséquence directe, selon les chercheurs, du réchauffement climatique.

L’expérience Opera, au CERN, vient d’effectuer un nouveau test confirmant que, pour elle, les neutrinos vont plus vite que la lumière. Reste à avoir une validation indépendante.

Toujours dans le domaine de la physique fondamentale, le moment de vérité approche pour le boson de Higgs, cette particule théorique censée donner sa masse à la matière : le LHC (le Grand Collisionneur de hadrons du CERN) devrait, d’ici quelques mois, soit le découvrir, soit l’envoyer aux oubliettes de la science, ce qui forcerait les physiciens à élaborer une nouvelle théorie.

Une équipe française vient de mettre au point un matériau plastique que l’on peut fondre, mouler, utiliser et refondre à l’envi, comme le verre. Nombreuses applications industrielles en vue.

On cite souvent en exemple la Chine et l’Inde, comme pays où sont pratiqués des avortements sélectifs en fonction du sexe du fœtus, décelé à l’échographie. D’où des sex ratios très favorables aux garçons. La pratique existe aussi en Europe comme le montre ce reportage de l’AFP en Albanie où nombre de futures petites filles ne voient jamais le jour.

Les animaux d’élevage reçoivent trop d’antibiotiques et la France veut réduire d’un quart la prise, souvent inutile, de ces médicaments afin de préserver l’efficacité de l’arsenal thérapeutique.

Pour ceux que l’histoire des sciences intéresse, le CNRS vient de lancer un dossier sur Antoine Lavoisier (1743-1794), l’un des pères de la chimie moderne.

Pour finir, dans ma chronique hebdomadaire du Monde sur l'”improbablologie”, je m’attaque à l’une des questions les plus cruciales que se posent les automobilistes : dans un bouchon, pourquoi cela avance-t-il plus vite toujours dans l’autre file ?

Pierre Barthélémy

lire le billet

Maths : le problème de l’urinoir

Le 19 novembre, c’est la journée mondiale des toilettes. L’occasion ou jamais de citer une étude où les mathématiques font irruption dans l’intimité des WC.

Les articles publiés dans les revues scientifiques obéissent tous, à quelques variantes près, aux mêmes règles de présentation. Sous le titre et le nom des signataires, on trouve un résumé, puis l’article proprement dit et, enfin, les références. En 2010, dans la revue Lecture Notes in Computer Science, est parue une étude au titre mystérieux (surtout si l’on considère que ce journal traite essentiellement de science informatique) : “Le problème de l’urinoir”. La lecture du résumé a de quoi faire sourire… et un peu réfléchir, ce qui est le propre de la science improbable : “Un homme entre dans des toilettes pour messieurs et remarque “n” urinoirs libres. Lequel devrait-il choisir pour maximiser ses chances de conserver son intimité, c’est-à-dire de minimiser les chances que quelqu’un vienne occuper un urinoir voisin du sien ? Dans cet article, nous tentons de répondre à cette question en considérant une variété de comportements habituels dans les toilettes pour hommes.”

Pour les lecteurs de ce blog qui sont des lectrices et n’ont donc pas forcément fréquenté les lieux d’aisances en commun, le problème de l’urinoir est un problème réel. Le relâchement minimum nécessaire à la miction n’est pas toujours évident à atteindre quand un congénère vient se débraguetter à 20 centimètres de vous ou lorsque vous sentez sur vous le regard d’autres hommes à la vessie pleine attendant, en dansant d’un pied sur l’autre, que vous ayez fini de faire chanter la porcelaine. C’est généralement à ce moment que le blocage survient comme l’illustre une scène d’anthologie (ou presque) du film Mon nom est Personne :

 

Il existe deux solutions pour préserver un minimum d’intimité dans les pissotières en ligne. La première consiste à écarter les jambes de manière à occuper également les urinoirs de droite et de gauche.

