Comment capturer un astéroïde de 25 000 milliards de dollars

Quand les astronomes (et les journalistes…) s’emballent pour les astéroïdes, c’est en général pour évoquer celui qui a provoqué la disparition des dinosaures, ceux qui nous frôlent de temps à autre et que l’on détecte trop tard ou encore pour se faire des frayeurs en parlant des chances infimes pour que le pavé Xtrucmuche212 percute la Terre dans 94 ans. Plus ces rochers géants restent loin de nous, mieux nous nous portons, avons-nous tendance à croire. Erreur grossière car, sur le plan des ressources naturelles et notamment des métaux, un astéroïde, c’est quasiment de l’or en barre. En effet, il est très probable que l’origine des métaux précieux présents dans la croûte terrestre soit extraterrestre : de nombreux chercheurs estiment en effet que le grand bombardement météoritique qui s’est produit il y a environ 4 milliards d’années nous a fait cadeau de ces éléments qui, sans cela, auraient été des plus rares.

D’où l’idée, émise il y a déjà plusieurs années, d’extraire ces métaux dans l’espace lorsqu’ils viendront à manquer sur Terre ou quand le prix de leur extraction sera faramineux. Encore faut-il, pour pratiquer cette exploitation minière spatiale, faire l’aller-retour à un coût qui n’excède pas celui des minéraux en question. La population la plus accessible, la grande ceinture d’astéroïdes, gravite entre les orbites de Mars et de Jupiter, soit, dans le meilleur des cas, à quelque 150 millions de kilomètres de nous. C’est loin ? Pas de problème. Pour parodier Paul Féval et son Lagardère, on pourrait dire “Si tu ne viens pas à l’astéroïde, l’astéroïde ira à toi !” Au lieu de traverser de longues distances intersidérales, pourquoi ne pas prendre “au lasso” un géocroiseur, un de ces vagabonds qui passent dans les parages de la Terre ?

C’est la question que se sont posée trois chercheurs chinois, spécialisés dans le spatial, à l’occasion d’un article publié l’an dernier par la revue chinoise Research in Astronomy and Astrophysics et qui est désormais disponible depuis quelques jours sur le site arXiv. En introduction, Hexi Baoyin, Yang Chen et Junfeng Li commencent par… parler argent, en rappelant des chiffres qui feront rêver n’importe quelle entreprise minière : un astéroïde métallique de 2 kilomètres de diamètre contient pour plus de 25 000 milliards de dollars de matériaux, soit bien plus que le fameux montant du déficit fédéral américain, qui faisait les gros titres et inquiétait les Bourses il y a un mois… L’idée de ces chercheurs chinois consisterait à dévier d’un chouïa la trajectoire d’un astéroïde de manière à ce qu’il soit capturé par l’attraction terrestre et devienne temporairement satellite de notre planète, ce qui nous laisserait tout loisir pour y envoyer une armée de robots excavateurs.

L’étude a donc passé à la moulinette les orbites de plus de six mille géocroiseurs censés venir flirter avec la Terre à moins de 1,2 million de kilomètres (soit environ trois fois la distance qui nous sépare de la Lune) d’ici à 2060. Le but étant de savoir s’il existait dans cette liste quelques candidats qu’une petite pichenette pourrait faire basculer dans notre piège gravitationnel. Nos scientifiques chinois en ont sélectionné un, qui répond au doux nom de 2008EA9 et est censé passer à un peu plus d’1 million de km de notre planète en février 2049. Il suffirait, selon leurs calculs, de modifier la vitesse de l’astéroïde d’un kilomètre par seconde (ce qui fait tout de même 3 600 km/h…) pour lui faire gagner une orbite autour de la Terre deux fois plus éloignée que celle de la Lune. Autant dire la proche banlieue. Pour mémoire, les astronautes des missions Apollo ne mettaient que trois jours lors de leurs voyages vers notre satellite.

