H1N1pdm : Des certitudes gouvernementales en béton

Que nous dirons de plus les futures enquêtes parlementaires ?

Il y a quelques jours Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, était au micro de Radio J. Interrogé sur le coût de la politique gouvernementale de lutte contre la récente vague pandémique grippale il a eu cette formule : « On n’en fait jamais assez s’agissant de la sécurité, de la santé de nos concitoyens ». Et M. Hortefeux de poursuivre dans la même veine. L’OMS ayant « alerté sur un risque de pandémie majeure », les pouvoirs publics français « ont agi de façon légitime ». Ou encore : dans un tel domaine  il n’y a « pas de précaution a minima, la protection doit être absolue ». On imagine les quelques théoriciens médiatiques du principe de précaution affûter en chambre leurs  griffes et leur plumes… De même que les enseignants de Sciences Po, de l’EHESP ou de l’ENA. Dissertations de rêve ; voyons jeunes gens ne « jamais en faire assez » veut-il dire que l’on ne saurait « trop en faire » ? Et comment imaginer (comment qualifier ?)  des pouvoirs publics français qui n’agiraient pas de façon « légitime » ?

Il y a quelques jours le Pr Didier Houssin prenait la parole. Il le faisait  dans les colonnes d’un ancien quotidien d’extrême-gauche. Ancien chirurgien digestif  le Pr Houssin  est aujourd’hui directeur général de la santé. Il est aussi délégué interministériel en charge des luttes contre les pandémies. L’homme est talentueux autant que réservé ; plus que prudent. Des caractéristiques que réclament de telles fonctions ; du moins si l’on veut les exercer durablement. Le quotidien explique en préambule que son interlocuteur s’est fait violence pour parler au grand jour ; qu’il ne le fait qu’après avoir reçu l’aval de sa ministre de tutelle (Roselyne Bachelot, ministre de la santé) ; qu’en coulisse il se dit blessé par certaines polémiques mais qu’il se refusera « à parler des dissensions avec la ministre ou avec son cabinet ». De l’art, en somme, de dire beaucoup sans jamais véritablement parler.

L’homme se dit partagé. « D’un côté, quitte à vous surprendre, j’arrive à la conclusion que notre action a été couronnée de succès. Par rapport à ce que l’on pouvait craindre, il n’y a eu à ce stade qu’autour de 300 décès. Et nous avons passé le premier cap sans catastrophe, explique-t-il. Mais c’est vrai qu’en écoutant les commentaires et les analyses ici ou là, on peut avoir un sentiment mitigé. On nous rétorque aussi que l’on a eu de la chance. Cela étant, pourquoi n’est-ce pas un succès sur toute la ligne ? Nous allons y travailler. Il va y avoir les enquêtes parlementaires, et d’autres travaux pour identifier les raisons. Il n’empêche, mon sentiment reste que, face à un événement qui avait un potentiel dramatique, le résultat qui compte le plus, la santé des Français, est plutôt bon. »

Des enquêtes parlementaires à venir, certes, mais déjà la certitude d’avoir agi comme il le fallait. « Qu’avons nous tenté de faire ? Au début, notre objectif a été d’essayer de retarder au maximum l’avancée de l’épidémie. D’où les mesures dites barrières, mais aussi les traitements antiviraux, puis les fermetures de classe, rappelle-t-il. Ces mesures, prises dès le mois de mai, ont cherché à limiter l’impact sanitaire et à gagner du temps. Quelle a été leur efficacité ? Ce n’est pas facile d’y répondre, mais la première vague pandémique est survenue tard en France et il me parait donc hasardeux d’affirmer que ces mesures ont été inefficaces. Puis, il y eu une seconde phase avec la vaccination. »

Précisément la vaccination. Echec et mea culpa ? Que nenni ! « Au début, la crainte portait sur la sécurité des vaccins. On a vu qu’ils étaient sûrs. La question de la couverture vaccinale focalise maintenant l’attention. Echec ou succès? Avant d’y répondre, reprenons le fil de l’histoire. D’abord, n’oublions pas qu’avant 2009, l’hypothèse que l’on puisse disposer d’un vaccin avant la première vague pandémique était jugée quasi-nulle. C’est pour cela que l’on avait mis l’accent sur les masques et les antiviraux, se souvient le Pr Houssin. De fait, nous avons aussi eu de la chance : que le virus ait émergé en mars-avril, donc près de cinq mois avant l’automne ; qu’il ait surgi dans des pays qui ont sans délai alerté l’OMS, puis réalisé le séquençage du virus ; que les 35 fabricants de vaccin dans le monde aient reçu très vite de l’OMS les souches semences. »

