Les SMS ont-ils contaminé votre cerveau ?

Selon ABI Research, un cabinet d’études spécialisé dans les nouvelles technologies, il s’enverra plus de 7 000 milliards de SMS dans le monde au cours de l’année 2011. Etant donné que la population de la Terre aura, d’ici au 31 décembre, passé la barre des 7 milliards d’individus, cela fera une moyenne de 1 000 SMS par personne. Même s’il existe encore bien des récalcitrants (comme l’auteur de ces lignes…), il est indéniable que la pratique du texto se répand de plus en plus. Mais jusqu’où ? De la même manière que l’on a pu dire que Google et Internet modifiaient notre façon de lire, de mémoriser et de penser, peut-on prétendre que les SMS se sont immiscés dans notre cerveau au point d’y laisser une insidieuse empreinte ?

Si l’on en croit une étude réalisée par Sascha Topolinski et publiée dans le numéro de mars de Psychological Science, la réponse est oui. Pour le prouver, ce chercheur en psychologie à l’université allemande de Wurtzbourg a, avec ses étudiants, concocté une série de petites expériences aux résultats troublants. Dans la première, il était demandé à deux groupes comptant chacun plusieurs dizaines de personnes, de composer des suites de chiffres, pour le premier groupe sur un clavier d’ordinateur, pour le second sur un téléphone portable dont les touches ne comportaient que les chiffres, et pas les lettres associées selon le standard international E.161 (voir photo ci-dessous).

Après avoir entré les chiffres, les cobayes des deux groupes devaient ensuite regarder un écran sur lequel apparaissait un mot et devaient, le plus vite possible, dire si c’était un mot existant ou inventé. Il se trouve que, de temps en temps, les chercheurs glissaient des mots qui auraient pu être composés, en mode SMS, par la suite de chiffres qu’ils venaient de saisir. Par exemple, le 5683 qui figure sur la photo ci-dessus correspond au “code” du mot anglais “love” (“amour” en français, pour ceux qui sont encore plus réfractaires à la langue de Shakespeare que je ne le suis à l’utilisation des SMS). Dans la langue de Molière, cette suite peut donner le mot “joue” car les touches des téléphones ne sont pas bijectives : à une touche ne correspond pas une lettre mais trois ou quatre. Lorsque le mot “collait” à la suite de chiffres, ceux qui avaient tapé celle-ci sur un portable répondaient un peu plus vite que ceux qui l’avaient composée sur un clavier d’ordinateur. D’une certaine manière, l’action physique d’appuyer sur les touches d’un téléphone activait le mode SMS dans le cerveau des utilisateurs… Aucun n’a d’ailleurs deviné le but de l’expérience et les cobayes croyaient qu’il s’agissait d’un test d’ergonomie.

Pour la deuxième expérience, Sascha Topolinski a voulu aller plus loin. Il a demandé à un autre groupe de volontaires de composer des suites de chiffres sur le téléphone puis d’évaluer si la combinaison de ces chiffres était agréable ou pas. Dans un pré-test effectué sans portable, les cobayes n’avaient vu aucune différence significative entre ces combinaisons. Tout a changé dès qu’il a fallu tapoter des touches de téléphone. Les combinaisons 242623, 373863, 54323, 787263, 87286, 87383, 94373 et 242763 ont été plus appréciées que les suites 26478, 24267, 37825, 35363, 57473, 534243, 7245346 et 8375878. Il faut dire que les premières, en langage SMS, correspondaient aux mots allemands signifiant “chance”, “ami”, “amour”, “plage”, “rêve”, “fidélité”, “prairie” et “charme”, tandis que les secondes codaient pour des mots à connotation négative : “crainte”, “chaos”, “pression”, “malheur”, “crise”, “cadavre”, “bave” et “perte”. Encore une fois, les participants à l’expérience, avec un clavier sans lettres, n’avaient aucun moyen de deviner, si tant est qu’ils y aient pensé, les mots qu’ils pouvaient bien taper… C’est un peu comme si les suites de mouvements réalisées pour entrer les combinaisons de chiffres renvoyaient, dans les profondeurs du cerveau, au souvenir du sentiment ressenti lorsque ces combinaisons avaient été saisies par le passé. Ce que Sascha Topolinski nomme l’“incarnation cognitive”. Des études ont montré que demander à quelqu’un de sourire va induire une sensation d’amusement, qu’un poing levé engendrera une sensation de pouvoir et que des mouvements lents seront associés à l’idée de vieillesse.

Dans une troisième et dernière expérience qui complète les deux précédentes, les participants devaient composer huit numéros de téléphone, correspondant à huit sociétés (fictives) : un fleuriste, une agence matrimoniale, une boutique de cadeaux, etc. Pour quatre des sociétés, le numéro de téléphone codait, en langage SMS, pour l’activité, par exemple 25863 (“blume”, fleur en allemand) pour le fleuriste, 54323 (“liebe”, amour) pour l’agence matrimoniale, etc. Pour les quatre autres, les combinaisons de chiffres ne renvoyaient à aucun mot. A chaque fois, les cobayes étaient mis en relation avec un répondeur qui donnait des variantes du même message, seule changeant la description de l’activité. Au bout des huit appels, les participants devaient noter l’attractivité de la société sur une échelle allant de 0 à 10. Sans grande surprise au vu des résultats précédents, quand l’activité était codée dans le numéro de téléphone, la note était légèrement meilleure, quelle que fût, d’ailleurs, l’activité. L’entreprise de pompes funèbres était ainsi plus appréciée quand le mot “cadavre” en langage SMS était caché dans son numéro de téléphone !

Les effets, faibles, de ce phénomène d’incarnation cognitive semblent néanmoins significatifs. Appuyer sur les touches du téléphone active inconsciemment, dans le cerveau de ceux qui pratiquent l’art du texto, des concepts concordant avec les combinaisons saisies. De quoi donner des idées aux spécialistes du marketing. Longtemps ont été privilégiés les numéros de téléphone faciles à retenir. Peut-être le temps est-il venu des numéros codés, intégrant des messages subliminaux en langue SMS…

743773 Barthélémy

 

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