Séisme d’Aquila: De la stupidité du verdict condamnant les experts

L'Aquila, le 8 avril 2009. REUTERS/Alessandro Garofalo

Les villes risquent d’être plus souvent évacuées qu’habitées. A la moindre alerte, séisme, tempête, crue, canicule ou épidémie de grippe, nous irons tous aux abris. Pour y rejoindre les experts.

Si le jugement du tribunal de l’Aquila est confirmé, en Italie, les prochains experts nous enverront systématiquement aux abris à la moindre alerte.
Le 22 octobre 2012, Franco Barberi, Enzo Boschi, Mauro Dolce, Bernardo De Bernardinis, Giulio Selvaggi, Claudio Eva et Gian Michele Calvi ont en effet été condamnés à six ans de prison ferme et à l’interdiction de tout office public pour homicide involontaire.Leur faute? Ne pas avoir alerté la population, avant le 6 avril 2009, de l’imminence d’un tremblement de terre. Ce jour-là, un séisme de magnitude 6,3 sur l’échelle de Richter s’est produit près de L’Aquila et a fait 309 victimes et plus de 50.000 sans-abri.

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Michel Alberganti

 

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L’expérience de Gilles-Eric Séralini est nulle mais pleine d’avenir

Le professeur Gilles-Eric Séralini lors d'une conférence au Parlement européen à Bruxelles, le 20 septembre 2012. REUTERS/Yves Herman.Sollicitée par le gouvernement dans l’affaire des rats et du maïs génétiquement modifié de Monsanto, l’Agence nationale de sécurité alimentaire vient de rendre son avis: l’expérience du Pr Séralini n’a aucune valeur scientifique, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en tenir compte. Une manière de conforter la volonté gouvernementale d’améliorer l’expertise toxicologique des OGM alimentaires. 

On n’attendait plus qu’eux pour savoir à quoi s’en tenir sur les spectaculaires conclusions de l’expérience hautement médiatisée menée, sous la direction du Pr Gilles-Eric Séralini, sur des rats nourris avec un maïs génétiquement modifié de Monsanto et l’herbicide RoundUp de Monsanto.

Le 19 septembre, soit le jour même où cette étude était publiée dans une revue scientifique et relayée par le Nouvel Observateur, le gouvernement avait curieusement saisi en urgence l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Haut conseil des biotechnologies (HCB). Avec cette saisine, il s’agissait, en substance, pour les trois ministres directement concernés (Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, Delphine Batho), de savoir à quoi s’en tenir sur un sujet hautement controversé. Plus d’un mois plus tard, ce lundi 22 octobre, ces deux institutions ont rendu leurs conclusions.

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Michel Alberganti et Jean-Yves Nau

 

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OGM: six Académies plaident pour museler les chercheurs et la presse

Que s’est-il passé au sein des 6 Académies nationales qui, vendredi 19 octobre 2012, ont publié un avis commun sur l’affaire Séralini ? Dès le 19 septembre, jour de la publication de l’étude du chercheur français à la fois dans la revue Food and Chemical Toxicology et dans le Nouvel Observateur, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a demandé, via une saisine immédiate, l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Tandis que l’on attend toujours cet avis (annoncé pour le lundi 22 septembre à 14h00), voilà que 6 Académies nationales, auxquelles personne n’a rien demandé, décident de se prononcer sur l’étude de Gilles-Eric Séralini.

La surprise redouble, voire décuple, lorsque l’on lit ce texte de 5 pages sobrement intitulé “Avis des Académies nationales d’Agriculture, de Médecine, de Pharmacie, des Sciences, des Technologies, et Vétérinaire sur la publication récente de G.E. Séralini et al. sur la toxicité d’un OGM”. Outre le fait, sans doute rarissime, d’une telle association de doctes institutions, c’est la violence du propos qui surprend et amène à s’interroger. On se souvient des tergiversations, des débats à huis clos et du texte final de haute volée diplomatique qui avait suivi la demande à l’Académie des sciences de statuer sur le différend entre scientifiques au sujet du réchauffement climatique. Ici, l’équilibre cède la place une virulence inaccoutumée.

Sur le fond, les six Académies reprennent les avis déjà remis par les autorités européenne (EFSA) et allemande (BfR) sans attendre celui de la France… Dont acte. Le communiqué de presse accompagnant l’avis conclut : “En conséquence, ce travail ne permet aucune conclusion fiable”. Mais c’est sur la forme, c’est à dire la stratégie de communication de cette étude, que les Académiciens lâchent leurs bombes. Sans se priver d’attaques ad hominem:

“L’orchestration de la notoriété d’un scientifique ou d’une équipe constitue une faute grave lorsqu’elle concourt à répandre auprès du grand public des peurs ne reposant sur aucune conclusion établie”.

Quand aux leçons et préconisations, elles font froid dans le dos. Leur citation intégrale s’impose tant le propos sort des sentiers battus. Ainsi, les six Académies :

souhaitent que les universités et les organismes de recherche publics se dotent d’un dispositif de règles éthiques concernant la communication des résultats scientifiques vis-à-vis des journalistes et du public, afin d’éviter que des chercheurs privilégient le débat médiatique qu’ils ont délibérément suscité, à celui qui doit nécessairement le précéder au sein de la communauté. scientifique.

proposent que le Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel s’adjoigne un Haut comité de la science et de la technologie chargé de lui faire part, de façon régulière, de la manière dont les questions scientifiques sont traitées par les acteurs de la communication audiovisuelle.

demandent aux pouvoirs publics et à la représentation nationale de tout mettre en œuvre pour redonner du crédit à l’expertise collective et à la parole de la communauté scientifique qui mérite une confiance qu’on lui refuse trop souvent, alors que chacun s’accorde à affirmer que l’avenir de la France dépend pour partie de la qualité de ses travaux de recherche.

