Même sans illusion, il fallait essayer… Après l’embrasement médiatique provoqué par la publication de l’expérience de Gilles-Eric Séralini, le 19 septembre 2012, les avis donnés par les agences de sécurité sanitaire et les prises de position des académies, comme celles de multiples pétitionnaires, comment ne pas tenter une confrontation ? Rassembler les protagonistes sur un même plateau pour un débat sur France Culture, ce n’était que la suite logique de deux mois d’affrontements indirects.
Le résultat, vendredi 16 novembre entre 14 et 15 heures dans Science Publique, n’a pas dérogé à la règle qui prédomine, en France, depuis la conférence de citoyens sur “l’utilisation des OGM dans l’agriculture et l’alimentation”, précédée par le rapport de Jean-Yves Le Déaut, qui date de… juin 1998. Ni le “débat public sur les OGM” de l’an 2000, ni le débat public sur “les OGM et les essais en champ” de 2002, n’ont changé la donne. Un dialogue dépassionné reste impossible. Pourtant, et l’émission d’aujourd’hui le confirme, une porte de sortie par le haut existe. Mais aucun des deux camps n’est prêt à faire les concessions nécessaires pour la franchir sereinement. Pour cela, il faudrait réunir trois conditions.
Rationnellement, il est difficile d’admettre que les tumeurs révélées par l’expérience sur des rats pendant 2 ans menée par Gilles-Eric Séralini soient une preuve scientifiquement indiscutable de la dangerosité pour la santé humaine de l’OGM NK603 et du Roundup de Monsanto. Néanmoins, l’opération médiatique réalisée par le biologiste, malgré le regrettable dérapage du Nouvel Observateur titrant “Oui, les OGM sont des poisons”, est une réussite. Incontestable elle. Avec le CRIIGEN et un budget de 3,2 millions d’euros, Gilles-Eric Séralini a atteint ce qui, à l’évidence, était son principal objectif : révéler les failles des procédures actuelles d’évaluation des OGM. Celles-ci sont, au moins, au nombre de trois :
– Pas d’essais à long terme (2 ans, soit la vie entière des rats)
– Pas d’indépendance des laboratoires réalisant les essais limités à 90 jours
– Pas de transparence dans la publication des résultats de ces essais
Qu’il s’agisse de la Commission du génie biomoléculaire CGB), créée en 1986, de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), créée en 1999, de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) créée en 2002 ou de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement du travail (Anses), créée en 2010 par la fusion de l’AFSSA et de l’AFSSET, aucun de ces multiples organismes n’est parvenu à imposer des règles palliant ces trois défauts.
Les acteurs d’aujourd’hui, Gilles-Eric Séralini ou de Gérard Pascal, ancien directeur scientifique de l’INRA, ont contribué aux travaux de ces plusieurs de ces institutions. Des débats houleux s’y sont déroulés. Mais ils n’ont jamais abouti à l’établissement de normes d’essais satisfaisantes. D’un coté, parfois, leurs avis ont été balayés pour des raisons politiques. L’influence des partis écologistes a conduit à des interdictions d’OGM en France contre l’avis de la CGB, par exemple. De l’autre, l’influence des industriels, Monsanto en tête, même si elle est beaucoup moins apparente, n’en est pas moins certaine.
D’où un blocage total qui a conduit à la situation actuelle. Les scientifiques luttent contre le rejet irrationnel des écologistes qui les poussent à avoir tendance à minimiser les risques. Les opposants aux OGM exploitent cette tendance pour démontrer que les experts ne sont pas indépendants et qu’ils agissent pour le compte des industriels. Chacun s’enferme dans une position caricaturale. Les attaques personnelles fusent et bloquent la possibilité d’un débat serein et rationnel. Toute remise en cause des procédures se traduit par une accusation ad hominem.
Dès le 19 septembre, dans la précipitation qui a suivi la publication de l’expérience Séralini, trois ministères (écologie, santé, agriculture) ont fait la déclaration suivante : “ Le Gouvernement demande aux autorités européennes de renforcer dans les meilleurs délais et de façon significative l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux”. Si elle a pu sembler bien prématurée ce jour là et si l’avis de l’ANSES a invalidé, ensuite, l’expérience Séralini, cette réaction apparaît aujourd’hui comme, paradoxalement, judicieuse mais insuffisante.
Judicieuse parce que les différentes conclusions de l’affaire, dans les deux camps, convergent effectivement vers une remise en cause de l’évaluation des OGM. Insuffisante parce que l’amélioration qui apparaît indispensable doit être nettement plus que significative. Radicale serait un terme plus juste. De plus, les autorités européennes ne sont pas seules concernées. La France l’est aussi. Et elle pourrait même jouer un rôle moteur dans cette révision en profondeur de l’évaluation des OGM.
Ce n’est pas le moindre des résultats de l”affaire Séralini que de faire poindre un consensus entre les deux camps. Qu’il s’agisse de l’Anses dans son avis sur l’expérience, du HCB ou d’une personnalité comme Gérard Pascal, tout le monde admet que l’absence d’études à long terme probante n’est pas acceptable. Les hommes consomment des OGM pendant toute leur vie. Pourquoi les expériences sur les rats se limiteraient à trois mois, soit le huitième de leur durée de vie ?
Si un accord existe sur ce point, il reste à établir des procédures permettant d’apporter une réponse à la question, tout en garantissant l’indépendance des études. L’Anses semble l’organisme le mieux placé pour prendre en charge ces études. Il dispose des laboratoires nécessaires. Il ne lui manque que le financement. Or, la règle actuelle veut que ce soient les industriels qui financent ces études. Aujourd’hui, ce sont eux qui pilotent les expériences et choisissent soit de les réaliser dans leurs propres laboratoires, soit de les confier à des laboratoires privés. Il suffit donc que les industriels donnent ce même argent à l’Anses… Cela paraît presque trop simple. En fait, une difficulté subsiste.