Et ensuite ? « On savait qu’il fallait autour de 4 mois pour produire les vaccins, et c’est ce qui s’est passé. Des années de travail d’anticipation et la mobilisation durant l’été ont permis que l’on dispose de vaccins avec autorisation d’utilisation dès la fin du mois de septembre. Et on a donc pu proposer la vaccination un peu avant le pic. C’était une chance inattendue (…) Je constate que la couverture vaccinale n’est pas meilleure en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne, en Italie, au Danemark. Elle est du même ordre, un peu moins de 10%. La France n’a pas le taux de couverture le plus bas. Les britanniques n’ont vacciné que 4,5 millions de personnes. Aux Etats-Unis, le taux de couverture n’est connu que par sondage. Il semble variable selon les Etats et serait autour de 15%. Bref, on a le sentiment que, dans la plupart des pays, la couverture a été plutôt basse. Mais avec des exceptions : le Canada, et la Suède, la Norvège, à un moindre degré la Hongrie. »

Fallait-il décider manu militari de tenter de vacciner la quasi-totalité de la population française ? « Dès début mai, il est apparu, du point de vue sanitaire et éthique, qu’il fallait être en position de pouvoir le faire et qu’il y aurait nécessairement un ordre de priorité. Qui vacciner en priorité ? Au passage, ce fut une surprise de noter qu’il n’y a pas eu de polémique sur l’ordre de priorité retenu pour les populations à vacciner. La polémique a porté après coup sur un autre aspect : pouvoir ou ne pas pouvoir proposer la vaccination à toute la population (…) Evidemment, il y a des leçons à tirer. La question des médecins généralistes, de l’organisation des soins primaires est importante. Et comment parler en 2010 de la vaccination ? Et comment faire avec Internet ? Pour autant, je ne suis pas sur que si c’était à refaire, nous referions les choses très différemment.

La suite ? « Il serait aussi dangereux de croire que la pandémie est vaincue, que de se dire que la prochaine ne sera pas plus grave. Il faut éviter l’euphorie comme la démobilisation. Dans le cas présent, face au virus de la grippe A/H1N1, le niveau d’immunisation de la population est sans doute assez haut et la probabilité d’une nouvelle vague est jugée faible. Mais, en même temps, ce virus ne va sûrement pas disparaître. Il peut aussi changer. Comment va-t-il réapparaître ? Seul ? Va-t-il devenir notre prochain virus grippal saisonnier? Ou s’associer à d’autres? Nous n’en savons encore rien. Il vaut mieux se méfier. »Méfions-nous, donc.

Dans quelques semaines -quelques mois tout au plus- sonnera l’heure des enquêtes parlementaires. Qu’en attendre ? Rien ou presque. Sauf peut-être à découvrir enfin qui –et sur quelles bases- a véritablement pris la décision politique d’acquérir de quoi vacciner la population française dans son ensemble alors que de nombreux experts assuraient qu’une couverture vaccinale d’environ 30% suffirait à bloquer la circulation virale au sein de cette même population…

Faute de quoi, à l’évidence Brice Hortefeux et Didier Houssin reproduiront des propos à l’identique. Roselyne Bachelot fera de même ainsi, le cas échéant, que le chef du gouvernement. Quant au président de la République il a d’ores et déjà pris la défense de la stratégie anti-pandémique de ses troupes. Une telle stratégie n’a certes rien d’ « illégitime ». Un citoyen qui ne serait nullement un militant du parti au pouvoir pourrait même soutenir qu’elle a sa cohérence. Mais encore : comment tirer au mieux les leçons démocratiques et sanitaires de ce que nous venons de vivre ; ce que nous/ d’autres vivront un jour prochain ?

Jean-Yves Nau

«  Danger » ou « bonne occasion » ?

