On n’a pas attendu George Lucas et son sentencieux androïde C-3PO pour savoir que les robots pouvaient parler aux humains. Le vieil Homère l’avait déjà imaginé lorsque, dans l’Iliade, il décrivait les deux curieuses assistantes qui aidaient Héphaïstos à forger une nouvelle armure pour le bouillant Achille : “Elles sont en or mais elles ont l’aspect de vierges vivantes. Dans leur cœur est une raison ; elles ont aussi voix et force ; par la grâce des Immortels, elles savent travailler.” On ignore cependant de quoi causent ces dames de métal lorsqu’elles n’attisent pas le feu de la forge…
De nombreuses machines se sont mises à discuter avec les humains au cours des dernières années, notamment par le biais d’Internet. Il y a beaucoup de charmantes jeunes femmes qui vous aident à faire vos démarches en ligne, que ce soit Léa sur le site de la SNCF, Anna chez Ikea, Clara à la FNAC (qui ne manque pas d’humour puisqu’à la question “Tu veux boire un verre après le boulot ?” elle répond du tac au tac “J’évite de boire, ça me fait rouiller…”), etc. Tous ces “chatbots” (mot-valise anglais que l’on pourrait traduire par “robavards”) ont cependant du mal à soutenir une véritable conversation. Depuis plusieurs lustres des programmes de discussion ont vu le jour et les plus performants d’entre eux tentent de réussir le test de Turing. Dans un célèbre article publié en 1950 dans la revue Mind, le mathématicien britannique Alan Turing, père de l’informatique, proposa un test baptisé “Jeu de l’imitation”, censé déterminer si une machine pouvait être considérée comme “intelligente” (ou “consciente”, sachant que beaucoup de définitions différentes peuvent se cacher derrière ces deux mots).
Le principe du jeu, tel que le décrivit Turing, est le suivant. Un humain et un programme de conversation sont installés dans deux pièces séparés. Un juge, humain, pose des questions par écrit (par téléscripteur à l’époque de Turing, à l’aide d’un programme de “chat” aujourd’hui) aux deux candidats, sans savoir lequel est l’homme et lequel est la machine. Turing postulait que si, dans au moins 50 % des cas, le juge ne se montrait pas capable, au vu des réponses, de distinguer l’homme de l’ordinateur, alors ce dernier pouvait être considéré comme intelligent. Le test a été critiqué, notamment par le philosophe américain John Searle qui expliqua en 1980 que les programmes de conversation, pour astucieux qu’ils fussent, n’en étaient pas moins stupides puisqu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils disaient (tout comme on peut dire que les meilleurs programmes d’échecs actuels ont beau être plus forts que n’importe quel humain, ils ignorent qu’ils jouent aux échecs…).
Pour illustrer son argumentation, Searle s’imagina enfermé dans une pièce isolée du monde, ne contenant que des livres de questions et de réponses écrites en chinois, langue qu’il ne connaissait pas. De temps en temps, par une fente pratiquée dans un mur, il recevait une feuille de papier comportant des idéogrammes. Son travail consistait à retrouver ces signes dans les livres de questions et à recopier la réponse correspondante, toujours en chinois. Selon Searle, le monde extérieur pouvait ainsi penser que le « prisonnier » de la chambre parlait cette langue alors que ce n’était pas le cas. De même, les ordinateurs pouvaient donner l’illusion d’une conversation alors qu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils disaient. Cet exemple a suscité un immense débat dans le monde de l’intelligence artificielle. Les opposants à cette thèse affirmant que, si l’homme enfermé dans la pièce n’entend pas le chinois, le système dans sa globalité ” pièce + livres + homme” parle effectivement cette langue…
Quoi qu’il en soit, le test de Turing est toujours d’actualité, soixante ans après avoir été imaginé. Depuis 1991, se tient chaque année le prix Loebner qui évalue les meilleurs “robavards”. Il faut bien reconnaître qu’en général, les juges ne se font pas avoir. Mais, cette année, pour la vingtième édition du prix qui a eu lieu le 23 octobre, l’un d’entre eux, au bout de 25 minutes de discussion avec le candidat humain et le robot, s’est laissé abuser et a pris Suzette, le programme de Bruce Wilcox, pour ce qu’elle n’était pas ! Toutefois, duper un seul juge n’est pas suffisant, selon le règlement, pour réussir l’épreuve : il faut en berner au moins deux.