Si elle évite également à ces messieurs de mouiller leurs chaussures, la position est néanmoins assez inconfortable et ne permet pas forcément la décontraction des sphincters… La seconde solution, qui est explorée dans l’article de Lecture Notes in Computer Science, consiste à sélectionner son urinoir de façon à réduire au maximum la probabilité pour qu’un nouvel arrivant vienne se camper à côté de vous. L’intuition dicte en général de se positionner à l’un des bouts de la rangée mais est-ce justifié mathématiquement parlant ? Tout dépend du comportement des autres, expliquent les auteurs. Ces spécialistes des algorithmes se sont donc amusés à traduire ces comportements en formules. On trouve ainsi le paresseux, qui vient vider sa vessie dans l’urinoir libre le plus près de la porte, le coopératif, qui calcule pour les autres et tâchera de choisir une place permettant au maximum d’arrivants ultérieurs d’avoir leur intimité, le distant, qui se débrouillera pour être le plus loin des autres, et l’aléatoire, qui se mettra n’importe où pourvu que les urinoirs de droite et de gauche soient vides.

Evidemment, le problème dépend d’abord du nombre “n” de faïences et aussi de savoir si “n” est pair ou pas. En effet, la “saturation” de 5 ou de 6 urinoirs est la même : 3 bonshommes suffisent dans les deux cas pour que le suivant à entrer dans les toilettes ait au moins un voisin, quelle que soit sa stratégie. Imaginons une ligne d’urinoirs avec 6 emplacements, le numéro 1 étant le plus loin de la porte et le 6 le plus près. Vous êtes le premier à entrer. Si vous vous installez au 1 et si l’homme qui vous suit est un paresseux ou un distant, il se mettra au 6. En revanche, un coopératif pourra se poser devant le 3, le 4, le 5 ou le 6 (quatre choix possibles). S’il n’y a que 5 places, le coopératif n’aura plus que deux choix (le 3 ou le 5), car se mettre au 4 impliquerait que le troisième homme serait obligé de venir uriner près d’un des deux occupants des lieux.

La question se complique si, comme c’est souvent le cas, une ou plusieurs personnes se trouvent déjà aux toilettes quand vous y pénétrez. A lire l’étude, c’est tout juste s’il ne faut pas un ordinateur pour calculer quelle sera la place où vous avez le maximum de chances d’être le plus longtemps sans voisin. Au terme de l’article, émaillé de quelques formules mathématiques, vous êtes soulagé (si je puis dire) d’apprendre que la stratégie instinctive – à savoir se mettre devant l’urinoir le plus loin de la porte si son voisin est libre – est la plus efficace la plupart du temps. En conclusion, les auteurs soulignent que les variantes du problème sont aussi nombreuses qu’insoupçonnées et ils encouragent leurs lecteurs à y réfléchir à chaque fois qu’ils devront se rendre dans ces lieux, sur une aire d’autoroute ou dans un stade.

Pour terminer, que personne ne pense qu’il s’agit là d’un problème exclusivement masculin. Avec l’arrivée de la version féminine de l’urinoir, non seulement ces dames ne feront plus la queue pour aller aux toilettes mais elles donneront du travail aux mathématiciens…

Pierre Barthélémy

lire le billet

La planète sacrifiée du système solaire

 

Depuis que Pluton a été déchue du titre de planète en 2006, notre système solaire ne compte plus que huit représentantes : en nous éloignant du Soleil, nous avons donc Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Les quatre premières sont des planètes rocheuses et petites (la Terre étant la plus grande avec un rayon de 6 378 km) tandis que les quatre suivantes sont gazeuses et nettement plus grosses (de 24 764 km de rayon pour Neptune à 71 492 km pour Jupiter). Et justement, cette énorme quantité de matière pose un problème aux planétologues qui s’intéressent à la formation de notre système solaire. Celui-ci est apparu, il y a un peu plus de 4,5 milliards d’années des restes du nuage de gaz et de poussières qui s’est “effondré” sur lui-même pour donner naissance au Soleil. Notre étoile a pris la plus grosse part de ce gâteau (quasiment 99,9 %) et les miettes se sont agglomérées pour former les planètes, leurs satellites, les comètes, les astéroïdes et tout un bestiaire de planètes naines (comme Pluton) et de mini-corps gelés situés au-delà de Neptune, dans ce que les astronomes appellent la ceinture de Kuiper. Le problème des astronomes, c’est que jamais Uranus et Neptune n’auraient pu accumuler autant de miettes si elles étaient nées là où elles se trouvent maintenant. Elles ont donc nécessairement vu le jour plus près de notre étoile et ont fini par s’en éloigner ensuite. Mais comment ?