L’étude de Gilles-Eric Séralini a coûté 3,2 millions d’euros. Pour qu’elle soit scientifiquement recevable, il aurait fallu multiplier le nombre de rats par 5, voire par 7 ou 8. Cela porterait le coût de l’étude à environ 10 millions d’euros. Le résultat permettrait d’évaluer l’impact d’une variété de mais transgénique, le NK603, et d’un insecticide, le Roundup. Mais il existe des dizaines de variétés de plantes génétiquement modifiées. Faut-il les évaluer toutes de la même façon ? Certaines études sur une variété donnent-elles des informations valables sur les autres ? Comment réduire le coût de ces études à des sommes acceptables ? C’est la question que posent certains scientifiques plutôt pro-OGM. Et ce sont aux scientifiques d’apporter une réponse.
Cette interrogation sur la viabilité économique des études d’évaluation des OGM ne concerne néanmoins pas la société elle-même. Ce n’est un problème que pour ceux qui devront financer les études, c’est à dire les industriels… Si le financement des études déclarées nécessaires par les scientifiques s’avère trop élevé pour que les OGM restent économiquement rentables, cela signifiera simplement que ces produits sont inadaptés à la commercialisation.
Dans les coulisses de Science Publique, après l’émission, l’un des invités admettait que l’intérêt des OGM pour la société n’est pas clairement établi. Les perspectives affichées par les semenciers telles que la culture sous des climats difficiles, avec des quantités d’eau réduite ou de mauvaise qualité (saumâtres) sont restées à l’état de… perspectives et de promesses pour le futur. Idem pour le discours sur le fait de pouvoir nourrir 9 milliards d’habitants. Pour l’instant, les OGM rapportent… de l’argent aux industriels. C’est la seule certitude. Les gains sur les rendements et sur l’économie des exploitations agricoles sont largement contestés.
Ainsi, aujourd’hui, la réponse à la question simple : Avons-nous vraiment besoin des OGM ? est clairement : Non, pas vraiment. Pour les accepter, le moins que l’on puisse attendre est d’obtenir une raisonnable certitude de leur absence d’effets néfastes sur la santé humaine. Si l’établissement de cette preuve revient trop cher, tant pis. Nous nous passerons des OGM. Et le débat sera, enfin, clôt.
Michel Alberganti
(Ré)écoutez l’émission Science Publique que j’ai animée le 16 novembre 2012 sur France Culture :
Après la publication par le Nouvel Observateur d’un titre alarmiste le 19 septembre, l’étude réalisée par Gilles Eric Séralini sur des rats alimentés avec des OGM et de l’insecticide a fait grand bruit. Finalement, les experts ont invalidé ces résultats. Mais le doute est désormais jeté sur l’ensemble des études réalisées sur les OGM. Comment la science sort de cette manipulation ? …
Invités :
Gérard Pascal, ancien directeur scientifique à l’INRA et expert en sécurité sanitaire des aliments à l’OMS
Jean-Christophe Pagès, professeur et praticien hospitalier à la Faculté de médecine de Tours et président du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies
Gilles-Eric Séralini, professeur de Biologie Moléculaire Université de Caen – Laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire
Joël Spiroux de Vendomois, président du Comité de Recherche et d’Information Indépendant sur le Génie Génétique, le CRIIGEN
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On n’attendait plus qu’eux pour savoir à quoi s’en tenir sur les spectaculaires conclusions de l’expérience hautement médiatisée menée, sous la direction du Pr Gilles-Eric Séralini, sur des rats nourris avec un maïs génétiquement modifié de Monsanto et l’herbicide RoundUp de Monsanto.
Le 19 septembre, soit le jour même où cette étude était publiée dans une revue scientifique et relayée par le Nouvel Observateur, le gouvernement avait curieusement saisi en urgence l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Haut conseil des biotechnologies (HCB). Avec cette saisine, il s’agissait, en substance, pour les trois ministres directement concernés (Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, Delphine Batho), de savoir à quoi s’en tenir sur un sujet hautement controversé. Plus d’un mois plus tard, ce lundi 22 octobre, ces deux institutions ont rendu leurs conclusions.
Michel Alberganti et Jean-Yves Nau
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Le nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, “Les moissons du futur” a été diffusé ce soir, 16 octobre 2012, par Arte. En 2008, la journaliste avait défrayé la chronique avec son film précédent, “Le monde selon Monsanto“, enquête à charge mais remarquablement documentée sur la multinationale des semences, en particulier OGM, et des pesticides comme le Roundup. On s’attendait donc à une nouvelle bombe. Ce fut plutôt un pschitt… Pourquoi une telle déception ? Pourquoi Marie-Monique Robin s’est-elle enlisée dans un sujet qu’elle maîtrise pourtant fort bien, dont l’enjeu est planétaire et qui est d’une actualité brûlante avec l’affaire de l’étude Séralini ?
Il semble que la journaliste soit désormais victime d’une proximité avec son sujet telle qu’elle en oublie la mise en perspective. Avec ce nouveau documentaire, elle veut répondre à une critique, adressée sur le plateau de Mots Croisés, l’émission d’Yves Calvi sur France 2, début 2011. L’agriculture dite biologique, ou plutôt l’agroécologie, ne serait pas en mesure de nourrir la planète, selon le ministre de l’agriculture de l’époque, Bruno Le Maire, grand spécialiste du travail de la terre, et Jean-René Buisson, président de l’association nationale de l’industrie agroalimentaire, digne représentant… de l’industrie. Tous deux affirment alors que les pesticides sont incontournables. Le sang de Marie-Monique ne fait qu’un tour. Et la voilà partie, avec cameraman et preneur de son, pour un nouveau… tour du monde. Amérique du Sud, Afrique, Etats-Unis, Allemagne, Japon… Elle rencontre des fermiers qui nous démontrent, grâce à leurs années d’expérience, que l’agroécologie permet d’obtenir des rendements souvent égaux à ceux de l’agriculture issue de la révolution verte, celle qui utilise massivement engrais chimiques et pesticides pour faire pousser des plantes hybrides ou transgéniques.