Comme le dit l’économiste Joseph Stiglitz à la page 467 de son ouvrage « Le triomphe de la cupidité » (éditions Les Liens qui Libèrent, 22€) : « les caractères du mot chinois qui veut dire crise signifient « danger » et « bonne occasion » ». Le prix Nobel parlait certes d’une autre pandémie, la crise financière mondiale, que nous avions évoquée en d’autres moments (7 octobre 2008). Mais cette crise sanitaire est certainement une bonne occasion de revisiter les idées reçues que les uns et les autres avaient de l’épidémiologie de la grippe, de la gestion d’une crise mondiale, de la notion d’alerte, de la surveillance sanitaire, des choix et stratégies vaccinales. Les autorités de santé, les experts, les producteurs de vaccins et d’antiviraux aujourd’hui, grâce notamment aux commissions d’enquêtes qui se mettent en place, sont contraints à cet arrêt sur image, à ce retour d’expérience. On n’a pas fini de réfléchir à la première pandémie du vingt-et-unième siècle, et c’est tant mieux si l’on peut saisir cette occasion pour tenter d’accumuler les fruits d’une expérience qui serait profitable pour la prochaine crise qui ne manquera évidemment pas d’arriver. Nos esprits bloqués peuvent avoir du mal à ce retour sur nous-mêmes, à cet examen de conscience, parfois à cette autocritique un peu douloureuse. Lorsque nos esprits s’ouvrent, au contraire, ils revendiquent alors un droit à l’erreur, ils acceptent ce droit d’inventaire sans concession, et se nourrissent des leçons retenues pour la prochaine fois… qui ne sera évidemment pas identique à cette pandémie partie du Mexique en avril 2009.

Quand le Ministre de l’Intérieur déclare qu’ « on n’en fait jamais assez pour la santé des concitoyens », n’est-ce pas le contrat tacite que les Français ont passé avec lui ? Que lui répondre ? Que ce n’est pas exact, qu’on accepte bien de contempler les épidémies de grippe saisonnière depuis des décennies, plus tueuses que cette grippe pandémique sans faire tant de bruit ni prendre tant de mesures ? Que l’on se contente de contempler 12 000 suicides par an et 7 ou 10 fois plus de tentatives sans prendre le problème véritablement à bras le corps (« un incident voyageur retarde temporairement la rame, veuillez nous excuser pour le retard occasionné »). Que l’on continue à enregistrer les dégâts du tabac, de l’alcool et des drogues sans mettre en œuvre des politiques réellement efficaces de prévention ? Que l’épidémie d’obésité est annoncée aussi par de nombreux experts, sans que le tocsin qu’ils sonnent ne rameute les foules ni les forces militaires dans des centres municipaux dédiés ? Certes, la santé publique est encore un parent pauvre de nos systèmes de santé, tous confondus, surtout quand ses dégâts sont au fil de l’eau, à peine perceptibles, non médiatiques. Une excellente analyse portant sur la prévention (« Vaut-il toujours mieux prévenir que guérir », à paraître en ligne le 16 mars 2010, centre d’analyse stratégique, gratuit en ligne) revisite l’idée a priori d’une efficience médico-économique automatique de la prévention. Ne seraient efficaces et rentables sur le plan économique que certaines mesures de préventions, et encore, lorsqu’elles sont ciblées sur les populations à risque. Donc même en ce domaine, il est plus rapide de jeter l’anathème que de proposer des mesures dont l’efficacité attendue serait indiscutable.

Le problème avec la grippe H1N1pdm est que nous avions affaire à une terreur collective, celle d’une pandémie due à un agent viral nouveau, grippal certes, mais nouveau, et appelé « pandémique », c’est-à-dire doté d’une force de propagation mondiale. Le catalogue des pandémies de grippe était peu fourni (trois dans le siècle précédent) et la première, la grippe espagnole, au bilan catastrophique, était survenue avant même que le virus grippal ne fut identifié par les hommes, avant l’ère de la virologie, discipline du vingtième siècle. Pas de quoi rassurer la classe politique aux commandes à l’heure de la résurgence de la souche (de même nom) de la première pandémie du nouveau siècle. Non, on peut retourner les choses dans tous les sens, le Ministre de l’Intérieur a probablement agi comme on aurait pu l’attendre de tout ministre de l’Intérieur, mais ce n’est probablement pas à l’épidémiologiste ni au journaliste de juger ces choses, de donner des satisfecits ou des blâmes, il y a des commissions ad hoc pour faire ce job.

