Nous sommes une espèce cannibale. On dit souvent du cannibalisme qu’il n’est qu’un fantasme d’explorateur en mal d’exotisme, au pire une légende de colon destinée à animaliser les « primitifs ». Il est pourtant constitutif du fonctionnement de nos sociétés. De la messe dominicale au monde de l’entreprise, de la science-fiction survivaliste de « The Road » à l’icône vampirique pré-pubère de « Twilight », la marque de l’anthropophagie est partout. Et elle l’a toujours été. Mais la nouvelle tendance est à positiver l’idée de dévorer, voire de se laisser dévorer par l’autre… Pour accroitre sa puissance, pour transgresser, pour se dépasser ou pour s’en sortir. Une pratique en vogue, au moins dans son acception symbolique, qui la rend plus acceptable.
lire le billetVingt-deux heures trente, le 31 mars dernier. “Allons-y, débranchez, c’est terminé”, dis-je avec les dents serrées. Je marche, souffle court et poings crispés, dans le couloir de sortie du service de réanimation de l’hôpital de la Pitié Salpetrière. Un long “twiiiiiiiiit” caractéristique retentit derrière moi. Mon père vient officiellement de mourir, après six long mois d’agonie. Je viens pour ma part de basculer dans une tourmente jusqu’à lors ignorée : l’onéreux maelström administratif de la déclaration de décès et de l’organisation d’obsèques.
Malgré la fin évidente, nous ne nous étions pas préparés, absorbés par l’accompagnement aux derniers instants. Mon père était italien, ce qui n’a fait que compliquer les choses. Il a fallut découvrir “sur le vif”, étouffer tout de suite la douleur, et trouver des fonds importants -plusieurs milliers d’euros- pour ainsi dire du jour au lendemain. Pour éviter ces déconvenues au moment les plus difficiles, 4 millions de Français ont désormais choisi de prévoir le grand départ de leur vivant. Cela donne matière au développement exponentiel du secteur funéraire, puisque 50% de la population devrait avoir souscrit un contrat prévoyance d’ici 2050. La mort est un commerce comme les autres, un marché florissant, avec un chiffre d’affaire annuel de 1.2 milliard d’euros et elle tiendra d’ailleurs son propre salon en avril 2011.
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