Au vu des productions de Suzette, laquelle élude assez maladroitement les questions qu’elle ne comprend pas et en pose elle-même pour détourner la conversation, on est en droit de se demander comment ce juge a pu se tromper. La réponse réside sans doute dans le fait que les candidats humains, des étudiants facétieux, ont tout fait pour passer, eux, pour des robots ! L’un d’eux y est visiblement parvenu. Comme quoi le test de Turing, censé évaluer l’intelligence des machines, peut aussi servir à mesurer la bêtise des humains !
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : Suzette ne parle qu’anglais et elle est un peu submergée de demandes ces jours-ci, ce qui explique qu’il est difficile de lui parler… La rançon de la gloire. Si vous ne parvenez pas à vous connecter avec cette nouvelle star, essayez Jabberwacky, de Rollo Carpenter (vainqueur du prix Loebner en 2005 et 2006), programme dont on peut ajuster le niveau de réaction et d’émotions…
lire le billetInstinct maternel. Derrière cette expression un peu fourre-tout se cachent sans doute nombre de mécanismes biologiques. Au premier rang de ceux-ci pourrait bien figurer l’accroissement du volume du cerveau maternel, comme vient pour la première fois de le montrer une étude américaine publiée dans Behavioral Neuroscience. Pour le faire court, le ventre de la future maman grossit et son cerveau aussi.
En se basant sur de nombreuses études menées sur des animaux (essentiellement des rats), qui avaient mis en évidence la “suractivation” de nombreuses zones du cerveau chez les mères, les auteurs de l’étude se sont demandé si des changements structurels du même ordre se produisaient dans l’encéphale féminin après l’accouchement. Pour le savoir, ils ont tout simplement observé, par IRM, le cerveau de 19 femmes qui venaient de donner la vie. La première fois entre deux et quatre semaines après la naissance de leur bébé, la seconde deux mois et demi plus tard. Les analyses ont montré une augmentation du volume de matière grise dans le cortex préfrontal, les lobes pariétaux et le mésencéphale. Détail amusant : avant l’expérience, les mères avaient toutes répondu à un questionnaire sur la perception qu’elles avaient de leur nouveau-né. Or, les chercheurs ont constaté par la suite que plus leurs sentiments envers leur bébé étaient forts (avec l’emploi d’adjectifs positifs comme “beau”, “parfait”, “idéal” ou “spécial”), plus leur cerveau avait grossi…
La réorganisation du cerveau post-partum, nouvel indice de la plasticité de notre ordinateur central et de la neurogénèse à l’âge adulte, pourrait donc bien expliquer l’instinct maternel. Une amélioration des performances de la mère constitue en effet une chance supplémentaire pour que ses rejetons grandissent et pour la survie de l’espèce. Ainsi, dans un commentaire accompagnant l’étude, Craig Kinsley et Elizabeth Meyer (université de Richmond) rappellent-ils une expérience qu’ils avaient effectuée en 1999 : des rates étaient placées dans des labyrinthes où de la nourriture était cachée. Celles qui avaient eu des petits se souvenaient plus vite de l’emplacement des récompenses que les autres. Une manière de souligner qu’avec des fonctions cognitives améliorées, les mères passaient moins de temps à chercher à manger et donc moins de temps loin de leur vulnérable portée. Une autre étude va dans le même sens, qui a montré, toujours chez l’animal, que les mères voyaient renforcée leur capacité à résister au stress et à l’anxiété.
Deux causes pourraient bien être à l’origine de ces modifications. Tout d’abord le puissant cocktail d’hormones auquel les femmes sont soumises pendant la grossesse, la naissance et la lactation. Ensuite, l’afflux tout aussi puissant de nouvelles informations sensorielles émanant du bébé : images, sons, contacts physiques et surtout odeurs nouvelles qui sont un moyen très fin de reconnaître sa progéniture et déterminent (c’est du moins ce qui est prouvé chez l’animal) la force des relations entre la mère et son petit.