Dans le discours du Directeur Général de la Santé, il y a un point qui méritera d’être creusé dans les mois qui viennent, c’est de comprendre pourquoi le Canada, la Suède, la Norvège et la Hongrie ont obtenu des taux de couverture vaccinale supérieurs à ceux des autres pays développés, dont notamment la France. La souche n’y était pas plus virulente. Alors – et nous travaillons sur cette question – quels sont les éléments qui pourraient expliquer ces différences ? C’est important, parce que si il devenait nécessaire un jour de vacciner rapidement une grande proportion de la population, il faudrait peut-être tirer les leçons de nos échecs de 2009. Nous n’avons sans doute pas échoué bien davantage que la plupart de nos voisins, mais nous avons échoué clairement à vacciner nos populations. Ce ne fut pas un manque de moyens. Ce ne fut pas un manque de préparation. Ce ne fut pas un manque d’information. Mais alors, ce fut quoi ? Quel est le dénominateur commun à tous les  pays qui ont échoué ? Et quel est le dénominateur de ceux qui ont mieux réussi ? Posons ces questions sans a priori, sans dogme, sans idéologie. Voilà ce que nous enseigne l’idéogramme chinois : c’est une « bonne occasion », sachons la saisir !

Antoine Flahault

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H1N1pdm : Veillées d’armes à Paris et Genève

Veillées d’armes à Paris et Genève

Cette pandémie grippale n’a pas échappé à une règle non écrite : celle qui veut que les grands phénomènes renvoient à l’usage itératif de métaphores guerrières. Filant ces dernières on pourrait aujourd’hui évoquer le concept de veillées d’armes.

Acte I. Paris tout d’abord. En deux points hautement stratégiques de la capitale on se prépare à enquêter ; ce qui, en démocratie, peut parfois se traduire par en découdre. Au Sénat tout d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite. Dans chacun de ces deux palais de la République française une commission d’enquête va bientôt être constituée qui vont passer à la question les responsables de la campagne nationale de vaccination contre le H1N1pdm.

Une fois n’est pas coutume, depuis les splendeurs aujourd’hui givrées du jardin du Luxembourg ce sont les sénateurs qui ont les premiers ouvert le feu. Ainsi, sur proposition du groupe communiste et parti de gauche, le Sénat a donc décidé, jeudi, la création d’une commission d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A(H1N1) ». Les adversaires (pour ne pas parler des deux coupables) sont d’ores et déjà bien ciblés. Avant même l’ouverture des hostilités le Dr François Autain, rapporteur de cette commission dénonce « une surévaluation des risques et une dramatisation ». Il entend dès lors  concentrer ses feux sur « le fait que ceux qui conseillent les laboratoires sont souvent ceux qui conseillent les gouvernements ». Airs de fifre connus. « Nos travaux, menace-t-il, devraient donc porter essentiellement sur ces liens incestueux qui expliquent la situation dans laquelle nous sommes : la France a le plus grand gap entre le taux de vaccinés (7 % de la population) et le nombre des doses commandées (94 millions) ». La désignation des membres de cette commission sénatoriale devrait être votée en séance le mercredi 17 février.

Quelques hectomètres en aval de la rive gauche de la Seine, à l’Assemblée nationale, c’est un autre médecin élu (le Dr Jean-Luc Préel ; Nouveau Centre) qui est « rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur « la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne contre la grippe A(H1N1) ». » Ici la focale est élargie. Le Dr Préel : « il convient de s’interroger sur les méthodes qui ont conduit à un échec, avec seulement 5 700 000 Français vaccinés ». Ce vice-président de la commission des Affaires sociales souhaite « mettre l’accent sur la mise à l’écart des généralistes, au profit de dispositifs collectifs, ainsi que sur les modalités des réquisitions dont ils ont fait l’objet ». Le vote en séance pour la mise en place de la commission est fixé au 24 février auditionnera pendant six mois les principaux responsables du plan de vaccination, ainsi que les experts et les dirigeants de l’OMS.

