Ces dernières saisons, la Ligue 1, c’était souvent Lyon, Bordeaux et Marseille. Quelques fois Lille, Toulouse et le PSG. Guère plus. Mais cette année, deux petits tapent l’incruste dans le haut du classement. Un promu, Montpellier, présidé par le médiatique Louis Nicollin. Et un habitué de la première division, qu’il squatte depuis trente ans, Auxerre. Deux symboles d’un foot provincial et modeste qui emmerde bien les gros, et qui fait un peu peur, il faut bien l’avouer.
8 septembre 2010. L’été fut chaud. Après la victoire en Ligue des champions de l’Olympique Lyonnais (Real Madrid – Bordeaux – Manchester – Barcelone au tableau de chasse), la «France qui gagne» a poursuivi sur sa lancée. Raymond Domenech a mené ses hommes au triomphe dans le Mondial sud-africain, concluant au micro de David Astorga ses six années à la tête des Bleus par un sonore «Je vous emmerde tous!». Sandy Casar, après une échappée au long cours en première semaine de course, a remporté le tour de France, devançant Amaël Moinard et Alberto Contador.
En ce mardi soir, c’est le retour de la fameuse petite musique, de Christian, Jean-Michel et Bixente. Tous les ingrédients sont réunis pour que le foot français confirme son renouveau. Viennent les compos des équipes. Et là, stupeur: «Association de la Jeunesse Auxerroise – Milan AC», peut-on lire. L’autre club français engagé ce soir-là, le «Montpellier Hérault Sporting Club», se déplace chez le grand Liverpool. Bilan du premier tour: quatrièmes, les deux clubs tricolores sont éliminés, même pas reversés en Europa League.
Ce scénario noir, imaginé par les esprits tordus et machiavéliques des membres de Plat du Pied sécurité, est pourtant bien plausible. La bande à Jean-Pascal Mignot et celle de Romain Pitau sont dans le trio de tête de la Ligue 1. A huit journées de la fin du championnat, la blague devient sérieuse. Cela mérite donc qu’on se penche – avec un brin de mauvaise foi – sur la question.
De quoi a-t-on peur?
Jouons franc-jeu. L’auteur de ces lignes est né en terres picardes, confesse un amour irraisonné pour le club du Mans (ainsi que l’OM), et ne pourra donc pas être accusé de parisianisme primaire, voire de rejet bestial de la province. Sa mauvaise conscience gaucho-égalitariste à la con le pousse même parfois à se dire qu’un Auxerre ou un Montpellier en LDC, ça pourrait être sympa. Mais très vite, la raison l’emporte. Non, ce n’est pas une bonne idée.
Pas une bonne idée de faire découvrir les grandes soirées européennes à Nenad Dzodic, pas une bonne idée de faire voyager dans l’Europe entière la légion de joueurs low-cost qui composent l’AJ Auxerre. Pour la première fois depuis six ans, nos soirées Coupe d’Europe-bières-chips ne vont pas s’arrêter en mars, avec le duel à venir entre Lyon et Bordeaux. Ne tentons pas le diable, et n’envoyons pas au casse-pipe l’an prochain un club qui se remet tout juste de cinq ans en Ligue 2 et un autre dont le deuxième meilleur buteur s’appelle Benoît Pedretti (trois réalisations).
Surtout que les précédents existent. Souvenez-vous de la saison 2006-2007, conclue par la troisième place de Toulouse. Trois mois plus tard, l’équipe d’Elie Baup se faisait fesser par Liverpool en tour préliminaire de la LDC, avant de galérer pendant un an pour assurer son maintien. On frôla également le pire durant l’affreuse saison 2007-2008. Gloire et reconnaissance éternelle aux joueurs de Rennes, qui allèrent s’imposer à Nancy, évitant ainsi l’infamie de voir les Correa’s boys en LDC.
Pourquoi a-t-on raison d’avoir peur?