Les auteurs de l’étude, première du genre, proposent d’explorer plus à fond ce nouveau domaine et de réaliser d’autres expériences : ajouter une IRM pendant la grossesse pour voir à quel stade l’évolution du cerveau commence ; comparer les mères avec des femmes du même âge n’ayant pas eu d’enfants ; mieux cerner le sens de la causalité (est-ce l’augmentation de la taille de certaines zones du cerveau qui entraîne le comportement maternel ou le contraire ?) ; accroître l’échantillon en l’ouvrant notamment aux femmes ayant des facteurs “de risques”, qu’ils soient génétiques, psychologiques ou socio-économiques, ce afin de voir si l’absence du fameux “instinct maternel” peut être corrélée à l’absence des modifications cérébrales décrites dans cette étude.
Personnellement, j’irais encore plus loin en étendant cette recherche… aux pères. Que se passe-t-il dans le cerveau paternel ? Pourquoi, chez certains de mes congénères, l’arrivée de bébé se traduit-elle par une incapacité à entendre le petit pleurer la nuit, à changer une couche et à faire chauffer le biberon ? Alors que dans le même temps, le mâle prête une attention décuplée aux bruits qui émanent de sa télévision, acquiert une dextérité sans pareille pour décapsuler les canettes de bière devant les matches de foot et fait cuire comme un dieu des pizzas surgelées à ses potes. Il y a là un mystère sur lequel la science devrait rapidement se pencher…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : encore une vidéo pour le plaisir, celle des Fatals Picards dans Dors mon fils (chanson tirée de l’album Picardia Independanza). Petit extrait des paroles, pour donner envie :
“Ca fait maint’nant trois mois que tu nous fais vivre un calvaire
Mine de rien la grossesse a fait prendre trois tonnes à ta mère
Avant elle écoutait Led Zeppelin c’était une déesse
Maintenant c’est plus qu’une mongolfière qui n’écoute qu’Henri Dès…”
L’instinct maternel fait faire de drôles de choses…
– La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière a commencé il y a un mois dans une indifférence qui contraste avec le psychodrame de 2009 autour de la grippe A(H1N1). Les polémiques de l’an passé pourraient autour de l’utilité et de la “dangerosité” du vaccin pourraient jeter la suspicion sur les autres vaccins, explique une enquête du Monde Mag. Un article accompagné d’un entretien avec l’anthropologue Frédéric Keck, auteur de Un monde grippé (Flammarion), qui analyse les réactions des sociétés face aux maladies émergentes.
– Des astronomes français et britanniques ont détecté la galaxie la plus vieille découverte à ce jour dans la constellation du Fourneau. Elle a plus de 13 milliards d’années, ce qui fait qu’elle est née seulement 600 millions d’années après le Big bang. L’article annonçant la trouvaille est paru dans Nature.
– A cause du réchauffement de la planète, l’Arctique est probablement entré dans une nouvelle phase de son climat où ce qui était la norme il y a encore quelques décennies risque de ne pas se revoir de sitôt.
– Toujours sur le changement climatique, le site Climate Progress s’est aperçu que 22 des 37 candidats républicains aux postes de gouverneurs pour les prochaines élections américaines niaient la réalité du réchauffement.
– Les volcanologues doivent-ils ou non percer un trou pour évaluer le potentiel des Champs Phlégréens, une zone volcanique située à l’ouest de Naples, au risque de chatouiller et de réveiller la bête ? Un débat que nous rapporte Newsweek.
– Depuis plusieurs années, les autorités égyptiennes ont pour plan de redessiner la ville de Louxor pour mettre en valeur son patrimoine archéologique exceptionnel. Au point d’en faire un Las Vegas archéologico-touristique, se demande Time ?
– Pourrait-on faire entendre la forme d’un objet à un aveugle qui ne la voit pas ? C’est l’idée de chercheurs de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal.
– La physique du chien qui s’ébroue a fait la “une” de nombreux sites et blogs scientifiques anglo-saxons… Voici ce qu’a écrit et montré wired.com.
– Pour terminer, une infographie simple et claire sur les gros géocroiseurs, ces astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre qui ont frôlé ou vont frôler un jour notre Terre.
