Le dossier noir de l’acide hydroxyque

chemical glasswareC’est une molécule chimique commune, si commune qu’on la retrouve quasiment partout. Vous en avez forcément chez vous, tout comme vous en avez ingéré un certain nombre de milligrammes depuis votre naissance. Et vous en avez donné à vos bébés. Pourtant, cette substance dont les industriels se servent tous les jours, notamment dans le milieu de l’agro-alimentaire mais aussi dans celui du nucléaire, et qui n’est pas considérée comme à risque par la majorité des chercheurs, n’est pas un produit anodin. Il s’agit de l’acide hydroxyque, plus connu sous son acronyme anglais DHMO et les dangers qu’il peut présenter dans certaines conditions sont loin d’être négligeables.

La liste de ces dangers, publiée sur le site DHMO.org tenu par le scientifique américain Thomas Way, fait froid dans le dos au point que l’on finit par se demander par quel miracle (ou plutôt grâce à quel complot) le rôle potentiellement toxique du DHMO n’a pas été souligné auparavant. Pour la bonne lisibilité de cette liste, j’ai reclassé les risques en les regroupant dans l’ordre suivant: risques sanitaires, risques environnementaux, risques technologiques. Voici ce que cela donne: «Des décès dus à l’inhalation accidentelle, même en faibles quantités; l’exposition prolongée à sa forme solide entraîne des dommages graves des tissus; sous forme gazeuse, il peut causer des brûlures graves; l’ingestion en quantités excessives donne lieu à un certain nombre d’effets secondaires désagréables, bien que ne mettant pas habituellement en cause le pronostic vital; a été trouvé dans des biopsies de tumeurs et lésions pré-cancéreuses; le monoxyde de dihydrogène est un constituant majeur des pluies acides; il contribue à l’érosion des sols; il entraîne la corrosion et l’oxydation de nombreux métaux; la contamination de dispositifs électriques entraîne souvent des court-circuits; son exposition diminution l’efficacité des freins automobiles.» Même si je n’ai pas toujours récupéré les liens y afférents, tous ces risques sont documentés et pour certains depuis très longtemps. En revanche, j’en ai trouvé un de plus, sous la forme d’une étude publiée par Nature Geoscience, montrant que le produit était également un puissant gaz à effet de serre. Au total, même si aucun chiffre n’existe officiellement, il ne fait guère de doute que, chaque année sur la planète, l’acide hydroxyque est directement ou indirectement responsable de plusieurs milliers voire dizaines de milliers de décès.

Pour qui s’y plonge, le dossier du DHMO n’en finit pas de surprendre. Le composant de base de cette molécule est le radical hydroxyle «qu’on retrouve dans de nombreux composés caustiques, explosifs et toxiques tels que l’acide sulfurique, la nitroglycérine et l’éthanol», explique le site. Le DHMO était utilisé par les nazis dans les camps d’extermination et, plus récemment, on l’a retrouvé dans les prisons de nombreux pays comme l’Irak ou la Serbie de Milosevic. Les enquêtes en cours sur les exactions à Guantanamo montre que cette molécule très facile à produire et peu chère y était aussi présente. Bien évidemment, les laboratoires pratiquant l’expérimentation animale y ont systématiquement recours, tout comme les agriculteurs-éleveurs, soit dans l’aspersion de pesticides, soit dans l’alimentation du bétail.

Pourtant, le DHMO n’est le plus souvent pas signalé dans la composition d’un certain nombre de produits dans lesquels il figure. Là aussi, la liste établie par DHMO.org après enquête est édifiante: la substance se retrouve «comme additif à certains produits alimentaires, dont les repas en pot et les préparations pour bébés, et même dans de nombreux potages, boissons sucrées et jus de fruits prétendument “entièrement naturels”; dans des médicaments contre la toux et d’autres produits pharmaceutiques liquides; dans des bombes de décapage de fours; dans des shampoings, crèmes à raser, déodorants, et bien d’autres produits d’hygiène; dans des produits de bain moussant destinés aux enfants; en tant que conservateur dans les rayons de fruits et légumes frais des surfaces alimentaires; dans la production de bières de toutes les grandes marques; dans le café vendu dans les principaux “coffee-shops”» des États-Unis et d’autres pays.»

On est donc en droit de se demander ce que font les gouvernements et les autorités sanitaires. Toujours selon DHMO.org, «historiquement, les dangers du monoxyde de dihydrogène (DHMO) ont été, pour la plupart, considérés comme mineurs et ne nécessitant pas de mesures particulières. Alors que les dangers plus graves du monoxyde de dihydrogène sont maintenant pris en compte par plusieurs institutions dont la Food and Drug Administration, la FEMA et les CDC, la conscience qu’a le public des dangers réels et quotidiens du monoxyde de dihydrogène est inférieure à ce que d’aucuns estiment nécessaire. Des opposants au gouvernement des États-Unis rappellent fréquemment que de nombreuses personnalités politiques et autres personnes ayant un rôle dans la vie publique ne considèrent pas le monoxyde de dihydrogène comme un sujet “politiquement profitable” à soutenir». J’ignore si des lobbies agissent dans l’ombre mais il faut signaler que, à la suite de la divulgation de ce dossier noir du DHMO, un site Internet créé par d’anonymes «Amis de l’hydroxyde d’hydrogène» (autre nom de la molécule) a mis en avant les qualités de la substance, la présentant comme un produit bénin, bénéfique pour la santé et bon pour l’environnement.