Est-il nécessaire de commenter de tels propos ? Le “dispositif de règles éthiques” semble conduire directement à l’instauration d’une nouvelle censure en matière de communication scientifique. Le Haut conseil de la science et de la technologie, associé au CSA, ressemble à un service de renseignements chargé de faire la chasse aux journalistes maltraitant la science.

S’il avait existé, le premier instrument aurait pu servir à museler Gilles-Eric Séralini. En cas d’échec de cette première ligne, le second dispositif aurait conduit à dénoncer les journalistes du Nouvel Observateur qui ont relayé l’information le jour de la publication scientifique de l’étude. Les Académiciens ne précisent pas les sanctions qu’ils souhaitent voir appliquées. L’exclusion du chercheur de l’université ? L’interdiction de paraître du Nouvel Observateur ?

Que six Académies perdent à ce point leur sang froid qu’elles se laissent aller à publier un texte commun appelant à la censure et à la chasse aux sorcières révèle un malaise profond de ces institutions scientifiques vis à vis des médias et du public. A l’inverse du but recherché, ce texte pourrait conduire à :

Une défense, espérons-le, par l’ensemble des médias, aussi bien de la presse écrite, radio et télévisée, de la rédaction du Nouvel Observateur. Corporatisme ? Sans doute, si la liberté de la presse en est un. Sinon, ce sera aux lecteurs, c’est à dire aux citoyens, de se prononcer. Même ceux, dont je fais partie, qui considèrent la couverture du Nouvel Observateur du 20 septembre (“Oui, les OGM sont des poisons !”) comme indigne de l’éthique journalistique, ne pourront que défendre le droit de l’hebdomadaire à faire des erreurs. Tous les médias en ont fait, en font et en feront. Surtout dans les périodes économiquement difficiles comme celle que nous traversons. La disparition de la version papier de Newsweek en témoigne. Vouloir instaurer la censure ne peut avoir comme objectif que de hâter la disparition de la presse écrite. A moins que cette dernière ne sorte revigorée de cette attaque. Mais, pour cela, elle a besoin du soutien de ses lecteurs.

Une suspicion dans l’esprit des directeurs de journaux, de radios et de télévisions, vis à vis du traitement de la science dans leur média. Cette méfiance minera les décennies d’efforts des journalistes scientifiques pour convaincre leur direction, dont la culture est, le plus souvent, littéraire, d’accorder plus de place aux sujets scientifiques dans leur média. Sans une condamnation massive du texte des six Académies, la science occupera, demain, encore moins de place qu’aujourd’hui dans les journaux, les radios et les chaînes de télévision. Beau résultat…

Une fracture entre les chercheurs, les médias et le grand public. Là encore, des décennies d’efforts pour mettre les débats scientifiques sur la place publique risquent d’être ruinées. Ce ne serait pas le moindre des effets collatéraux de l’opération médiatique Séralini que de lui donner un tel pouvoir. Aujourd’hui, déjà , la parole des chercheurs n’est pas toujours libre. En faisant planer la menace d’une sanction de leur institution, la recherche sera muselée. Est-ce là le but des Académies nationales ? Veulent-elles que le débat scientifique soit réduit au huis clos jusqu’à ce qu’une communication officielle, une “vérité”, soit dispensée à la foule ignare, incapable de forger sa propre opinion ?

On peut se demander quelle mouche a piqué les six Académies pour les conduire à publier un tel texte. S’il n’est pas retiré au plus vite, une réaction s’impose de la part de l’ensemble des journalistes, bien entendu, mais également, et surtout, du public.

Alors, à vos plumes !

Michel Alberganti

 

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OGM, le sacrifice des rats

REUTERS/Science/AAAS

L’affaire Séralini semble tirer à sa fin. Les expertises françaises de l’étude scientifique publiée le 19 septembre 2012 risquent fort d’arriver après la bataille.

Certains verront de la sagesse dans cette lenteur. D’autres de l’embarras pour ne pas dire plus. Peu importe.

Les avis sont déjà assez nombreux pour qu’une issue se profile. Un organisme allemand (BfR) et un autre européen (EFSA) ont analysé l’étude en termes sévères. Des scientifiques de tout poil, antis et surtout pros OGM, se sont exprimés et Gilles-Eric Séralini accompagné de Corinne Lepage ont largement répondu. L’heure est donc au bilan.

Trois leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de cette affaire qui est passée, alternativement, du statut de scoop du siècle à celui de manipulation militante grossière. Au final, comme souvent, l’impact réel de ce coup médiatique échappe à de telles caricatures.

