Découverte du gène “Elephant Man”

De quoi souffrait Joseph Merrick (photo ci-dessus), qui a inspiré le célèbre film de David Lynch, Elephant Man? Après avoir écarté l’hypothèse de l’éléphantiasis et celles de la neurofibromatose de type I, les chercheurs pensent aujourd’hui que l’homme qui, pendant des années, vécut l’existence dégradante de phénomène de foire, était atteint du syndrome de Protée. C’est une maladie très rare, qui ne touche que quelques centaines de personnes de par le monde et se caractérise par des excroissances, souvent asymétriques, de tissus de toutes sortes (os, peau, graisses, tissu conjonctif, etc.), des mégadactylies, des anomalies vertébrales ainsi que des malformations vasculaires.

Après une longue enquête, la cause de ce syndrome grave et invalidant vient d’être identifiée et révélée dans une étude internationale signée par une quarantaine de chercheurs et publiée le 27 juillet dans The New England Journal of Medicine. L’hypothèse d’un gène défectueux a été avancée depuis longtemps mais son identification a posé de nombreux problèmes. La rareté de la maladie et le fait qu’on ne la trouve pas dans les lignées familiales sont les plus évidents. On connaît par exemple le cas de deux vrais jumeaux dont un est victime du syndrome de Protée et l’autre pas. Autre difficulté, l’affection semble avoir une structure dite en mosaïque : certaines cellules des patients sont saines et d’autres porteuses de la mutation génétique. La raison tient probablement au fait que la mutation surgit in utero dans quelques cellules de l’embryon et ne touche par la suite que les parties du corps originaires de ces cellules mutantes.

Les chercheurs ont donc dû prélever, sur six patients, des cellules dans les zones visiblement touchées et d’autres dans les régions a priori dénuées de problèmes. Ils ont ensuite séquencé les parties de l’ADN qui codent pour les protéines et chercher les différences. Des comparaisons ont aussi eu lieu avec d’autres malades et des individus sains. A l’arrivée, ils se sont aperçus qu’une “faute de frappe” dans le gène AKT1 se retrouvait dans les cellules touchées et était absente des cellules saines. Cette unique mutation, dans un gène qui code pour une protéine participant au contrôle du cycle cellulaire et à la croissance, semblent suractiver ladite protéine. Le gène en question est connu des chercheurs car il est impliqué dans certains cancers et des médicaments ont été conçus pour cibler la protéine qu’il fait fabriquer. Toute la difficulté d’un éventuel traitement consistera à réguler cette protéine uniquement dans les cellules malades sans toucher à son expression dans les cellules saines.

Maintenant que la cause de la maladie est identifiée, il est enfin temps de s’intéresser de nouveau à Joseph Merrick, mort en 1890 à l’âge de 27 ans, probablement en raison de l’hypertrophie de sa tête. En effet, on n’a toujours pas l’assurance que ce patient célèbre souffrait bien du syndrome de Protée, dont il fait pourtant figure d’archétype. Pour résoudre une énigme scientifique vieille de plus d’un siècle, l’équipe de chercheurs a obtenu l’autorisation de travailler sur des échantillons provenant de son squelette qui a été conservé au Royal London Hospital. Toute la difficulté sera de trouver du matériel génétique non dégradé par le temps. Une première tentative a échoué, rapporte Science sur son site Internet, car l’ADN était trop fragmenté pour “parler”. Mais les scientifiques ne veulent pas s’arrêter si près du but et comptent bien renouveler rapidement l’expérience. Pour refermer définitivement un des dossiers médicaux les plus célèbres de l’histoire.

Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #56

– L’impact des grands prédateurs sur l’environnement en général et leurs écosystèmes respectifs en particulier, serait sous-évalué, selon une récente étude publiée dans Science. C’est avec la diminution de leurs populations qu’on s’aperçoit de leur rôle essentiel dans l’équilibre naturel. «Les recherches récentes montrent que la disparition de ces animaux a des conséquences beaucoup plus importantes que ce que l’on pensait sur des questions telles que la propagation des maladies, le développement des espèces invasives, la séquestration du carbone ou encore les incendies », souligne l’étude signalée par Le Figaro.

Restons dans les prédateurs. Outre-Manche, The Independent s’intéresse à la reconquête de la France par les loups, qui seraient environ 200 dans l’Hexagone. Sous la pression des éleveurs, la ministre de l’environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, vient d’assouplir considérablement le dispositif sur l’abattage de ces animaux. Alors même qu’il s’agit d’une espèce protégée par la convention de Berne que la France a ratifiée en 1990.

Une des grandes questions sans réponse de la paléoanthropologie concerne la raison de la disparition des hommes de Néandertal. Peut-être ont-ils simplement été submergés par le nombre d’hommes modernes déferlant sur l’Europe il y a quarante millénaires.

– Alors qu’une page de la conquête spatiale vient de se tourner avec la fin des navettes américaines, je vous signale une série d’été de Libération consacrée à la question.

On peut aller étudier l’évolution du vivant dans les forêts vierges. On peut aussi le faire en pleine ville, à New York par exemple.

Comme c’est toujours en été, au moment où l’actualité se fait moins abondante, que les journaux généralistes se souviennent que la science existe, voici une autres série estivale, celle que Le Temps a commencée au début du mois de juillet, qui passe en revue les éléments chimiques du tableau de Mendeleïev.