Il y a de quoi se laisser gagner par une énième théorie du complot. Mais même si tout ce qui est écrit au-dessus est rigoureusement vrai, ne vous alarmez pas, tout simplement parce que nous sommes le 1er avril et qu’acide hydroxyque, ou monoxyde de dihydrogène ou encore hydroxyde d’hydrogène sont autant de noms «savants» que l’on peut donner à la molécule… d’eau (deux atomes d’hydrogène et un d’oxygène). Si vous vous êtes laissé berner, vous pouvez relire le billet depuis le début pour vous apercevoir que vous connaissiez toutes ces propriétés de l’eau, dans laquelle on peut se noyer, qui vous brûle sous forme de vapeur ou bien de glace, qui fait rouiller les métaux, provoque des électrocutions, etc.

Je dois évidemment rendre à César ce qui lui appartient et aux chimistes la paternité de cette blague. Selon Wikipedia, ce sont trois étudiants américains qui ont popularisé ce canular en 1990. En 2004, la petite ville californienne d’Aliso Viejo a failli tomber dans le panneau et se ridiculiser en votant des mesures contre le DHMO, c’est-à-dire contre l’eau…

Ce poisson d’avril est en réalité assez inquiétant: il souligne l’ignorance dans laquelle le public se trouve dès qu’il s’agit d’information scientifique et technique. Il montre que la quête médiatique du sensationnel, comme cela a pu être le cas depuis le début de l’accident nucléaire au Japon, se nourrit de cette ignorance. Le véritable “dossier noir” de l’acide hydroxyque, c’est celui-là. Susciter l’inquiétude, et donc manipuler le public pour l’inciter à consommer davantage d’actu, est d’une simplicité enfantine et, comme le montre ce billet, point n’est besoin de mentir pour y parvenir. D’où la nécessité de sortir la vulgarisation scientifique du ghetto où la presse l’a trop souvent reléguée. Car, au même titre que l’information politique, diplomatique, économique ou culturelle, une bonne information scientifique est nécessaire pour que les citoyens prennent part en connaissance de cause à de nombreux débats de société, qu’ils soient consacrés au nucléaire, aux médicaments, aux nanotechnologies ou au réchauffement climatique. La science est une des grilles de lecture et de compréhension du monde, tous les jours, et pas seulement quand une catastrophe s’abat quelque part.

Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #39

Si l’on met de côté l’accident nucléaire au Japon dont tout le monde parle, la création d’un sperme “artificiel” là aussi au Japon et la découverte par Hugo Chavez que le capitalisme à tué les Martiens, voici ce qu’on peut trouver dans l’actualité Sciences et Environnement de la semaine :

AmeriqueL’homme est arrivé en Amérique 2 500 ans plus tôt que ce que l’on croyait. C’est le verdict rendu par l’analyse d’outils en pierre trouvés au Texas (photo ci-dessus).

On en a beaucoup parlé ces derniers jours avec les particules radioactives japonaises qui poursuivent leur tour du monde : il n’y a pas de frontières dans l’atmosphère. C’est aussi valables avec les émanations polluantes produites depuis des années par un pays comme la Chine qui est devenue la grande fabrique de la planète. Une grande enquête de Discover Magazine.

– Toujours en connexion avec la tragédie nippone, je vous signale une interview de la géophysicienne américaine américaine Lori Dengler, qui revient sur l’histoire des tsunamis dans le Pacifique, et notamment au Japon.

– Sur les océans, la vitesse des vents et la hauteur des vagues augmentent depuis un quart de siècle. Il est encore trop tôt, disent les chercheurs, pour connaître la cause de ce phénomène.

J’évoquais la semaine dernière les inquiétudes concernant la survie des lions, que beaucoup d’Américains importent sous la forme morte de trophées. Cette semaine, c’est au tour des rhinocéros d’être sous le feu des projecteurs : même si les populations augmentent ces dernières années, le braconnage fait de même.

– On sait depuis quelques années fabriquer de l’antimatière, sous la forme d’atomes d’antihydrogène. Une équipe américaine vient d’annoncer avoir créé, pour la première fois, des noyaux d’atomes d’antihélium. Ce sont les plus gros assemblages (2 antiprotons, 2 antineutrons) d’antiatomes jamais vus sur Terre.

–  Cela pourrait être une des questions de la populaire rubrique “L’explication” de Slate.fr : pourquoi les insectes se précipitent-ils sur les lumières ou dans les flammes, à la nuit tombée, avec la quasi assurance d’y trouver la mort ? Eh bien, même si plusieurs chercheurs se sont posé la question au cours des dernières décennies, le phénomène reste un mystère.

Pour terminer, en résonance avec mon précédent billet sur les faiseurs de peur qui ont glosé à gogo sur les pseudo-risques que le “nuage” radioactif faisait courir aux populations situées à des milliers de kilomètres du Japon, voici un échange édifiant que j’ai trouvé (en anglais) entre l’animatrice d’une émission de la chaîne HLN de CNN et un météorologue. La dame qui, de toute évidence, n’y connaît pas grand chose et est en quête de sensationnel, veut absolument faire dire à l’homme de science qu’il y a danger pour la côte ouest des Etats-Unis. Et il résiste.

