Il y a 50 ans explosait la plus puissante des bombes atomiques

Dimanche sera “fêté” le demi-siècle de la plus puissante des explosions nucléaires. Le 30 octobre 1961, au petit matin, explosait la bombe que les Soviétiques appelaient “Ivan” ou “Vanya”, et qui fut rebaptisée en “Tsar Bomba” à l’Ouest. L’engin était une bombe H de 26 tonnes, mesurant 8 mètres de long sur plus de 2 mètres de diamètre, tellement imposante qu’on ne put la placer à l’intérieur du Tupolev-95 chargé de la larguer. Au lieu de cela on la fixa sous l’appareil de telle façon que seulement 30 à 40 % du corps de la bombe se trouvait à l’intérieur du bombardier. Tsar Bomba fut larguée à 10,5 km d’altitude au-dessus de l’archipel arctique de la Nouvelle-Zemble, situé au nord de la Sibérie. Pour laisser le temps à l’avion et à son équipage de se mettre à l’abri à plusieurs dizaines de kilomètres avant l’explosion thermonucléaire, la bombe était attachée à un immense parachute. Après un peu plus de 3 minutes de chute, une fois descendu à 4 km d’altitude, l’engin explosa.

Nikita Khrouchtchev, le premier secrétaire du Parti communiste de l’URSS, avait, dès l’origine du projet quelques mois auparavant, voulu une démonstration de force. Nous sommes en pleine guerre froide et à un an de la crise des missiles de Cuba. Alors qu’Andreï Sakharov, père de la bombe H soviétique (et futur Prix Nobel de la paix…) doutait qu’il fût nécessaire de procéder à de nouveaux essais, Khrouchtchev demanda en juillet 1961 à ses ingénieurs et scientifiques spécialisés dans le nucléaire de “montrer aux impérialistes ce que nous pouvons faire”. Quelques mois auparavant, Youri Gagarine a été le premier homme dans l’espace et Khrouchtchev semble vouloir, d’une certaine façon, enfoncer le clou et dire : “Nous avons les plus puissantes bombes du monde et les fusées pour les envoyer.” Il faut battre un record et, symboliquement, la puissance de la bombe est fixée à 100 mégatonnes de TNT. A titre de comparaison, Little Boy, la bombe A qui explosa à Hiroshima le 6 août 1945, avait une puissance d’environ 15 kilotonnes, soit près de 7 000 fois moins… Pour rester dans les références, Castle Bravo, la plus puissante des bombes H américaines jamais testées (en 1954), ne dépassa pas les 15 mégatonnes. Après réflexion, les Soviétiques décidèrent prudemment de se contenter de la moitié de la puissance prévue à l’origine : 50 mégatonnes resteraient, quoi qu’il arrive, un chiffre parlant.

Et donc, ce 30 octobre 1961 à 8h33, “Ivan” explosa (voir vidéo ci-dessous).

 

Le village abandonné de Severny, situé à 55 km de là, fut entièrement détruit, comme le furent toutes les installations existant dans un rayon de 120 km. Alors que la bombe avait explosé dans l’atmosphère à assez haute altitude, l’US Geological Survey enregistra un signal sismique d’une magnitude de 5. Des vitres furent brisées jusqu’à 900 km du lieu de l’explosion. C’est comme si une déflagration survenue à Lille se faisait sentir à Marseille, Nice ou Perpignan… On estime que la lumière générée par l’explosion fut visible à un millier de kilomètres à la ronde. Un caméraman embarqué dans le bombardier pour filmer l’événement fit par la suite ce récit : “Les nuages situés sous l’avion et au loin furent illuminés par le puissant flash. La mer de lumière se propagea sous la carlingue et même les nuages commencèrent à luire et devinrent transparents. A ce moment, notre appareil émergea d’entre deux couches de nuages et en bas, dans l’interstice, émergeait une énorme boule brillante et orange. Cette boule était puissante et arrogante comme Jupiter. Elle grimpait doucement et en silence… Après avoir transpercé l’épaisse couche de nuages, elle continua de grossir. On aurait dit qu’elle allait aspirer la Terre entière. Le spectacle était invraisemblable, irréel, surnaturel.”

Comme le firent remarquer en 1994, après la disparition de l’URSS, Victor Adamsky et Youri Smirnov, deux des scientifiques ayant travaillé à la construction de Tsar Bomba, celle-ci “ne fut jamais une arme”, mais plutôt un cocktail politico-scientifique : mi-démonstration de force mi-preuve que le concept technologique fonctionnait. Un pas vers la superbombe à 100 mégatonnes qui ne fut jamais construite. En réalité, les militaires ont déjà suffisamment de joujoux nucléaires et ils n’ont pas vraiment besoin d’un engin qui détruise tout dans un rayon de 100 kilomètres. Enfin, on l’espère.