Lovotics (mot-valise mélangeant “love” et “robotics”) vous proposer de tomber amoureux d’une boule de poils robotisée (une sorte de serpillière à franges et à roulettes parlant comme R2D2)  et de s’en faire aimer en retour. Bon…

– Pour finir : c’était une des photos d’OVNI les plus célèbres de la planète. Prise en 1990, elle matérialisait la vague d’objets volants non identifiés qui “déferlait” sur la Belgique à cette époque. Plus de vingt ans après, son auteur vient de reconnaître qu’il s’agissait d’un canular et qu’il avait photographié… un triangle de polystyrène muni de spots lumineux !

Pierre Barthélémy

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Ainsi fond, fond, fond la banquise

La question risque de devenir un des leitmotive des étés à venir. Non pas le traditionnel “Y aura-t-il de la neige à Noël ?” mais bien “Y aura-t-il de la banquise en septembre ?” Septembre, c’est la fin de l’été et le moment de l’année où la glace de mer, dans l’Arctique, atteint son minimum d’extension, recouvre le moins de surface. Et, depuis quelques années, des climatologues scrutent attentivement, via des satellites, la fonte de la banquise, notamment depuis cette année 2007 où le minimum a battu tous les précédents records : avec 4,8 millions de kilomètres carrés, le cru 2007 a pulvérisé le minimum de 5,57 millions de km2 établi seulement deux ans auparavant, en 2005. La moyenne de référence, établie sur les mois de septembre des années 1979-2000, est de 7 millions de km2. Et pour ce qui est de 2011, la courbe de fonte est depuis la mi-mai inférieure ou égale à celle de 2007, comme on peut le voir ci-dessous.

Au cours des deux premières semaines du mois de juillet, la fonte s’est avérée particulièrement rapide avec une perte, en moyenne, de 124 000 kilomètres carrés par jour, soit quasiment la surface d’un pays comme la Grèce. Au-dessus du pôle Nord, la température était en moyenne de 6 à 8°C plus haute qu’à l’ordinaire. Cela ne signifie pas pour autant que le record de 2007 sera battu. Seize groupes de chercheurs ont fourni leurs prévisions pour le mois de septembre et seulement trois d’entre eux estiment que le record tombera. Les chiffres avancés vont entre 4 et 5,5 millions de kilomètres carrés. La glace de mer ne fait pas que se réduire en superficie : les données enregistrées par des sous-marins militaires pendant quarante ans ont montré que, pendant la décennie 1990, le “pack” avait perdu 40 % de son épaisseur par rapport aux années 1958-1976.

Certains considèrent que la fonte de la banquise arctique comporte bien des avantages, en libérant les côtes des glaces, voire en ouvrant les passages maritimes le long des côtes nord du Canada (passage du Nord-Ouest) ou de celles de la Sibérie (passage du Nord-Est) et en facilitant, à terme, la future exploitation des gisements de pétrole arctiques… Ce faisant, ils oublient deux choses. La première est que des espèces animales, comme les phoques ou les ours polaires, doivent leur survie à la banquise et qu’il est peu probable qu’ils aient le temps de s’adapter à sa diminution rapide. Mais après tout, on peut les sacrifier sur l’autel du développement économique de la région… Le second élément est un peu plus problématique : l’Arctique est une sorte de régulateur climatique et le déséquilibrer, par la disparition progressive de la banquise, enclenche une série de cercles vicieux. La glace, blanche, se comporte comme un miroir vis-à-vis des rayons du Soleil et en reflète environ 80 %. Dès que la glace disparaît, c’est l’océan sombre que les rayons du Soleil touchent et 90 % d’entre eux sont absorbés par l’eau, qui se réchauffe, fait fondre plus de glace, etc. L’océan étant plus chaud, l'”été” arctique est de plus en plus long et les nouvelles glaces se forment en moyenne un peu plus tard dans la saison.

Mais ce n’est pas tout. L’Arctique constitue un acteur majeur du climat, en étant un des moteurs de la circulation océanique. Les grands courants mondiaux sont entretenus par les différences de température et de salinité de l’eau. Ainsi, l’Arctique refroidit les eaux chaudes du Gulf Stream, qui donnent à l’ouest de l’Europe son climat tempéré, et les renvoie le long de la côte est américaine, avec quelques degrés en moins. En jouant à la fois sur la température et la salinité de l’eau de mer, la fonte de la glace risque d’enrayer le moteur de la circulation thermohaline. Autres effets indésirables : les répercussions sur les terres voisines, et notamment sur le Groenland, qui supporte une calotte glaciaire dont la disparition provoquerait une hausse de plusieurs mètres du niveau des océans. Puisque l’Arctique est la région du monde la plus sensible au réchauffement climatique qui y connaît un effet d’amplification, on peut également citer la possibilité que les sols gelés du Grand Nord canadien et de la toundra sibérienne se réchauffent, libérant le dioxyde de carbone et le méthane, deux gaz à effet de serre, qu’ils retiennent prisonniers. Dernier risque que je citerai, la déstabilisation de l’énorme réservoir de méthane que sont les clathrates, de fines cages de glace contenant du méthane, qui reposent en grande quantité au fond de l’océan glacial Arctique…

La fonte de la banquise n’est donc pas une simple lubie de climatologues. C’est un risque avéré d’emballement du réchauffement climatique. Il y a un an, face à une vague de phénomènes météorologiques extrêmes, je mettais les pieds dans le plat en disant que, même si les chercheurs restaient encore très (trop ?) prudents pour mettre un nom sur les choses, on commençait à voir le vrai visage du réchauffement. Je pourrais probablement réécrire l’article en mettant, à la place de la canicule russe, la vague de chaleur intense que connaissent les Etats-Unis. Sur la carte ci-dessous, chaque point rouge figure un record de chaleur battu ou égalé dans ce pays depuis le début du mois de juillet.

