Nous sommes une espèce cannibale. On dit souvent du cannibalisme qu’il n’est qu’un fantasme d’explorateur en mal d’exotisme, au pire une légende de colon destinée à animaliser les « primitifs ». Il est pourtant constitutif du fonctionnement de nos sociétés. De la messe dominicale au monde de l’entreprise, de la science-fiction survivaliste de « The Road » à l’icône vampirique pré-pubère de « Twilight », la marque de l’anthropophagie est partout. Et elle l’a toujours été. Mais la nouvelle tendance est à positiver l’idée de dévorer, voire de se laisser dévorer par l’autre… Pour accroitre sa puissance, pour transgresser, pour se dépasser ou pour s’en sortir. Une pratique en vogue, au moins dans son acception symbolique, qui la rend plus acceptable.
Avec la fin du XXe siècle se sont probablement éteintes les dernières tribus anthropophages du monde. On ne dévore plus la chair humaine au titre d’un rite social institutionnalisé, sauf en quelques rares cas relevant du crime ou de la survie. Le cannibalisme n’a pas pour autant perdu la place charnière qu’il occupe dans nos schémas moraux. Il se perpétue par le truchement de symboles, de totems, et le principe demeure.
La problématique touche l’humain dès la petite enfance avec notamment la tétée du sein maternel. On parle ainsi de période « cannibalique » pour désigner la phase d’oralité de la petite enfance. Le cannibalisme est élevé par Freud comme l’un des tabous fondateurs des sociétés humaines, à même titre que l’inceste. C’est le meurtre du patriarche de la horde primitive par ses enfants exclus, suivit de sa dévoration, qui génère la matrice des sociétés. Le concept sera repris par Roy Lewis dans « Pourquoi j’ai mangé mon père » (1960), souligne la Préhistorienne Marylène Patou-Mathis.
Dans la tete du cannibale japonais (planete justice) (part1)
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La consommation d’humains n’a plus cours mais la pratique fascine, le tabou attire et la pulsion reste omniprésente. Tout au long du XIXe siècle on exibait des “indigènes cannibales” comme des animaux du zoo. Aujourd’hui on trouve divers artistes actuels, figures de la mode ou groupes marginaux en mal de transgression s’adonner au sacrilège ultime, souvent face à l’objectif d’une caméra. On immortalise l’instant sacré. C’est le cas du célèbre Armin Meiwes. Il a dévoré en 2001, une victime consentante recrutée par annonce. En effet, chez certains sadomasochistes allemands, on vend tout ou partie de son corps sur le web, on boit du sang vrai ou faux (Hémophagie, sous catégorie du cannibalisme), pour satisfaire aux canons de la mode « vampire ». On mange des fœtus aussi, comme le performer chinois Zhu Yu, dont le show télévisé a traumatisé les britanniques en 2003.
Au delà de ces cas isolés de transgressions criminelles, la marque du cannibalisme reste tellement vive dans l’inconscient collectif qu’il transparait dans tous les domaines. On l’utilise régulièrement pour discréditer une communauté, pour la déshumaniser, l’exclure durablement. C’est une arme symbolique d’une rare efficacité. Tout au long du moyen âge, on a dit des juifs, des arabes de Palestine ou des protestants qu’ils bouillaient les enfants. Plus tard il en fut de même pour les bolchéviks ou les Franc-maçons. Des rumeurs circulent aujourd’hui sur le net au sujet de prétendus repas cannibales en Thaïlande, et soupe d’enfant en Chine, à destination des personnes âgées. Pour l’homme occidental le qualificatif de cannibale est un facteur de déshumanisation radicale, sans compromis possible : toute la société est conditionnée pour le rejeter.
Les occurrences du cannibalisme persistent dans le vocabulaire courant : on mange un pion aux échecs, on se bouffe « tout cru » pour la victoire, on se « bouffe le nez » dans la discorde. Les militaires parlent de cannibaliser le matériel ennemi, là où les financiers absorbent les entreprises. Même dans la ritournelle enfantine « Il était un petit navire » : les paroles relatent le débat d’un équipage qui veut manger le mousse. Au japon, un restaurant “cannibale” propose de manger des reproductions fidèles de corps humains. Les pièces d’anatomie en pâte à pain sont aussi très en vogue. Si les cadres moraux politiques et religieux ont proscrit le cannibalisme comme pratique de masse, ils ont produit nombre de substituts symboliques. Le plus évident reste le rite catholique de l’Eucharistie.