Pierre Barthélémy

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Nous sommes tous radioactifs

Radioactive man

Au palmarès des peuples qui aiment à se faire peur, la France devrait être aussi bien classée que son équipe nationale de football lorsqu’elle joue en match amical : championne du monde. Entre deux tours d’élections cantonales où la République menacée par les gars de la Marine tremble sur son piédestal, entre deux bombardements en Libye qui nous font craindre des représailles terroristes, il y a le NUAGE. Ce terrible nuage radioactif venu en express du Japon, qui nous fait parodier Racine en claquant des dents : “Pour qui sont ces sieverts qui sifflent sur nos têtes ?” Le Français a les foies, les choquottes et le trouillomètre à zéro. Autant le nuage de Tchernobyl s’était arrêté aux frontières de l’Hexagone, autant celui de Fukushima va nous tomber sur la tête, ruisselant d’une radioactivité qui s’infiltrera dans le moindre pore de nos peaux de peureux. Et certains de nos braves journalistes de jeter la suspicion sur les experts à grands coups de sous-entendus : “Selon l’Autorité de sûreté nucléaire, il n’y a pas de risque…”, “Nathalie Kosciusko-Morizet assure que…”, “L’ASN affirme que…”, etc.

Du coup, on se précipite sur les pharmacies pour faire le plein de pastilles d’iode, les compteurs Geiger se vendent comme des petits pains et je sens que le marché de la salade ne va pas tarder à s’effondrer ou que Lady Gaga tournera son prochain clip dans un abri anti-atomique. Tous les discours n’y pourront rien, y compris celui, rassurant, de la Criirad, organisme indépendant qui, d’ordinaire, a plutôt tendance à agiter le chiffon rouge au moindre pet nucléaire de travers. Même Greenpeace calme le jeu. On a beau dire qu’il n’y a pas de nuage mais seulement quelques particules radioactives diluées dans l’atmosphère, que les retombées radioactives seront de mille à dix mille fois moindres que celles de Tchernobyl, que l’on n’est même pas sûr de pouvoir la mesurer correctement, rien n’y fera. Rien n’y fera car Tchernobyl, le sang contaminé, le Mediator et autres scandales sanitaires sont passés par là : le “on nous cache tout on nous dit rien” est plus fort que la raison.

Eh bien, il me faut bien l’avouer, en termes de contamination radioactive, il y a peut-être pire que le nuage nippon. Il y a… nous. C’est sans doute le plus grand scoop médico-scientifique de l’année, nous sommes tous radioactifs. Ne le dites à personne mais, pour le savoir, j’ai découpé et analysé mon voisin (c’est pour la science et le bien de toute l’humanité que je me suis livré à cette expérience) et voici ce que j’ai trouvé : un humain moyen de 70 kilos contient 90 microgrammes d’uranium, 30 microgrammes de thorium, entre 17 et 40 milligrammes de potassium 40 selon les sources, 31 picogrammes de radium, 22 nanogrammes de carbone 14, 0,06 picogramme de tritium et 0,2 picogramme de polonium. Oui, le fameux polonium 210 qui avait tué en quelques jours l’espion russe Alexandre Litvinenko… Quelle horreur, ça dans nous ?! La plus grosse dose vient du potassium 40, présent naturellement dans la nature parce qu’il a été fabriqué il y a quelques milliards d’années par une étoile en train de mourir. Saleté de supernova. A 40 mg par tête de pipe, cela fait dans les 12 000 désintégrations et 1 300 photons gamma (des rayons gamma, AARGGHHHH, je me sens mal !) à chaque SECONDE qui passe. Nous nous contaminons nous-mêmes et il n’y a rien à y faire, sauf à se couper la tête et à se la greffer sur une poupée gonflable. Au secours, décontaminez-moi !

Mais il y a pire encore. A la limite, vous pouvez vous résigner à vivre avec vous-même. A la limite. Mais faut-il pour autant dormir dans le même lit que quelqu’un d’autre ? A huit heures de sommeil par nuit pendant des années près d’une source radioactive appelée Bernard ou Germaine, on risque le cancer… Selon les calculs de Richard Miller, professeur de physique à la prestigieuse université de Berkeley (Californie), en admettant que tous les Français dorment à côté de quelqu’un pendant 50 ans, trois d’entre nous développeront chaque année un cancer simplement pour avoir partagé leur lit avec une centrale nucléaire sur pattes. Mon conseil : revendez vos pastilles d’iode et votre compteur Geiger parce que le nuage de Fukushima n’aura qu’un temps. Avec l’argent, installez une barrière en plomb au milieu de votre matelas, afin de stopper les rayons gamma que vous expédie traîtreusement votre moitié. Ou mieux, divorcez.