Tout ces portraits et ces témoignages sont convaincants et enthousiasmants. Un peu longs aussi, et redondants. Plus de 90 minutes de documentaire, même sur Arte, c’est assez éprouvant. Mais il s’agit d’une véritable découverte pour un citadin. On apprend comment la culture simultanée de plusieurs plantes peut résoudre les problèmes d’herbes nuisibles et de ravageurs. Comment le maïs peut servir de tuteur à des haricots. Comment on enrichit le sol en azote en enfouissant des branchages au pied des plans cultivés. Comment on peut semer sans labourer. Comment un paysan japonais peut vivre en totale autonomie, énergie comprise (d’où vient l’électricité ?), et nourrir directement une trentaine de familles. Comment des Allemands se sont convertis au bio. Comment un Américain regrette d’utiliser des pesticides au milieu de son champ de maïs tout sec (en fait simplement mûr, sans doute), alors que celui des paysans bio est tout vert. Comment les canards labourent un champ de riz avant le repiquage…
L’émerveillement est total. Marie-Monique Robin nous décrit cet Eden retrouvé où l’homme et la nature sont en parfaite symbiose. Mieux encore, car désormais l’homme comprend la nature et il est capable de recréer cette harmonie massacrée par les tracteurs, les hélicoptères d’épandage et les moissonneuses-batteuses monstrueuses. Sérieusement, le documentaire rend perceptible la magie de l’équilibre écologique. Le témoignage final d’un Français (le seul ?), l’agronome Marc Dufumier (sic) achève de convaincre que tout cela est vraiment possible. Que la planète peut se nourrir sans Monsanto. Le débat qui suit ne parvient pas à briser le rêve. L’animatrice, Emilie Aubry, a beau poser la question banco :“Mais est-ce généralisable ?”, on reste sous le charme du “push-pull” et des canards laboureurs. D’autant que le contradicteur du plateau, Willi Kampmann, directeur du Bureau de Bruxelles du Deutscher Bauernverband (?) ressemble un peu trop à un VRP de l’industrie agroalimentaire.
Et puis… Une fois le petit écran éteint, le rêve se dissipe assez rapidement. Qu’a-t-on vu ? Des agriculteurs exploitant des fermes de quelques hectares utilisant des méthodes à la fois très ingénieuses sur le plan agronomique et très rudimentaires, voire archaïques. Tout se fait à la main, ou presque. On voit des bœufs de labour… Une ferme nourrit quelques dizaines de familles… Le paysan japonais a beau calculer qu’il existe assez de surface cultivable dans son pays pour nourrir la population nippone, quelque chose ne va pas… Même si les rendements de l’agroécologie peuvent rivaliser avec ceux de l’agriculture intensive…
Ce qui ne va pas, c’est que le problème n’est pas de convertir les paysans actuels à l’agroécologie. Le problème, c’est de multiplier leur nombre par cent ou mille pour recréer des fermes de quelques hectares dont les champs ressemblent à de grands jardins. Bien sûr, il y a l’exemple de l’agriculteur allemand, converti dans les années 1970. Mais le documentaire de Marie-Monique Robin ne répond pas à la question essentielle de l’organisation humaine de la nouvelle agriculture qu’elle prône. Combien d’agriculteurs bio faut-il en France. Avec quelle taille d’exploitation pour éviter le recours aux machines polluantes ? Connait-on les solutions agroécologiques adaptées aux écosystèmes français ? Si le documentaire apporte une contestation passionnante sur l’argument du rendement, il nous laisse sur notre faim quant à la mise en oeuvre de l’Eden agricole. Pour Marie-Monique Robin, cela passe par une décision politique. Cela paraît bien court. Concrètement, comment la France, par exemple, peut-elle se convertir à l’agroécologie ? Le sujet du prochain documentaire de Marie-Monique Robin ? D’ici là, la France aura peut-être créé un institut national de la recherche agronomique qui pourra lui donner son avis sur la question…
Michel Alberganti
lire le billetLe prix Nobel de chimie 2012 est avant tout un prix Nobel de biochimie: il récompense deux chercheurs qui ont élucidé l’un des principaux mystères de la transmission moléculaire des informations à l’intérieur de chaque cellule des mammifères. A commencer par les corps humains.
Un exemple: lorsque nous buvons une tasse de café, nous percevons et ressentons dans l’instant sa robe, ses fragrances, sa suavité exotique d’arabica. Comment ce miracle matinal peut-il se produire voire se reproduire pluri-quotidiennement? Pour une large part grâce aux précieuses clés moléculaires découvertes par Robert Lefkowitz et Brian Kobilka.
L’analyse (consciente ou non) des milliers d’informations qui nous parviennent de l’extérieur (mais aussi et surtout de l’intérieur) de notre corps réclame des myriades de molécules réceptrices situées à la surface des milliards de cellules qui constituent notre organisme. Ce sont ces récepteurs qui captent les substances moléculaires circulant dans leur environnement immédiat, des hormones ou des médicaments, par exemple.
Lire la suite…
US Researcher: Nobel Prize Win a ‘Total Shock’ par AP-Tech
Nobel chemistry winner Kobilka hopes for better… par reuters
Il devait avoir lieu le lundi 8 octobre. Il a été repoussé à mardi 9 octobre. Mais les conditions météorologiques, en particulier le vent trop fort, ont conduit à un nouveau report du saut en chute libre de l’australien Felix Baumgartner d’une altitude de près de 37 km. Le sauteur fou veut franchir le mur du son avec sa seule combinaison comme protection. Après une annonce pour jeudi 11 octobre, le saut a finalement été repoussé au dimanche 14 octobre. Si le ciel est d’accord…
Daredevil Felix Baumgartner ‘disappointed’ par andfinally
Auditionné par l’Assemblée nationale mardi 9 octobre, Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude controversée sur la toxicité d’un du maïs Monsanto NK603, résistant à l’herbicide Roundup, et du Roundup lui-même, a appelé les députés à instituer une “expertise contradictoire” pour mettre fin à quinze ans de “débat stérile” sur les OGM. Le professeur ne cesse de demander une telle innovation qui ne laisse d’inquiéter sur son réalisme. Pour lui, les études devraient être soumises à deux expertises, chacune étant effectuée par l’un des deux camps. La “solution” aurait surtout pour résultat de plonger le législateur dans une perplexité encore plus grande qu’aujourd’hui. Comment départager deux expertises ouvertement militantes ? En en commanditant une troisième, indépendante ? Autant aller tout de suite à cette solution, non?
