C’est ce que je me suis demandé hier soir en m’endormant. A quoi sert la Coupe du Monde? Longtemps, lorsque je me couchais de bonne heure, je pensais que la Coupe du Monde était l’absolu du football. L’événement qu’il fallait attendre pieusement tous les quatre ans avant de voir à nouveau les Dieux s’affronter et nous régaler. Le journaliste Erwan Le Duc reprenait en slogan sur son ancien blog la formule “la Coupe du Monde est la preuve que la vie seule ne suffit pas”.
Longtemps, je fus en accord total avec cette affirmation. Aujourd’hui, au lendemain de formidables quarts de finale de Ligue des Champions, j’ai l’impression que c’est plutôt la coupe aux grandes oreilles qui est la preuve que la vie seule ne suffit pas.
Mardi soir, Lyon-Bordeaux. Il fallait entendre les rires gras avant le match. Tous les membres de Plat du Pied ronchonnaient, pensant que l’on allait avoir un match de Ligue 1 un peu chiant. Les “Souviens toi du 5-5 de Lyon-Marseille” ou “La Ligue 1 c’est plutôt bien depuis deux ans”, ne suffisaient pas à rassurer les troupes inquiètes. Il ne fallut que quelques minutes pour faire taire tout le monde. Le rythme, les passes vers l’avant, l’envie de jouer des deux équipes, tout y était, c’était un match de haut niveau, avec deux belles équipes. Très vite, nous nous sommes regardés, le sourire en coin. “C’est bien là, hein? Ah oui, c’est vraiment bien.”
Et puis, vint le deuxième but de Bastos. Ligne médiane, longue touche de Cissokho, tête de Sané, interception de Delgado, Bastos, Cissokho encore, Delgado, Pjanic qui s’enfonce dans la surface, le centre, Trémoulinas trop petit, contrôle de Bastos, tir, les filets qui tremblent. Une action de 19 secondes, un amour de petit but, le plaisir à l’état pur en tant que spectateur. Dans ce match, il y avait tout: l’envie, des belles constructions offensives, des erreurs défensives juste ce qu’il faut. Et le score 3-1 qui laisse la possibilité à Bordeaux de se qualifier tout en l’obligeant à l’exploit. D’un côté, Alou Diarra sera de retour, tandis qu’en face il faudra faire sans Lisandro Lopez.
Faut-il raconter le match du mercredi soir? Arsenal-Barcelone? Si vous ne l’avez pas vu en direct, vous avez raté votre saison de téléspectateur. Tout y était. Pendant 60 minutes, Barcelone était en démonstration. D’un côté il y avait un excellent joueur de PES qui pèche dans le dernier geste et de l’autre un ordinateur en mode très facile, avec des joueurs qui ressemblaient à des plots. A la mi-temps, Arsenal aurait pu avoir trois ou quatre buts de retard, cela n’aurait pas été immérité. Mais il y avait 0-0 et on trouvait ça formidable pour le suspense. Almunia, le gardien des Gunners, était sur un nuage et les joueurs de Barcelone me faisaient penser à des gros matous qui s’amusent avec un oiseau car ils ont tout leur temps pour le manger.
Au retour du vestiaire, sur l’engagement, le plus gros des matous, Ibrahimovic, récupère la gonfle, lobe de l’extérieur de la surface, Almunia aux fraises. 1-0. Arsenal pousse, Barcelone s’amuse, Ibrahimovic encore, 2-0. Soudain, dans l’Emirates Stadium, le silence se fait. A ce moment là, c’est un très bon match de football mais le spectacle, au niveau du scénario, n’est pas parfait. 2-0, le match est plié, Arsenal n’a aucune chance de se qualifier.