Cela dit, 2008EA9 n’intéressera pas beaucoup de compagnies minières : ce caillou de l’espace ne mesure que 10 mètres de diamètre et il n’y a sûrement pas grand chose à en tirer. Ce “hic” n’empêche pas les auteurs de cette étude d’envisager l’opération comme une démonstration de faisabilité. Après un rapide tour d’horizon des techniques de poussée (de la bombe atomique au laser), ils concluent que la meilleure solution serait une collision bien calculée avec un impacteur de 26 tonnes. L’avantage de 2008EA9, c’est que si l’expérience rate, l’astéroïde est si petit qu’il ne provoquera aucun dégât sur Terre puisqu’il se consumera en entrant dans l’atmosphère. Ce qui risque de ne pas être le cas avec un des autres candidats potentiels, le fameux astéroïde Apophis, qui est doté d’une probabilité infime mais réelle de nous percuter au cours des décennies à venir. C’est un bestiau de 270 mètres de long dont l’impact sur Terre relâcherait une énergie de plus de 500 mégatonnes de TNT (soit dix fois plus que la plus puissante des bombes thermonucléaires jamais conçues).

Comme il ne faut pas jouer avec le feu, une autre étude réalisée dans la même université pékinoise vient de s’attaquer au problème inverse : comment, avec une voile solaire de seulement 10 kg, dévier Apophis pour qu’il ne risque plus, au moins à moyen terme, de venir nous chatouiller la croûte terrestre. Quitte à retourner le chercher plus tard, quand les mineurs de l’espace seront au point…

Pierre Barthélémy

22 commentaires pour “Comment capturer un astéroïde de 25 000 milliards de dollars”

  1. J’ai un peu envie de dire “Heureusement que les chinois sont la…” Ce n’est pas avec nos budgets scientifiques et la direction qu’ils prennent qu’on fera beaucoup de decouvertes…

    Sinon “qui répond au doux nom de 2008EA9 et est censé passé à un peu plus d’1 million de km” = PasseR

  2. Un sujet passionnant dans un cas comme dans l’autre mais est-ce que les investisseurs ne seraient pas plus intéressés par une planète en diamant?
    http://www.slate.fr/lien/42875/planete-diamant
    De toute façon, on a déjà un mal de chien à envoyer à envoyer un malheureux ravitailleur vers l’ISS (encore plus des hommes) alors exploiter un astéroïde…
    Mais c’est pas grave, on a toujours les gaz de schistes et les centrales nucléaires japonaises sont en train de redémarrer^^

  3. @Aviapics : c’est corrigé !
    @Will79 : la fameuse planète en diamant est inaccessible : trop lointaine et la gravité à sa surface beaucoup trop importante pour y travailler et, surtout, en repartir ! L’exploitation minière dans l’espace, que ce soit sur la Lune ou sur un astéroïde, n’est certes pas pour demain, mais quand le cours des matières premières aura grimpé suffisamment, il deviendra peut-être intéressant pour certaines entreprises d’investir des milliards afin de récupérer des métaux hors de prix sur Terre.

  4. Encore faut-il que le cours de la matière première trouvée là-haut ne s’effondre pas à cause de la quantité.

  5. N’y aurait il pas, par la même occasion, possibilité de trouver des métaux absents sur terre?? Moi je trouve ça tout de même assez prometteur.

  6. @lionel : a priori, tous les éléments présents naturellement dans l’Univers se retrouvent sur Terre, au moins à l’état de traces. Il se peut néanmoins que la teneur en certains éléments soit bien plus importante dans certains astéroïdes que sur notre planète.
    @Dwalin : faisons confiance aux futurs entrepreneurs : ils sauront gérer la pénurie pour que le cours reste haut… De toute manière, le coût de l’exploration minière spatiale sera très élevé, ce qui se répercutera sur les prix.

  7. Quel intérêt dans la mesure où nous n avons pas encore finis d’ étudier les ( quelques ) minerais lunaires ?
    On pourrait trouver une réponse à nos besoins en minerai sur la lune et ça couterai sûrement moins cher.