Pour résoudre ce casse-tête, des chercheurs basés à l’observatoire de la Côte d’Azur ont, en 2005, mis au point un modèle, aujourd’hui appelé modèle de Nice. Ils sont partis de l’hypothèse que, pour se former, les géantes gazeuses étaient à l’origine moins loin du Soleil et aussi plus rapprochées les unes des autres, puisque ces quatre grosses boules tenaient entre 5,5 et 17 unités astronomiques (UA) de notre étoile (alors qu’aujourd’hui, Uranus se trouve à 19 UA du Soleil et Neptune à 30). Rappelons qu’une unité astronomique  est la distance moyenne de la Terre au Soleil, soit 150 millions de kilomètres.

Que dit le modèle de Nice sur ce qui s’est passé ensuite ? Au départ, au-delà de l’orbite de Neptune, on trouvait un disque fait de nombreux petits corps primitifs, les planétésimaux. Ceux-ci s’approchaient de temps à autre des planètes les plus extérieures et échangeaient avec elles leurs moments cinétiques : la trajectoire des planétésimaux en était modifiée et, en contrepartie, les planètes s’éloignaient tout doucement du Soleil. Cela était valable pour Neptune, Uranus et Saturne mais pas Jupiter. Son immense gravité avait pour particularité d’éjecter les planétésimaux de leurs orbites, ce qui la faisait se rapprocher légèrement du centre du système solaire. Au bout de plusieurs centaines de millions d’années de lentes migrations, la période de révolution de Saturne devint le double de celle de Jupiter : pendant que cette dernière faisait deux tours du Soleil, la planète aux anneaux en faisait un. Cette entrée en “résonance” (comme disent les physiciens) des deux monstres gazeux provoqua un chamboulement des orbites : rapidement, Jupiter “poussa” Saturne vers l’extérieur, laquelle, à son tour, envoya Uranus et Neptune sur leurs orbites lointaines et excentriques. La conséquence première de ce grand jeu de billard céleste fut un éparpillement des planétésimaux qui se mirent à vadrouiller en tous sens dans le système solaire et à mitrailler toutes les planètes. Les traces de cet événément survenu il y a environ 4 milliards d’années et connu sous le nom de bombardement tardif massif ont été gommées de la surface de la Terre, remodelée par la tectonique des plaques et l’érosion, mais on les voit encore dans les grands bassins d’impacts de la Lune.

Le modèle de Nice permet élégamment d’expliquer les orbites actuelles des planètes géantes tout en intégrant ce bombardement. Mais, si l’on en croit une étude publiée le 7 novembre dans les Astrophysical Journal Letters, il ne serait pas si robuste qu’il y paraît. L’auteur de l’étude, David Nesvorny, du Southwest Research Institute, dans le Colorado, a lui aussi modélisé le système solaire primitif et a eu le plus grand mal à reproduire le scénario des Niçois. Seulement 3 réussites sur 120 essais. En revanche, en intégrant, dès le départ, une cinquième planète géante dans le jeu, le taux de succès a tout de suite été plus important : 23 %. Comme le reconnaît volontiers David Nesvorny, l’idée n’est pas complètement neuve : “Ce résultat n’est pas tombé du ciel. Certains de mes collègues avaient mentionné l’idée en passant dans des articles qu’ils ont publiés.” Mais le chercheur est le premier à avoir mis cette cinquième planète dans un modèle. Et cela marche. Dans leur grand jeu de “ôte-toi de là que je m’y mette”, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune finissent plus facilement par occuper peu ou prou leur place actuelle. En revanche, la cinquième planète n’y résiste pas et est éjectée par Jupiter du système solaire. Le phénomène n’a rien de surprenant. Depuis quelques années en effet, les astronomes détectent dans notre galaxie de grosses planètes solitaires errant dans le vide interstellaire, les perdantes du billard cosmique. Quant à la planète sacrifiée de notre système solaire, expulsée à plusieurs centaines de milliers de kilomètres/heure il y a environ 4 milliards d’années, elle a probablement disparu du paysage galactique depuis longtemps.