Pierre Barthélémy
lire le billetPour aller à contre-courant d’Internet qui s’enflamme sur le rôle de l’inflation, euh, pardon, le rôle de la fellation (les lapsus, cela n’arrive pas qu’aux autres…) dans l’inflation des cancers buccaux, intéressons-nous à un jeu de bouche plus chaste : le baiser. Le bon vieux patin, ce French kiss que la Terre nous envie. Et là, une grande question scientifique (et pas du tout politique) se pose : vous embrassez à droite ou à gauche ?
Vous n’y avez sans doute jamais pensé, mais chacun a inconsciemment son côté préféré pour le roulage de pelle (cessez d’incliner la tête, je vous vois). Il y a une latéralisation de la galoche, tout comme il y a une latéralisation de la main, du pied et de l’œil : vous écrivez de la dextre ou de la senestre, tout comme Maradona tirait du gauche et Platini du droit, tout comme Robin des bois visait de l’œil droit et Moshe Dayan de l’œil qu’il lui restait. On sait qu’il y a nettement plus de droitiers que de gauchers dans la population générale et que les droitiers sont plus “têtus” que les autres : ils répugnent plus que les gauchers à écrire ou à lancer quelque chose avec leur autre main et ils ont davantage tendance à utiliser leur main dominante dans toutes les tâches qui se présentent à eux.
Tout ceci est-il valable dans le baiser ? C’est la question apparemment loufoque que se sont sérieusement posée deux chercheurs néerlandais spécialisés dans le mouvement humain, John van der Kamp et Rouwen Cañal-Bruland, dans une étude publiée par la revue Laterality. On sait depuis quelques années que les gens (et notamment les femmes) embrassent plus volontiers à droite qu’à gauche, comme le faisaient en leur temps Léonid Brejnev et Erich Honecker, pourtant a priori de gauche.
Techniquement, embrasser à droite signifie que l’on penche la tête sur la droite et que les narines gauches se touchent ou se frôlent, comme dans le célèbre Baiser d’Auguste Rodin :
A l’inverse, lorsqu’on embrasse à gauche, cela donne quelque chose comme le non moins célèbre (et tout aussi posé) Baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau :
Nos deux chercheurs néerlandais se sont demandé si cette assymétrie dans le patin pouvait être reliée aux autres latéralisations et si, comme c’est le cas pour la main, les embrasseurs à droite étaient plus “persistants” que les embrasseurs à gauche. Pour le savoir, ils ont mis au point une petite expérience amusante, à l’aide d’une tête d’homme en plastique, grandeur nature et hyper-sexy, qui, dans une vie antérieure, avait été utilisée dans une école de coiffure… Ils l’ont installée sur un dispositif pivotant, de manière à la pencher suivant des angles différents. 57 jeunes Néerlandais de 18 à 33 ans se sont prêtés à l’expérience sans en connaître le but. On leur a demandé d’embrasser 35 fois sur la bouche la tête en plastique, qui s’inclinait à droite ou à gauche de manière aléatoire, ou bien restait verticale :
Résultat : 41 des 57 participants à l’expérience (soit 72 %) étaient droitiers du bécot. Et ils avaient effectivement plus tendance que les “gauchers” à ne pas modifier la position de leur tête quand celle du Louis XVI en plastique ne se présentait pas dans la bonne configuration. Est-ce à dire que la latéralisation du baiser est reliée aux autres assymétries du mouvement ? A la grande surprise des chercheurs, il n’a pas été possible de répondre à cette question par l’affirmative. Aucun lien statistique n’a pu être tracé entre la latéralisation de la main, du pied ou de l’œil et celle du baiser. Soit parce qu’il n’existe pas, soit parce que l’échantillon retenu n’était pas assez grand. Pour l’heure, il est donc impossible de conclure à l’existence ou non d’une structure commune des préférences latérales. L’amour n’obéit pas au doigt et à l’œil…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum 1 : si l’on penche la tête de côté pour s’embrasser, c’est d’abord parce qu’il existe un truc au milieu du visage, appelé nez, un peu encombrant dans la pratique de cette activité. On peut néanmoins être centriste du baiser (c’est-à-dire ni de droite ni de gauche) en imitant Spiderman, qui ne fait jamais rien comme tout le monde :
Post-scriptum 2: pour le plaisir (et aussi pour confirmer que les droitiers du baiser sont plus nombreux que les autres…), je ne résiste pas à l’idée de vous proposer la kitchissime vidéo de l’immortelle chanson de Carlos, Big Bisou !