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La petite leçon de physique du saut de Felix Baumgartner

Le 14 octobre 2012, Felix Baumgartner est devenu le premier homme à monter à près de 40 000 mètres d’altitude et à sauter pour revenir sur Terre après une chute libre suivie par une descente en parachute. Derrière l’exploit sportif, que nous avons relaté en détail, on trouve une jolie leçon de physique. En effet, l’expérience de Felix Baumgartner illustre de façon spectaculaire plusieurs phénomènes auxquels nous sommes soumis sans en avoir conscience: la gravité, la pression atmosphérique, la température de l’air au dessus de nos têtes ou la vitesse du son. En revanche, pour ce qui concerne le passage du mur du son avec une simple combinaison, le parachutisme autrichien est aujourd’hui le seul être humain à l’avoir expérimenté. Lorsqu’il se trouvait à 39 km d’altitude, quelles étaient les forces auxquelles il était soumis ? Comment ces forces ont évolué au cours de son saut ? Autant d’exercices de physique dont les professeurs vont maintenant pouvoir s’emparer. Leurs élèves, eux, devront se projeter vers le ciel, armés de quelques formules.

1°/ La gravité et le poids

La gravité est l’un des phénomènes les plus mystérieux de notre univers. Elle se traduit par une attraction exercée par une masse sur une autre. La Terre sur chacun de nous, par exemple. Mais aussi la Terre sur la Lune, le Soleil sur la Terre… Une attraction dont on cherche encore à préciser le support physique. Pour l’expliquer, Albert Einstein a dû imaginer une déformation de l’espace-temps… C’est dire ! Ce qui est certain, c’est qu’une force s’exerce sur une masse lorsqu’elle se trouve au voisinage d’une autre. Plus la masse d’un objet est importante, plus l’attraction qu’elle exerce sur une autre masse est grande. C’est pour cette raison que les verres tombent par terre et non l’inverse… Mais aussi que la gravité sur la Lune, est très inférieure à celle qui règne sur Terre. Là bas, elle n’atteint que 1,6 m/s2, soit 16,7% de celle qui règne sur Terre. Par ailleurs, plus les verres tombent de haut, plus ils ont le temps d’accélérer et plus leur vitesse au moment de l’impact est grande. Et plus ils risquent de se casser. C’est pour cette raison qu’il vaut mieux tomber du premier étage d’un immeuble que du 6e.

Cette accélération d’une masse attirée par une autre, c’est justement cela, la gravité. Elle se mesure comme une accélération. A la surface de la Terre, cette accélération est égale à 9,81 m/s2, le fameux “g” que nous avons tous découvert à l’école. Appliquée à une masse, cette accélération lui donne… un poids.  Grâce à Newton et à sa pomme légendaire, nous savons que le poids est égal au produit de la masse par l’accélération due à la pesanteur, via la célèbre formule : P = mg. Dès que l’on quitte le plancher des vaches, les choses se compliquent.

C’est ainsi que nous retrouvons Felix Baumgartner, debout sur la petite marche accrochée à sa capsule. A 39 km de la surface de la Terre échappe-t-il à l’attraction terrestre, à la gravité ? Si c’était le cas, et s’il se trouvait vraiment dans l’espace, il ne serait simplement… pas tombé. Difficile, dans ce cas, de franchir le mur du son. En fait, il était encore beaucoup trop près de la Terre pour atteindre l’apesanteur que connaissent les locataires de la Station spatiale internationale qui croise à quelque 400 km d’altitude et qui équilibre la gravitation grâce à la force centrifuge engendrée par sa rotation autour de la Terre (*). Dix fois plus haut que Felix. Pour ce dernier, la perte de gravité est restée très limitée à environ 1,2%. S’il pèse 80 kg à la surface de la Terre, il en pesait encore environ 79 au bord de sa nacelle, juste avant de sauter.

2°/ La pression atmosphérique et la température

Si Felix Baumgartner est tombé au lieu de flotter, c’est donc à cause de la gravité. Mais pourquoi était revêtu de cette combinaison sous pression qui rendait ses gestes si difficiles. En raison de la différence de pression atmosphérique, bien entendu…

A la surface de la Terre, en plus de la gravité, nous subissons la pression exercée par l’atmosphère. Soit une épaisseur d’environ 100 km d’air au dessus de nos têtes… Cette pression diminue lorsque l’on s’éloigne de la Terre. Dans ce cas, l’impact de l’altitude du saut de Felix est loin d’être négligeable. Lors de sa montée, il a franchi environ 40% de l’épaisseur de l’atmosphère. Pourtant, la différence de pression extérieure était nettement inférieure à ces -40%. En effet, la densité de l’air n’est pas régulière lorsque l’on s’élève. Ainsi, elle n’atteignait plus qu’environ 1% de la densité sur Terre à 39 km d’altitude. Dès 5500 mètres d’altitude, la pression atmosphérique a déjà perdu 50% de sa valeur au niveau de la mer. Il n’en reste que 10% à 16 km d’altitude. Et la pression extérieure, elle aussi, était 100 fois plus faible que sur Terre lorsque Félix a ouvert l’écoutille de sa nacelle. Sans sa combinaison pressurisée, son corps se serait dilaté, presque comme on le voit au cinéma lorsqu’un astronaute perd cette protection dans l’espace.

Gravité similaire, densité de l’air et pression atmosphérique divisées par 100. Et la température ? On imagine un froid plus que polaire, spatial ! Grosse erreur. En fait, la température varie très fortement, dans les deux sens, lorsque l’on s’élève. Nous assimilons altitude et refroidissement parce que notre expérience est limitée aux plus hauts sommets des montagnes terriennes. Quelques milliers de mètres seulement. Dans cette zone, et jusqu’à environ 10 km (l’altitude des avions de ligne), la température baisse en effet régulièrement pour atteindre quelque -60°C. Elle se maintient ainsi jusqu’à 20 km et ensuite, elle commence à remonter. Aux environs de 45 km, elle est pratiquement revenue à 0°C et elle recommence à baisser à nouveau à partir de 50 km pour descendre jusqu’à -100°C à 80 km avant de remonter à partir de 90 km. A l’extérieur de l’atmosphère, au delà de 100 km d’altitude, la température devient très élevée (300 à 1600°C). Mais l’absence de molécules d’air, dans le vide, empêche cette chaleur se transmettre et de brûler les astronautes. Néanmoins, leur combinaison blanche reflète les rayons du soleil le plus possible. La température élevée à la sortie de l’atmosphère démontre la protection que cette dernière apporte à la Terre.