Pierre Barthélémy

http://iopscience.iop.org/2041-8205/742/2/L22
lire le billet

En politique, une voix grave est un atout

En chaque électeur, il y a un homme, en chaque électrice une femme. Et en chacun de ces hommes et femmes demeure une part d’animalité plus ou moins cachée, le souvenir enfoui des temps anciens ou des hardes de bipèdes choisissaient le plus fort pour diriger le clan ou la tribu. Car sélectionner l’homme fort, c’était donner à chaque membre du groupe social des chances supplémentaires de survivre et de se reproduire avec succès. C’est en partant de cette hypothèse évolutive, selon laquelle la sélection naturelle a favorisé en nous la capacité à détecter de manière fine les qualités d’un chef, qu’une équipe canadienne du département de psychologie, neurosciences et sciences comportementales de l’université McMaster (Hamilton, Ontario) s’est demandé si un des indices aidant à choisir le leader naturel résidait dans la hauteur de sa voix. Et si, malgré l’omniprésence, aujourd’hui, des écrans, la voix seule d’un homme politique pouvait influencer les électeurs (pour les femmes politiques, il faudra attendre quelques années…).

Comme le rappelle l’étude que ces chercheurs ont publiée, lundi 14 novembre, dans la revue Evolution and Human Behavior, de précédents travaux ont montré qu’une voix désagréable réduisait l’attractivité des politiciens. Par ailleurs, dans un étonnant article paru en 2002, deux chercheurs américains ont analysé le spectre vocal de plusieurs candidats à la Maison-Blanche, enregistré lors de 19 grands débats télévisés au cours de huit campagnes présidentielles entre 1960 et 2000, et ont à chaque fois pu “prédire” le vainqueur du scrutin, certaines caractéristiques de la voix trahissant sa “domination”. Dans cette lignée, l’étude canadienne s’est intéressée à l’influence que la hauteur de la voix pouvait avoir sur la manière dont le public percevait les hommes politiques. Quelles qualités attribue-t-on à un baryton et à un ténor et lequel des deux a le plus de chances d’être élu, si l’on ne se fie qu’à sa voix ?

Pour le savoir, deux expériences ont été réalisées sur un panel de 125 personnes divisé en deux groupes. Chaque groupe écoutait à deux reprises les voix de neuf anciens présidents des Etats-Unis : une fois, la voix avait artificiellement été baissée vers les graves et l’autre fois montée vers les aigus. Les participants au test devaient ensuite répondre effectuer cinq choix. Pour le premier groupe, dire lequel des deux avatars sonores de l’homme politique 1/ semblait le plus attractif, 2/ ferait un meilleur dirigeant, 3/ serait un dirigeant plus honnête, 4/ paraissait le plus digne de confiance, 5/ donnait le plus envie de voter pour lui lors d’une élection nationale. Pour le second groupe, il fallait spécifier lequel 1/ semblait le plus dominant, 2/ gérerait le mieux la situation économique actuelle, 3/ paraissait le plus intelligent, 4/ était le plus susceptible d’être impliqué dans un scandale, 5/ serait le candidat retenu pour un scrutin en période de guerre. Dans neuf cas sur dix, c’est la version à voix grave qui a été majoritairement choisie. La seule exception a été… l’unique critère négatif glissé dans le questionnaire, à savoir “le plus susceptible d’être impliqué dans un scandale”. C’est bien connu, dans “fausset” il y a “faux”…

Pour la seconde expérience, qui complétait la première, il n’était plus question de comparer entre elles deux variantes d’un même homme politique mais les voix artificiellement aiguës et graves de deux inconnus, A et B, prononçant la phrase neutre suivante : “Quand, dans l’air, les gouttes de pluie sont touchées par un rayon de soleil, elles agissent comme un prisme et forment un arc-en-ciel.” Pas d’intonation enflammée, pas de rhétorique, pas de slogan. Chaque participant devait dire pour quel locuteur il voterait lors d’une élection. Pour la moitié, A avait la voix grave et B la voix aiguë, et c’était l’inverse pour l’autre moitié du panel. En réalité, peu importait qui parlait puisque les “cobayes” ont largement élu, à 70 %, le candidat à la voix grave, quel qu’il fût.

Selon les auteurs, plus que l’attractivité, c’est la domination et la vaillance que reflète une tonalité dans les basses. Cela confirme le fait que l’on peut, à l’aveugle, déterminer la force physique d’un homme à la simple écoute de sa voix (dans des cultures et des langues différentes) et qu’une voix grave est associée à un taux plus haut de testostérone, l’hormone du mâle par excellence. Evidemment, on ne choisit pas un candidat à un scrutin que sur sa voix (ou sur une autre caractéristique physique). En l’occurrence, l’évolution de l’espèce humaine l’a conduite à élaborer des idées et des programmes dont la lecture et la comparaison s’avèrent, a priori, des éléments utiles lors d’une élection. Néanmoins, cette étude canadienne soupçonne que, pour mettre toutes les chances de leur côté, des candidats vont mettre en application ses enseignements, soit en s’exerçant à parler dans leur registre le plus grave, soit en faisant artificiellement baisser leur tonalité lors des retransmissions télé- ou radio-diffusées…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : pour compléter la panoplie de l’homme à la voix grave, j’ajouterai qu’il est aussi perçu comme étant plus susceptible d’être infidèle. Ce qui colle finalement aussi très bien avec les plus beaux spécimens de notre élite politique masculine…