Les Montpelliérains et Auxerrois ont beau répéter qu’ils ne jouent pas le titre, ni même l’Europe, n’allez surtout pas croire cette novlangue footballistique. Ils y croient, évidemment, et seraient bien bêtes de ne pas le faire, à huit journées de la fin de la saison. Toujours au contact au classement, ils ont fait preuve d’une belle régularité depuis le début de la saison (et ce en dépit d’un début de championnat pourri dans l’Yonne).
Alors que les équipes surprises s’écroulent d’habitude à partir des matches retour, les deux compères continuent d’enchaîner les bonnes perf’. Leur calendrier est allégé, contrairement à celui de Bordeaux et Lyon. Un élément dont ne tient pas compte le classement simulé des Cahiers du Foot, qui place les deux affreux en 3ème et 4ème position. Mais à une portée de tir du titre. Brrr….
La parole à la défense
On peut ne pas les aimer, les Stéphane Grichting-Jean-Pascal Mignot-Cédric Hengbart, mais ils comptent sûrement des fans. Et des gens très biens, qui prennent un malin plaisir à les voir faire la nique aux gros. L’analyse est sans doute tout aussi vraie en terres frêchistes. Stéphane Alliès, montpelliérain et tenancier du blog Tertulia Sporting Club, est ravi des bonnes performances du club de son enfance. «Cela fait un an que je dis qu’on joue le titre, ça serait une déception de ne pas le faire», affirme-t-il, quasi-sérieux, s’appuyant notamment sur le fait que «Bordeaux et Lyon vont s’auto-mutiler en Ligue des Champions». «Enfin, on joue plutôt l’Uefa», nuance-t-il.
Les bonnes perf’ de Montpeul’ ne manquent pas de raviver quelques souvenirs: «C’est exactement comme en 1988. On avait plein de petits jeunes, Blanc, Laurey, encadrés par des vieux briscards coupeurs de viande, Milla ou Rust. On avait fini troisièmes, et pris une grosse tôle contre Benfica l’année d’après en Coupe d’Europe. C’était l’apprentissage». Mouais… si on pouvait s’en passer, de l’apprentissage. Mais apparemment, à en croire Stéphane Alliès, ça marche. «Dans la foulée, il y avait eu la grande épopée européenne de 90-91, où on avait été éliminés scandaleusement par Manchester United en quarts.»
Le passé européen, voici le maître-mot dans l’Yonne comme dans l’Hérault. Stéphane Alliès: «On est comparés à Guingamp qui s’accrochait pendant 15 matchs à la tête du classement. Mais Montpellier et Auxerre sont des villes de foot. Pour nous, l’Europe, ça ne sera pas de l’apprentissage car on a une histoire. En 1992, on a sorti le PSV de Romario et le Steaua Bucarest. Aujourd’hui, Karim Aït-Fana (le «Leo Messi» héraultais, ndlr), c’est comme Laurent Castro à l’époque.» A Auxerre, un journaliste de L’Yonne républicaine, qui a sollicité l’anonymat (si si), rappelle que l’AJA a «l’expérience des rendez-vous européens. je ne vois pas pourquoi ça serait aller trop vite, le club est habitué à ça. Et puis, avec la difficulté à boucler le budget, une qualification serait très bien accueillie». L’argument financier n’est en effet pas à négliger pour ces deux clubs aux budgets modestes. Enfin, rappelle Stéphane Alliès, «il ne faut pas faire la fine bouche quand on a passé six ans en Ligue 2».
Notre source de L’Yonne Républicaine, elle, fait presque du Guy Roux: «Je ne crois pas du tout au titre. L’AJA n’a pas l’effectif pour rivaliser et l’effet de surprise va s’atténuer dans les dernières journées. Mais l’Europe est de plus en plus possible. Ces 4 dernières années, il fallait en moyenne 67 points pour accéder à la Ligue des Champions. Auxerre en compte 55, et il reste neuf journées…» Soit 27 points à distribuer pour une formation en «incroyable réussite» avec son goleador polonais, et 10 morts de faim sur le terrain. Une équipe dont le jeu franchement emmerdant est parfaitement décrit par Coup Franc.