OGM : l’étude qui dérange par LCP
Michel Alberganti
lire le billet18h24, le 3 octobre 2012. Tombe un mail venant de l’Inra et contenant un texte signé par François Houllier, son nouveau PDG, successeur de Marion Guillou depuis le 27 juillet 2012. Pas de traces, pour l’instant, sur le site de l’institut. Ce texte, adressé, semble-t-il, directement aux journalistes et à l’AFP, est intitulé: “OGM: quelle place pour la recherche publique ?”. François Houllier réagit à “l’étude secrète” de Gilles-Eric Seralini qui défraie la chronique depuis le 19 septembre.
Aussitôt, il souligne les “ambiguïtés de ces travaux” ainsi que “l’opération médiatique”. “Le poison de la peur et du doute est ainsi instillé”, en conclut François Houiller qui rappelle le sondage montrant que 8 Français sur 10 s’inquiètent de la présence d’OGM dans leur alimentation.
“Le doute, aussi, vis-à-vis de la recherche publique qui ne remplirait pas sa fonction”, poursuit-il en arrivant ainsi au fait. Ce texte dénonce, en effet, la suspicion “de conflits d’intérêts ou de collusion avec ces firmes et de surcroît coupables d’abandon de citoyens consommateurs en danger” dont est victime la recherche publique. Et d’en conclure: “Le mal est donc fait. Il est injuste, mais pas irréparable.”
François Houiller cite, bien entendu, le cas “des porte-greffes de vignes génétiquement modifiés pour résister au virus transmis par de minuscules vers du sol” et arrachés par des faucheurs volontaires à Colmar en août 2010. Il cite également le cas bien connu du maïs MON810 avec le moratoire sur la mise en culture en France, la dénonciation et l’annulation par le Conseil d’Etat après la Cour européenne de justice de ce moratoire, le rétablissement de l’interdiction de la culture, le 16 mars 2012 par NKM sous la pression des écologistes. L’Inra a été chargé par la Commission européenne d’une réévaluation des mesures de toxicité du MON810 (modifié pour résister à certains ravageurs). Résultats dans trois ans.
En guise de synthèse de ces événements épars, François Houllier prend un risque en estimant que les travaux de M. Séralini “ne répondent probablement pas aux critères permettant d’en tirer des conclusions scientifiques solides”.
Voilà donc une expertise semble-t-il sans preuve de la part du dirigeant d’un organisme chargé, lui, de réaliser des études répondant à des critères scientifiques stricts. Comment exprimer un tel jugement avant la publication du rapport demandé par le gouvernement à l’Anses?
Le patron de l’Inra en arrive ensuite à la conclusion, convenue, de son texte. Si le public veut plus d’études sur les OGM, alors que l’institut en effectue déjà mais “à bas bruit médiatique”, il lui faut plus d’argent. Ainsi qu’une “confiance collective dans l’impartialité de ses résultats”. François Houllier estime que “notre société doit sortir de sa schizophrénie pour permettre à la recherche publique de poursuivre ses travaux selon des protocoles incontestables, sans être en permanence soupçonnée du pire et, dans certains cas, voir ses essais détruits”.
Quelques heures plus tard, Arte consacre un sujet de son journal à l’utilisation du coton OGM de Monsanto en Inde:
En voulant, à toute force, démontrer que les OGM sont mauvais pour la santé humaine à partir d’un seul exemple, le NK603, Gilles-Eric Séralini a, une nouvelle fois, mis sur la table un débat mal ciblé. D’où le tollé des scientifiques concernés.
L’une des vraies questions n’est-elle pas posée par l’expérience indienne? Pas besoin de tests sur les rats pour constater que l’introduction du coton transgénique y réduit l’espérance de vie des cultivateurs. L’origine du problème des OGM n’est pas scientifique ou sanitaire. Elle est industrielle.
Une firme, Monsanto, a réussi à totalement oblitérer l’image des OGM en la confondant avec l’utilisation qu’elle en fait. Monsanto asservit les paysans et se moque de la santé humaine. Son seul but est de vendre des semences et d’en tirer le maximum de profit. En cela, elle joue son rôle de pure entreprise capitaliste.
Mais a-t-elle, pour autant, démontré tout le potentiel des OGM? Est-il impossible de faire mieux? Ces fameux OGM philanthropiques dont parle Jean-Pierre Berlan sans y croire sont-ils vraiment de doux rêves? La vigne française ne peut-elle profiter de la transgenèse sans y perdre son âme? La biodiversité est-elle forcément menacée par la culture des OGM? La diabolisation des plantes transgéniques se confond avec celle de l’entreprise dominante dans ce domaine. Mais pourquoi est-elle si dominante? Que fait l’Europe en recherche et en industrialisation d’OGM? L’Inra peut-il, seul, prendre en charge les travaux nécessaires? Peut-être, par ailleurs, n’avons-nous aucun besoin d’OGM pour nourrir une planète à 9 milliards d’habitants.
Sortons, alors, de cette schizophrénie qui fait interdire en France la culture des OGM et, de facto, la recherche dans ce domaine, alors que nous importons massivement les mêmes OGM pour nourrir notre bétail et les intégrer à notre alimentation.
En France, on protège les cultures bio de la dissémination des OGM mais on laisse ces mêmes OGM en vente libre dans les supermarchés. Ces supermarchés qui financent une étude pour démontrer que les OGM, présents directement ou indirectement sur leurs rayons, engendrent des tumeurs… Tout cela pour mieux vendre leurs produits bio et soigner leur image verte.
Il apparaît clairement aujourd’hui qu’à force de prendre des décisions sous la pression de différents lobbies (industriels et écologistes), la situation des OGM en France est devenue un sac de noeuds et d’absurdités qui insulte la cohérence et hypothèque l’avenir.
Ce «débat raisonné» ne doit pas avoir raison du débat. Un vrai débat ne consiste pas à ramener à la raison des ignorants égarés. Il ne s’agit pas d’évangéliser des foules ignares comme on fertilise des terres incultes. Cela signifie que, dans un débat démocratique digne de ce nom, les décisions ne sont pas prises à l’avance.
