Longtemps je me suis levé de bonne heure (5h30 tout de même) pour aller, dans mon journal préféré, prêcher la bonne parole de la science, de la médecine puis de l’environnement, défendre mes bouts de colonnes, quelque globule ou quelque télescope. Remonter tous les matins le tas de sable pour faire comprendre que la science, tout comme la politique, l’économie, la diplomatie, etc., a son actualité, ses belles histoires et doit faire partie de la culture de l’honnête homme. Mettre, comme un représentant de commerce, le pied dans la porte éditoriale avant qu’on ne me la claque au nez (que j’ai grand), afin de vendre ma sauce, à laquelle je croyais, à laquelle je crois toujours. Expliquer que « mes » chercheurs aident au décryptage du monde dans lequel nous vivons. Commencer ma journée en râlant.
La science, dans les journaux généralistes, c’est cette rubrique bizarre, vous savez, tenue par des gens un peu étranges, capables de faire une division de tête ou de s’intéresser au mécanisme abscons par lequel la matière s’annihile en énergie, oui, la fameuse formule d’Einstein, la seule qu’on connaisse… La science, dans les journaux généralistes, ce sont souvent des articles qui peuvent attendre demain parce que l’actualité, la « vraie », le énième attentat ici, l’élection législative partielle là, la petite phrase ailleurs, n’attendent pas. La science, c’est beau en théorie mais pas en imprimé, même si toutes les études montrent que les lecteurs en raffolent… Même si on sait que la croissante désaffection des étudiants français pour les sciences s’alimente aussi dans les médias, dont les dirigeants, formés à d’autres écoles, renâclent à donner la place qu’il faut (y compris sur Internet ou l’espace ne se compte pourtant pas en rouleaux de papier) à ce qui constitue une autre vision du monde, une autre grille de lecture de l’histoire qui s’écrit au jour le jour.
Je me suis donc fait longtemps l’impression d’un Cyrano (mon nez n’a pas raccourci depuis tout à l’heure) à qui un vicomte de l’info disait : « Tes sujets sont très… euh… bien, mais j’ai plus urgent… » Je me suis souvent battu en répondant : « Ah ! Non ! Laiss’-moi ma pag’ bonhomme ! Je vais y dire… Oh ! Dieu !… Bien des choses en somme. » Je n’ai pas toujours gagné, on m’en a piqué des colonnes, plus qu’à tous les temples grecs réunis. Alors que oui, chaque jour, j’aurais pu délecter le lecteur d’histoires plus incroyables les unes que les autres. Tenez, prenons le 28 juin 2010. Qu’avons-nous ? Des chercheurs texans qui reconstruisent des poumons. La découverte d’une structure musicale secrète dans la République de Platon. Ces généticiens qui veulent en savoir plus sur l’homme… en examinant l’ADN du chimpanzé. L’art de la diplomatie chez les dauphins. Etc.
Et puis la rédaction de Slate.fr m’a invité à bloguer au lieu de râler. Gentiment, presque affectueusement. Viens parler de tes globules, viens nous raconter ce qu’on voit dans tes télescopes. Ce blog ne comblera pas le manque, je le sais. C’est un petit grain du tas de sable dont je parlais au début. Un petit grain plusieurs fois par semaine, que je pousserai avec mon grand nez. Rendez-vous le 1er juillet.
Pierre Barthélémy
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