Au commencement était le spermatozoïde

Depuis 600 millions d’années, le même gène, installé chez la plupart des animaux, assure la production des gamètes mâles

Au-commencement

Sans vouloir poser de question indiscrète, avez-vous déjà comparé les appareils reproducteurs masculins de l’espèce humaine et de la mouche ? Non ? Quel manque de curiosité… Quand on observe ces délicates machines, les différences sautent aux yeux, la faute à la sélection naturelle qui, depuis l’ancêtre commun de ces deux espèces, a fait valser les choses presque aussi vite que les gouvernements de la IVe République. Pourtant, une équipe américaine de la Northwestern University (Chicago, Illinois) vient de prouver, dans une étude parue le 15 juillet dans la revue en ligne PLoS Genetics, que le gène codant une protéine indispensable à la fabrication des spermatozoïdes n’avait pas varié d’un iota depuis 600 millions d’années. Et qu’on le retrouvait chez tous les bilatériens. Comme son nom l’indique (ce n’est pas si fréquent dans la classification du vivant), la grande famille des bilatériens regroupe toutes les bestioles dotées d’une symétrie bilatérale, ce qui englobe, en plus de nous-mêmes, le lombric, le vautour, la veuve noire ou la hyène. Tous ces charmants animaux sont, à des degrés divers, nos cousins. Pour paraphraser Kennedy, dites : “Je suis un bilatérien.”

Et tous autant que nous sommes (enfin, nous, les mâles…), nous fabriquons des spermatozoïdes. Certains, comme la mouche, dans des tubes, d’autres, comme George Clooney, dans des testicules, grâce à une protéine nommée… Boule (cela ne s’invente pas et je n’y suis pour rien). Les auteurs de l’étude l’ont retrouvée dans la population diversifiée que voici (le nom de chaque espèce apparaît en passant le pointeur de la souris sur la photo) :

Pour la petite histoire, on retiendra qu’Eugene Xu, un des chercheurs en question, s’en fut, pour les besoins de la cause, acheter une truite arc-en-ciel au marché aux poissons de Chicago. Mais, lorsqu’il la déballa, quelle ne fut pas sa consternation en s’apercevant que la bête avait été éviscérée. Il retourna au marché. J’aurais bien voulu contempler la tête du poissonnier quand Eugene lui lança : “J’ai besoin des testicules !” Vain effort. Pour pallier ce manque, le scientifique dut se résoudre à… partir à la pêche, ce qui ne fut sans doute pas la partie la moins agréable de son travail.

Avec 600 millions d’années au compteur, ce qui le fait remonter au précambrien, le gène Boule est un vieux briscard qui a résisté à tout, à commencer par la pression de l’évolution. En réalité, son mode de protection est la sélection négative : si une mutation intervient, l’individu qui la portera sera automatiquement stérile (et ne pourra donc transmettre la mutation). L’équipe américaine l’a testé en modifiant le gène en question chez des souris mâles. Quand Boule n’est pas intact, la production de spermatozoïdes ne va pas à son terme. A l’inverse, Eugene Xu avait,  dans une précédente publication, montré que le gène Boule humain, implanté chez des mouches dont le gène homologue avait muté, remettait en marche la spermatogénèse… Tous ces résultats pourraient donc avoir un grand intérêt dans la lutte contre l’infertilité… mais aussi pour les recherches visant à mettre au point un contraceptif masculin !

Pierre Barthélémy

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