Un vrai débat met sur la table tous les éléments connus d’un dossier afin que chacun puisse forger sa propre opinion. Il peut aboutir à la nécessité de compléter ce dossier. Pour les OGM, à faire de nouvelles études sur la toxicité, mais également sur la dépendance des agriculteurs. Il peut aboutir à une réglementation, à des interdictions, à des autorisations. Pourquoi pas à des moratoires.
Mais toutes ces décisions ne doivent être prises qu’après le débat. Cela permet aux citoyens de comprendre les motivations de ces décisions. Même s’ils n’en approuvent pas certaines. Dans ce cas de la science, le peuple ne peut pas prendre la décision lui-même mais tout doit être fait pour qu’il la comprenne. Pour cela, il faut la justifier publiquement. Sans autoritarisme d’experts, ni mépris pour la contestation. En matière d’OGM en France, tout comme en ce qui concerne le nucléaire, le gaz de schiste ou les nanotechnologies, nous sommes à des années lumière de la possibilité d’un tel débat. Dommage.
Michel Alberganti
lire le billetSous la violence de l’attaque de Gilles-Eric Séralini, via le Nouvel Obs du 20 septembre 2012 divulguée la veille sur Internet, le géant Monsanto a d’abord fait le gros dos. Seule déclaration, en substance : “Nous analysons l’étude…”. Mais, très vite, des voix se sont “spontanément” élevées pour critiquer le travail du professeur de l’université de Caen, président du comité scientifique du CRIIGEN, organe ouvertement militant anti-OGM. Interrogé par l’AFP, ce dernier s’est plaint, lundi 24 septembre, des méthodes utilisées par Monsanto sans le citer :
“Je suis attaqué de manière extrêmement malhonnête par des lobbies qui se font passer pour la communauté scientifique. C’est le même lobby qui a permis l’autorisation de ces produits et qui est activé par les entreprises de biotechnologies”.
Le ton est donné. Il ne devrait guère s’adoucir avec la publication, mercredi 26 septembre, du livre de Gilles-Eric Séralini intitulé “Tous cobayes, OGM, pesticides, produits chimiques”. Au cinéma, ce même mercredi, sort le documentaire de Jean-Paul Jaud intitulé…, “Tous cobayes”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini. Le chercheur français, outre l’originalité qu’il revendique pour son étude de deux ans sur des rats nourris au maïs OGM et au Roundup, est certain d’établir un record difficile à battre dans son domaine (et même ailleurs). En huit jours, calendrier en main, il a réussi à :
Pour faire bon poids, sans tomber dans un excès qui pourrait être taxé de matraquage outrancier, il faut ajouter:
Résumons: un article scientifique, la une et 7 pages dans le Nouvel Obs, des centaines d’articles dans la presse et sur Internet et de “papiers” à la radio et à la télé, un livre, un film au cinéma, un documentaire à la télé et 2 DVD… Qui dit mieux ?
Même chez un géant américain des biotechnologies végétales comme Monsanto, qui emploie 20 600 personnes dans le monde et a réalisé 11,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011 avec un bénéfice net de près de 1,7 milliard de dollars (plus de 14% de marge nette), une telle volée de flèches empoisonnées provoque des démangeaisons désagréables. Pas étonnant que l’archer se trouve rapidement transformé en cible.
On imagine les services de communication de Monsanto France sur le pont. La réaction ne se fait pas attendre sur le site de la filiale française. Dès le 21 septembre, soit le lendemain de la sortie en kiosque du Nouvel Obs, on peut lire: “Monsanto répond concernant l’étude sur rat française”. Déclarant avoir “évalué l’étude”, le semencier n’y va pas de main morte pour la descendre en flamme dans un résumé en français et dans une réponse détaillée en anglais d’une dizaine de pages. Cette réponse cite un grand nombre d’articles de presse, essentiellement anglosaxons, qui tous, sont à charge pour la validité de l’étude. Voici trois exemples des critiques formulées :
Selon Monsanto, le protocole de l’expérience n’est pas conforme aux normes de l’OCDE en ce qui concerne le nombre de rats étudiés. Gilles-Eric Séralini en a utilisé 10 par groupe au lieu des 50 demandés par l’OCDE. Ce point est l’un des plus récurrents dans les critiques de l’étude. Selon le chercheur français, les études réalisées pendant 3 mois seulement par Monsanto ont également utilisé des groupes de 10 rats. Le semencier ne dit pas le contraire. Il se contente de relever une contradiction dans les affirmations de Gilles Eric Séralini vis à vis des normes de l’OCDE. Astucieux.
L’étude française porte effectivement sur les effets du maïs NK 603 et du Round Up de Monsanto sur 200 rats répartis en groupes de 10. Le 25 septembre, Gilles Eric Séralini a défendu cette procédure en arguant du fait que ““toutes les études du monde sont faites là-dessus. Le NK 603 a été autorisé sur cette base. Si on ne peut pas tirer de conclusions, il faut aussi tout de suite interdire tous les OGM”. Il précise à l’AFP que “tous ceux qui ont aboyé [contre l’étude] sont à l’origine de l’autorisation de ces produits, et ils l’ont fait sur la base de tests sur la même souche de rat, avec des échantillons de 10 rats pendant seulement trois mois et pas avec autant de tests. C’est ridicule”. Pour autant, le chercheur se déclare conscient des limites de son travail comme il dit l’expliquer dans son livre. “On pourrait faire des groupes de 50 rats, mais c’est aux pouvoirs publics de financer, ça ne peut plus être un laboratoire indépendant qui finance 20 millions d’euros”, ajoute-t-il. L’étude réalisée avec son équipe a été financée à hauteur de 3 millions d’euros pour 200 rats étudiés pendant 2 ans, soit un coût de 15 000 euros par rat. S’il avait utilisé des groupes de 50 rats, il aurait eu besoin de 1000 rats. Au même coût, on arrive à 15 millions d’euros et non 20… Toujours est-il que l’on apprend, à cette occasion, le coût exorbitant de l’expérience sur les rats. Pas moins de 7500 euros par rat et par an… Même en intégrant le coût des croquettes, de l’hébergement, des soins et le salaire des personnels…
Monsanto relève l’absence ou le manque de données importantes dans la description des travaux de Gilles Eric Séralini. L’entreprise estime ainsi que l’origine et la qualité du maïs utilisé sont peu claires. Normal, le chercheur s’est procuré le maïs OGM Monsanto de façon clandestine au Canada. Pas terrible question traçabilité… Mais c’était le seul moyen trouve pour se procurer ce maïs sur lequel Monsanto interdit de faire des études sans son contrôle. Plus ennuyeux, l’entreprise souligne l’absence “de détails essentiels sur la préparation des rations et le niveau de consommation par les animaux”.