Et puis, vint l’entrée de Theo Walcott. Arsenal revit, attaque, marque, 2-1. On le ressent en football suffisamment rarement pour le signaler : ces moments de frissons qui parcourent tout un stade et les téléspectateurs qui savent, que, d’un coup d’un seul, contre toute attente, tout redevient possible. Et, effectivement, sur une faute peu évidente de Puyol, Cesc Fabregas, l’homme formé à Barcelone! – oui on est dans Avatar ou Pocahontas à ce moment-là – obtient un penalty. Il marque, 2-2. D’égaliser sur une relative injustice, pour la dimension théâtrale, c’est encore plus beau. Et surtout, sur le tir, l’Espagnol se blesse tel un Spartiate se sacrifiant pour la cité. A 2-2, Arsenal n’avait pas la force de marquer le troisième, Barcelone était sonné et lançait des attaques mal-formées. Henry, dieu agonisant, regardait d’un oeil morne le champ de ses exploits passés. Le peuple chantait son nom. Le scénario avait rendu tout le monde ivre. Au coup de sifflet final, on s’applaudissait, on ne savait plus trop quoi dire.
De la Ligue des Champions, il ne reste que neuf (cinq à voir vraiment en direct puisque plusieurs sont simultanés) matchs pour jouir encore ainsi. Après, ce sera la Coupe du Monde, les polémiques stériles sur Domenech et la composition de l’équipe de France, les matchs fermés, joués la peur au ventre. Devant notre télé, à chaque fois que l’équipe adverse passera la ligne médiane, on aura peur, on angoissera. Toute notion de plaisir aura disparu et, si l’on gagne des matchs, cela sera sur un coup du sort. Le jeu, celui avec des passes simples, porté vers l’avant, celui qui, effectivement, comme Wenger l’avait annoncé, était de l’art hier soir, on ne le verra pas, ou alors avec un goût amer dans la bouche, en regardant les autres équipes, pensant à la France éliminée. A quoi sert alors la Coupe du Monde? Je ne sais pas.
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Crédits Photo: Eddie Keogh/Reuters
Quentin Girard
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par sosthye et Slate.fr, Plat du Pied . Plat du Pied a dit: A quoi sert la Coupe du Monde? La Ligue des Champions offre un bien meilleur spectacle. http://bit.ly/avsILK http://bit.ly/cqFjwY […]
La coupe du monde? ça sert, contrairement à la ligue des champions, à ce que la France puisse aller en finale (même si pour l’instant c’est ex aequo, je crois : deux finales dont une remportée – mais pour la champion’s league on va s’arrêter là pour un bon moment encore).
ça sert aussi à autre chose : à ce que les clubs européens recrutent des joueurs exotiques qui s’avèreront moins bons qu’à la coupe du monde.
Enfin, ça sert à faire des grosses soirées foot, tous les jours ou presque pendant un mois – et ça, c’est quand même un luxe.
@Quentin: est-ce que tu n’avais pas trop bu hier soir après Arsenal-Barça, ce qui fausse ton jugement? Parce que des matches de Coupe du monde géniaux, il y en a. Cf la Corée du sud en 2002, l’Italie tjs odieuse en 2006, l’Espagne et l’Argentine qui losent magnifiquement… Je suis sûr que tu peux faire un billet exactement contraire en juin prochain.
@Norbert
Bien sur que j’avais bu, mais j’ai écrit l’article ce matin, dégrisé. Il y aura évidemment des beaux matchs à la CdM, l’idée était plutôt de dire que grâce à la LDC, il y a des matchs aussi beaux voire plus, tous les 15 jours, et pas tous les 4 ans, ce qui fait perdre son côté irremplaçable à la CdM.
@Quentin: je reste néanmoins sceptique sur tes souvenirs de matches de Coupe du Monde. Le Mondial est irremplaçable: pour voir des arbitres rigolos, des commentaires idiots de nos journalistes télé (j’attends avec hâte J-M Ferreri sur la Corée du Nord), des joueurs inconnus qui flambent…
@Norbert
Je te parle Art et tu me réponds folklore sympathique…
Ce n’est pas nouveau. De tout temps, on a entendu que le niveau des clubs était souvent supérieur à celui des équipes nationales. En raison, non pas de leurs individualités mais de leur collectif.