Alors que l’hiver, quoique clément, nous apporte son lot de coups de froid, une étude glaçante venue d’Inde rappelle la raison des campagnes de sensibilisation « pas automatiques » et des lois limitant l’usage des antibiotique chez les animaux d’élevage.
L’Inde paye un lourd tribut à la tuberculose avec deux millions de nouveaux cas par an, soit un cinquième du total mondial, et doit maintenant faire face à l’inefficacité croissante des armes médicamenteuses contre le bacille de Koch, responsable de la maladie. La chronologie est simple : d’abord sont apparues les souches dites multi-résistantes (MDR-TB pour multi-drug resistant tuberculosis), insensibles aux antibiotiques dits de première intention, la « première ligne de défense » contre la maladie.
D’après l’étude du Dr. Zarir Udwadia, cette première étape est apparue en Inde en 1992 et les souches ont ensuite continué à muter pour donner ce qu’on a appelé la tuberculose extensivement résistante (XDR-TB), en 2006. La bactérie ainsi nommée est tellement dure au mal que la plupart des antibiotiques courants ne lui font ni chaud ni froid, ce qui amène à un taux de mortalité de 60 %, le double de celui des souches MDR.
Mais en 2011, les médecins ont dû inventer un nouveau sigle encore plus sinistre : TDR-TB pour « tuberculose totalement résistante aux médicaments ». Mortalité : 100 %. Les médecins en sont réduits à tenter des chirurgies extrêmement invasives, les traitements antibiotiques n’ayant aucun effet.
Cela ne constitue heureusement qu’une faible proportion des cas, mais c’est la maladie dans son ensemble qui change progressivement : plus de 40 % des nouveaux cas présentent au moins un type de résistance et même le tableau clinique semble se modifier avec plus de symptômes non pulmonaires.
Face à une maladie en évolution, l’étude appelle à une plus grande implication des autorités sanitaires et à une sensibilisation des médecins, de façon à réagir plus rapidement lorsqu’un patient ne semble pas répondre à un traitement classique : non seulement cela permet de traiter le patient plus efficacement, mais cela évite de « cultiver » des souches pendant de longs mois sous traitement antibiotique, ce qui ne fait que renforcer la sélection des résistances.
Fabienne Gallaire
Source
Totally Drug-Resistant Tuberculosis in India, Zarir F. Udwadia et al. Clinical Infectious Disease, mis en ligne le 21 décembre 2011. Via DNA India.
lire le billetHarry Potter a déjà légué à la science une partie de ses pouvoirs magiques. Sa cape (cloak) d’invisibilité fait désormais partie du vocabulaire des chercheurs et pas un seul article sur les travaux scientifique dans ce domaine n’omet de le citer. Voilà, c’est fait…
Imaginez-vous au volant d’une voiture, perdu dans vos pensées sur vos relations amoureuses, vos problèmes au travail ou le cours de bourse de vos actions… Survient un feu qui, inopinément, passe au rouge juste avant que vous ne le franchissiez… Si la police vous arrête, ne rêveriez-vous pas d’un bouton sur le tableau de bord marqué : « Effacement temporel » ? Il suffirait, en effet, de supprimer quelques fractions de secondes pour que l’infraction disparaisse !
Si une telle option n’est pas pour demain, les scientifiques ont peut-être franchi le premier pas dans cette direction. Alexander Gaeta, professeur de physique appliquée à l’université de Cornell de l’Etat de New-York, vient en effet de publier dans la revue Nature du 5 janvier 2012 une étude menée par le post-doctorant Moti Fridman avec les chercheurs Alessandro Farsi et Yoshitomo Okawachi. Pour la première fois, cette équipe est parvenue à créer un « trou temporel » (time hole). Il ne s’agit de rien d’autre que de « cacher l’existence d’un événement à un observateur ».
L’expérience de trou temporel fait appel à une très longue fibre optique (bobine sur l’image). De gauche à droite, l’équipe de l’université de Cornell : Moti Fridman, Yoshi Okawachi, Alessandro Farsi et Alexander Gaeta.