Dans ce domaine non plus, Monsanto ne fait guère dans la nuance : “L’analyse statistique concernant la mortalité ou l’incidence des tumeurs est complètement absente”. L’entreprise met également en avant la critique sur la race des rats utilisés dans une expérience sur 2 ans. “Les taux de mortalité et la fréquence des tumeurs dans tous les groupes de rats sont dans les normes historiques pour cette lignée de rats de laboratoire, qui est bien connue pour sa forte prédisposition aux tumeurs”. Alors que les rats Sprague Dawley sont utilisés par la plupart des laboratoires pour les expériences sur 90 jours, il semblent être moins adaptés aux études plus longues en raison de cette prédisposition aux tumeurs qui perturbe les observations.
De façon assez perverse, Monsanto lance une autre critique dans son analyse détaillée. L’entreprise reconnaît d’abord que les études sur 90 jours ne sont pas équivalentes à celles qui couvrent toute la durée de vie (environ 2 ans) des rats. Un bon point pour Gilles-Eric Séralini. Mais cela se gâte rapidement. Monsanto note que les auteurs de l’étude française détectent des tumeurs par palpation des rats dès le quatrième mois de l’expérience. “Etant donné que les tumeurs mettent un temps considérable pour parvenir à un stade de détection par palpation, et étant donné que seule une minorité de tumeurs atteint en général une taille importante, des tumeurs, même non détectables par palpation, auraient dû être constatées dans les expériences à 90 jours avec le NK-603. Or, cela n’a pas été le cas”.
Ces quelques exemples de critiques suffisent pour montrer que, comme l’on pouvait s’y attendre, Monsanto a décidé d’attaquer frontalement le travail de Gilles-Eric Séralini. Au delà du battage médiatique qui aura son effet sur le grand public, le chercheur français ne pourra éviter la confrontation sur le fond. La prochaine étape est, bien entendu, le verdict des autorités françaises (ANSES, HCB) et européennes sur l’étude. Après la semaine de gloire médiatique, Gilles-Eric Séralini devra se battre pied à pied sur le terrain scientifique.
Michel Alberganti
lire le billetL’étude publiée par l’ONG International Performance Assessment Centre for Geologic Storage of Carbon Dioxide (IPAC-CO2), le 15 août 2012, révèle que seulement 2% des Canadiens ne croient pas qu’un changement climatique est en train de se produire. Ce résultat confirme celui de 2011. “Les Canadiens sont concernés par les problèmes tels que les événements météorologiques extrêmes, les sécheresses ou le changement climatique”, note Carmen Dybwad, PDG d’IPAC-CO2.
Ce résultat est nettement meilleur que celui qu’Ipsos a enregistré en France en janvier 2010, un mois après le sommet de Copenhague. Le sondage réalisé alors montrait que 84% des Français croyaient à la réalité du réchauffement climatique. Ce chiffre reste sensiblement supérieur à celui qui a été mesuré en 2011 aux Etats-Unis par l’université de Yale qui s’était alors penchée sur les différences de perception en fonction des préférences politiques des personnes interrogées. Ainsi, 78% des Démocrates et 53% des Républicains estimaient qu’un réchauffement climatique se produit.
Cette adhésion relativement massive au changement climatique masque des différences importantes quant aux causes de ce phénomène. Même au Canada. Ainsi, 54% des Canadiens estiment que le changement climatique est partiellement dû aux activités humaines et partiellement à des variations climatiques naturelles et 32% qu’il est uniquement dû aux activités humaines. Seuls 9% jugent qu’il provient uniquement de variations climatiques naturelles.
La division des Canadiens est également importante en matière de solutions pour limiter le changement climatique. Pour 35% d’entre eux, les priorités concernent la promotion de voitures plus propres fonctionnant à l’électricité ou à des carburants à faible émission de carbone. Seulement 16% ont favorable à une taxation générale sur l’émission de CO2. Au sujet du stockage du CO2, 59% de Canadiens estiment qu’il devrait être obligatoirement prévu lors de la construction de nouvelles centrales au charbon ou au gaz naturel. Mais le pourcentage de ceux qui ne sont pas sûr qu’ils tireraient profit de la capture et du stockage du carbone est passé de 42% en 2011 à 48% en 2012. Ces résultats sont des moyennes qui masquent d’assez importantes différences suivant les régions où habitent les Canadiens.
On note donc que, malgré les sommets et autres conférences internationales, la prise de conscience du changement climatique et, surtout, de ses causes humaines, progresse lentement. Le Canada, qui devrait faire partie des pays pouvant tirer profit d’un réchauffement grâce à la fonte de la banquise ouvrant des voies de navigation au Nord et permettant d’exploiter le sous-sol, reste en tête des pays sensibilisés à la nécessité de réduire ce réchauffement en agissant sur les émissions humaines de CO2. De quoi confirmer la fibre écologique particulière des Canadiens.
Michel Alberganti
lire le billetRio+20, le dernier sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro du 20 au 22 juin 2012 n’a pas dérogé à la règle qui semble être devenue la marque des grands rassemblements de chefs d’Etat et de gouvernement (130 à Rio) autour des questions d’écologie ou de climat : la déception. Cette fois, au moins, les débats n’ont pas traîné en longueur comme lors de la conférence de Durban, en décembre 2011. Le document final avait été rédigé avant même l’arrivée des « décideurs ». Sage stratégie. Maigre résultat. A lire ce texte de 60 pages, on a souvent l’impression qu’il concerne le sommet de Rio de 1992 et non celui de 2012. On peut y lire, par exemple, au sujet de la biodiversité : « Nous sommes conscients de la gravité de la perte de la biodiversité et de la dégradation des écosystèmes qui entravent le développement mondial, compromettant la sécurité alimentaire et la nutrition, l’accès à l’eau et son approvisionnement ainsi que la santé des pauvres des zones rurales et des populations dans le monde, y compris pour les générations présentes et futures ».