Pierre Barthélémy

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Astéroïdes : la course à l’apocalypse

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C’est un “marronnier” journalistique qui revient régulièrement hanter certaines “unes” : l’astéroïde tueur qui nous a frôlé sans qu’on le voie ou qui, selon des calculs très savants, viendra nous heurter dans dix, vingt, trente ou deux cents ans, parce que si la fin du monde n’est pas pour 2012 comme d’aucuns le redoutent, elle sera forcément pour plus tard… Dans la grande course médiatique à l’apocalypse, les cailloux errant dans le système solaire se sont transformés en vedettes, au fur et à mesure que les instruments automatiques de surveillance installés pour les détecter, les identifier et les cataloguer aidaient les astronomes à calculer précisément les orbites de ces “géocroiseurs” (un mot savant pour désigner les corps passant à proximité de la Terre). D’où des articles récurrents sur d’hypothétiques chocs avec notre planète, aux saveurs de fin du monde et fleurant bon la disparition des dinosaures.

Ainsi nous a-t-on récemment reparlé de l’astéroïde Apophis (du nom d’un dieu égyptien personnifiant le chaos, rien que ça), un objet de 270 mètres de diamètre qui, selon les récents calculs d’astronomes russes, risquerait de se fracasser sur notre bouboule bleue le 13 avril 2036. Si l’on met de côté le fait qu’Apophis pourrait choisir une autre date parce que, si tout va bien, ce sera le 93e anniversaire de ma maman ce jour-là, l’auteur de la dépêche en question a un peu oublié de préciser ce que recouvre l’emploi du conditionnel dans la phrase précédente (“risquerait de se fracasser”). C’est souvent là que le bât blesse le journaliste en quête de sensationnalisme. En fait, la NASA a précisé quelques jours plus tard qu’il y avait une “chance” sur 250 000 pour qu’Apophis nous croise sur son chemin. Encore faut-il pour cela que, lors de son passage en 2029 (qui devait déjà donner lieu à un cataclysme si on se rappelle les prévisions établies lors de la découverte d’Apophis en 2004…), l’astéroïde pénètre dans ce que les chercheurs appellent un “trou de serrure”, une minuscule région de l’espace où l’attraction terrestre “corrigera” l’orbite d’Apophis de telle sorte que ce dernier ne pourra plus nous rater en 2036.

Une chance sur 250 000, c’est à la fois peu et beaucoup si l’on considère que le choc d’un tel corps contre notre planète serait assez destructeur puisqu’il relâcherait une énergie équivalente à 510 mégatonnes de TNT, soit 34 000 fois celle de la bombe atomique d’Hiroshima. Encore faut-il que les calculs soient exacts. Ce qu’ils ne peuvent être complètement, étant donné qu’on ignore beaucoup de choses sur les propriétés d’Apophis et que les chercheurs en calculent l’orbite dans un modèle de système solaire forcément simplifié. Ainsi, des facteurs tels que la rotation de l’astéroïde sur lui-même, sa masse, la manière dont il absorbe la lumière du Soleil et irradie la chaleur, les irrégularités du champ gravitationnel terrestre, l’influence d’autres astéroïdes inconnus et même la masse des planètes et du Soleil, tous ces paramètres ne sont pas connus avec une précision suffisante pour que l’on puisse faire des prédictions ultra-fines. Si l’on se projette dans un quart de siècle, cela peut amener une incertitude de plusieurs milliers voire de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres dans la position d’Apophis…  D’où la nécessité de surveiller toujours davantage les géocroiseurs et notamment les prochains rendez-vous d’Apophis, qui repassera en 2013, 2014, 2016, 2020, etc.

D’où la nécessité, aussi, de communiquer avec mesure sur les dangers que courent la Terre et ses habitants, afin d’échapper aux accusations de sensationnalisme et de ne pas effrayer inutilement le public. C’est pour cette raison que les astronomes ont mis au point en 1999 une sorte d’échelle de Richter du risque d’impact avec un astéroïde. Baptisée échelle de Turin, en l’honneur de la ville où cet outil a été présenté, elle est graduée de zéro à dix et change de couleur en fonction du risque, allant du blanc au rouge en passant par le vert, le jaune et l’orange (voir ci-dessous).

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Le degré zéro, qui correspond à la zone blanche, signifie que l’objet n’a aucune chance de toucher notre planète ou bien que sa taille est si faible qu’il se consumerait dans l’atmosphère avant de toucher le sol, à la manière des étoiles filantes. Plus les degrés augmentent, plus la probabilité de collision est importante. On passe ainsi en zone verte (degré un), en zone jaune (de deux à quatre), en zone orange (de cinq à sept, où la probabilité est importante mais pas égale à 100 %), pour atteindre enfin la zone rouge. Lorsqu’un astéroïde parvient à se hisser au niveau huit, cela signifie qu’il frappera la planète, causant des dégâts « locaux » équivalant à ceux produits par un gros tremblement de terre. A neuf, les dégâts deviennent régionaux (au sens planétaire…) et, à dix, la collision se traduit par une « catastrophe climatique globale » analogue à celle qui marque la disparition des dinosaures. Il faudrait pour cela un astéroïde d’une dizaine de kilomètres de diamètre.

