Du chocolat pour mesurer les testicules

Non, la photo ci-dessus ne représente pas un chapelet. Il s’agit d’un orchidomètre. Cela n’a pas non plus de rapport avec les orchidées si ce n’est que la racine grecque des deux mots est la même : orchis, qui signifie testicule (les tubercules souterrains de certaines orchidées présentent cette forme de coucougnette). L’orchidomètre ne sert donc ni à calibrer des fleurs ni à compter les “Je vous salue Marie” mais à mesurer la taille des gonades masculines. Surnommé “couilles de Prader” en hommage au médecin suisse qui l’a introduit, cet instrument doté de perles ovoïdes de différentes tailles permet d’évaluer le volume des testicules, ce qui est utile dans certaines affections mais aussi pour surveiller la puberté des adolescents.

Comme le fait remarquer un très savoureux petit article britannique publié en 2001 dans le fort sérieux British Medical Journal (BMJ), l’orchidomètre coûte horriblement cher (plusieurs dizaines de livres sterling) pour ce qu’il est. Par ailleurs, la chose a une fâcheuse tendance à se perdre et à être en rupture de stock lorsqu’on veut en commander une. Les deux auteurs principaux de cette étude, endocrinologues de profession dans un hôpital de Liverpool, ont découvert par hasard que deux chocolats, le Maltesers Teaser et le Galaxy Truffle, présentaient exactement la même forme et le même volume que la perle de 8 millilitres figurant au milieu de l’orchidomètre (voir photo ci-dessous). Sans se prendre le moins du monde au sérieux, ces médecins se sont dit qu’ils pourraient faire faire des économies au système de santé britannique en s’équipant de chocolats. A condition toutefois que ces derniers soient aussi fiables qu’un véritable orchidomètre.

Pour le savoir, ils ont donc testé leur nouvel instrument, tout d’abord auprès de collègues. Après avoir eu les yeux bandés, cinq pédiatres ont pris dans une main soit une friandise emballés soit la perle de 8 ml entourée du même papier, et, dans l’autre main, les autres perles d’un orchidomètre, avec pour mission de dire si elles étaient plus petites ou plus grandes que leur échantillon. Les auteurs précisent : “De véritables testicules n’ont pas été utilisés car l’image de la profession médicale est déjà assez mauvaise comme ça.” La mission a été parfaitement remplie à chaque fois, ce qui sous-entend que, pour ce qui est du volume, le chocolat pourrait très bien remplacer la perle en question.

Puis, poursuit l’étude, il a fallu vérifier la résistance de l’orchidomètre de substitution aux contraintes physiques typiques rencontrées dans un hôpital de Liverpool. Les friandises ont donc subi… un coup de marteau (pour la résistance au choc) et un tour au sauna (pour la résistance à la température en milieu hospitalier). Visiblement, c’était un peu trop pour elles :“La perle de l’orchidomètre a survécu aux deux tests alors que les Teasers ont cédé au premier coup de marteau et abîmé un peignoir en excellent état”… Cela dit, les chocolats présentent d’indéniables atouts par rapport aux perles en bois ou en plastique. “L’aptitude à venir en aide au personnel affaibli par la faim au terme d’une longue garde est un bonus important pour tout élément d’équipement médical.” Restait à prouver la comestibilité desdits chocolats. C’est de cette tâche que se sont acquitté les deux autres membres de l’équipe, à savoir Sally (S) et Pippa (P) qui sont peut-être les premiers chiens à co-signer un article médical. L’expérience à laquelle ils ont participé est ainsi décrite : “Des Teasers (nombre=5) et des Truffles (n=5) et 10 perles d’orchidomètre ont été éparpillés au hasard à 3 040 cm de P et de S, qui avaient été nourris récemment (Burns Canine Maintenance ; Burns Pet Nutrition, Kidwelly, Dyfed ; environ 600 kcal) de façon à ce qu’on ait un peu de chance de voir ce qui se passait. Environ 17 secondes après, tout ce qui restait était 10 perles d’orchidomètre et de la salive. Nous considérons cela comme une preuve que Teasers et Truffles sont plus savoureux que des perles conventionnelles d’orchidomètre.” Certes il n’est pas très bon de donner du chocolat à des chiens, mais que ne ferait-on pas pour l’avancement de la science ?

La conclusion de cette étude vaut son pesant de chocolats, à l’heure où beaucoup de systèmes de santé sont en déficit et/ou souffrent de réductions budgétaires. “Nous pensons, écrivent les auteurs, avoir trouvé un substitut valable à l’orchidomètre, instrument consacré par l’usage mais d’un prix excessif. Nous ne souhaitons pas dénigrer l’apport de Prader, père de l’orchidomètre, ni appauvrir les tourneurs sur bois qui fabriquent les perles avec tant de talent. Cependant, le coût faible de notre orchidomètre alternatif (6 pence) doit le faire apprécier des systèmes de santé qui sont à court d’argent.” Et probablement aussi des médecins gourmands, à condition qu’ils se soient bien lavé les mains après avoir comparé les testicules de leurs patients à leur perle de référence.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : à tous les grincheux qui râleront en disant que le contribuable britannique a sans doute mieux à faire que de financer ce genre d’étude improbable, je dirai simplement que cet article prouve surtout qu’on peut être médecin et avoir de l’humour…

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