Avec la mort, jeudi 14 octobre, du mathématicien franco-américain Benoît Mandelbrot, il y a fort à parier que les fractales qu’il a inventées vont faire une apparition aussi remarquée qu’éphémère dans les dîners en ville. Vous imaginez déjà votre voisin(e) de table vous susurrer à l’oreille «Ne trouvez-vous pas que c’est fascinant les fractales?» sans que vous sachiez quoi lui répondre. Pourtant, il suffit de regarder le magnifique morceau de chou-fleur romanesco planté dans votre assiette pour lui en mettre plein la vue.
Pierre Barthélémy
lire le billetQue ne ferait-on pas pour plaire et se reproduire ? Beaucoup d’espèces vivantes se posent la question, à commencer par une qui marche sur deux pattes, mais une famille de plantes a poussé l’art de l’attraction à son paroxysme : les orchidées. L’exemple le plus célèbre est celui de l’ophrys abeille, dont un des pétales poilus imite à s’y méprendre l’abdomen de la femelle de son insecte pollinisateur. Les mâles inexpérimentés s’y laissent prendre, d’autant que la fleur reproduit aussi les phéromones de la bestiole. En tentant, tout excités, de s’accoupler avec une pseudo-compagne, ils pollinisent l’orchidée. Autre exemple : plusieurs espèces du genre Bulbophyllum dégagent une répugnante odeur de viande pourrie qui fait venir à elles les mouches attirées d’ordinaire par les cadavres d’animaux. La gamme des stratagèmes de ces expertes ès mimétisme est large mais l’un des plus ingénieux était encore inconnu des chercheurs il y a peu.
C’est une équipe d’écologues allemands et israélien qui vient de le dévoiler dans une étude publiée dans les Proceedings of the Royal Society B. Ces scientifiques se sont intéressés de près au cas de l’orchidée Epipactis veratrifolia (voir photo au début de l’article), que l’on retrouve essentiellement au Proche et au Moyen-Orient. Un de ses pollinisateurs est le syrphe ceinturé, un insecte (présent aussi en France) qui ressemble à s’y méprendre à une guêpe mais ne possède pas de dard. La femelle du syrphe pond là où il y a des pucerons car ses larves s’en nourrissent, raison pour laquelle les jardiniers les apprécient particulièrement. Des chercheurs avaient déjà constaté que dame syrphe venait polliniser l’orchidée en y déposant ses œufs, alors même que les pucerons en étaient absents. Ils avaient pensé que l’insecte était abusé par les petites verrues sombres présentes sur la fleur, qu’il prenait pour des pucerons. La réalité est autrement plus subtile…
Pour en avoir le cœur net, nos écologues se sont intéressés aux composés volatils que fabrique Epipactis veratrifolia. Et ils se sont rendus compte qu’elle produisait les mêmes molécules que celles que dégagent les pucerons lorsqu’ils sont attaqués. D’une certaine manière, la plante tire le signal d’alarme chimique des pucerons, sans pucerons. Mais est-ce ce signal qui attire les pollinisateurs ? Afin de le savoir, les chercheurs ont placé des syrphes femelles fécondées près de plants de fèves, certains “parfumés” aux molécules produites par l’orchidée et d’autres pas. Le résultat a été plus que probant : les syrphes déposaient beaucoup plus d’œufs dans le premier cas que dans le second.