Tropisme sudiste (?), du côté de Montpellier, on s’emballe un poil plus. Pour le camarade de Tertulia, «si le club ne se fait pas piller au mercato, l’équipe a les moyens de passer sans soucis un premier tour en Europa League». Et de continuer l’éloge de l’effectif orange et bleu: «Notre triangle du milieu est assez impressionnant (Pitau-Marveaux-Costa, équivalent français de Touré-Iniesta-Xavi -ndlr- ?). On a un vrai fond de jeu avec en plus quelques crevures comme Jeunechamp.»
Mais une qualification en Coupe d’Europe ne serait-elle pas un cadeau empoisonné pour ces clubs aux effectifs bien moins fournis que ceux de Lyon, Bordeaux ou Marseille? Des deux côtés, on met en avant la solidité des structures. «Le club est fondé sur l’humilité, les dirigeants ont une certaine pudeur, le club ne fait pas n’importe quoi», assure le journaliste icaunais. Stéphane Alliès, lui, sent le vent du renouveau: «On a retrouvé le kop butte Paillade, avec de vraies chansons d’amour. C’est un signe.» Et pour l’avenir? «Notre mercato est déjà réussi: on a resigné Spahic, on a recruté Giroud – un tueur – et le latéral Bocaly (…). Après, Loulou l’a dit, il faut investir dans le centre d’entraînement et la pelouse qui est dégueu. L’entraîneur René Girard, c’est le bon mec à la bonne place. Il ne se la reconte pas, il a l’expérience (…). Bon, je magnifie l’histoire du club, mais il faut être lucide sur Loulou, qui nous fait honte.»
Peut-on éviter le pire?
On a déjà un taux de chômage à 10%, la croissance qui ne revient pas… Autant le dire clairement: la France peut-elle échapper à la catastrophe, un podium Auxerre-Montpellier-Lyon? Les raisons d’espérer sont là – comme dirait Christine Lagarde: Montpellier a pris 4 buts à Lille ce week-end, Marseille ne va plus s’arrêter de gagner après avoir triomphé en Coupe de la Ligue, et Bordeaux compte quand même deux matchs en retard. Pour Lyon, on voit une autre solution si jamais la qualif’ en LDC – vitale pour le business plan du club – était menacée. Un coup de fil de JMA à Monsieur moustaches.
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Photo: REUTERS/Jean-Paul Pelissier
Sydney Maréval
Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Des “petits” clubs comme l’AJ Auxerre, Brest ou St-Etienne ont déjà fait leurs preuves en LDC, autant et même plus que Lyon ou Bordeaux. Pourquoi les clubs des grandes villes sont-ils les seuls autorisés à réussir, alors même que la tradition n’y est pas au foot?
Ce qui fait l’intérêt et l’homogénéité du championnat de France -et à l’avenir, je crois, sa force- ce sont justement ces clubs familiaux qui poussent les grands à s’améliorer. À terme, les championnats européens qui tournent à trois/quatre équipes seulement risquent de s’étioler, je crois que c’est déjà le cas en Italie, non?
Y’a pas d’obsession à avoir pour la Ligue des champions. S’il faut toujours les mêmes clubs en Europe pour être sûr de les voir aller loin, c’est que finalement notre championnat est pas terrible. Italie, Écosse, Portugal, sont des championnats fermés au-dessus qui vont mal, alors que l’Allemagne, les Pays-Bas, sont ouverts avec des nouveaux champions (AZ et Wolfburg, peut-être Twente et Schalke ?) à part un ou deux qui reviennent tout le temps. Et les résultats globaux sont meilleurs, la ligue est plus intéressante. Et quel plaisir d’imaginer qu’on peut là-bas être supporter d’un club “banal” et rêver du TITRE.
Je tiens juste à faire remarquer qu’il y a 10 ans seulement Lille était un “petit club”, tout comme l’OL des années 90 !!! Et pour en arriver à ce qu’ils sont aujourd’hui et bien…. il faut un début à tout ! CQFD