Le catholicisme s’est notamment construit sur une inversion du rapport du cannibale au monde ésotérique : on dévore la chair et le sang d’un dieu pour renforcer l’âme des croyants. Au moyen âge le refus de l’eucharistie était passible de très dures sanctions, et ce rite est dénoncé par les protestants. De même certains rituels sataniques, empruntant à leur alter ego chrétiens, peuvent inclure des actes anthropophages. Car c’est l’imaginaire collectif qui reste le plus emprunt de cannibalisme. Le succès des aventures d’ Hannibal Lecter ou retour à la mode des figures de vampires (True Blood, Blade, Daybreaker, Being Human, Buffy, etc.) en sont un symptôme manifeste.
Par contre la nouveauté réside dans le caractère implicitement enviable et envié de la condition de cannibale. Depuis les années 90 émerge une vision positive du suceur de sang et de sa capacité à accroitre sa puissance en absorbant l’autre. Le héros vampire pratique un cannibalisme maitrisé. Dans certaine fictions récentes, il permet de ne l’infliger qu’aux « méchants ». Il en retire des caractéristiques de surhomme qui en font un objet de fantasmes. D’autres réminiscences d’anthropophagie peuplent notre imaginaire : l’épisode du radeau de la méduse, ou encore les figures anciennes de la sorcière, du loup garou du cyclope ou de l’ogre. Mais la modernité a produit ses propres avatars cannibales comme le zombie, très à la mode ces dernières années. De nombreux films et séries « post-apocalyptiques » récents nous dépeignent un futur plein de cannibales, comme si cette échéance était inévitable, une conclusion logique de l’histoire de nos civilisations, au point où elles ont commencé.
Les origines cannibales de l’Europe
C’est dans un tas d’ordures alimentaires qu’ont été découverts les os des plus anciens français connus à ce jour. Les restes de 128 Homo Erectus néanderthaliens, extraits de la caune de l’Arago près de Tautavel et datés d’environ 400 000 ans, nous révèlent une chose sur l’origine de nos sociétés. Elles furent probablement crées autour d’un banquet, et dans le souci de le fournir en victuailles. Une table sur laquelle la viande humaine côtoyait régulièrement celle du cheval, du bison ou du Rhinocéros.
Nos ancêtres en ont fait l’amère expérience : leurs os calcinés portant des marques de boucherie, se trouvaient mêlés à ceux des animaux chassés. La fracturation des crânes et des os à moelle laisse peu de doutes. L’anthropophagie est une pratique vielle d’au moins 800 000 ans qui s’est répandue à plus ou moins grande échelle dans la quasi totalité les sociétés humaines, à un moment donné de leur histoire.
Selon la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, c’est notamment pour des raisons de pragmatisme économique que le cannibalisme disparait peu à peu des sociétés européennes, nord africaines et asiatiques. Aux premiers siècles de la période historique, un esclave vivant est plus productif et rentable, que s’il est consommé en une seule fois. Manger de l’homme devient un sacrilège sévèrement puni de la méditerranée à la Baltique. Cependant de nombreux témoignages de cas ponctuels parsèment les récits historiques. Hérodote rapporte par exemple que le roi Perse Cambyse II aurait renoncé à conquérir l’Éthiopie après que ses troupes affamées aient dévoré un soldat sur 10, pour la survie. Les Hittites étaient réputés pour faire rôtir leurs prisonniers, afin de semer la terreur dans les rangs adverses.
En Europe même, plusieurs cas sont rapportés. Les romains buvaient fréquemment du sang : celui des gladiateurs, et d’autres victimes et à l’occasion des bacchanales. Si l’antiquité voit disparaitre l’usage du cannibalisme en occident, il perdure partout ailleurs. En Chine médiévale, la chair de condamné était un plat prisé. Au moyen âge des épisodes de cannibalisme de terreur ou de survie sont ponctuellement relevés. Sous nos latitudes, l’un des épisodes les plus glaçants reste l’histoire de « Sawney Bean », chef d’un clan d’une quarantaine d’écossais cannibales. Sa bande sévit pendant 25 ans, et 40 meurtres à caractère anthropophage lui furent attribués. Il fut supplicié après qu’on eut découvert un véritable abattoir aménagé dans une grotte.