A l’heure qu’il est, Apophis est classé au degré zéro de l’échelle de Turin. Parmi les quelque 7700 objets passant dans les parages de la Terre et répertoriés aujourd’hui (dont 823 à ce jour font au moins un kilomètre de diamètre), seuls deux sont classés au niveau un (et aucun à un niveau supérieur). Il s’agit de l’astéroïde 2011 AG5 (140 m de diamètre), dont la probabilité de collision avec notre planète, le 5 février 2052 est pour le moment estimée à un sur 9 000, et de l’astéroïde 2007 VK184 (130 m de diamètre), qui a une chance sur 3 000 de nous rentrer dedans le 3 juin 2048. Pour présenter les chiffres autrement, ils ont respectivement 99,989 et 99,967 % de chances de passer à côté de notre maison bleue. Cela relativise un peu les dangers. Comme quoi, la présentation des chiffres, ça compte.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : pour rester dans l’actualité “astéroïde”, je signale qu’un rocher d’un mètre de diamètre a battu, vendredi 4 février, le record du “caillou” détecté le plus près de la Terre, puisque 2011 CQ1 est passé à seulement 5 480 km du plancher des vaches. S’il était entré dans l’atmosphère, il se serait très probablement disloqué et consumé en un beau météore, sans atteindre le sol.

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Benoît XVI voit Dieu derrière le Big Bang…

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La scène s’est passée jeudi 6 janvier en la basilique Saint-Pierre de Rome. Comme le rapporte une dépêche de l’agence Reuters, dans son homélie de la fête de l’Epiphanie, Benoît XVI a déclaré devant 10 000 fidèles que “l’Univers n’est pas le résultat du hasard, comme certains voudraient le faire croire”. “En le contemplant, nous sommes invités à y lire quelque chose de profond: la sagesse du Créateur, la créativité illimitée de Dieu, son amour infini pour nous”, a ajouté le pape. Celui-ci a évoqué le côté “limité” de certaines théories scientifiques qui “ne parviennent qu’à un certain point (…) et ne peuvent expliquer le sens ultime de la réalité”, faisant directement allusion (mais sans la citer) à la théorie du Big Bang, qui décrit les début de l’Univers sans pouvoir toutefois remonter à un point zéro. En effet, en-deçà de 0,0000000000000000000000000000000000000000001 seconde, les équations de la physique actuelle n’ont plus de sens. De la même manière, l’origine de la vie sur Terre reste pour le moment un mystère scientifique. Face à ces questions sans réponse, Benoît XVI a expliqué que “dans la beauté du monde, dans son mystère, dans sa grandeur et dans sa rationalité (…), nous ne pouvons que nous laisser guider vers le Dieu unique, créateur du Ciel et de la Terre”.

Voilà pour les faits. Evidemment, pour étayer ses assertions, le souverain pontife n’apporte aucune preuve, pas d’étude publiée dans une revue scientifique, pas de chiffres… Il serait d’ailleurs malséant d’en exiger de sa part. Tout comme il est malséant que Benoît XVI vienne interférer avec la cosmologie, l’astrophysique et la biologie. On pourrait attendre d’un penseur tel que lui de ne pas mélanger les genres, car science et religion n’appartiennent pas aux mêmes dimensions intellectuelles, ne sont pas miscibles et l’une ne peut servir à justifier l’autre. A chacune ses affaires, serait-on tenté de dire. Pourtant, le souverain pontife ne se prive pas et cette déclaration est un énième retour du créationnisme sous une forme atténuée, teintée d’une dose de principe anthropique fort, lequel affirme que si le cosmos est ce qu’il est, c’est pour accueillir la vie et l’homme.

Ce n’est pas la première fois que Benoît XVI intervient dans le champ de la science et de l’évolution de l’Univers puisqu’en 2005, il avait affirmé que celui-ci était soutenu par un “projet intelligent“, une référence à peine masquée à l’“intelligent design”, une version chrétienne du créationnisme née aux Etats-Unis. A l’époque, le directeur de l’Observatoire du Vatican, George Coyne, avait eu le courage de s’élever contre la tentation évidente de l’Eglise catholique de céder aux thèses de l'”intelligent design”. Benoît XVI persiste donc à mêler carottes et bananes, ce qui n’est de toute évidence pas fortuit.

Puisque le credo de ce début d’année est à l’indignation, avec la parution du petit livre de Stéphane Hessel Indignez-vous !, je dirai que deux choses me dérangent profondément dans cette histoire : la première, c’est que personne n’a l’air de trouver cela grave ; la seconde, c’est cette volonté de caser Dieu à la place la plus confortable qui soit pour lui, celle de l’ignorance des hommes, c’est-à-dire la place que les croyants se sont toujours complu à lui attribuer. On ne sait ce qu’il y a à l’origine de l’Univers, DONC c’est Dieu. C’est si pratique ! Peut-être faudrait-il admettre un jour qu’on ne sait pas et puis c’est tout. Ce serait le début de l’humilité et de la sagesse. On ne sait pas comment s’est créé l’Univers, et certains disent qu’il n’y a pas de début réel et que tout est un éternel recommencement (théorie de l’Univers cyclique). Ce qu’on sait très bien en revanche, c’est que l’homme a inventé les dieux pour répondre à ses ignorances et se rassurer sur son destin ultime, se dire qu’il y a quelque chose après la mort. C’est curieux cette façon de toujours fourrer Dieu là où on sait que la science ne pourra pas le débusquer… Comme le dit très bien Didier Bénureau dans sa Chanson du croyant : “Quand on voit pas, c’est qu’on voit, c’est comme ça la foi ! Quand on sait rien, c’est qu’on sait, faut qu’t’y croies ! Tralonlère la la itou !”