On aurait pu penser, sans doute naïvement, que, 20 ans après, les décideurs avaient dépassé le stade de la prise de conscience et se trouvaient en pleine action. A elle seule, cette phrase résume le paradoxe de ce décalage. Elle énumère en effet une série de conséquences de la perte de biodiversité sur la planète qui se révèlent encore plus graves que celles du réchauffement climatique. Pourtant, pas plus que dans ce domaine, l’heure n’est guère aux décisions contraignantes. Plus loin, le texte annonce : Nous « lançons un appel en faveur de mesures urgentes qui réduisent sensiblement le taux de perte de biodiversité, mettent fin à ce processus et permettent de l’inverser ».Face à ce qui est présenté comme une véritable catastrophe, les décideurs, 20 ans après le Sommet de Rio et la Convention sur la biodiversité signée alors, lancent un appel…
Cela signifie-t-il qu’il ne s’est rien passé en deux décennies et que la question de la biodiversité souffre d’un attentisme plus profond encore que celle du réchauffement climatique ? Oui et non. Oui parce que la création d’une structure comparable à celle du GIEC pour le climat ne date que du 21 avril 2012. Elle est malheureusement affublée d’un nom peu ragoutant : IPBES, pour Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, dénomination qui n’a, semble-t-il, pas encore été traduite en français… Lors de sa création, Robert Watson, conseiller scientifique du ministère de l’environnement du Royaume Uni, s’est exclamé : « Aujourd’hui, la biodiversité a gagné ! » Sans forcément céder à cet enthousiasme, il est néanmoins possible de dégager quelques points positifs dans l’évolution de la prise en compte de la biodiversité au cours des 20 dernières années :
Bonne nouvelle pour ceux qui ne pouvaient plus voir en photo l’ours blanc à la dérive sur son bloc de glace. Ou celles du panda suggérant la privation programmée de toutes peluches pour les bambins des futures générations. La corde de la sensiblerie semble définitivement usée et remisée au rayon des accessoires hors sujet. Compter sur la larme à l’œil de la population n’a pas donné les résultats escomptés et, surtout, elle a totalement échoué sur le plan pédagogique. Le problème de la perte de la biodiversité ne se résume pas à la protection de quelques espèces, certes sympathiques, mais dont la disparition ne bouleversera pas le mode vie de l’humanité. Or, même si l’on peut souvent s’en désoler, la grande majorité des êtres humains n’est sensible qu’aux problèmes susceptibles de le toucher directement. C’est-à-dire d’affecter sa santé, son confort, son travail ou l’avenir de ses enfants.
Justement, la perte de biodiversité n’est plus considérée comme une simple douleur pour les amoureux de la nature ou une perte d’outil de travail pour les biologistes. La notion de services fournis par les écosystèmes désigne les apports à l’homme par certains équilibres naturels. Un exemple : la destruction massive des requins par la surpêche engendre une prolifération de certaines espèces qui ont perdu leur prédateur. C’est le cas des raies. Or, ces dernières se nourrissent de coquillages comme les coquilles Saint-Jacques qui constituent l’une des principales ressources économiques pour les populations côtières. Ainsi, un déséquilibre provoqué par l’homme entraîne directement un phénomène nuisible pour l’homme. La leçon est claire : ce sont les requins qui garantissaient la récolte des coquillages. Avant même la disparition d’une espèce, une réduction importante de ses effectifs peut ainsi avoir des conséquences néfastes sur l’industrie humaine. On pense également aux abeilles dont le travail de pollinisation est estimé en dizaines de milliards de dollars. Déjà, leur raréfaction induit des coûts importants de transport et de location des ruches pour pallier l’absence d’abeilles locales. Là encore, avant même leur éventuelle disparition, la forte mortalité des abeilles, désormais attribuée à un cocktail de doses subléthales d’insecticides, coûte très cher aux cultivateurs d’arbres fruitiers.
Un tel constat de l’impact négatif sur l’activité humaine des déséquilibres écologiques engendrés par cette même activité conduit naturellement à s’interroger. La guerre que mène actuellement l’agriculture contre l’environnement, à coup d’engrais chimiques et de pesticides, est-elle la solution optimale ? Non pas pour préserver la nature mais bien pour en tirer le meilleur profit ? Une telle question prend à contre-pied les militants de la décroissance pour lesquels la protection de la nature passe pas l’abandon de la culture intensive. Or, la démographie galopante des pays émergents rend fortement improbable de parvenir à nourrir la planète sans, au contraire, augmenter la productivité de l’agriculture dont les surfaces cultivables sont passablement réduite par les productions destinées aux biocarburants. Que faire ? Augmenter encore les fameux intrants, engrais et pesticides ? Recourir aux OGM ? Ou bien faire appel au concept qui se développe depuis quelques années : l’agriculture écologiquement intensive. L’idée fait son chemin comme en témoigne, par exemple, la tribune publiée dans Slate Afrique par Bernard Giraud, président de Livelihoods Venture près Rio+20. De quoi s’agit-il ?
Dès 1999, Kenneth Cassman, professeur d’agronomie à l’université du Nebraska-Lincoln, plaidait pour une « intensification écologique des systèmes de production de céréales », dans un article publié dans les Proceedings of the National Academy of Science (PNAS) des Etats-Unis. Sa thèse n’a rien à voir avec un quelconque retour à la bougie ou au troc du tracteur pour les bœufs. Il s’agit de trouver des solutions agronomiques pour subvenir aux besoins croissants de la population du globe dans un contexte de surfaces cultivables limitées. L’article de Kenneth Cassman concluait :
« La sécurité alimentaire des 30 années à venir dépendra de rapides avancées scientifiques dans la compréhension des bases physiologiques du potentiel de rendement des récoltes, des relations entre la qualité des sols et la productivité des récoltes, de l’écologie des végétaux en relation avec les nombreux facteurs d’interaction avec l’environnement qui détermine les rendements. Atteindre ces objectifs scientifiques est possible, mais les actuels niveaux d’investissement dans ces domaines de recherche, aux Etats-Unis ou ailleurs, ne sont pas adaptés pour relever ce défi ».