Revenons à Felix qui, lui, n’est pas allé jusqu’à l’espace. Il se trouve, en revanche, dans une situation idéale pour réaliser son exploit. Forte gravité et faible densité d’air. Sans ces conditions, il n’aurait jamais atteint la vitesse de 1342 km/h, ni franchi le mur du son.

3°/ La vitesse du son

Contrairement à la lumière qui est une onde électromagnétique, le son est une onde produite par la vibration mécanique du milieu dans lequel elle se propage. Pas de milieu, pas de son. Une règle que les réalisateurs de films se déroulant dans l’espace ont longtemps ignorée. Jusqu’à Stanley Kubrick et 2001, l’odyssée de l’espace. Si Felix avait eu un compagnon, et s’il avait pu se passer de sa combinaison, il n’aurait guère pu se faire entendre. Pas assez d’air à faire vibrer pour acheminer correctement le son de sa voix. En revanche, cette atmosphère raréfiée présente un avantage considérable pour la chute libre : elle ne freine pas, ou très peu, le corps de Felix. Au moins pendant les premières minutes de sa chute. C’est ainsi qu’il a pu accélérer jusqu’à dépasser la vitesse du son. Là où cela se complique, c’est que cette vitesse dépend… également de l’altitude. Plus précisément de la densité de l’air, de la pression et de la température. Comme nous l’avons déjà expliqué, à environ 30 km, la vitesse du son est de 1087 km/h, contre 1200 km/h au sol. En fait, Felix n’a pas fait de détail et battu la vitesse du son… même au niveau de la mer.

Avant son saut, la seule véritable question sans réponse concernait l’effet du passage du mur du son sur un homme sans autre protection qu’une combinaison. On a pu voir à quel point Felix était ballotté pendant la partie la plus rapide de sa chute. Les vibrations du passage du mur du son l’ont probablement déstabilisé. Il reconnaît lui-même qu’il a craint de perdre connaissance. Dès que l’air est devenu assez dense, sa chute s’est ralentie et il a pu reprendre le contrôle de son vol, en professionnel du parachutisme. Son arrivée au sol, sur ses deux jambes, a montré qu’il avait retrouvé tous ses moyens avant d’atterrir. Bel exploit. Et belle leçon de physique.

Michel Alberganti

Mise à jour : “et qui équilibre la gravitation grâce à la force centrifuge engendrée par sa rotation autour de la Terre” a été rajouté grâce à la remarque judicieuse de François Desvallées.

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Felix Baumgartner, premier homme volant à 1342 km/h

Felix Baumgartner a réussi son pari : franchir le mur du son en chute libre. Avec, pour seule protection, une combinaison d’astronaute. Il a même très largement dépassé son objectif en atteignant, selon Brian Utley, l’expert chargé de certifier la performance pour la Fédération Aéronautique Internationale. Il est en effet parvenu à la vitesse de 1342 km/h, alors que celle du son, à cette altitude, n’est “que” de 1087 km/h. Soit un dépassement de près de 25% de cette vitesse mythique qui faisait tant peur aux pilotes d’avion avant que Chuck Yeager ne la franchisse pour la première fois, le 14 octobre 1947.

65 ans après Chuck Yeager

Le 14 octobre ? C’est justement la date choisie par Félix Baumgartner pour tenter, une nouvelle fois, son exploit après plusieurs reports. Exactement 65 ans plus tard, il franchit, lui aussi, cette limite, mais grâce au seul poids de son corps et à l’attraction de la Terre.
La performance a duré 2 heures 21 pour la montée et à peine plus de 9 minutes pour la descente. La partie en chute libre, elle, n’a pas dépassé 4 minutes et 20 secondes, soit 16 secondes de moins que le record établi en 1960 par Joseph Kittinger, aujourd’hui ancien colonel de l’Air Force de 84 ans présent aux cotés de Felix Baumgartner pendant tout le projet et, bien entendu, lors de l’exploit auquel ont également assisté plus de 8 millions de personnes en direct sur Internet et certaines chaînes de télévision.

Trois records, un échec

L’autrichien de 43 ans, parachutiste professionnel, ancien militaire et spécialiste des sauts acrobatiques (tours, ponts, Christ de Rio de Janeiro…), a, finalement battu trois records du monde : le saut le plus haut (39 km d’altitude),  la plus longue chute libre (36,5 km) et, bien entendu, la vitesse la plus élevée atteinte par un homme sans l’aide d’une machine, 1342 km/h. Finalement, c’est sans doute à cause de sa vitesse que Felix Baumgartner a raté le quatrième record, celui de la durée de la chute libre.