A regarder sans modération…

Pierre Barthélémy

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La dictature du gène

chromosome

J’avais remarqué l’info dans les Lu, Vu & Entendu de Slate.fr, sans y accorder plus d’importance que cela : on aurait découvert un gène de l’infidélité et du “petit coup d’un soir bonsoir”. Je me suis dit : “Encore une ânerie” et j’ai tourné une page dans mon cerveau. Puis l’info est revenue ailleurs, notamment sur des sites anglo-saxons, qui titraient sur le “slut gene”, littéralement “le gène de la salope” (, , , , , etc). Cette fois-ci, au lieu de tourner une nouvelle fois la page, j’ai fait “pause”. Depuis que je fais ce métier, combien de fois ai-je vu ce genre d’information, le gène du comportement bidule, de l’habitude machin ? La réponse est : beaucoup. Au point que l’idée du “Tout est inscrit dans les gènes” s’est petit à petit gravée dans les esprits.

Et c’est bien pratique. Donc, vous êtes une traînée (mais je rassure les femmes, ça marche aussi chez les hommes) ? C’est génétique. Vous êtes alcoolique ? C”est génétique. Vous êtes un délinquant violent ? C’est génétique. Vous êtes gay (désolé pour l’amalgame…) ? C’est génétique. Vous croyez en Dieu ? C’est génétique. Vous aimez prendre des risques financiers ? C’est génétique. Vous êtes de gauche ? C’est génétique. Vous êtes une grande danseuse ? C’est génétique. Vous êtes déprimé ? C’est génétique. Donc, si vous êtes un délinquant alcoolique homosexuel religieux de gauche dépressif infidéle et bon danseur, ça s’explique, c’est génétique. De la même manière, il y a des chances que vos gènes vous disent pourquoi vous êtes un honnête citoyen sobre athée hétérosexuel de droite fidèle joyeux qui écrase les pieds de tout le monde en dansant la rumba…

J’imagine qu’un jour prochain, on trouvera le gène qui explique pourquoi on croit au tout génétique. Et je parie que ce gène est présent chez bien des personnages importants. Qui, en effet, a dit, en 2007, juste avant de devenir président de la République (zut, la réponse est dans la question…) : “J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.” Dans un genre un peu différent mais tout aussi symbolique, il est revenu à ma mémoire ce procès en Italie, en 2009, au cours duquel un assassin a bénéficié de circonstances atténuantes en raison d’une “vulnérabilité génétique” pouvant le mener à la violence.

Loin de moi l’idée de vouloir jeter la pierre à la génétique, qui a permis de comprendre ce qui causait un certain nombre de graves maladies dont les plus connues sont la myopathie de Duchenne, l’hémophilie, la mucoviscidose ou les différentes formes de trisomie. Simplement, une chose est d’identifier un gène défaillant ou un chromosome surnuméraire et une autre est de mettre le doigt sur un gène corrélé avec tel ou tel comportement. La mécanique inexorable qui est à l’œuvre dans le premier cas ne se retrouve pas dans le second. Il n’y a pas d’automaticité, pas de fatalité, et il arrive aussi souvent que des personnes présentent un comportement particulier sans avoir le gène qui lui est soi-disant relié. Les chercheurs travaillant sur ces “liens” (qui ne sont pas forcément des liens de cause à effet) prennent en général beaucoup de pincettes pour expliquer que le gène qu’ils ont identifié augmente, sous certaines conditions environnementales ou socio-éducatives, la probabilité pour que la personne adopte le comportement en question…

Malheureusement, ces précautions de langage disparaissent souvent dans les comptes-rendus des médias ou dans l’assimilation des notions par le grand public. Alimentée par des articles sensationnalistes, la dictature du gène a finalement gagné bien des esprits, comme une version moderne de la phrénologie qui, au XIXe siècle, expliquait les “caractères” par le relief du crâne (la fameuse “bosse des maths”…) . Aujourd’hui, pour justifier ou comprendre les comportements,  on met de côté le libre arbitre, l’éducation, les influences culturelles ou sociales, au profit d’un déterminisme génétique. Bienvenue à Gattaca, le monde où les “défauts” sont inscrits dans l’ADN, où l’homme ne peut transcender la somme de ses informations génétiques. Un monde où certains de mes confrères titrent sur le “gène de la salope”.

Je me souviens qu’un rédacteur en chef m’a un jour demandé d’écrire un article sur “le gène de Dieu”, qui aurait expliqué le sentiment religieux. Enervé, je lui ai un peu sèchement rétorqué que j’attendrais que l’on identifie d’abord le gène de la connerie. Quelques années plus tard, ce dernier échappe toujours aux chercheurs. Peut-être craignent-ils de le trouver chez tout le monde ?

Pierre Barthélémy

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La NASA tire trop sur la corde E.T.