Cette orchidée a donc, pour attirer son pollinisateur, ou plutôt sa pollinisatrice, trompé son instinct maternel en reproduisant le signal d’alarme des pucerons dont se gavent ses petits. A l’arrivée, pourtant, les larves de syrphe ne trouvent rien à manger et meurent. Comme Epipactis veratrifolia n’offre pour ainsi dire pas de nectar à ses hôtes, le bénéfice que les syrphes tirent à sa pollinisation est quasiment nul, un phénomène rare et dangereux (pour l’orchidée) sur le plan évolutionniste. En général, la pollinisation relève du donnant-donnant (les économistes diraient que c’est un win-win deal et pas une escroquerie)… Les auteurs de l’étude se demandent par conséquent s’ils ne sont pas en présence d’un cas de pré-adaptation : la production des phéromones d’alarme pourrait bien, à l’origine, avoir eu pour seul but “de maintenir les pucerons à distance des précieux organes reproducteurs” de l’orchidée, en effrayant les petits insectes parasites. Par la suite, ces molécules auraient joué un rôle inattendu dans l’attraction des syrphes et leur fonction serait passée “de la défense de la plante à l’attraction des pollinisateurs”. Dans les faits, une fonction n’exclut pas l’autre : la fleur d’Epipactis veratrifolia est le plus souvent dépourvue de pucerons alors que tiges et feuilles sont régulièrement infestées. Si l’on peut joindre l’utile à l’utile…
Pierre Barthélémy
lire le billet– Le tyrannosaure était probablement le plus gros prédateur terrestre que notre planète ait connu. Et comme le font d’autres prédateurs après s’être battus entre eux, T-Rex ne dédaignait pas manger un steak de T-Rex… Pour ceux que cette histoire de cannibalisme dinosaurien intéresse, le papier scientifique est ici.
– La Chine est devenue un géant du séquençage de génomes, nous explique Le Monde dans un reportage qui fait écho à un article paru dans Nature en mars. Et le pays a décidé d’investir beaucoup d’argent pour établir le protéome humain, le catalogue de toutes les protéines produites par les cellules de notre corps.
– Soumis à de nombreuses critiques depuis près d’un an, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) accepte de se réformer. A lire dans Le Temps.
– L’imposture “scientifique” des frères Bogdanov est une nouvelle fois dénoncée, par Sylvestre Huet de Libération et aussi par Marianne qui publie un rapport du CNRS “ridiculisant leurs thèses de doctorat”. La seule question véritable qu’il faudrait se poser (à commencer par moi) est : ne vaudrait-il pas mieux de plus jamais parler de ces deux personnages ?
– Isaac Newton est mondialement célèbre pour ses talents de physicien et de mathématicien. Moins connue est sa passion pour la chimie, ou plutôt l’alchimie…
– Si la nourriture servie à bord des avions nous semble si mauvaise (euphémisme), ce n’est peut-être pas de sa faute mais celle… du bruit de fond des moteurs, qui altèrerait notre sens du goût.
– Un portfolio sur ces villes qui vont grandir le plus vite au cours des dix ans à venir, de Santiago à Austin, en passant par Hanoi, Chennai et Chengdu…
Pierre Barthélémy
lire le billetLa 36e édition de la Nikon Small World Competition a rendu son palmarès ce mercredi 13 octobre. C’est une épreuve ouverte à tous dont on ne parle pas suffisamment, qui mêle joliment art, science et technique. Le vainqueur de l’édition 2010 est l’Américain Jonas King, avec un intrigant zoom sur un cœur de moustique. Une fois n’est pas coutume dans ce blog, le texte va laisser la place aux images puisque je vous propose de vous présenter les 20 meilleures photographies de cette année dans un portfolio animé. Vous pouvez, comme dans certains magazines, essayer de deviner de quoi il s’agit. Vous pouvez aussi simplement admirer les images… Bienvenue dans le micromonde !
– Il s’appelle Robonaut 2 et on le surnomme familièrement R2, comme le petit droïde de Star wars. Ce robot conçu par la NASA en partenariat avec General Motors sera le septième passager du prochain vol de la navette spatiale Discovery, dont le décollage est programmé pour le 1er novembre.
– Plus d’un million d’Européens ont signé une pétition demandant à la Commission de Bruxelles de geler l’introduction des organismes génétiquement modifiés. Un nouvel élément de poids dans le débat compliqué sur les OGM.
– La guerre du Nil aura-t-elle lieu ? Le New York Times évoque les tensions croissantes entre, d’un côté, l’Egypte et le Soudan, et, de l’autre, les sept pays que le plus grand fleuve du monde traverse en amont. Ces derniers aimeraient bien pouvoir l’exploiter davantage mais l’Egypte et ses 80 millions d’habitants, très dépendants de l’eau du Nil, craignent que leurs voisins, en développant leur agriculture et en construisant des barrages, ne les privent d’une partie conséquente de la si précieuse ressource liquide.
– Un nouveau filon de dinosaures vient d’être mis au jour. Il se trouve dans une carrière charentaise.