Le lièvre et la tortue
L’expérience se déroule à l’intérieur d’une fibre optique que parcourt un faisceau laser vert. Ce dernier passe d’abord à travers une « lentille de séparation temporelle » qui sépare le faisceau en deux longueurs d’onde, l’une grande (rouge) et l’autre petite (bleu). Commence alors une sorte de course de vitesse entre ces deux faisceaux. La compétition se déroule dans une bobine de fibre optique d’un kilomètre de long. Là, expliquent les chercheurs, le faisceau bleu prend de l’avance sur celui le rouge, « comme le lièvre distance la tortue ». Ce décalage engendre un trou entre les deux concurrents. Dans cet intervalle, les scientifiques introduisent un bref éclair de lumière à une longueur d’onde encore plus élevée. Cet événement devrait normalement engendrer un défaut perceptible dans le rayon laser sortant. Ensuite, les deux faisceaux rouge et bleu changent de terrain. Ils entrent dans une seconde portion de fibre optique dont la composition est différente. Cette nouvelle piste favorise la tortue (faisceau rouge) par rapport au lièvre (faisceau bleu). « C’est comme si le lièvre avançait péniblement dans de la boue et que la tortue, à l’aise sur ce type de terrain, parvenait à le rattraper», expliquent les chercheurs. Peu à peu les deux faisceaux se retrouvent à la même hauteur. Le trou, entre eux, disparaît. Sur la ligne d’arrivée, ils rencontrent une lentille temporelle qui reconstitue un faisceau vert identique à celui qui avait pris le départ… Et aucune preuve ne subsiste alors du signal parasite introduit au milieu de la course.
lire le billetCourte Focale
Dans cette rubrique du blog Globule et télescope, nous vous proposons régulièrement des images ou des vidéos traitant de sujets scientifiques ou techniques.
Nous commençons par ce petit joyau trouvé sur Youtube à l’occasion du dixième vingtième anniversaire de la mort de Grace Hopper, une figure de l’informatique aux Etats-Unis, auteur du premier compilateur en 1951 et du langage Cobol en 1959. En octobre 1986, invitée au Late Show de David Letterman, l’un des plus fameux talk shows américains sur la chaîne CBS, elle affiche une personnalité hors pair d’amiral de la Navy et de pionnière de l’informatique depuis son engagement dans l’armée, en 1944. A 80 ans, cette dame, décédée en 1992, ne se laisse impressionner ni par la télévision, ni pas son interviewer. Il faut dire qu’elle a bien préparé cet entretien avec une explication de la nanoseconde qui laisse David Letterman assez pantois… Une leçon de vulgarisation! En anglais…
Michel Alberganti
lire le billetUn éléphant de modèle courant est doté d’un cœur, de neurones et de cellules de peau. Une musaraigne à trompe possède aussi tous ces organes, mais elle pèse dix mille fois moins que son camarade à défenses. Ce n’est qu’un exemple d’un problème universel : en biologie, la question de l’échelle des organismes se pose souvent et les réponses sont variées.
Par exemple, le ver Caenorabditis elegans, qui dépasse rarement un millimètre de longueur, se montre fort économe et fonctionne avec seulement un millier de cellules, c’est-à-dire environ dix milliards de fois moins que toi, ô lecteur. Une stratégie très efficace, mais pas forcément suffisante à la miniaturisation extrême de certains aventuriers du microscopique.
Prenons le cas d’un des plus petits insectes connus, trompeusement nommé Megaphragma mymaripenne , ou plus joliment « guêpe-fée » (fairywasp) en anglais : ce moucheron atteint avec difficulté le quart de millimètre des antennes à l’abdomen. Il se fait donc ridiculiser par des organismes unicellulaires comme la paramécie et l’amibe que voici :
Pour fonctionner à une taille pareille, le système nerveux est réduit à 7 400 neurones, cent fois moins que pour une simple abeille, mais ce nombre reste énorme pour la taille de l’animal : comment caser tout cela dans une si petite tête ?
Son astuce pour gagner de la place a été découverte par Alexey Polilov, chercheur à l’université Lomonosov de Moscou. Les neurones de M.mymaripenne se débarrassent tout simplement de leur plus gros composant : ils deviennent des cellules sans noyau comme de vulgaires globules rouges, ce qui permet à la petite bête d’avoir une tête à la fois bien pleine et bien faite.
Et si l’image ci-dessus vous intrigue, cette animation très réussie de l’université d’Utah sur les échelles du monde cellulaire vous donnera à coup sûr le tournis :
Fabienne Gallaire
Sources
Mise à jour : correction d’une erreur sur le rapport du nombre de neurones chez C. elegans et chez l’être humain.
lire le billetQuoi de plus naturel et de plus important en société que de reconnaître le visage de ses congénères ? Les personnes atteintes de prosopagnosie peuvent en témoigner… La capacité à reconnaître les visages se retrouve sans surprise chez les primates mais aussi chez des animaux moins connus pour leur vive intelligence : les moutons, par exemple, sont très physionomistes.
Une nouvelle étude vient de démontrer que cette compétence est encore plus partagée qu’on ne le pensait : des entomologistes américain l’ont trouvé chez certaines guêpes. Dans le cadre de sa thèse, Michael Sheehan s’est intéressé à Polistes fuscatus, une espèce de guêpes vivant en sociétés moins hiérarchisées que de classiques abeilles, avec plusieurs reines au lieu d’une seule.