Pierre Barthélémy

12 commentaires pour “Il y a 50 ans explosait la plus puissante des bombes atomiques”

  1. ça me rappelle qu’on appelle la bombe nucléaire ultime, la bombe au cobalt, non fabriquée mais qui pourrait l’être en théorie, celle-ci rendrait toute la planète inhabitable à cause des particules, la dissuasion ultime.
    Sinon en bombe classique existe la plus grosse qu’on appelle MOAB( mother of all bombs) qui utilise un effet de souffle, très impressionnante.

  2. La Tsar Bomba était une bombe fission-fusion-fission d’ailleur si l’on prête attention au développement de l’expérience on remarque bien les trois étapes de l’explosion.
    A Paris l’explosion a été détectée aussi par le déplacement de l’air, et enregistrée au microbaroscope mis au point par Yves Rocard. Une heure après Rocard, avec sa courbe dans la poche, était reçu par De Gaulle… La vague d’air a fait trois fois le tour du monde et a été détectée à chaque passage.
    >La pollution atmosphérique engendrée par ce tir a représenté environ 50>% de l’ensemble des pollutions additionnées des tirs atmosphériques. L’ensemble des pollutions représentant environ une centaine de “nuages de Tchernobyl”.
    Les Lapons, aux première loges des tirs en Nouvelle Zemble, ont servi de cobayes très surveillés pour connaître l’influence d’une pollution nucléaire de masse sur une population. Les Lapons mangeant du renne qui mange des lichens qui stockent les métaux lourds.
    Sakharov qui pensait que la Relation Linéaire Sans Seuil était applicable aux très faibles doses ainsi qu’à la notion de “dose collective” a milité pour l’arrêt des expériences atmosphériques.
    Ensuite les Soviets ont fait “mieux”, plus léger, voir cette petite vidéo qui donne une idée :
    http://www.dailymotion.com/video/xb420v_de-quoi-parle-gorbatchev_tech
    @+

  3. C’était pas une arme, oui c’est cela, alors un truc sympa et pacifiste, probablement. Du spectacle, la bande son de la vidéo en témoigne. Pfff… L’avant dernière phrase est du même tonneau : ce sont les politiques qui ont le doigt sur le bouton, pas les militaires. Les militaires n’ont pas de joujoux, ils bossent.

  4. Un bien triste anniversaire ;(

    J’ai lu cet article avec un frisson de dégout qui me parcourait le dos. ça me fait toujours cet effet-là, un mélange d’horreur et de fascination.

    Et le prix nobel de la paix pour le père de la bombe H soviétique, c’est à rien y comprendre… l’année prochaine, il est pour Ben Laden? 🙂

  5. @xavier-marc
    En ce qui concerne MOAB (acronyme de “munition ordnance air blast”- les habitants de la ville de Moab de référence biblique ont protesté), elle utilise de l’aluminium poreux et en paillettes. Le tout est de diriger l’effet pour qu’il soit le plus plan possible, tout effet vertical étant de l’énergie perdue.
    http://www.dailymotion.com/video/x815xt_arme-a-l-aluminium-moab_tech
    Enfin l’horreur la plus complète.
    Les effets de MOAB sont similaires à ceux du bombardement d’Hiroshima.
    Les Russes ont fait un peu mieux, avec FOAB (father of all bombs) FOAB étant plus léger, plus petit…
    Mais les Russes ont d’autres ressources dans le domaine, la “science prolétarienne” étant avant tout une science à vocation militaire.
    @+

  6. @Will79
    Pourquoi ne pas donner le prix Nobel de la paix à celui qui a pu empêcher la 3e guerre mondiale à laquelle le monde était promis dans les années 50-60…
    L’équilibre de la terreur à été le garant de la paix, ce n’est ni joli ni utopique mais réaliste.

  7. “ça me rappelle qu’on appelle la bombe nucléaire ultime, la bombe au cobalt,” C’est une bombe salée, c’est un concept jamais testé mais qui permettrait de stériliser un territoire pendant quelques décennies. Niveau puissance ça n’apporte rien, le colbat capte des neutrons et devient radioactif.

  8. et aujourdhui on parle de réchauffement climatique et de trous dans la couche d’ozone,!!!!!100 fois le nuage de tchernobyl et le déplacement d”air a fait 3 fois le tour de la terre!!il ne faut pas chercher plus loin l’origine de tous ces cancers!!la folie humaine du toujours plus nous emmène vers l ‘anéantissement!!!

  9. @Juillard: la radioactivité naturelle, c’est plusieurs millions de Tchernonbyl tous les ans. Dilué à l’échelle de la planète la radioactivité anthropique est négligeable. Tant qu’aux cancers, c’est une maladie de vieux, de fumeur et l’alcoolique. Ses trois facteurs expliquent 90% des cas.

  10. Allez voir ce lien c’est pas mal aussi :
    http://alternatives-economiques.fr/blogs/collin/2011/10/30/grosse-bombe-nucleaire/

  11. […] Tsar Bomba […]

  12. @Jean-pierre

    Réaliste peut-être mais triste c’est sûr ;(

    Dans ce cas, on donne le nobel de biologie à Monsanto pour le développement d’OGM afin d’éradiquer la faim dans le monde…

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