Ce Blog, autant que faire ce peut, se fera au plus vite et au plus juste le fidèle écho de ces enquêtes et des affrontements sans précédents auxquels elles devraient donner lieu.  

Acte II. Genève ensuite, où à l’inverse il semble que l’on prépare l’armistice. La direction générale de l’OMS vient de faire savoir urbi et orbi qu’elle allait sous peu réunir un conclave baptisé  « comité d’urgence ». Objectif : demander aux devins dénommés experts si la vague maligne est bien sur le recul. Ou, pour parler comme le Dr Keiji Fukuda, responsable des  pandémies de grippe sur les rives du Lac Léman, si « le pic de la pandémie grippale H1N1 est passé ».

« L’OMS va demander à son comité d’urgence de se réunir à la fin du mois pour fournir à l’OMS un avis sur le fait de savoir si nous entrons dans une période d’après pic, a tenu à déclarer le Dr Fukuda lors d’une téléconférence comme toujours planétaire. Nous espérons que nous entrons dans cette phase, qui signifie que le pire est passé et que l’on se dirige progressivement vers une situation plus comparable à celle de la grippe saisonnière.» Le faux calme habituel après une tempête mois grave qu’annoncée ?

La réunion du conclave annonçant la fin des hostilités (comme toujours composé d’experts-prélats chargés de fournir des recommandations à l’OMS)  pourrait se tenir « dans la dernière semaine du mois de février » ; à la veille des Ides de mars. Attention : le Dr Fukuda a prévenu le monde que cette phase de « transition » ne signifiait pas pour autant que la pandémie  était terminée. Car si l’activité du H1N1pdm  est depuis quelques semaines en déclin dans l’hémisphère Nord les sentinelles de l’OMS a constaté son apparition dans des régions où il n’était pas présent jusqu’alors, et notamment en Afrique de l’Ouest et tout particulièrement au Sénégal. Alors, armistice ou pas ?

Acte III. Depuis Washington l’agence de presse Reuters nous mande la dépêche suivante : « La grippe A (H1N1) a peut-être tué 17.000 personnes aux Etats-Unis, dont 1.800 enfants, viennent d’annoncer les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Les CDC et l’OMS ont cessé, il y a de cela plusieurs mois, d’essayer de compter tous les cas effectifs.  L’OMS et le CDC estiment qu’il n’y a pas assez de tests à administrer pour vérifier que toutes les personnes souffrant de symptômes liés à la grippe  A souffraient bien de la maladie. C’est pourquoi les CDC effectuent leurs propres estimations à
partir de modèles recoupant plusieurs sources d’information. La pandémie a conduit à l’hôpital autant de personnes que durant la période de grippe saisonnière, mais la plupart étaient plus jeunes. En outre, cela a eu lieu lors de mois où il n’y a en principe pas de grippe.
Les CDC estiment entre 41 et 84 millions le nombre de cas de grippe H1N1pdm survenus aux Etats-Unis entre avril 2009 et le 16 janvier 2010. Durant cette période, entre 8.330 et 17.160 personnes sont mortes des suites de cette infection virale ; la fourchette moyenne  étant à 12.000.  Entre 880 et 1.800 enfants sont décédés, jusqu’à 13.000 adultes de moins de 65 ans et entre 1.000 et 2.000 personnes
plus âgées. En temps normal, les CDC estiment que 36.000 Américains meurent chaque année des suites de la grippe dont 90% ont plus de 65 ans. »

Jean-Yves Nau

USA, crash de 30 jumbos remplis de grippés : aucun survivant.

Avec les enquêtes en gestation, les questions de conflits d’intérêts devraient bientôt être mises à plat. Et ce sera probablement utile. Un conflit d’intérêt pose un sérieux problème lorsqu’il n’est pas dévoilé par l’expert dès lors qu’une institution légitimée pour le faire le lui demande. Ensuite, d’autres types de questions se posent, qui  ne sont bien souvent plus véritablement  du ressort de l’expert. Quand doit-on demander à un expert ses conflits d’intérêt (en dehors des cénacles habituels) ? Lors d’une interview radiophonique ou télévisée ? Pour un « journal papier » ou   sur un blog? Qui est légitime pour demander les conflits d’intérêt de l’autre ? Nous sommes régulièrement harangués à ce sujet par des blogueurs souvent anonymes qui n’envisagent pas un instant – eux – de déclarer s’ils  ont – ou pas- de tels conflits !