– On pourrait très bien éviter de vous ouvrir le crâne pour faire de la chirurgie dans votre cerveau. A la place, il suffirait de passer… euh… par les orifices naturels que sont les orbites.
– Des exosquelettes permettent à des paralysés de remarcher. A lire et à voir sur le site du New Scientist.
– Pour terminer, je vous conseille vivement le papier très pertinent de Martin Robbins (qui blogue pour The Guardian) sur le journalisme scientifique, ses pratiques, ses contraintes, son train-train… et les solutions que l’on pourrait adopter pour secouer un peu la poussière qui recouvre la manière dont les journaux couvrent la science.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : même si le premier article de ce blog date du jour de ma fête, soit le 29 juin, Globule et télescope ne s’est véritablement ouvert au public que le 9 août, date à laquelle il est officiellement apparu sur Slate.fr. C’était il y a deux mois, donc. Et en deux mois, le Globule a fait du chemin puisqu’il se retrouve sixième sur le classement des blogs “Sciences” publié chaque mois par Wikio. Merci à tous pour votre soutien. Ce n’est qu’un début ! Voici le top 20 “Sciences” de Wikio pour octobre :
Le samedi 6 novembre 2010, la vérité va enfin être rétablie. Ce jour-là, à South Bend, ville américaine située dans le nord de l’Indiana, aura lieu un colloque dont le titre est : “Galilée avait tort. L’Eglise avait raison.” L’objectif de cette “première conférence catholique annuelle sur le géocentrisme” consiste à prouver que le Soleil tourne autour de la Terre (système géocentrique), alors que, depuis Copernic, Galilée, Kepler et Newton, la science prétend que la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil (système héliocentrique). Au cours de cette journée historique, qui démontera un des plus grands complots que l’histoire des sciences ait jamais connus, une dizaine d’orateurs vont se succéder à la tribune devant des spectateurs qui auront chacun déboursé 50 dollars. Voici les thèmes des premiers discours tels qu’on peut les lire sur le site Internet de cette manifestation : “Géocentrisme : ils le savent mais ils le cachent”, par Robert Sungenis, auteur d’un livre sur le sujet et organisateur de la conférence ; “Introduction à la mécanique du géocentrisme” ; “Expériences scientifiques montrant l’immobilité de la Terre dans l’espace” ; “Preuve scientifique : la Terre au centre de l’Univers”…
Ceci n’est pas un canular. Cette conférence aura bien lieu et ceux qui l’organisent sont convaincus de ce qu’ils disent. Dans la liste de questions/réponses qu’il a mise sur son site Internet, Robert Sungenis, en plus de citer les passages de la Bible où la position centrale de la Terre est clairement dite, compare sa démarche à celle des créationnistes qui, petit à petit, imposent une vision biblique de l’apparition de la vie et de l’homme sur Terre comme une alternative valable aux enseignements de la biologie et du darwinisme : “Oui, je crois vraiment que ce qui est arrivé avec le créationnisme arrivera avec le géocentrisme. Nous sommes là où Morris et Whitcomb (NDLR : les pères américains du néo-créationnisme) étaient dans les années 1960. Tôt ou tard, la preuve du géocentrisme sera très répandue, mais cela prend du temps. Je serai peut-être mort et parti avant que mon rêve se réalise. La cause du géocentrisme pourrait cependant avancer un petit peu plus vite que celle du créationnisme, car elle le géocentrisme est bien plus facile à démontrer que le créationnisme. Je peux expliquer les preuves scientifiques du géocentrisme en environ 20 minutes à un interlocuteur instruit, et une fois que j’aurai terminé, soit il s’en ira complètement stupéfait par la nouvelle vérité qu’il viendra de découvrir, soit il fera tout ce qui est en son pouvoir pour étouffer ou tourner en ridicule ce que je lui aurai dit et il me traitera de fou pour avoir abordé le sujet, puisqu’il réalisera, mais rejettera, les implications théologiques et globales de ce que je lui aurai dit.”