300 personnes et des millions de dollars

Il reste que le parachutiste a atteint ses objectifs principaux. Après cinq ans d’attente. Son exploit a mobilisé une équipe de 300 personnes à Roswell, dont 70 ingénieurs, scientifiques et physiciens. Le tout financé par la marque de boisson Red Bull à coup de millions de dollars. Un ballon d’hélium coûte 200 000 dollars. La combinaison spéciale utilisée par Felix Baumgartner est revenue à 250 000 dollars. Le coût de la capsule n’est pas connu. L’ensemble était équipé de 15 appareils de capture d’images (vidéo et photo). Un documentaire produit par la BBC et National Geographic sera diffusé dans quelques semaines.

La nostalgie des astronautes

Le spectacle de Felix Baumgartner dans sa petite capsule nous a rappelé les images des années 1960, lorsque l’homme faisait ses premiers pas dans l’espace. Le minuscule vaisseau de Youri Gagarine. Les capsules Apollo… Jamais, les séjours des occupants de la Station spatiale internationale (ISS) n’ont engendré pareilles émotions. Les sondes spatiales et les robots martiens, quels que soient leurs exploits, ne provoqueront jamais, non plus, ce frisson particulier que l’on ressent lorsqu’un homme prend le risque de se lancer dans l’inconnu. Lorsqu’il saute dans le vide…

Tout le monde n’est pas Neil Armstrong

En ce 14 octobre 2012, Felix Baumgartner nous a offert un ersatz de cette émotion. Lorsqu’il a signalé, pouce levé, que tout était paré de son coté. Lorsqu’il a ouvert l’écoutille de sa nacelle et que sa cabine a été inondée de lumière. Lorsqu’il s’est péniblement levé de son siège pour, avec les gestes engourdis par sa combinaison compensant la très faible pression atmosphérique, faire les deux pas qui le séparaient de la petite marche au dessus du vide. 39 km de vide… Lorsqu’il se tenait là, agrippé à deux rampes, et qu’il tentait de dire, avec son fort accent allemand, quelques mots historiques… “Parfois, il faut monter vraiment haut pour savoir à quel point vous êtes petits”, a-t-il prononcé péniblement. Tout le monde n’est pas Neil Armstrong… Lorsqu’il s’est laissé tomber, enfin, et qu’il a aussitôt été comme aspiré par la Terre. Lorsqu’il s’est mis à tournoyer comme un corps abandonné, privé d’air pour planer. Lorsque l’on entendait son souffle pendant sa chute. Lorsqu’il s’est rétabli en atteignant les couches plus denses de l’atmosphère et a commencé une descente impeccable. Lorsque son parachute s’est ouvert et qu’il a atterri sur ses jambes, comme à l’entrainement. Une émotion, certes, mais pas vraiment de frisson.

Mur du son et combinaison

Il reste de Felix Baumgarnter a démontré l’absence d’impact du passage du mur du son sur un corps humain. Ce qui n’avait jamais été expérimenté. Avant son saut, on pouvait craindre des effets désagréables, voire graves, dus aux vibrations engendrées par le front d’ondes. Il semble que, sur la masse réduite d’un corps humain, cette barrière n’ait pas de conséquences néfastes. Il va de soi que la combinaison du parachutiste a joué un rôle essentiel de protection vis à vis des conditions extérieures, en particulier la faible pression atmosphérique, l’absence d’oxygène et la température très basse pendant la chute libre. C’est même la véritable justification scientifique de l’expérience. Grâce à Felix Baumgartner, l’équipement utilisé est validé pour une hauteur de chute de 39 km. Cela pourrait sauver la vie d’astronautes en perdition lors d’une rentrée en catastrophe dans l’atmosphère. Avant que leur vaisseau n’atteigne les couches les plus denses, ils pourraient être éjectés à cette altitude et retomber en parachute. Mais l’opération sera beaucoup plus délicate avec une capsule se déplaçant à grande vitesse qu’avec une nacelle de ballon presque immobile au moment du saut.

Michel Alberganti

Note: Le texte a été modifié en remplaçant “l’apesanteur” par “sa combinaison compensant la très faible pression atmosphérique extérieure” grâce aux commentaires de JeanBob et Jacques Ghémard.

Le dernier paragraphe a également été ajouté.

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Le cerveau peut se soigner tout seul

Lors de l’émission Science Publique du 12 octobre 2012, que j’ai animée sur France Culture, il est arrivé ce qui se produit parfois lors d’une émission de radio. L’un des invités, Denis Le Bihan, directeur de Neurospin, a relaté des expériences qui ont été menées par différents laboratoires et dont les résultats ont été publiés dans des revues scientifiques. Et sa description s’est révélée tout bonnement sidérante. Elle est arrivée à un moment de l’émission où étaient évoquées les limites des thérapies actuelles. Qu’elles soient chimiques, avec les médicaments, ou électriques, avec les électrodes implantées à l’intérieur du cerveau, pour soigner, par exemple, la maladie de Parkinson.

La douleur disparaît

“Mais le cerveau peut aussi se soigner lui-même”, a alors lancé Denis Le Bihan. Pas de quoi être ébouriffé. Nous avions tenté de réaliser une émission sur ce thème. Sans grand succès d’ailleurs… La surprise est venue de l’expérience particulière qu’il nous a racontée. Le patient souffrant de douleurs chroniques est installé dans un appareil d’IRM fonctionnelle (IRMf). Les neurologues règlent l’instrument pour mesurer l’activité du cerveau dans le centre de la douleur. Ils établissent ensuite une liaison entre cette mesure et l’image d’une flamme de bougie qui est projetée sur un écran devant le patient. Les expérimentateurs demandent ensuite à ce dernier de tenter de faire baisser la hauteur de la flamme jusqu’à l’éteindre. Le patient n’a aucune clé, aucune méthode, aucune technique pour y parvenir. En se concentrant, il parvient toutefois à obtenir ce résultat. La hauteur de la flamme baisse. Et la douleur aussi ! Lorsqu’ils sortent de l’IRM, les patients restent capables de contrôler leur niveau de douleur. Mieux, ils expliquent que “leur douleur (a) baissé d’intensité sans qu’ils aient besoin d’y faire expressément attention”, note Denis le Bihan dans l’ouvrage intitulé Le cerveau de cristal qu’il vient de publier chez Odile Jacob.