L’info du siècle n’est pas tombée le 2 décembre. Pourtant, une rumeur incroyable parcourait Internet depuis quelques jours : la NASA allait faire ce jeudi une annonce tonitruante sur la thématique de la vie extraterrestre. L’agence spatiale américaine avait-elle découvert la première trace de vie sur une autre planète ? C’est du moins ce que laissait entendre le communiqué officiel parlant d’“une découverte en astrobiologie qui aura un impact sur la recherche de preuve d’une vie extraterrestre”. Tout bon journaliste scientifique a dû voir qu’en réalité, cette conférence de presse, liée à une publication dans la revue Science, allait présenter une bactérie exotique capable d’intégrer de l’arsenic à son métabolisme. Mais la voix pondérée des journalistes scientifiques pèse si peu dans la déferlante de l’information…

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Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #15

Robonaut2-Dual-Space-Tools

Il s’appelle Robonaut 2 et on le surnomme familièrement R2, comme le petit droïde de Star wars. Ce robot conçu par la NASA en partenariat avec General Motors sera le septième passager du prochain vol de la navette spatiale Discovery, dont le décollage est programmé pour le 1er novembre.

– Plus d’un million d’Européens ont signé une pétition demandant à la Commission de Bruxelles de geler l’introduction des organismes génétiquement modifiés. Un nouvel élément de poids dans le débat compliqué sur les OGM.

La guerre du Nil aura-t-elle lieu ? Le New York Times évoque les tensions croissantes entre, d’un côté, l’Egypte et le Soudan, et, de l’autre, les sept pays que le plus grand fleuve du monde traverse en amont. Ces derniers aimeraient bien pouvoir l’exploiter davantage mais l’Egypte et ses 80 millions d’habitants, très dépendants de l’eau du Nil, craignent que leurs voisins, en développant leur agriculture et en construisant des barrages, ne les privent d’une  partie conséquente de la si précieuse ressource liquide.

Un nouveau filon de dinosaures vient d’être mis au jour. Il se trouve dans une carrière charentaise.

On pourrait très bien éviter de vous ouvrir le crâne pour faire de la chirurgie dans votre cerveau. A la place, il suffirait de passer… euh… par les orifices naturels que sont les orbites.

Des exosquelettes permettent à des paralysés de remarcher. A lire et à voir sur le site du New Scientist.

Pour terminer, je vous conseille vivement le papier très pertinent de Martin Robbins (qui blogue pour The Guardian) sur le journalisme scientifique, ses pratiques, ses contraintes, son train-train… et les solutions que l’on pourrait adopter pour secouer un peu la poussière qui recouvre la manière dont les journaux couvrent la science.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : même si le premier article de ce blog date du jour de ma fête, soit le 29 juin, Globule et télescope ne s’est véritablement ouvert au public que le 9 août, date à laquelle il est officiellement apparu sur Slate.fr. C’était il y a deux mois, donc. Et en deux mois, le Globule a fait du chemin puisqu’il se retrouve sixième sur le classement des blogs “Sciences” publié chaque mois par Wikio. Merci à tous pour votre soutien. Ce n’est qu’un début ! Voici le top 20 “Sciences” de Wikio pour octobre :

1 Technologies du Langage
2 Bibliobsession 2.0
3 La feuille
4 {sciences²}
5 affordance.info
6 Globule et télescope
7 Le blogue de Valérie Borde
8 Le guide des égarés.
9 En quête de sciences
10 L’édition éléctronique ouverte
11 teXtes
12 Et-demain.com
13 Guy Doyen
14 Historicoblog (3)
15 La Science au XXI Siècle
16 La bibliothèque apprivoisée
17 Blogo-numericus
18 Baptiste Coulmont
19 Spoonylife
20 Enro, scientifique et citoyen

Classement analysé par Wikio

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La science doit-elle être toujours suspecte ?

Après les “débats” qui se sont tenus sur ce blog quand j’ai publié mes billets sur le suaire de Turin (ici et ), je me suis dit que la science avait encore beaucoup de progrès à faire pour ne plus être un machin systématiquement suspect, un complot de sorciers modernes affairés à nuire à l’humanité. Dans notre histoire récente, jamais on n’a  autant remis en cause la notion de progrès, jamais les filières scientifiques n’ont été autant désertées, alors même que notre civilisation est de plus en plus techno-dépendante. La suspicion est partout et le débat souvent compliqué à mener parce qu’on s’enferme dans ses croyances en refusant de regarder les faits. Soupçons sur la réalité et la cause du réchauffement climatique, soupçons sur les organismes génétiquement modifiés, soupçons sur les nano-technologies,  soupçons sur les vaccins. Je ne dis évidemment pas que la société doit se prosterner devant les chercheurs et accepter tout ce qu’ils avancent sur ces sujets comme paroles d’évangile. Je prétends qu’il ne s’agit pas de politique, mais de science : le débat doit être mené en analysant les faits et non pas en s’arcboutant sur des opinions.