En d’autres termes, l’ère de l’agriculture intensive issue de la révolution verte ne sera pas capable de subvenir aux besoins alimentaires des prochaines décennies. Les gains de rendement nécessaires ne peuvent passer que par la prise en compte de facteurs écologiques. De fait, les rendements de la culture du blé stagnent depuis 1999, selon les chiffres de la FAO. Le nouveau chantier vise donc à réconcilier l’agriculture avec l’écologie, non pas pour seulement préserver la nature mais, aussi, pour améliorer l’efficacité des cultures. Nous entrerions alors dans une période d’études des mécanismes intimes de la croissance des végétaux.
De quoi donner une tout autre signification à la démarche écologique. Au lieu d’opposer systématiquement l’homme à la nature, il s’agirait d’optimiser les relations entre les deux « camps ». Les bénéfices attendus par l’humanité pourraient bien alors se révéler compatibles avec ceux des équilibres écologiques. La biodiversité ne serait plus uniquement considérée sous l’angle des agressions à combattre mais sous celui des apports mutuels des espèces entre elles. Un rêve ?…
Michel Alberganti
Sur ce thème, vous pouvez (ré)écouter l’émission sur j’ai animée sur France Culture le 22 juin 2012 : Rio+20 : La perte de biodiversité est-elle une perte pour l’homme ?
Regardez egalement cette vidéo très didactique sur les impacts de la biodiversité sur l’homme:
lire le billetUne ligne de plus sur la liste du dodo et de la rhytine de Steller, une encoche de plus pour marquer l’empreinte humaine sur la biodiversité.
Dimanche dernier, très précisément, l’espèce de tortues géantes des Galapagos Chelonoidis abingdonii s’est éteinte avec son ultime représentant.
L’impressionnant Lonesome George était centenaire et méritait bien son surnom de « Georges le solitaire » : il vivait en captivité depuis une quarantaine d’années, sans camarade de son espèce car son île (Pinta) avait vu son l’écosystème bouleversé par l’introduction de chèvres par l’homme.
Malgré un enthousiasme assez limité pour le jeu de la bête à deux carapaces, Lonesome George a prêté sa participation à de nombreuses tentatives de reproduction avec des femelles de sous-espèces proches, et après des années d’échec la fortune a semblé enfin lui sourire avec des œufs hybrides pondus en 2008. Mais l’espoir fut de courte durée, et aucun de ces œufs n’a éclos.
Son autopsie a conclu à une mort naturelle, et son imposante dépouille va être confiée à un taxidermiste, et continuera à attirer les touristes.
Le temps est révolu où le dernier représentant d’une espèce de vertébrés pouvait être abattu des années avant qu’on en comprenne la portée, comme ce fut le cas pour le zèbre quagga ou le loup de Tasmanie. La prise de conscience de la fin de l’espèce a ici largement précédé le décès de son dernier représentant, et en quelques heures, la nouvelle de la mort de Lonesome George a fait le tour de la planète.
C’est sans doute une bonne nouvelle en terme de sensibilisation à la biodiversité (et pas seulement celle des grands vertébrés charismatiques), mais il est difficile de ne pas rester songeur devant cette rencontre de l’instantanéité des nouvelles avec les échelles de temps immenses qui accompagnent l’évolution et la disparition irrévocable d’une espèce.
Fabienne Gallaire
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Une fois n’est pas coutume, les chercheurs nous pardonnerons un léger sourire. En effet, une équipe de l’université anglaise d’Exeter, dont nous avons récemment rapporté les travaux sur le graphène, vient de publier un article qui laisse légèrement perplexe. Il s’agit en effet d’une version inattendue du fameux syndrome du lampadaire (ou du réverbère suivant l’époque où se situe l’action…). Sous un lampadaire, un homme cherche les clés qu’il a perdues … parce que c’est là qu’il y a de la lumière. Thomas Davies, lui, rend compte dans un article publié le 23 mai 2012 dans la revue Biology Letters, de son étude des populations d’insectes qui se trouvent sous les lampadaires de la ville de Helston. Et il a eu plus de chance que l’homme qui cherche ses clés. Il a en effet trouvé de nombreux insectes sous la lumière ! Étonnant, non ?
Chasse aux insectes
Au cours de trois nuits de chasse, grâce à 28 pièges placés juste sous les lampadaires ou bien hors de la portée de leur lumière, Thomas Davies a attrapé 1194 insectes de 60 espèces différentes. Et il nous confirme ce que nous pressentions: les insectes sont plus nombreux sous la lumière que dans l’obscurité… A son crédit, tout de même, il a aussi découvert que cette différence de population perdure pendant les heures diurnes. Les pièges étant posés au sol, le chercheur a collecté de nombreux représentants d’espèces prédatrices ou charognardes. Il apparaît donc que ces insectes trouvent le coin sous la lumière particulièrement giboyeux et qu’ils ne prennent pas la peine de le quitter pendant la journée, attendant simplement le festin du soir.
Déséquilibre des populations…
Thomas Davies conclue que nos éclairages nocturnes engendrent de véritables déséquilibres dans les populations d’insectes… Une perturbation écologique regrettable, certes… Néanmoins, si l’on considère la quantité d’insectes sur Terre, soit les deux tiers des espèces animales vivantes avec de 3 à 30 millions d’espèces différentes, on peut considérer l’impact des désordres engendrés par les lampadaires comme relativement mineurs. Si l’homme menace de nombreux animaux, les insectes sont sans doute les meilleurs candidats pour lui survivre. Pour autant, il existe bien d’autres bonnes raisons d’éteindre de nombreux éclairages nocturnes, comme la gène qu’ils causent aux astronomes qui tentent d’observer le ciel étoilé et, surtout, l’impérieuse nécessité de faire des économies d’énergie.
Michel Alberganti
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