Voilà. Cette carte ainsi que le graphique que j’ai inséré au début de ce billet donnent un visage à ce que seront probablement la plupart de nos futurs étés. Certes, en France, nous avons eu un mois de juillet pourri. Mais il serait peut-être temps de voir les choses de manière un peu plus globale. De la même manière, la fonte de la banquise arctique n’est pas qu’une histoire d’ours polaires, cela concerne le climat de la planète tout entière.

Pierre Barthélémy

 

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La dette américaine : 45 tours Montparnasse pleines de billets verts

Il faut sauver la dette américaine, paraît-il. Le Monde titre à la “une” : “Les Etats-Unis se rapprochent du défaut de paiement”. Le journal du soir nous explique que “le déficit cumulé de l’Etat fédéral (son “plafond”) ne peut être augmenté qu’avec l’accord du Congrès. Sa limite actuelle, à 14 280 milliards de dollars (9 936 milliards d’euros), a été dépassée en mai. Depuis, Washington use d’expédients pour se financer. Mais les services du Trésor ont fixé au mardi 2 août la date butoir au-delà de laquelle ils ne pourront plus respecter leurs engagements obligatoires.” Des négociations serrées sont donc en cours entre la majorité républicaine et les démocrates (ainsi que la Maison blanche) pour remonter substantiellement le plafond, faute de réduire le déficit de l’Etat dans l’immédiat. Bref, c’est de l’économie. Mais, en voyant ce “14 280 milliards de dollars”, je me suis dit que ce chiffre ne voulait plus rien dire. Un chiffre à proprement parler “astronomique”.

L’astronomie est une discipline scientifique où les nombres prennent très vite des valeurs très importantes, notamment quand on parle de distances. A l’échelle de notre Terre, cela va encore avec un périmètre de 40 000 kilomètres, soit l’équivalent de ce que fait un gros rouleur chaque année. La distance Terre-Lune demeure elle aussi dans le domaine de l’entendement, avec un demi-grand axe de 384 000 km, un chiffre que peut indiquer le compteur kilométrique de certains taxis parisiens bien fatigués. En revanche, dès qu’on veut se promener dans le système solaire, dans la Voie lactée ou vers d’autres galaxies, notre petit kilomètre n’a plus grande signification. Dans le système solaire, on utilise l’unité astronomique (150 millions de kilomètres), qui est la distance moyenne Terre-Soleil. Au-delà, on passe à l’année-lumière, qui est la distance parcourue par la lumière dans le vide en une année, soit un peu moins de 10 000 milliards de kilomètres. L’étoile Polaire, située dans la constellation de la Petite Ourse, se trouve à 430 années-lumière de nous. Ce qui signifie que quand on la regarde, on voit en réalité la lumière que cet astre a envoyée il y a 430 ans, à l’époque où Henri III régnait sur la France…

Le déficit américain est un peu comme une galaxie lointaine : le chiffre qui lui correspond ne veut plus dire grand chose. A la seconde où j’écris ces mots, il s’élève à 14 292 823 millions de dollars, soit 142 928 230 000 coupures de 100 dollars. C’est beaucoup. Je me suis donc demandé si on pouvait imaginer un équivalent monétaire à l’année-lumière des astronomes. Mettre tous ces billets bout à bout n’est pas une très bonne idée car cela ferait une immense chaîne verte de plus de 22 millions de kilomètres. J’ai donc essayé de les empiler. Sachant que chacun de ces billets a une épaisseur de 0,11 millimètre, cela ferait une liasse de 15 722 kilomètres de haut, soit quasiment deux mille fois l’Everest… ce qui n’est pas un mode de représentation très explicite.

Pour trouver une comparaison plus parlante, je me suis donc intéressé au volume d’un “Benjamin Franklin”, comme les Américains surnomment le billet de 100 dollars. Celui-ci mesure 156 millimètres de long sur 66 de large et toujours 0,11 d’épaisseur. On pourrait demander à un ministre français de calculer le volume de ce bout de papier mais ce serait risqué étant donné la célèbre inculture mathématique des membres du gouvernement. Voici donc le résultat, très faible : 0,00000113256 mètre cube. Quand on le multiplie par le nombre de billets nécessaires pour combler le déficit de l’Etat fédéral américain, cela fait quand même 161 875 m3. Si l’on considère que chaque étage de la tour Montparnasse, à Paris, a une surface d’environ 1 700 m2, tous ces “Ben Franklin” rempliraient 95 mètres de hauteur, soit près de la moitié de la tour Montparnasse ! Il faudrait beaucoup de Tony Musulin pour, au choix, la remplir ou la vider. Evidemment, si j’avais retenu le billet de 1 dollar comme unité de base, la dette fédérale bourrerait 45 tours Montparnasse de ces coupures, puisque tous les billets américains ont le même format.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : dans le tableau synthétique du site usdebtclock.org, j’ai trouvé une ligne encore plus hallucinante, celle des “Currency and credit derivatives”, dont les chiffres des unités défilent encore plus vite que les rouleaux d’une machine à sous : 611 472 milliards de dollars. En billets de 100 dollars, la pile fait quasiment l’aller-retour Terre-Lune !