Il y a effectivement fort à parier que, d’ici à quelques années, cette conférence du 6 novembre 2010 sera citée comme une référence scientifique par ceux qui défendront le géocentrisme, tout comme aujourd’hui certains citent de soi-disant “colloques” et “études”, ou des livres écrits sans contrôle scientifique objectif, pour s’attaquer à la théorie de l’évolution ou, d’une manière plus anecdotique mais tout aussi révélatrice, à la datation au carbone 14 du suaire de Turin, laquelle a démontré qu’il s’agissait d’une création médiévale. S’en prendre à Galilée a un triple objectif : souiller l’image d’un des plus grands savants de l’histoire, considéré comme l’un des fondateurs de la science moderne ; s’attaquer à celui qui apporta une des premières preuves observationnelles de l’héliocentrisme de Copernic ; permettre à l’Eglise de laver l’offense qu’elle a dû subir lors de sa repentance de 1992 au sujet de la condamnation de Galilée.
Ceci dit, je vois arriver une question majeure : qu’est-ce qui nous prouve que le Soleil ne tourne pas autour de la Terre (ce que croit encore un cinquième environ des habitants des pays dits développés) ? Après tout, ne le voit-on pas se lever tous les jours et se coucher chaque soir après avoir traversé le ciel ? La révolution copernicienne porte bien son nom, qui tord le cou au témoignage le plus élémentaire de nos sens. Il est beaucoup plus simple de croire que le Soleil se promène autour de nous plutôt que d’imaginer que c’est la Terre qui, tournant sur elle-même en plus de faire le tour de son étoile en un an, donne à l’astre du jour son mouvement apparent. Quelles preuves en a-t-on ?
Dans le système géocentrique du début du XVIIe siècle, tout tourne autour de la Terre. La Lune d’abord, puis, dans l’ordre, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne (Uranus et Neptune n’ont pas encore été découvertes). Lorsque, à partir de 1609, Galilée pointe la lunette de sa fabrication vers les cieux, il ne va pas tarder à lui trouver des défauts. En janvier 1610, il découvre quatre petits astres tournant autour de Jupiter, qui seront par la suite nommés les satellites galiléens. Cela n’a l’air de rien mais cette trouvaille compromet le géocentrisme car, désormais, tout ne tourne plus autour de la Terre. Quelques mois plus tard, en septembre, il découvre que Vénus, comme la Lune, a des phases. Ce qui, en soi, peut s’expliquer avec le géocentrisme. Ce que celui-ci a, en revanche, beaucoup de mal à justifier, c’est la raison pour laquelle Vénus est de plus en plus petite au fur et à mesure qu’elle devient pleine (voir ci-dessous). Théorisé au siècle précédent par le chanoine polonais Nicolas Copernic, l’héliocentrisme, lui, explique sans peine le phénomène : si Vénus rapetisse au fur et à mesure qu’elle s’illumine, c’est parce que, vue depuis la Terre, elle passe de l’autre côté du Soleil. Ce qu’elle ne peut évidemment pas faire dans le système géocentrique hérité d’Aristote.
Bien sûr, il existe d’autres preuves de l’héliocentrisme. Je citerai rapidement : l’aberration de la lumière, découverte en 1725 par l’astronome britannique James Bradley, phénomène confirmant que la Terre n’est pas immobile dans l’espace comme le prétend le modèle géocentrique ; la première mesure de la parallaxe d’une étoile, effectuée en 1838 par l’Allemand Friedrich Wilhelm Bessel, qui prouve la révolution terrestre ; la célèbre expérience du pendule de Foucault, en 1851, qui montre que la Terre tourne bien sur elle-même ; l’orbite des comètes ; plus récemment, la découverte des systèmes extra-solaires.
En 1633, Galilée n’avait, malheureusement pour lui, aucune de ces preuves à sa disposition lorsque, vieux, malade et menacé de la torture, il fut jugé et condamné à la prison à vie (peine commuée par le pape à une assignation à résidence, toujours à vie) pour avoir défendu ouvertement l’héliocentrisme, ce qui était assimilé à de l’hérésie. Pour éviter le bûcher, le savant italien dut abjurer, rejeter l’idée “que le Soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait”. C’est un peu facile de jouer avec la peau des autres mais je dirai que si Galilée a un jour eu tort, ce n’est pas en défendant l’héliocentrisme, comme le prétend Robert Sungenis, mais en le reniant…
Pierre Barthélémy
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