Biofeedback

Cela s’appelle le biofeedback par IRM. Le résultat est encore plus spectaculaire sur des patients déprimés chroniques. Dans ce cas, la région du cerveau qui est choisie est celle du plaisir. Et les patients doivent, à l’inverse, tenter d’augmenter la hauteur de la flamme sur l’image qui leur est présentée. Il s’agit ainsi de stimuler l’activité de ce centre du plaisir. Et ils y parviennent. “Là encore, le résultat fut remarquable, certains patients sortant complètement de leur dépression après l’examen IRMf, et ne prenant plus aucune médication”, écrit Denis Le Bihan dans son ouvrage. Ainsi, un “simple” appareil de mesure devient un instrument thérapeutique !

Dépression, Parkinson…

Résultats également positifs sur la maladie de Parkinson. Les malades apprennent, de la même façon, à contrôler leur cerveau et ils améliorent leurs performances motrices. Denis Le Bihan ne met guère en valeur ces expériences dans son livre. Lors de l’émission, il n’a pas parlé des résultats obtenus sur la dépression. Cette discrétion n’est pas due au hasard. Le chercheur veut à la fois dévoiler ses avancées et ne pas faire naître des espoirs démesurés ou prématurés. “Il reste encore beaucoup à faire pour mieux cerner cette méthode de biofeedback, (mesurer) son efficacité à long terme, et préciser quels patients peuvent en bénéficier (certainement pas tous)”, écrit-il. “Cette approche n’est pas encore totalement validée, mais on potentiel est énorme”, poursuit-il.

Un divan en forme de miroir

 

Et d’envisager, encore avec prudence, ce que peut être l”avenir de l’IRM: “Il est encore trop tôt cependant pour dire si le lit de l’imageur IRM remplacera un jour le divan des cabinets de psychiatrie”. L’IRMf servirait alors de connecteur direct, sans l’intermédiaire d’un médiateur humain, entre l’individu et son cerveau. Les psychanalystes, déjà passablement mals en point, pourraient alors se faire du souci. Et peut-être se remettre en cause. Ce qui ne fait jamais de mal à personne. Pour les patients que nous sommes, les perspectives sont vertigineuses. Nous nous retrouverions devant une image réelle de l’activité d’une certaine région de notre cerveau. Avec le pouvoir d’agir sur son fonctionnement.

La fatalité des bugs

Comment comprendre qu’une douleur chronique, une dépression ou un tremblement puissent être maîtrisés aussi facilement que Denis Le Bihan le décrit ? On connaît aujourd’hui, et les invités de Science Publique se sont attachés à l’expliquer, la complexité mais également la plasticité des cellules nerveuses du cerveau. Sans cesse, elles se reconfigurent pour “faire le travail”, c’est à dire répondre aux besoins de l’organisme qu’elle contrôlent. 100 milliards de neurones ! Comment imaginer cette population grouillante, ces dizaines de milliards de synapses acheminant des messages électriques et chimiques en permanence ? Que, comme dans un ordinateur, cette complexité engendre des bugs est plus facile à concevoir. Que ces bugs se traduisent pas des états anormaux, comme une douleur chronique ou une dépression persistante, semble également plus que probable. Toute la question est de trouver un moyen de rétablir un fonctionnement normal. Pas question de rebooter… Pas de bouton de reset… Que faire ?

Comme un pli anormal

L’expérience de biofeedback de Neurospin démontre que l’action est possible. Même si le modus operandi reste mystérieux. Tout se passe comme si le bug avait engendré un pli anormal dans le tissu cérébral. Sans fer à repasser, le pli perdure. Et il engendre une douleur, un malaise, un tremblement bien après que la cause première ait disparu. Le plus étrange, c’est que la volonté seule ne puisse pas effacer ce pli. Comme s’il restait inaccessible au fer à repasser. Or, avec l’expérience de la flamme de la bougie, il apparaît que ce fer à repasser existe bien et qu’il est possible de l’appliquer sur le pli. Notre attention a simplement besoin d’être guidée. Sans repère, elles n’est pas capable de se fixer sur le point névralgique. La bougie l’éclaire et, soudain, elle devient capable d’effacer le pli et de restaurer l’état antérieur.

Un potentiel inexploré

Bien sûr, si cette technique permettait de résoudre les problèmes de douleur, de dépression et de maladie de Parkinson, le bénéfice serait déjà considérable. Mais on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui deviendrait possible grâce à ce type d’action directe sur le cerveau. Resterions-nous limités au repassage des plis, c’est à dire à la correction d’anomalies ? Ou bien pourrions-nous accélérer à volonté l’activité de certaines zones du cerveau ? C’est à dire agir volontairement sur des processus qui se produisent inconsciemment. Pourrions-nous, ainsi, décupler notre concentration ? Augmenter à volonté la capacité de notre mémoire à court terme ? Amplifier certains sens ? Serons-nous un jour capables de reconfigurer notre cerveau beaucoup plus rapidement qu’il ne le fait tout seul ? Cette plasticité extraordinaire que nous avons découvert deviendra-t-elle malléable à souhait par notre volonté ? Deviendrions-nous, ainsi, véritablement maîtres des neurones de notre cerveau ? Un tel pouvoir fait rêver ! Mais il conduit aussitôt à une question : que ferions-nous d’un tel pouvoir ?