Que fait-on des déclarations de conflits d’intérêts ? A partir de quel moment, juge-t-on qu’elles disqualifient les propos de l’expert ? Où va-t-on dans la déclaration de ses conflits d’intérêts : jusqu’aux liens familiaux ? Et qu’appelle-t-on « la famille », jusqu’où peut-on aller sans violer la vie privée des personnes ? Et puis, se posent des questions plus philosophiques (d’aucuns prétendront qu’elles sont posées pour détourner l’attention vis-à-vis de l’essentiel) : les conflits d’intérêts ne sont-ils que des conflits mettant en jeu des rapports d’argent qu’entretient l’expert ? Qu’en est-il des rapports concernant le sexe, le pouvoir, l’honneur ? Nous ne vivons pas dans un monde aussi simpliste qu’on voudrait parfois le croire.

Les décomptes des conséquences des infections par le H1N1pdm commencent à se consolider. On apprend que la « grippette » de certains a causé plus de morts que ceux initialement rapportés. Cela fera-t-il un deuxième scandale après celui de la « pandémie inventée » ? Irons-nous vers le procès de la veille sanitaire, après celui de l’expertise sanitaire ? Ce n’est pas sûr, car le taquet qui protège d’un tel scandale est fourni par les prévisions dites « alarmistes » des experts, c’est-à-dire le plus souvent par les chiffres de la mortalité saisonnière de grippe. Tant que la mortalité par grippe H1N1pdm ne dépassera pas quantitativement celle atteinte par la grippe saisonnière de moyenne virulence , le profane se dira qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Même 17 000 morts « pandémiques » en comparaison des 36 000 morts « saisonnières » (en moyenne)  aux USA ne feront pas pleurer dans les chaumières. Et ce, alors même que l’analyse est rapide, encore peu étayée.

Outre-Atlantique nous avons en effet d’une part cette moyenne saisonnière de 36 000 décès attribués à la grippe et survenus pour l’immense majorité d’entre eux chez des personnes très âgées, le plus souvent très malades de surcroît. Ces décès sont même rarement identifiés par les médecins comme étant dus à la grippe : ce sont des « morts en excès » statistiquement identifiés sur les courbes de mortalité, mais jamais identifiés individuellement. Ces personnes  sont décédées en pleine vague de grippe sans que l’on sache très bien d’ailleurs le lien de cause à effet entre la grippe et la mort ; sans que l’on sache même si ces personnes avaient seulement été infectées avant leur décès par le virus de la grippe saisonnière.

Et nous avons d’autre part  entre 8 000 et 17 000 morts prématurées attribuées au H1N1pdm, survenues dans l’immense majorité chez des moins de 60 ans, dans une proportion non négligeable chez des jeunes en bonne santé, parfois chez des personnes dont on sait qu’elles souffraient d’un diabète ou d’un asthme (des maladies rarement mortelle en cas de grippe). Il s’agissait aussi parfois de femmes enceintes. Nous savons en outre  qu’il y a eu par centaine de milliers (aux USA) des hospitalisations lors de cette épidémie, dans des tranches d’âge jamais observées auparavant avec une telle fréquence. Des hospitalisations souvent dans des services réanimation, parfois dans des conditions acrobatiques, avec un traitement complexe (autant que coûteux) par ECMO (machine permettant l’oxygénation de l’organisme par membrane extracorporelle).

Alors quelle est la vraie question aujourd’hui ?  Probablement pas celle de savoir si « le » pic est derrière nous : oui, clairement, « un » pic est derrière nous. Plutôt celle de savoir ce que nous réservera le H1N1pdm durant les prochains hivers. Seront-ils à l’image de celui que nous venons de connaître ?  Une fois les polémiques dépassées, ne finirons-nous pas par  trouver ces hivers  un peu longs… sans vaccin ? Une dernière question : combien d’équivalents de jumbo-jets ayant fait le plein de passagers faudra-t-il  voir s’écraser sous nos yeux (en fin d’hiver) pour enfin se décider à réagir, à faire en sorte que plus de 9% de la population demande à (et puisse) être vaccinée pour éviter des milliers de morts prématurées ?

Antoine Flahault

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