 

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La sélection du Globule #55

– Faut-il n’y voir qu’une action symbolique ? Le fait est que l’ONU a reconnu officiellement l’importance du changement climatique pour la paix et la sécurité dans le monde.

– Une enquête-reportage au long cours de Vanity Fair sur la manière dont la nouvelle prospérité chinoise a donné un coup de fouet au trafic de l’ivoire et au braconnage des éléphants d’Afrique.

– Ils ont braqué le télescope spatial Hubble sur Pluton pour y rechercher d’hypothétiques anneaux et ces astronomes ont découvert un quatrième satellite à cette planète naine. Et puisqu’on parle des petits objets du système solaire, signalons que la sonde américaine Dawn s’est mise en orbite autour de l’astéroïde Vesta.

Pour la dernière fois, une navette spatiale américaine, en l’occurrence Atlantis, s’est posée à Cap Canaveral. Des milliers d’emplois liés au spatial ont disparu ou vont disparaître, en attendant que les Etats-Unis se lancent dans un nouveau programme de vols habités. Pour l’heure, la NASA ne dispose d’aucun autre moyen que les fusées russes Soyouz pour envoyer ses astronautes dans l’espace.

– La BBC se fait taper sur les doigts pour avoir “surjoué” les controverses autour du réchauffement climatique, des OGM et du vaccin contre la rougeole. En clair, une commission indépendante reproche à l’organisme de radio-télévision britannique d’avoir donné autant de crédit à des thèses très marginales qu’à des arguments soutenus par de multiples études et institutions scientifiques. C’est un avis important car il va ébranler un peu plus un des standards du journalisme qui consiste à donner la parole à un partisan et un opposant (la variante médiatique du pour et du contre). Un peu partout dans le monde, les journalistes s’aperçoivent que ce qui compte surtout, c’est de tendre le micro aux gens qui s’y connaissent vraiment, plutôt qu’à certains pseudo-experts qui alimentent des polémiques sur le changement climatique ou la dangerosité des vaccins, soit pour leur bénéfice médiatique personnel, soit pour dénoncer je ne sais quel complot des scientifiques.

– Alors que Captain America sort dans un mois sur les écrans français (mais vient de faire son apparition dans les cinémas américains), Discovery News dresse un portrait anatomique de ce super-soldat et trouve que les “améliorations” physiques dont il dispose sont presque à portée de laboratoire.

– Pour finir : la 3D pourrait déjà être ringarde en terme d’innovation télévisuelle. Des chercheurs américains viennent de mettre au point la télé à odeurs qui pourrait vaporiser dix mille arômes différents. On va enfin savoir quelle odeur dégage Chewbacca dans Star Wars.

Pierre Barthélémy

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Se marier, c’est bon pour la planète?

Chris Mooney est un journaliste américain qui, avec la chercheuse Sheril Kirshenbaum, tient le blog The Intersection sur le site Internet de Discover Magazine. Cette “intersection” est celle de la politique et de la science aux Etats-Unis et Chris Mooney s’intéresse particulièrement aux rapports compliqués voire conflictuels qu’entretiennent les Républicains américains avec la chose scientifique. Il a consacré trois livres au sujet : The Republican War on Science ; Storm World : Hurricanes, Politics, and the Battle over Global Warming ; et Unscientific America : How Scientific Illiteracy Threatens our Future, co-écrit avec Sheril Kirshenbaum. Grâce à la veille qu’il réalise sur ces sujets, Chris Mooney a détecté et signalé sur son blog un article publié par American Thinker, une publication en ligne qui se réclame ouvertement du camp conservateur.

Signé par Bruce Walker, cet article défend la thèse selon laquelle les valeurs morales familiales traditionnelles (mariage, femme au foyer, éducation à la maison, etc.) sont les meilleures pour dépenser moins d’énergie, réduire l’empreinte carbone et, partant, pour protéger l’environnement et la planète. Si l’on met de côté l’ironie qu’il y a à voir un journal en ligne qui, d’ordinaire, nie le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique, vanter les vertus d’une vie moins productrice de CO2, il reste intéressant d’écouter ces arguments.

La vision du monde de Bruce Walker est évidemment américano-centrée mais de nombreux arguments peuvent parfaitement s’appliquer à d’autres pays riches. Le journaliste part de deux chiffres : en 2009, selon le Bureau du recensement des Etats-Unis, 96,6 millions d’Américains âgés de 18 ans et plus (soit 43% de cette catégorie de population) n’étaient pas mariés. Toujours d’après la même source, 31,7 millions d’Américains vivent seuls, ce qui représente 27% des foyers, contre 17% en 1970. Ces deux chiffres, et surtout les phénomènes qu’ils recouvrent, sont, pour Bruce Walker, le nœud du problème environnementalo-sociétal : “Cette tendance qu’ont les Américains à vivre seuls ou en dehors des liens du mariage s’accélère rapidement, et elle détruit l’environnement.”