Michel Alberganti

(Ré)écoutez l’émission Science Publique du 12 octobre 2012 sur France Culture :

Comment fonctionnent nos neurones ? 57 minutes

Avec Jean-Gaël Barbara, Neurobiologiste et historien des sciences au CNRS, Jean-Pierre Changeux , neurobiologiste, membre de l’Académie des sciences, professeur honoraire au Collège de France, Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin, médecin et physicien, et François Lassagne, rédacteur en chef adjoint de Science & Vie.

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Périscope: Nobel de chimie, mur du son et OGM


Un Nobel de chimie au goût de café

Le prix Nobel de chimie 2012 est avant tout un prix Nobel de biochimie: il récompense deux chercheurs qui ont élucidé l’un des principaux mystères de la transmission moléculaire des informations à l’intérieur de chaque cellule des mammifères. A commencer par les corps humains.

Un exemple: lorsque nous buvons une tasse de café, nous percevons et ressentons dans l’instant sa robe, ses fragrances, sa suavité exotique d’arabica. Comment ce miracle matinal peut-il se produire voire se reproduire pluri-quotidiennement? Pour une large part grâce aux précieuses clés moléculaires découvertes par Robert Lefkowitz et Brian Kobilka.

L’analyse (consciente ou non) des milliers d’informations qui nous parviennent de l’extérieur (mais aussi et surtout de l’intérieur) de notre corps réclame des myriades de molécules réceptrices situées à la surface des milliards de cellules qui constituent notre organisme. Ce sont ces récepteurs qui captent les substances moléculaires circulant dans leur environnement immédiat, des hormones ou des médicaments, par exemple.
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US Researcher: Nobel Prize Win a ‘Total Shock’ par AP-Tech


Nobel chemistry winner Kobilka hopes for better… par reuters

Le saut du mur du son encore retardé

Il devait avoir lieu le lundi 8 octobre. Il a été repoussé à mardi 9 octobre. Mais les conditions météorologiques, en particulier le vent trop fort, ont conduit à un nouveau report du saut en chute libre de l’australien Felix Baumgartner d’une altitude de près de 37 km. Le sauteur fou veut franchir le mur du son avec sa seule combinaison comme protection. Après une annonce pour jeudi 11 octobre, le saut a finalement été repoussé au dimanche 14 octobre. Si le ciel est d’accord…


Daredevil Felix Baumgartner ‘disappointed’ par andfinally

Les OGM devant l’Assemblée Nationale

Auditionné par l’Assemblée nationale mardi 9 octobre, Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude controversée sur la toxicité d’un du maïs Monsanto NK603, résistant à l’herbicide Roundup, et du Roundup lui-même, a appelé les députés à instituer une “expertise contradictoire” pour mettre fin à quinze ans de “débat stérile” sur les OGM. Le professeur ne cesse de demander une telle innovation qui ne laisse d’inquiéter sur son réalisme. Pour lui, les études devraient être soumises à deux expertises, chacune étant effectuée par l’un des deux camps.  La “solution” aurait surtout pour résultat de plonger le législateur dans une perplexité encore plus grande qu’aujourd’hui. Comment départager deux expertises ouvertement militantes ? En en commanditant une troisième, indépendante ? Autant aller tout de suite à cette solution, non?


OGM : l’étude qui dérange par LCP

Michel Alberganti

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Serge Haroche, le Français prix Nobel de physique 2012 (+ vidéos)

La remise du prix Nobel de physique 2012 à Serge Haroche et David J. Wineland est une demi-surprise. Et une excellente nouvelle pour la recherche française. En attendant Peter Higgs et son boson, désormais grands favoris pour 2013, c’est la mécanique quantique et le chat de Schrödinger qui sont à l’honneur. En effet, les travaux de Serge Haroche concernent les phénomènes extraordinaires qui existent dans le monde quantique mais disparaissent dans le monde réel. A l’échelle de particules élémentaires comme les photons ou les atomes pris individuellement ou en très petits groupes, il est possible de superposer deux états contradictoires.

Le fameux chat de Schrödinger est alors à la fois mort et vivant. Inimaginable? En effet. Dans le monde constitué de milliards de milliards de particules en relation les unes avec les autres, cette superposition n’existe plus. Paradoxalement, les physiciens décrivent le passage du monde quantique au monde réel comme une perte de cohérence quantique. Le comble! La cohérence, pour les physiciens, c’est donc la situation dans laquelle un chat est à la fois mort «et» vivant. Une incertitude tout à fait fondamentale!               Lire la suite

Serge Haroche, un arpenteur du monde quantique par CNRS

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Michel Alberganti

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OGM et cancer : les Allemands tirent les premiers, l’Europe suit

Tandis que l’ANSES tarde à remettre son analyse, pourtant demandée en urgence par le gouvernement français, sur l’étude publiée le 19 septembre 2012 par l’équipe de Gilles-Eric Séralini, les Allemands, à qui l’on avait, semble-t-il, rien demandé, publient leurs conclusions. Et elles sont dures. De son coté, l’Europe, dont l’EFSA avait, elle, reçu une demande d’expertise de la part de la France, grille, elle aussi, la politesse à l’ANSES en publiant dès le 4 octobre le résultat de son premier examen. Et il est sévère.

