Dans son bâtiment, ce laboratoire se repère de loin : il en sort un bruit grave et continu qui fait trembler les murs à longueur de journée. Le but de cette musique bien peu mélodieuse ? Faire danser des gouttes. Quelles gouttes ? Oh, rien de compliqué, au premier abord.
Il s’agit des gouttelettes qui se forment quand on sort brusquement un objet d’un liquide, mettons : une cuillère de votre café du matin. Bien sûr, dans votre café, la gouttelette ne dure pas longtemps, et semble être immédiatement absorbée par le liquide. Ce n’est en fait pas le cas : une caméra ultra-rapide permet de saisir les différentes étapes de la coalescence de la goutte avec le liquide dans lequel elle tombe, et montre qu’elle rebondit plusieurs fois sur la surface :
La plupart du temps, ce phénomène est très rapide, mais en observant attentivement une cafetière à filtre en train de passer du café, on peut en voir résister vaillamment une ou deux secondes avant de disparaître. Il faut dire que la surface du café tremble beaucoup…
Car voilà l’ingrédient secret pour sauver notre goutte d’une fin sans gloire : les vibrations.
Pour étudier le phénomène, les chercheurs utilisent un haut-parleur placé stratégiquement sous un bac d’huile et qui en fait vibrer la surface. Celle-ci se transforme alors en trampoline pour la goutte et la fait rebondir en rythme.
À chaque fois que la goutte descend, la surface remonte pour lui donner un nouvel élan vers le haut, ce qu’elle arrive à faire sans fusionner grâce au coussin d’air qui les sépare en permanence, jamais complètement chassé. C’est le phénomène qui explique par exemple les gouttes d’eau qui flottent dans les bols tibétains lorsqu’on les fait « chanter ».
Les gouttes sont donc réfléchies par les vagues à la surface du liquide, et se retrouvent alors à se synchroniser, et à s’aligner en rangs d’oignons et à s’arranger en phalanges romaines :
Triangulaires, carrées ou hexagonales, ces formations sont stables tant que les vibrations se maintiennent :
L’explication de l’organisation est simple : si les gouttes retombent dans un creux des ondes, ou sur un pic, elles repartent à la verticale, sans changer de position. Mais si elles tombent à flanc de montagne, elles sont renvoyées un peu plus loin. Et comme chaque goutte est soumise aux vagues produites par les rebondissements de ses voisines, elles finissent par se répartir de façon à ce qu’elles soient à égale distance les unes des autres. Ces structures sont si régulières que les physiciens les ont baptisé « cristaux ».
Mais une goutte n’a pas forcément besoin de voisines pour se déplacer : dans certaines conditions expérimentales (lorsqu’on s’approche du seuil d’instabilité de Faraday), une seule goutte peut se retrouver à tomber sur la pente de l’onde qu’elle génère. Elle est donc décalée de quelques millimètres, mais comme les rides de l’eau sont créées par elle, les voilà qui se déplacent également, si bien que la goutte retombe exactement au même endroit de la pente, et le manège recommence.
La goutte se met donc à voyager à la surface du bassin, emmenant avec elles tout un cortège d’ondelettes circulaires très coopératives : les ondes propulsent la goutte, et par échange de bons procédés la goutte entretient les ondes.
Les images de ces gouttes en pleine migration ne sont pas seulement fort jolies, pour un physicien, elles sont aussi très évocatrices. Un petit truc qui se balade accompagné d’une onde partout où il va, ça ne vous rappelle rien ?
Cela fait furieusement penser au plus célèbre paradoxe de la physique fondamentale : les rayonnements tels que la lumière, qui se comportent à la fois comme une onde et comme une particule solide (photon). Et l’analogie avec cette dualité mystérieuse n’est pas que superficielle : on retrouve bien avec ces gouttes et ces ondes des aspects caractéristiques des rayonnements, comme la diffraction quand les ondes se rencontrent, ou encore des phénomènes plus étranges, comme l’effet tunnel.
En effet, si on tente de bloquer le déplacement de notre duo goutelette-onde en plaçant un obstacle qui interdit la propagation du champ d’ondes, la goutte a tout de même une chance de le traverser. Une fois de l’autre côté, elle n’a qu’a rebondir sur la surface du bac pour reconstituer l’onde comme si elle était passée par un tunnel invisible…
Jusqu’où peut-on pousser la comparaison entre gouttelettes et corpuscules ? On ne le sait pas encore, mais une étude approfondie de ce modèle permettra de déterminer la validité de l’analogie. Idéalement, ce couple voyageur goutte-onde pourrait constituer un moyen aussi parlant que pratique d’illustrer les idées les plus subtiles de la physique quantique. En attendant, vous reprendrez bien un peu de café ?
