Adieu Nemo…

Poisson-clown

Si vous avez vu Le Monde de Nemo, film d’animation des studios Pixar sorti en 2003,  vous vous souvenez certainement des mille dangers qu’affronte le poisson-clown Marlin parti à la recherche de son fils Nemo, capturé par un plongeur. Les deux bestioles vêtues d’orange et de blanc survivent aux requins, aux méduses, aux mouettes, aux filets des pêcheurs, ainsi qu’à Darla, affreuse petite humaine qui a la mortelle habitude de secouer les poissons qu’on lui offre. Eh bien, tous ces périls ne sont que de la gnognotte si l’on considère ce qui attend Nemo et ses congénères dans les décennies qui se profilent. L’ennemi de demain a pour nom CO2 et il est très méchant.

Pour s’en persuader, il suffit de lire l’étude qui vient d’être publiée dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences américaine. Emmenée par l’Australien Philip Munday, une équipe internationale a réalisé une expérience à se faire dresser les nageoires sur le dos. Elle est partie du principe que la concentration en dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère allait continuer de grimper tout au long du siècle, en raison de notre consommation toujours croissante d’énergies fossiles. Cette concentration est actuellement d’environ 390 parties par million (ppm) et elle augmente de plus en plus vite.

CO2-atmosphereCe taux de CO2 devrait atteindre les 500 ppm dans quarante ans et, selon les projections, entre 730 et 1 020 ppm d’ici à la fin du siècle. Le rapport avec nos poissons ? On y arrive. Le dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère se dissout pour partie dans les océans, ce qui a pour conséquence de les acidifier. De nombreux chercheurs ont déjà signalé que ce phénomène aurait des conséquences dramatiques sur la calcification des coraux et d’autres organismes marins. Mais quels en seront les effets pour Nemo et, à plus large échelle, pour les poissons, se sont demandés Philip Munday et ses collègues ? Pour le savoir, ils ont réalisé une expérience sur des larves de poissons-clowns. Celles-ci se servent de leur odorat et de signaux chimiques captés dans l’eau pour se repérer et aussi pour détecter… la présence de prédateurs. L’expérience a consisté à élever des larves dans des environnements correspondants à des taux de CO2 de plus en plus hauts (390, 550, 700 et 850 ppm), afin de mimer les conditions de vie actuelles et futures de ces animaux. Puis, les chercheurs ont glissé les bestioles dans un circuit en Y. Arrivés à l’embranchement du Y, elles étaient confrontées à deux flux d’eau. Le premier contenait la signature chimique d’un prédateur (un poisson nommé vieille étoiles bleues), la seconde rien de particulier. Les larves à 390 ppm ainsi que celles à 550 ppm ont soigneusement évité le premier “bras” de mer pendant tout le temps de l’expérience. Il en a été de même, au début, pour les larves à 700 ppm. Mais, après quatre jours, leur comportement a commencé à changer puisque certaines passaient 30 à 45 % de leur temps dans le flux d’eau chargé de l’odeur du prédateur. Quant aux larves à 850 ppm, le résultat a été stupéfiant : elles ont évité la branche “dangereuse” un jour durant, avant d’être irrésistiblement attirées par elle au fur et à mesure que l’expérience se déroulait. Au bout de huit jours, elles y barbotaient pendant 94 % de leur temps !

L’expérimentation a été renouvelée avec une autre espèce de poisson de récifs et a donné les mêmes résultats. Même s’ils ignorent exactement ce qui est à l’œuvre, les chercheurs pensent que la modification de l’environnement induite par l’augmentation du taux de CO2 a des conséquences profondes sur le système nerveux des poissons et perturbe tout une série de fonctions, incluant, dit l’étude, “la discrimination olfactive, les niveaux d’activité et la perception du risque”. Lors d’une expérience précédente, dont les résultats ont été publiés en 2009, Philip Munday avait déjà prouvé que les larves de poissons-clowns exposés à un taux de CO2 élevé ne retrouvaient plus le chemin de leur “maison”.

850 parties par million de dioxyde de carbone, c’est peu ou prou la valeur que nous atteindrons à la fin du siècle. Il est peu probable, estiment les scientifiques, que ces espèces de poissons puissent s’adapter aussi vite à un taux aussi haut. A moins que leurs prédateurs soient aussi perturbés qu’elles, il y a fort à parier que le renouvellement de leurs populations subisse une chute brutale. Alors, la prochaine fois que votre enfant vous demandera de prendre la voiture pour aller à l’école située à 500 mètres, dites-lui de penser à Nemo…

Pierre Barthélémy

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