Insuffisant, inadéquat…

L’EFSA considère l’étude comme “de qualité scientifique insuffisante pour être considérée comme valable en matière d’évaluation du risque”. De plus, son examen préliminaire considère que “la conception, le rapport et l’analyse de l’étude sont inadéquats”.  Pour approfondir son jugement, l’EFSA a demandé à l’équipe Séralini de partager des informations supplémentaires essentielles. En attendant, à cause de ces défauts, l’organisme se déclare incapable de considérer les conclusions des auteurs comme scientifiquement justes. “Aucune conclusion ne peut être tirée de l’occurrence des tumeurs chez les rats testés”, note l’EFSA. Suivent une dizaine de points que l’autorité juge problématiques.

Pas d’objectif prédéfini

Parmi ces critiques, certaines sont déjà connues, comme la race des rats choisie (sensible aux tumeurs  au cours de leur vie normale) ou la non conformité de l’étude aux protocoles internationaux (10 rats par groupe au lieu de 50), d’autres le sont moins. Ainsi, l’EFSA souligne la présence d’un seul lot de contrôle au sein des 10 lots de rats testés. Elle en déduit qu’il n’y avait pas de groupe de contrôle pour 4 groupes, soit 40% des animaux, nourris avec du maïs OGM traité ou non avec de l’herbicide Roundup. L’EFSA note également que l’expérience n’avait pas d’objectif bien défini au départ alors que cela est nécessaire pour établir le protocole correspondant. L’autorité se plaint aussi de l’absence d’information sur la composition de la nourriture des rats, en particulier la présence ou non de mycotoxines. Absence, également, de données sur les quantités de nourriture ingérées, seuls des pourcentages d’OGM et de Roundup étant indiqués. La méthode statistique d’analyse des résultats est aussi contestée.

L’Europe ne remet pas en cause ses évaluations

L’EFSA en déduit qu’elle ne voit pas de motifs de ré-examiner ses évaluations précédentes du maïs Monsanto NK603 ni de prendre en compte les résultats de l’équipe Séralini dans l’évaluation du glyphosate, la molécule active du Roundup. Néanmoins, elle annonce une seconde analyse, plus approfondie, pour la fin du mois d’octobre. Cette dernière prendra en compte toutes les informations supplémentaires fournies par l’équipe Séralini, les évaluations réalisées par les pays membres ainsi que celle des autorités allemandes, responsables des autorisations concernant le glyphosate.

Conclusions non compréhensibles

Justement, l’institut BfR (Das Bundesinstitut für Risikobewertung) a publié son opinion sur l’étude Séralini daté du 1er octobre. Il semble que l’EFSA se soit inspiré des conclusions allemandes, tant les critiques se recoupent. Néanmoins, le BfR reconnaît l’intérêt d’une étude sur le long terme d’une alimentation contenant du glyphosate à 0,5%. Il explique que ce travail n’a pas été effectué auparavant car la règlementation internationale n’impose qu’un test des substances actives elles-mêmes. Ainsi, le glyphosate lui-même a été largement étudié par de nombreuses études à long terme sur des rats et des souris sans qu’aucun effet sur le développement de cancers, une augmentation de la mortalité ou un impact sur le système endocrinien n’ait été observé, contrairement aux résultats obtenus par l’équipe Séralini.
Si l’institut juge intéressante la démarche des Français, elle est encore plus sévère que l’EFSA lorsqu’elle évalue le protocole et les résultats de l’expérience. Elle estime ainsi que les données expérimentales ne justifient pas les principales conclusions de l’étude. Qu’en raison de défauts dans la conception de l’étude aussi bien que dans la présentation et l’interprétation des données, les conclusions correspondantes tirées par les auteurs ne sont pas compréhensibles. Que pour une évaluation plus approfondie, le BfR a demandé aux auteurs de fournir le rapport d’étude complet comprenant les données individuelles des animaux et a posé certaines questions précises. Des demandes n’ayant pas reçu de réponses pour l’instant.

Une position difficile à tenir

Le rapport de 7 pages du BfR relève également de multiples manques dans les informations nécessaires à une évaluation en profondeur de l’étude. Critique déjà formulée plusieurs fois par différents scientifiques qui y ont accédé. Au JT de 20 heures de France 2, le 4 octobre, Gilles-Eric Séralini a expliqué que le jugement de l’EFSA provenait du fait que l’organisme ne voulait pas se dédire vis à vis de ses évaluations précédentes du NK603 “avec des tests trop courts”. Il a également laissé entendre, assez confusément, que l’EFSA est sous l’influence des lobbies et des industriels des OGM.

Cette position de Gilles-Eric Séralini devient ainsi de plus en plus difficile à tenir. On voit mal comment il pourra continuer à refuser de donner des informations détaillées sur son expérience afin qu’une évaluation complète de l’étude puisse être réalisée. A moins que sa stratégie vise uniquement le battage médiatique qu’il a déjà largement réussi à engendrer. Dans ce cas, nous risquons de rester sur notre faim en attendant le résultat d’une éventuelle nouvelle étude. Dans deux ou trois ans…

Michel Alberganti

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