Comment cela ? Voici le raisonnement qui mène à cette affirmation : “Un couple marié stable vit dans un seul foyer, n’est abonné qu’une seule fois à l’eau, au gaz et à l’électricité, éclaire sa demeure avec un seul système électrique et réalise des économies sur ses frais de bien d’autres manières. Les Américains adultes qui vivent seuls ou dans des relations instables font augmenter de façon spectaculaire le besoin de logements, d’électricité, de systèmes de chauffage et de climatisation, d’entretien des routes et des villes, et aussi de voitures roulant dans les rues de ces villes. De plus, dans les couples mariés traditionnels qui ont atteint un certain niveau d’aisance, il y a plus de chances qu’un seul membre de la famille ait besoin de travailler, ce qui réduit les embouteillages et toute la myriade de problèmes environnementaux associés à une grande population métropolitaine qui fait les trajets entre la maison et le travail.”

Le conservatisme résout d’autres problèmes environnementaux, si l’on en croit Bruce Walker :  “Si un grand nombre d’Américains faisaient l’école à la maison, alors cela réduirait drastiquement, voire à néant, l’énergie que les écoles publiques consomment, les surfaces qu’elles occupent et le nombre de bus qui engorgent nos rues.” Autre cible de la révolution conservatrice verte : les loisirs. “Quand les familles construisent leur vie autour de leur église ou de leur synagogue, il y a alors moins de déplacements pour les loisirs et quand elles trouvent des activités sociales et de détente au sein de ces assemblées de croyants, le besoin pour des loisirs de substitution (comme ceux auxquels se livrent les personnes qui ne vont pas dans un lieu de culte) chute.”

On comprend mieux les dessous de ce raisonnement lorsque Bruce Walker, dans un élan de “c’était mieux avant”, nous parle un peu de ses racines : “Pendant mon enfance, j’avais des grands-parents, des tantes et des oncles qui étaient conservateurs, dans tous les sens du terme. Ils étaient heureux de vivre dans des demeures modestes. Presque tous avaient des jardins et faisaient des conserves de fruits et de légumes. Ils regardaient rarement la télévision (…) et, à l’air conditionné ils préféraient les fenêtres ouvertes ou s’asseoir à l’ombre des arbres. Ce mode de vie était naturel pour des gens qui se mariaient et restaient mariés, qui faisaient de la religion une partie centrale de leur vie et qui, s’ils vivaient aujourd’hui, auraient éteint la télévision au bout d’environ vingt secondes. Quand ils prenaient des vacances, c’était en général pour aller pêcher au lac ou peut-être pour rendre visite à la famille, sinon ils se divertissaient peu car leurs vies étaient principalement consacrées à leur travail (qu’ils faisaient dans l’allégresse). Leur empreinte carbone était incomparablement plus faible que celle d’une vedette d’Hollywood ou d’un politicien arrogant, mais elle était aussi beaucoup moins grande que celle d’une mère célibataire ou d’un bureaucrate fédéral de l’Agence pour la protection de l’environnement.”

On l’a compris : selon cette vision de la société, le bonheur est dans le pré, le mariage et la religion. Et la sauvegarde de l’environnement itou. Bien sûr, cela manque de chiffres et de science, mais il est amusant de constater que Bruce Walker se rapproche, par certains aspects, des prosélytes de la décroissance souvent situés de l’autre côté de l’échiquier politique, ces “écolos” de gauche qu’il vomit dans d’autres passages de son article. Et Chris Mooney, taquin, ne manque pas de lui faire remarquer qu’à tant défendre le mariage pour des raisons écologiques, les Républicains de son acabit feraient bien d’autoriser rapidement partout où ils le peuvent… le mariage gay.

Pierre Barthélémy

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Une base scientifique pour le délit de faciès ?

C’est une étude qui dérange, qui met mal à l’aise parce qu’elle ramène à la surface du débat scientifique des idées qu’on croyait définitivement coulées et à notre mémoire les images d’une période honteuse. Mais c’est précisément pour cette raison qu’il faut en parler. Publié le 6 juillet dans les Proceedings of the Royal Society B (qui traitent de biologie), cet article signe d’une certaine manière le retour de la physiognomonie, pseudo-science connue depuis l’Antiquité, qui visait à établir le caractère de quelqu’un en fonction des traits de son visage. L’un des plus fervents et célèbres défenseurs de cette théorie, aussi appelée “morphopsychologie”, fut le théologien suisse Johann Kaspar Lavater (1741-1801) qui rédigea La physiognomonie ou l’art de connaître les hommes. Dans ce livre, Lavater, que Balzac cita beaucoup au fil de la Comédie humaine, écrivait : “La physionomie humaine est pour moi, dans l’acception la plus large du mot, l’extérieur, la surface de l’homme en repos ou en mouvement, soit qu’on l’observe lui-même, soit qu’on n’ait devant les yeux que son image. La physiognomonie est la science, la connaissance du rapport qui lie l’extérieur à l’intérieur, la surface visible à ce qu’elle couvre d’invisible. Dans une acception étroite, on entend par physionomie l’air, les traits du visage, et par physiognomonie la connaissance des traits du visage et de leur signification.” La physiognomonie et son avatar, la phrénologie (l’étude du caractère par le relief du crâne), ont connu leur heure de gloire au XIXe siècle mais le début du XXe siècle en a aussi été bien imprégné, puisque cette théorie a été récupérée par les nazis (et Vichy) dans leur propagande raciste et antisémite.