Photo: Nicolas Sarkozy, le 13 octobre 2011. REUTERS/Francois Nascimbeni/Pool

lire le billet

La sélection du Globule #71

– L’Union internationale pour la conservation de la nature vient de publier sa Liste rouge annuelle des espèces en danger et on y apprend, entre autres, que plus d’une espèce de conifères sur quatre est menacée. Par ailleurs, le rhinocéros noir d’Afrique de l’Ouest est officiellement considéré comme éteint.

Pour rester dans le domaine de la biodiversité, le débat suivant se tient discrètement depuis des années : faut-il laisser tomber les efforts de sauvegarde de certaines espèces pour se concentrer sur celles qu’on a le plus de chances de sauver ? Près de 600 chercheurs ont été interrogés à ce sujet et la majorité est favorable à l’idée d’un “tri sélectif” des espèces menacées, puisqu’une perte de biodiversité est inévitable. Adieu le panda, l’ours polaire et le tigre ?

L’Agence internationale de l’énergie est peu optimiste sur les capacités de l’humanité à réduire de manière drastique ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et donc à limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2°C de plus à la fin du siècle. Comment réussir à tenir cet objectif ? Le Temps a posé la question à des chercheurs. Rappelons au passage que le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de GES expire en 2012 et que les nations du monde n’ont toujours pas réussi à se prendre en main pour le prolonger…

L’impact du changement climatique sur la santé et les dépenses de santé sera énorme, annonce le Huffington Post en se basant sur une étude parue dans la revue Health Affairs.

– Les Russes n’ont jamais eu beaucoup de réussite dans leur politique d’exploration martienne. Cela se confirme avec la perte de la sonde Phobos-Grunt qui devait étudier un satellite de Mars.

Et pendant ce temps-là, les sondes américaines Voyager, lancées en 1977, fonctionnent toujours aux confins du système solaire, nous rappelle Time.

Le premier voyage de presse dans la centrale japonaise de Fukushima, depuis le tsunami du 11 mars qui y a provoqué une catastrophe nucléaire.

Pour finir, ma chronique “Improbablologie” de la semaine dans Le Monde révèle aux sportifs du dimanche comment améliorer leurs performances grâce à un mystérieux effet placebo…

Pierre Barthélémy

lire le billet

11/11/11, jour de fin du monde ?

Que faire de ce jour férié qu’est le 11 novembre ? Selon certains, il serait temps de profiter une dernière fois de la vie car la date est maudite : 11/11/11. Cet alignement de 1 aurait sans doute plu à Pierre Desproges qui, dans son sketch intitulé “Je ne suis pas à proprement parler ce qu’on appelle un maniaque”, confessait aimer “que tout brille et que tout soit bien rangé. Quand je rentre à la maison, la première chose que je fais, c’est de me servir du thé. Je me verse moi-même le thé, bien au milieu du bol. Le sucre doit être vertical. Sinon, c’est le bordel. Ensuite je range le bureau, le chien, les gosses et j’astique le zèbre. J’ai toujours eu des zèbres. J’aime beaucoup  les zèbres, les rayures sont bien parallèles. J’aime que les choses soient parallèles. Je n’apprécie rien tant que cet instant, trop éphémère, hélas, où ma montre à quartz indique 11h11. Parfois j’ai un orgasme jusqu’à 11h12.” On n’ose imaginer la vague de plaisir qui aurait déferlé sur lui ce fameux 11 novembre 2011 à 11h11, si Pierre Desproges n’avait eu la lamentable idée de se laisser bouffer par un cancer en 1988 (d’un autre côté, 88, c’est quand même 8 fois 11).