  8. http://euromin.w3sites.net/Nouveau_site/gisements/extra/GISEXTf.htm

  9. @Sankukai : l’argument du meilleur prix n’est pas si évident quant à l’exploitation minière de la Lune. En raison de sa gravité, il faut beaucoup d’énergie pour en repartir avec une cargaison de minerais… tandis que c’est bien plus facile sur un astéroïde. De plus, les astéroïdes métalliques concentrent les métaux et il est “facile” de les exploiter, ce qui n’est pas le cas de notre satellite

  10. […] naturelles et notamment des métaux, un astéroïde, c’est quasiment de l’or en barre. lire la suite "Aimer" ceci :"J'aime"Soyez le premier à aimer ce […]

  11. @PierreB qui rappelle que “a priori, tous les éléments présents naturellement dans l’Univers se retrouvent sur Terre, au moins à l’état de traces”…
    … de traces ou d’ultra-ultra-traces : si un jour l’astate naturel (:-)) trouve, famille des halogènes permet, par exemple, une application industrielle incontournable, on sera content de trouver une autre source –naturelle…– pour compléter la 30aine de grammes présents, dixit Wikipédia, dans TOUTE la croûte terrestre… Surtout si en plus on peut lui accoler un label “bio” car d’origine naturelle :-)))
    Imaginez la capture d’un astéroïde riche en astate, et quelques autres éléments de “moindre intérêt”… Jack-pot industriel. Mais le problème viendra de la sphère financière, avec un très gros risque d’emballement de la Bourse, du fat de la “volatilité” extrême du cours de l’At : un facteur d’inflation de 9% toutes les heures, grâce/à cause de… l’amaigrissement rapide du nouveau stock ; voilà qui devrait attiser des spéculations très sauvages ! Je me demande si les scientifiques ne devraient pas préparer un projet de loi anti-spéculation financière autour de l’astate, et le proposer rapidement aux députés pour vote…
    C’est bon, je sors.

  12. @ELw : j’imagine que vous avez lu l’article de Wikipedia auquel vous faites référence… Etant donné les qualités naturelles de l’astate, qui est extrêmement radioactif et dont la demi-vie de l’isotope le plus stable est de 8,3 heures, il n’y a aucune chance de trouver “un astéroïde riche en astate” !

  13. […] Comment capturer un astéroïde de 25 000 milliards de dollars […]

  14. L’idée même d’exploiter un astéroïde est ridicule et utopique.

    actuellement, nous ne somme capable d’aller dans l’espace qu’avec un rendement de 3% ( ariane 5 fait 750t, cramée intégralement pour envoyer à peine 25t en orbite basse… ) et un prix littéralement astronomique ( les solutions les plus rentable étant à 10 000$ le… kilo.

    avant de penser à exploiter un astéroïde, il faut se pencher sur nos capacités d’envoi de cargaison dans l’espace. Or la guerre technologique issue de la guerre froide et de ses ICBM condamne pour l’instant l’idée de créer au niveau international une solution innovante de lancement ( railgun ,skytram, etc. ), et surtout une solution de convoyage de masse ( un lanceur ‘super-lourd’ type saturn5 ou N1 ) est par définition condamnée par le marché spatial international actuel qui se contente le plus souvent de charge légères de quelques tonnes.

  15. @Juggernaut : vous avez parfaitement raison mais, d’un autre côté, personne ne peut empêcher l’homme d’imaginer des choses qui, “actuellement”, comme vous dites, sont impossibles…

  16. Article génial comme d’habitude, avez vous l’intention d’intégrer un bouton +1 de google+ pour partager plus facilement sur cette plateforme?

  17. @Morys : Voilà, c’est fait : grâce à vous, le bouton +1 est activé sur le blog. Merci !

  18. Excellent.. j’adore. 🙂

  19. -_- c’était ironique Pierre 😀

  20. @Will79 : certes, mais je suis sûr que certains lecteurs s’étaient sérieusement posé la question de la “planète en diamant”, dont les médias ont beaucoup parlé. C’est pour cette raison que j’ai apporté une réponse…

  21. […] Comment capturer un astéroïde de 25 000 milliards de dollars […]

  22. […] sa planète en miettes pour se débarrasser d’une humanité jugée nocive. On peut, en déviant astucieusement (et à moindre coût) quelques astéroïdes de bonne taille, assurer aux hommes une fin semblable à celle des dinosaures. Autre solution […]

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