Signé par Michael Haselhuhn et Elaine Wong, de l’université du Wisconsin (Milwaukee), l’article en question montre que, dans une certaine mesure, le rapport largeur/hauteur du visage prédit la tendance à agir de manière malhonnête, uniquement chez les hommes (cela ne marche pas avec les femmes) : plus le visage est large par rapport à sa hauteur, plus la personne aura un comportement contraire à la morale. Parfaitement conscients que leurs conclusions vont à rebrousse-poil du consensus actuel disant qu’aucun trait physique ne signale de manière fiable la moralité de quelqu’un, les auteurs s’appuient sur plusieurs éléments. Tout d’abord, quelques études récentes (ici, et ) montrant que ce rapport largeur/hauteur est lié à l’agressivité chez les mâles de l’espèce Homo sapiens.

L’hypothèse des deux chercheurs est que ce caractère agressif, trahi par la forme du visage, a pour corollaire un sentiment de pouvoir, d’assurance, lequel se traduit par un comportement moins honnête. D’où l’idée d’effectuer deux tests. Le premier a consisté à faire jouer un jeu de rôle à près de deux cents étudiants en MBA. La moitié d’entre eux se mettaient dans la peau d’un vendeur d’une propriété immobilière tandis que les autres faisaient les acheteurs. Chaque vendeur avait pour consigne de n’accepter de céder son bien qu’à la condition d’avoir l’assurance que le futur propriétaire ne le transformerait pas en activité commerciale. Les acheteurs avaient, eux, la ferme intention d’en faire un hôtel et devaient donc la cacher… Pour ne pas que le visage de l’acheteur potentiel influe sur la décision du vendeur, et aussi pour garder une trace écrite des échanges et juger de la moralité dudit acheteur, toute la transaction se faisait par messagerie électronique. Au bout du compte, assez peu de candidats à l’achat se sont révélés des truands, mais ceux qui ont menti avaient effectivement tendance à avoir un visage plus large.

Pour la seconde expérience, les chercheurs ont imaginé un scénario différent. Les “cobayes” devaient répondre à une série de tests de personnalité, parmi lesquels était glissé un questionnaire sur le sentiment de pouvoir. En récompense du temps passé, chacun avait le droit de participer à une tombola pour gagner un bon d’achat. Le cobaye devait aller sur un site Internet pour faire rouler deux dés virtuels, additionner les résultats, ce qui donnait un nombre de 2 à 12 correspondant au nombre de fois où il pourrait participer à la tombola. Comme il n’y avait, pour les chercheurs, aucun moyen de connaître les résultats des jets de dés, chacun pouvait en réalité indiquer le nombre qu’il voulait. Mais les probabilités existent aussi pour dire qui triche… Les chercheurs se sont aperçus que les hommes au visage large trichaient davantage que les autres et que ce comportement n’était pas sans lien avec les résultats au questionnaire sur le sentiment de pouvoir…

Michael Haselhuhn et Elaine Wong ne vont pas jusqu’à réhabiliter le délit de faciès, plus connu sous le nom de délit de sale gueule. Au contraire. La prudence les incite à se méfier de leurs propres résultats, tout simplement, disent-ils, parce que certains visages peuvent se comporter comme des prophéties auto-réalisatrices. Exemple : une personne au visage carré pourra être perçue comme agressive. En réponse, les observateurs (l’environnement de cette personne) adopteront pour se protéger un comportement d’esquive, de méfiance ou d’exclusion, qui, par réaction, engendrera un comportement agressif chez l’individu en question. Malgré toutes ces précautions et tous ces bémols, je suis prêt à parier que ce type d’études va se développer dans les années qui viennent, pas seulement parce que l’idée de contrôler ou d’anticiper les comportements gagne du terrain, chez les hommes politiques, les DRH ou les spécialistes du marketing. Mais aussi parce que beaucoup de chercheurs pensent que les visages parlent vraiment. Des études ont ainsi montré que l’on pouvait deviner, avec des résultats meilleurs que ceux dus au hasard, l’orientation sexuelle d’un homme ou son affiliation politique

A la lumière de tout ceci, je vous invite donc à retourner sur un de mes précédents billets, celui qui parlait de la taille du pénis déduite du rapport entre l’index et l’annulaire de la main droite. A la fin de ce billet, je proposais un petit quizz avec trois personnages. A vous de me dire si, parmi eux, se cache un hétérosexuel de droite, menteur et à petit pénis.

Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #54

Découverte en 1846, la planète Neptune, la plus éloignée du système solaire, vient de boucler sa première révolution depuis cette date. Un tour de Soleil qui lui a pris 165 ans. Pour rappel, la liste des planètes ne compte plus que 8 représentantes depuis que Pluton en a été exclue en 2006.