Fabienne Gallaire
Cet article est basé sur les explications fournies par Antonin Eddi, que je remercie, sur ses travaux de thèse effectués au laboratoire Matières et systèmes complexes de l’université Paris Diderot.
Références :
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– Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a rendu un rapport spécial sur les événements météorologiques dits extrêmes : il confirme que les vagues de chaleur, pluies torrentielles, épisodes de sécheresse, etc, vont se banaliser d’ici à la fin du siècle. Une conséquence directe, selon les chercheurs, du réchauffement climatique.
– L’expérience Opera, au CERN, vient d’effectuer un nouveau test confirmant que, pour elle, les neutrinos vont plus vite que la lumière. Reste à avoir une validation indépendante.
– Toujours dans le domaine de la physique fondamentale, le moment de vérité approche pour le boson de Higgs, cette particule théorique censée donner sa masse à la matière : le LHC (le Grand Collisionneur de hadrons du CERN) devrait, d’ici quelques mois, soit le découvrir, soit l’envoyer aux oubliettes de la science, ce qui forcerait les physiciens à élaborer une nouvelle théorie.
– Une équipe française vient de mettre au point un matériau plastique que l’on peut fondre, mouler, utiliser et refondre à l’envi, comme le verre. Nombreuses applications industrielles en vue.
– On cite souvent en exemple la Chine et l’Inde, comme pays où sont pratiqués des avortements sélectifs en fonction du sexe du fœtus, décelé à l’échographie. D’où des sex ratios très favorables aux garçons. La pratique existe aussi en Europe comme le montre ce reportage de l’AFP en Albanie où nombre de futures petites filles ne voient jamais le jour.
– Les animaux d’élevage reçoivent trop d’antibiotiques et la France veut réduire d’un quart la prise, souvent inutile, de ces médicaments afin de préserver l’efficacité de l’arsenal thérapeutique.
– Pour ceux que l’histoire des sciences intéresse, le CNRS vient de lancer un dossier sur Antoine Lavoisier (1743-1794), l’un des pères de la chimie moderne.
– Pour finir, dans ma chronique hebdomadaire du Monde sur l'”improbablologie”, je m’attaque à l’une des questions les plus cruciales que se posent les automobilistes : dans un bouchon, pourquoi cela avance-t-il plus vite toujours dans l’autre file ?
Pierre Barthélémy
lire le billet– D’ici quelques heures ou quelques jours, nous serons 7 milliards d’humains sur Terre. Grâce à ce petit site de la BBC, vous pouvez, en entrant votre date de naissance, voir quelle taille avait la population mondiale actuelle à l’époque. Ainsi, lorsque je suis né, il y avait exactement deux fois moins d’hommes et de femmes qu’aujourd’hui. Lire également le grand article que le National Geographic avait consacré, au début de l’année, à la question de la croissance démographique. Et un dossier du Temps. Et aussi ce reportage du Monde en Inde (qui ravira bientôt à la Chine sa place de pays le plus peuplé du monde), où l’accès des femmes au planning familial reste difficile dans les campagnes.
– Il est assez rare qu’un grand quotidien consacre sa “une” à un sujet scientifique pour le signaler. Voici donc un lien vers l’enquête que Stéphane Foucart, du Monde, a réalisée sur le scandale du bisphénol A. Où l’on voit que les risques sanitaires qu’implique ce perturbateur endocrinien, bien qu’identifiés à partir des années 1990, ont été systématiquement minorés par les agences de sécurité sanitaire, sous l’influence du milieu industriel.
– L’Antarctique a longtemps été considéré comme un grand sanctuaire naturel, notamment parce qu’il est très difficile d’aller y exploiter les ressources qu’il recèle. Mais aujourd’hui, les obstacles techniques ne semblent pas aussi insurmontables si on les met en rapport avec l’argent qu’on pourrait récolter sur un territoire qui n’appartient à personne. Ainsi, la Russie a-t-elle récemment exprimé son désir de faire de la prospection pour des minerais et des hydrocarbures…
– Les chercheurs qui, avec leur découverte de neutrinos un chouïa plus rapides que la vitesse de la lumière, ont secoué le monde de la physique fin septembre, s’apprêtent à reproduire leur test, avec un autre dispositif expérimental. Sans doute cela contribuera-t-il à faire baisser la tension au sein de l’équipe de chercheurs, dont on a appris récemment que certains étaient opposés à la grande opération de communication qui a eu lieu il y a un mois tant que toutes les précautions n’auraient pas été prises et toutes les vérifications faites. Par ailleurs, les résultats n’ont toujours pas été publiés par une revue scientifique à comité de lecture.