Pour tester leur coup d’œil, il a placé ces guêpes dans des labyrinthes aux branches identifiées par des portraits de différentes individus. Avec de l’entraînement, les cobayes ont vite appris à rejoindre les zones-cibles avec fiabilité, ce qui démontre leur capacité à faire la différence entre les plusieurs photos d’identité proposées.
On n’oublie pas un visage
Tout cela est bel est bon, mais ne suffit pas à conclure : cela prouve simplement que les guêpes ont une bonne vue et une bonne mémoire, rien de plus. C’est pourquoi une autre série d’expériences les a mises à l’épreuve dans des circonstances identiques, à ceci près que les indications étaient données par des symboles géométriques simples, aux différences bien plus marquées que les subtiles variations entre deux minois hyménoptères. Résultat : l’apprentissage est moins efficace et bien plus lent. La même chose se produit lorsqu’on leur présente des images de chenilles, leurs proies favorites, ou même de visages de guêpes retouchés numériquement ; ce sont donc bien les traits des individus qui sont le mieux reconnus.
Mais attention, cette virtuosité semble être l’exception plutôt que la règle: les guêpes de l’espèce proche Polistes metricus sont bien moins bonnes pour se repérer grâce aux visages, qui sont d’ailleurs beaucoup moins variés que chez P. fuscatus. La logique évolutive de cette différence tient à la structure sociale de chaque espèce. Avec une seule reine toutes les guêpes P. metricus d’un même nid sont des sœurs et ne sont pas en compétition pour la reproduction, tandis que dans une colonie à plusieurs reines comme celles de P. fuscatus, les liens familiaux sont moins serrés et la compétition est rude…
Pour se repérer dans une hiérarchie aussi complexe, il est donc important de faire la différence entre ses camarades, ce qui est facilité par la plus grande diversité physique entre les individus. D’après Michael Sheehan, « si les guêpes ne peuvent pas se reconnaître, il y a plus d’agressivité ».
De la pratique du référendum en monarchie absolue
Les abeilles domestiques n’ont qu’une seule reine, mais cela ne les empêche pas d’avoir à trancher lorsqu’il s’agit de prendre une décision aussi fondamentale que l’emplacement de la ruche. Lorsqu’une colonie se cherche un point de chute, la reine se pose en compagnie de la majorité des ouvrières sur un arbre accueillant ou un apiculteur qui passait par là pendant que des éclaireuses quadrillent les environs à la recherche du coin idéal*. Une fois toutes les informations collectées, comment la colonie choisit-elle sa nouvelle résidence?
Le processus ressemblerait presque à une campagne électorale : chaque éclaireuse entreprend de faire la publicité de son petit paradis avec une danse bien déterminée pour encourager ses camarades à aller explorer le site, jusqu’à ce que le groupe le plus enthousiaste l’emporte numériquement et que tout l’essaim déménage.
Ce processus rappelle beaucoup la façon dont un grand groupe de neurones parvient à se synchroniser sur un type d’activité donné., mais les neurophysiologistes savent que la résolution de ces situations tient à une propriété du câblage des neurones : l’inhibition croisée. Des chercheurs américains sont donc partis à la recherche d’un équivalent dans le mécanisme de prise de décision des abeilles : est-ce que les abeilles défendant leur lieu cherchent aussi à bloquer la danse de recrutement des autres éclaireuses ?
La réponse tient en une vidéo :
Suivez bien des yeux l’abeille marquée en rose et tendez l’oreille : elle ne se contente pas d’émettre une espèce de bruit de buzzer qui correspond à un signal « stop », elle accompagne chacun de ces avertissements par un vigoureux coup de tête sur l’abeille concurrente, marquée en bleu et jaune. À la longue, ce comportement finit par inhiber la danse des factions minoritaires.
L’inhibition croisée se retrouve donc à l’échelle du neurone comme à celle de la colonie et permet aux abeilles d’éviter le triste sort de l’âne de Buridan. Même avec deux options de qualité équivalente, une très faible différence se trouvera amplifiée par ce mécanisme jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Et une ruche de plus, une !
* Pour plus de détails indémodables sur la vie d’une ruche, je reporte le lecteur amateur de dessin naturaliste vers le n° 28-29 de La Hulotte, détenteur du titre (certes peu contesté) de journal le plus lu dans les terriers.
Fabienne Gallaire
Sources
Specialized Face Learning Is Associated with Individual Recognition in Paper Wasps. M. J. Sheehan, & E. A. Tibbetts. (2011). Science, 334 (6060) : 10.1126/science.1211334
Stop Signals Provide Cross Inhibition in Collective Decision-Making by Honeybee Swarms. Thomas D. Seeley & al. Science. 8 décembre 2011 : 10.1126/science.1210361
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