– Selon The Fiscal Times (je sais, j’ai parfois de curieuses lectures), la révolution des robots est en marche. Et la première victime pourrait bien être votre travail… De quoi entretenir le renouveau du luddisme.

J’avais signalé, en juin, l’éruption du volcan chilien Puyehue. Le Boston Globe propose un magnifique portfolio sur les paysages environnants, recouverts de cendres. Certains clichés ont une atmosphère de fin du monde.

– Alors que la navette spatiale américaine effectue son dernier vol, Popular Science récapitule ce que les “shuttles” nous ont apporté dans la vie de tous les jours, d’un complément nutritionnel que l’on retrouve dans les aliments pour bébés à certains outils de désincarcération utilisés par les pompiers.

– Aux Etats-Unis, un nouvel herbicide est soupçonné de tuer les arbres.

– Les escargots aussi prennent l'”avion”. Des chercheurs nippons ont en effet constaté que 15 % des gastéropodes ingérés par un oiseau, le zostérops du Japon, survivaient à la digestion et reprenaient le cours de leur vie une fois relâchés avec les excréments. En ayant parfois parcouru de longues distances par la voie des airs.

– Les diamants n’aiment pas les UV qui leur arrachent des atomes. C’est évidemment insuffisant pour vous empêcher de sortir avec vos rivières de diamants et vos solitaires mais cette propriété pourrait intéresser les spécialistes des nanotechnologies désireux de sculpter très finement la surface de ces cristaux de carbone.

Pour finir : une historienne équatorienne pense être sur la piste de la momie d’Atahualpa, le dernier empereur inca tué par les conquistadores espagnols en 1533.

Pierre Barthélémy

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Illusion d’optique : les jolies filles deviennent monstrueuses

A la longue liste des découvertes par hasard, de la tarte Tatin à la pénicilline, il va falloir ajouter une petite entrée : l’illusion d’optique qui rend les visages monstrueux. Comme, dans ce domaine, les images parlent beaucoup mieux que les mots, voici la vidéo. Il vous suffit de fixer la croix située entre les deux portraits pendant la petite minute que dure le montage.

Si on joue le jeu et que l’on se concentre sur la croix centrale, on a vite l’impression que les visages qui défilent à vive allure à droite et à gauche de l’écran sont déformés par des effets de morphose (morphing pour les anglophones), comme si un facétieux retoucheur les avait transformés en la caricature d’eux-mêmes. En fait, il n’en est rien. Il suffit d’appuyer à plusieurs reprises sur le bouton “pause” pour s’apercevoir que les visages de femmes n’ont subi aucune transformation. Le retoucheur, c’est votre cerveau.

Comme le racontent les psychologues australiens qui publient un article sur cette illusion d’optique dans la revue Perception, cette découverte s’est faite par hasard. L’un d’eux, Sean Murphy, un étudiant, préparait une série de portraits, obtenus à partie d’une base d’images slovaque, pour une expérience sur l’identification. Dans ce but, il devait aligner tous les portraits sur les yeux. En les faisant défiler pour vérifier que tout était correct, il lui sembla au bout de quelques secondes que les visages prenaient des apparences grotesques. “Si une personne avait une grosse mâchoire, dit l’étude, celle-ci paraissait particulièrement grande, presque ogresque. Si une personne avait un nez fin, alors il semblait remarquablement effilé.” J’ajouterai que les femmes au nez retroussé semblent dotées d’un groin, que celles dont les oreilles sont pointues passent pour les cousines de Monsieur Spock et que celles dont le front proéminent est bien dégagé pourraient presque jouer sans postiche dans Coneheads. Cependant, poursuit l’article, “si nous stoppions la séquence et regardions de nouveau les visages pris séparément, ils redevenaient rapidement normaux. Nous avons entretenu l’idée que des visages slaves étaient bizarres par nature, mais nous avons reproduit le même effet avec des visages provenant d’autres bases de données.”

Pour le moment, les auteurs ne savent pas bien comment fonctionne l’illusion d’optique. Cela ne les a pas empêché de noter que plus un trait spécifique s’éloigne de la “normale”, plus l’indice de distorsion est élevé. Le fait d’avoir aligné tous les visages sur les pupilles, en facilitant la comparaison à grande vitesse, a un rôle important dans l’effet : c’est comme si les différences sautaient littéralement aux yeux. Autre point important : l’illusion s’affaiblit en deçà d’une certaine vitesse. Les chercheurs ont donc optimisé l’effet en faisant défiler entre quatre et cinq portraits par seconde. Par ailleurs, si un bref écran blanc est inséré entre les visages, l’illusion disparaît presque complètement. Enfin, je trouve pour ma part qu’elle fonctionne mieux avec la présentation de deux séries de portraits de part et d’autre d’une croix centrale, comme sur la vidéo ci-dessus, qu’avec la présentation initiale où les chercheurs se contentaient de faire défiler une série de visages. Comme si l’utilisation de la vision périphérique, moins précise, forçait notre cerveau à la caricature en l’obligeant à sélectionner les points les plus saillants.