– Une nouvelle île va-t-elle sortir de l’eau aux Canaries ? C’est la question qui se pose depuis qu’un volcan sous-marin est entré en éruption et monte vers la surface.
– La NASA a lancé avec succès le satellite NPP. Il préfigure une série d’engins qui surveilleront depuis l’espace des indicateurs-clés du changement climatique.
– Le nautile, ce magnifique céphalopode à la coquille spiralée, qui est considéré comme un fossile vivant puisqu’il n’a quasiment pas évolué depuis plusieurs centaines de millions d’années, est victime de sa beauté. Sa coquille est tellement demandée comme objet de décoration que l’animal est chassé à outrance, raconte le New York Times.
– Certains grands dinosaures herbivores entreprenaient de longues migrations saisonnières en Amérique du Nord.
– Pour finir : ma chronique “Improbablologie” de cette semaine dans Le Monde nous le prouve : les lois de l’Univers sont contre nous. Et qui a déjà fait tomber sa tartine par terre s’en apercevra : le beurre et la confiture adorent le tapis/parquet/carrelage.
Pierre Barthélémy
lire le billet– La nouvelle scientifique de la semaine est incontestablement cette annonce selon laquelle des neutrinos auraient été mesurés en excès de vitesse : plus rapides, de 6 kilomètres par seconde, que la vitesse de la lumière, censée être la limite infranchissable selon la théorie de la relativité énoncée par Albert Einstein il y a un siècle. Après le déferlement médiatique des premières heures, les physiciens commencent à reprendre les choses en main avec la prudence qui s’impose. Bien des vérifications restent à faire et quelques hypothèses peuvent expliquer le phénomène sans qu’on ait besoin de mettre tout de suite la relativité à la poubelle ni tirer plus que nécessaire sur ce pauvre Albert. Lequel, au cours de sa vie, a commis des erreurs bien plus graves sur lesquelles je reviendrai dans mon prochain billet. Comme quoi tout est vraiment relatif…
–L’autre buzz de la semaine concernait la rentrée dans l’atmosphère du satellite UARS, qui allait tomber sur la tête de tout le monde si l’on en croyait l’excitation médiatique. Résultat : à l’heure où j’écris, personne ne sait où il a chu…
– Des myriades de microparticules de plastique polluent les côtes. C’est une menace pour les poissons et les oiseaux marins qui les ingurgitent car ces minuscules déchets fixent des polluants chimiques qui s’accumulent dans les organismes.
– Oasis en plein désert, Las Vegas a longtemps pompé inconsidérément sur ses réserves en eau. La ville du jeu fait désormais machine arrière pour préserver l’or bleu. Et se prépare aussi à aller chercher de l’eau encore plus loin, avec un projet de pipeline de 500 kilomètres.
– La NASA a découvert qu’un certain nombre de ses astronautes présentaient des problèmes de vision après des séjours, même courts, en impesanteur. Embêtant si on veut les envoyer sur Mars et qu’ils y arrivent aveugles…
– Est-ce pour des raisons politiques que Goya a peint le portrait de Don Ramon Satue par dessus celui d’un haut dignitaire français (peut-être Joseph Bonaparte lui-même, qui fut quelques années roi d’Espagne) ? Le tableau caché vient d’être découvert par spectrométrie de fluorescence X.
– Pour finir : je ne saurai trop vous conseiller la lecture, tous les vendredis, du nouveau supplément scientifique du Monde, d’abord parce que cela comble un vide dans l’offre du quotidien vespéral, mais surtout parce que j’y tiens une chronique sur la science improbable. Pour le premier numéro, un article sur ces chercheurs qui sont allés dans des clubs de striptease pour vérifier que la femme avait vraiment ses “chaleurs”, à l’instar des autres mammifères femelles (désolé, le lien ne fonctionne que pour les abonnés)… Que ne chercherait-on pas comme prétexte pour se rincer l’œil…
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