Donc, si l’on en croit certains pessimistes qu’a relayés l’émission Télématin, l’apocalypse est pour aujourd’hui. Les grands scientifiques que sont les numérologues et astrologues se montrent catégoriques : le 11 est un nombre particulièrement agressif. Il suffit pour cela de se rappeler les attentats meurtriers du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ou ceux du 11 mars 2004 à Madrid, dont on se souvient moins. Plus près dans le temps, le tsunami du 11 mars de cette année et son corollaire catastrophique à la centrale nucléaire de Fukushima enfoncent le clou. Et n’oublions pas que c’est aussi un 11 mars (1978) qu’est mort Claude François. Si ce n’est pas une preuve scientifique, je ne sais pas ce que c’est…

D’un autre côté, il faut savoir rester prudent dans le maniement de l’Armaggedon. Tout d’abord, il y a bien eu un 11 novembre 1111, auquel la planète et l’humanité semblent avoir survécu. Et surtout, les prophètes de la fin du monde ne sont pas trop en veine ces derniers temps. Aucun de leurs calculs ne s’est avéré, au point que, cette année, plusieurs d’entre eux ont reçu conjointement l’IgNobel de mathématiques. L’IgNobel est une parodie de prix Nobel qui récompense des chercheurs mais aussi des personnes non savantes qui ont réalisé des travaux, des œuvres, des actions, improbables, ou dont on aurait carrément pu se passer. Jacques Chirac a ainsi reçu un IgNobel de la paix pour avoir décidé en 1995 la reprise des essais nucléaires français, l’année où le Japon commémorait le cinquantième anniversaire des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki (dont on s’étonne qu’ils ne se soient pas produits un 11).

Les Nostradamus modernes récompensés (pour certains à titre posthume) par cet IgNobel s’appellent :

  • Dorothy Martin, une Américaine qui, assurée d’être en contact avec des extraterrestres de la planète Clarion, avait annoncé que, pour faire le ménage dans la maison Terre, l’Etre suprême allait couler les continents existants et en faire jaillir de nouveaux du fond des océans en 1955 ;
  • Pat Robertson, un télévangéliste américain et ancien candidat à la primaire républicaine, qui avait pensé que 1982 ferait une bonne date pour le Jugement dernier (le même affirma plus tard que l’ouragan Katrina était une punition divine contre les avortements aux Etats-Unis ou que le séisme de 2010 à Haïti était une conséquence du pacte avec le diable passé par la population de ce pays pour se défaire des colonialistes français : il est plus facile de faire, a posteriori, une interprétation divine d’une catastrophe que de prédire cette dernière) ;
  • Elizabeth Clare Prophet (la plus ou moins bien nommée), qui avait prédit une guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’URSS dans les années 1980, guerre qui n’a apparemment pas eu lieu (plus de 2 000 de ses fidèles s’étaient néanmoins préparés à cette éventualité et rassemblés pendant des jours dans des abris anti-atomiques) ;
  • Lee Jang-rim, un pasteur sud-coréen qui annonça le retour de Jésus (et donc la fin des temps) pour le 28 octobre 1992, une prédiction qui poussa des centaines voire des milliers de personnes à quitter leurs emplois, vendre tous leurs biens… pour en faire don au pasteur qui termina son parcours sur la case prison ;
  • Credonia Mwerinde, une ancienne prostituée ougandaise devenue grande prêtresse du Mouvement pour la restauration des dix commandements de Dieu, qui expliqua aux membres de sa secte que ce monde s’arrêterait, tout comme les ordinateurs, avec le passage à l’an 2000 et disparut de la circulation avec l’argent des gogos dont plusieurs centaines  furent assassinés dans cette histoire ;
  • Harold Camping, un Américain spécialisé dans la relecture numérologique de la Bible, qui a donné plusieurs dates pour le rappel massif à Dieu de tous les bons chrétiens, mais s’est jusqu’ici toujours trompé dans ses comptes.

La liste retenue pour ces IgNobel n’est sans doute pas exhaustive. Si jamais nous survivons à ce 11/11/11, il y aura, l’année prochaine un 12/12/12 et aussi, quelques jours après, la fin supposée d’un cycle dans le calendrier maya, elle aussi associée à l’apocalypse. Dommage que, à l’exception de ce qui se pratique dans certaines entreprises, il n’existe pas de treizième mois. Avec toutes les superstitions qui entourent le nombre 13, la date du 13/13/13 aurait sans doute battu des records de bêtise.

Pierre Barthélémy

lire le billet