Même s’ils ignorent par quel mécanisme exact nous nous abusons nous-mêmes, les chercheurs soupçonnent l’implication d’un effet mis en évidence dans un article publié en 1998 : quand on montre brièvement un trait horizontal puis un cercle, ce dernier s’allonge verticalement et prend une forme d’ellipse. Voir rapidement et consécutivement deux formes différentes a pour résultat d’amplifier le contraste existant entre les deux, comme si le couple œil-cerveau, en cherchant frénétiquement à cerner les différences, était incapable de s’arrêter à leurs limites exactes et les étirait au-delà de leur forme réelle.

On en aurait presque envie de tenter l’expérience inverse, de faire défiler les visages d’immondes laiderons et de voir si Miss Monde n’apparaît pas sur l’écran. Ou bien, étant donné qu’il ne semble pas y avoir de sexisme en la matière, d’empiler les photos de crapauds et d’attendre l’apparition du prince charmant…

Pierre Barthélémy

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Harry Potter, c’est magique pour éviter l’hôpital

Avec la sortie sur les écrans, ce mercredi 13 juillet, du second volet de Harry Potter et les reliques de la mort, la saga cinématographique du jeune sorcier se termine. Ceux qui n’ont pas lu tous les livres de J. K. Rowling vont enfin savoir qui sortira vainqueur de l’affrontement final entre Harry et Lord Voldemort (même si quelque chose me dit que tout le monde connaît déjà le dénouement en détail…). Quant aux enfants qui ont dévoré les sept ouvrages de Joanne Rowling, ils ignorent sans doute que le petit pensionnaire de Poudlard a sauvé quelques-uns d’entre eux de l’hôpital, voire de la mort…

Comment ? Aucun sort, aucune potion, aucun coup de baguette magique dans tout cela, juste le charme de la lecture. Dans son dernier numéro de l’année 2005, le très sérieux et très auguste British Medical Journal (BMJ pour les intimes) a publié dans ses colonnes une petite étude signée par quatre médecins travaillant pour le département de chirurgie orthopédique et traumatique de l’hôpital John Radcliffe à Oxford. A l’origine de cet article se trouve un des membres de ce quatuor médical, Keith Willett. En juillet 2005, après avoir eu un week-end de garde (les 16 et 17 juillet) particulièrement tranquille et constaté, à la maison, que trois de ses cinq enfants étaient scotchés sur le canapé à lire Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, sorti le 16 juillet à 0 heure, ce médecin britannique a formulé une étrange hypothèse. Et si les parutions des livres de J. K. Rowling, en tenant les gamins at home, avaient un effet préventif sur les accidents divers et variés résultant des activités de plein air de ces chers bambins (vélo, skateboard, cricket trop près de la batte, etc.) ?

Pour le savoir, les médecins sont donc allés farfouiller dans les statistiques de leur hôpital pour ce fameux week-end du 16 et du 17 juillet 2005 et aussi pour celui du 21 et du 22 juin 2003, date de la sortie en librairie, au Royaume-Uni, de l’opus précédent, Harry Potter et l’Ordre du phénix. Ils ont comparé le nombre d’admissions d’enfants de 7 à 15 ans aux urgences de leur service de ces week-ends là avec celles des autres week-ends de juin et juillet 2003, 2004 et 2005. Ils ont aussi pris la peine de vérifier auprès de la météo si le temps avait ou non été particulièrement maussade, ce qui explique en général les fluctuations des admissions pour ce genre de traumatismes.

Même si l’échantillon est restreint, puisqu’il se cantonne à un seul hôpital, les résultats s’avèrent assez parlants. En moyenne, les urgences de chirurgie orthopédique accueillent 67,4 enfants de 7 à 15 ans par week-end à cette période de l’année. Lors des deux week-ends Harry Potter, respectivement 36 et 37 enfants (sans doute analphabètes ou insensibles aux aventures du petit sorcier) sont venus se faire plâtrer. Evidemment, on aimerait bien élargir ces statistiques à l’échelle du pays pour voir si Oxford, ville universitaire célèbre, fait figure d’exception culturelle ou si la magie Potter s’est répandue sur tout le royaume d’Elisabeth II.

Cela dit, cet effet bénéfique possède un revers plus obscur. Les auteurs, avec un humour tout britannique, encouragent les romanciers de talent à écrire davantage d’ouvrages pour la jeunesse, dans l’optique de prévenir les graves traumatismes (sans doute une manière tordue d’encourager J. K. Rowling à poursuivre les aventures du jeune Potter…). Mais, dans le même temps, ils se demandent si, avec la pratique plus intensive de la lecture, le risque ne serait pas plus élevé de produire davantage d’enfants obèses ou, au contraire, rachitiques par manque de sport, et d’entraîner une recrudescence des maladies cardio-vasculaires.

Pour en revenir à Harry Potter, on aimerait aussi savoir, auprès des hôpitaux proches de la gare de King’s Cross, à Londres, combien d’enfants sont arrivés aux urgences, tête en sang et bras cassés, après avoir vainement essayé de prendre le quai 9¾ (qui est réellement signalé dans la gare). Et, personnellement, j’exige les statistiques de traumatismes consécutifs aux matches de quidditch. Une panne de balai volant est si vite arrivée…

Pierre Barthélémy

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