Quelqu’un le dit mieux que moi. C’est Michael Specter, un journaliste américain, ancien du New York Times, qui travaille aujourd’hui pour le New Yorker. En 2009, il a publié un livre intitulé Denialism, qui s’inquiète du courant de pensée consistant à rejeter systématiquement les produits de la science. Ce livre n’est pas encore traduit en français et j’espère, après en avoir lu quelques passages, qu’il le sera. En attendant, j’ai trouvé cette vidéo de Michael Specter, sous-titrée en français (cliquez sur “View subtitles”), dans laquelle il expose son point de vue. Vous pouvez ne pas être d’accord sur tout (je ne le suis pas forcément moi-même d’ailleurs) mais le débat, c’est d’abord écouter les autres et les faits qu’ils exposent…

Pierre Barthélémy

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Des fourmis et des hommes

big-brother-12Fourmis

Une équipe internationale de chercheurs a annoncé une première, vendredi 27 août, dans la revue Science : le décryptage du génome de deux espèces de fourmis. Cette étude est captivante car ses auteurs ont montré la puissance des modifications épigénétiques sur la morphologie et la physiologie des fourmis, en fonction de la caste à laquelle elles appartiennent. L’épigénétique s’attache à repérer non pas ce que codent les gènes mais la manière dont, sous l’influence de facteurs environnementaux et de l’histoire personnelle, ces gènes s’expriment… ou sont rendus silencieux. Chez les fourmis, chaque individu naît avec un patrimoine génétique ressemblant mais, suivant la caste dans laquelle il atterrit, celui-ci ne s’exprime pas du tout de la même façon. Ainsi, dans l’espèce Camponotus floridanus, les fourmis qui protègent la colonie sont plus grandes que les travailleuses qui cherchent à manger. Et seule la reine est féconde. Lorsqu’elle meurt, la colonie trépasse avec elle. C’est une autre histoire chez Harpegnathos saltator, l’autre espèce, décrite comme plus primitive, dont le génome a aussi été décrypté : quand la reine meurt, une ouvrière peut prendre sa place. Avec tous les attributs y afférents y compris ses caractéristiques épigénétiques : non seulement la “promue” peut pondre, mais elle va aussi se mettre… à vivre plus longtemps car deux de ses gènes vont s’exprimer beaucoup plus fort. Le premier produit une protéine associée à la longévité chez l’homme tandis que le second code pour la télomérase, une enzyme qui, grosso modo, protège les chromosomes contre le vieillissement. On comprend mieux, à la lumière que nous apportent ces fourmis, l’importance potentielle de l’épigénétique, qui fait de nous plus que la somme de nos gènes.

Une étude passionnante donc. Sauf qu’à part une pauvrichonne dépêche AFP reprise plus ou moins proprement par quelques médias, personne en France ne s’est trop intéressé au sujet. Un peu par fainéantise, je le concède, j’ai tapé “ants” (fourmis en anglais) sur le Google News américain, histoire de voir si mes petits camarades d’outre-Atlantique avaient fait mieux. Ce fut la consternation. Non pas que mes confrères américains n’aient pas perçu l’importance de la nouvelle : ils étaient 43, dont le Scientific American par exemple, à l’avoir traitée. Non. Le choc a été de constater que, pour l’immense majorité des médias américains, les seules fourmis palpitantes du moment étaient celles qui “envahissaient” la maison dans laquelle se tourne la douzième saison de “Big Brother”, émission de télé-réalité à 8 millions de téléspectateurs, dont “Loft Story” et “Secret Story” sont les avatars français. Ces fourmis-là, qui dérangent les braves candidats dont la photo de groupe figure en tête de ce billet (ou du moins ceux qui restent après plus de 50 jours d’émissions et d’éliminations), ces fourmis-là ont été “couvertes”, comme l’on dit dans le jargon journalistique, dans 449 articles ! Plus de dix fois plus.

Après quelques pensées amères sur le fait que je me suis trompé de métier (j’aurais dû faire du “people”, c’est payant et moins fatigant pour les neurones), que l’espèce humaine préfère se délasser devant des “clones” bodybuildés et/ou siliconés plutôt que d’enrichir sa culture – scientifique ou pas –, que l’information traditionnelle n’a aucun avenir étant donné que les médias de masse s’ingénient vraiment à vider les cerveaux plutôt qu’à les remplir, je me suis demandé ce que des chercheurs découvriraient s’ils étudiaient la colonie “Big Brother”. Devant sa photo de groupe, j’ai d’abord constaté que ces étranges animaux avaient tous la peau claire, sans doute l’effet d’une mutation génétique qui les a privés de mélanine, et qu’hormis un dimorphisme sexuel assez évident, une certaine uniformité morphologique régnait : pas de gros, pas de vieux, pas de handicapés. L’environnement doit être tellement hostile qu’ils ne peuvent pas survivre… Je me suis ensuite aperçu que, comme chez les fourmis, certains rôles, comme celui du Saboteur, étaient prédéterminés (sans que cela entraîne pour autant des modifications physiques). En revanche, le Chef de maisonnée, contrairement à ce qui se passe chez Camponotus floridanus, change sans arrêt. Il a le pouvoir et la mission de nommer deux membres de la colonie, dont l’un sera chassé par les autres. Curieuse manière de vivre en société que de chercher à tout prix à éliminer les membres de son clan. C’est une colonie bizarre enfermée dans son territoire, qui ne passe son temps qu’à produire des déchets, vit dans l’égoïsme et la perpétuelle idée de la récompense ultérieure qui leur tombera toute cuite, lorsque la colonie sera détruite.

Si des chercheurs étudiaient “Big Brother” et ses dizaines de succédanés qui encombrent les télévisions du monde entier, ils préfèreraient retourner à leurs fourmis.

Pierre Barthélémy


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