Il faut attendre les expéditions de Christophe Colomb pour que l’homme blanc renoue pleinement avec cet usage des origines. A mesure qu’il découvre les continents, l’occidental réalise peu à peu que le cannibalisme est pratiqué partout. Il va se faire un devoir colonial de l’éradiquer de la surface du globe. La tâche est vaste car le cannibalisme régulier est pratiqué depuis des millénaires partout ailleurs qu’en Occident, de l’Alaska aux empires Mayas, de la Sibérie à l’Australie.
On trouvera d’ailleurs de la viande humaine en vente sur les marchés jusqu’en 1889 à Hong Kong et en Chine. En Guinée on pouvait choisir sa viande « sur pied » chez un vendeur, ou se réserver les meilleures parties. Dans les îles Malo et de Vanuatu le commerce de viande humaine a prospéré. A la fin du XIXème siècle les cannibales sont estimés à 100 millions d’individus, la moitié restait en 1910, et environ 3 millions en 1952, principalement en Amérique du sud.
Au long du XXe siècle les nombreuses guerres civiles ont tout de même donné lieu à des atrocités anthropophages, y compris en terre « civilisée ». En Russie par exemple, les archives soviétiques ont révélé l’existence de « L’île des cannibales ». De son vrai nom Nazino, ces trois kilomètres carrés de terre plantés au milieu du lit d’un fleuve ont abrité un camp d’internement d’une extrême violence. A la fermeture du lieu par Staline, les prisonniers livrés à eux-mêmes dévoraient les cadavres qui étaient devenus la monnaie d’échange interne.
De nos jours, la pratique est presque éteinte, bien que l’apparition du Kuru, une maladie nerveuse spécifique au cannibalisme, laisse croire que certaines peuplades de Nouvelle Guinée n’ont pas lâché le morceau. De même au Liberia ou en République Démocratique du Congo, où l’ONU rapporte régulièrement des exactions à caractère cannibale commises par les différentes milices locales. Ces dernières prétendent obtenir ainsi l’invincibilité, et matérialisent leur acte en portant des trophées macabres en guise d’amulettes. Freud avançait qu’avec l’inceste, le cannibalisme était l’un des tabous communs à toutes les sociétés humaines. Force est de constater qu’il se trompait : si la pratique s’est retrouvée presque partout, le tabou lui, s’est surtout exporté depuis l’occident.
Le mot cannibalisme lui-même est dérivé de Carib, nom d’une peuplade (non cannibale) d’indiens des Antilles, qui signifiait hardi. Le mot devint Cariba en langue Arawak, et enfin cannibale chez nous vers la fin du XVIIe. Au XIXe siècle apparaît la distinction entre les notions de cannibalisme et d’anthropophagie. Le premier procède d’un rite social où la participation est une règle, là où le second relève généralement de la déviance individuelle. Le cannibalisme est donc une pratique culturelle et sociale lorsqu’il ne relève pas de la survie. Il comporte une forte charge symbolique et se pratique selon des rites et des codes stricts : a l’instar du mariage, le rapport à la chose (adoption ou rejet) est souvent un élément structurant d’une communauté.
Le cannibalisme est largement répandu dans la nature : plus de 1300 espèces sont concernées. Singes, lions, ours ou sangliers consomment leurs placenta et régulièrement leurs petits (Teknophagie). On peut observer que ces pratiques résultent d’un contexte stressant sur les plans sociaux et écologiques : lorsque la nourriture est insuffisante. Lorsque le cannibalisme est « familial », on distingue trois degrés : le cannibalisme filial (lien de parenté direct), l’hétéro cannibalisme (entre individus génétiquement différents) et le cannibalisme entre frères et sœurs. Les risques et les conséquences sanitaires croissent proportionnellement à la proximité génétique.
On distingue également endo et exo cannibalisme selon que l’on dévore l’un des siens ou un étranger. Les deux pratiques ne coexistent presque jamais, et il semble que la sédentarisation favorise l’exo cannibalisme.
L’Exo-cannibalisme : manger l’étranger
L’étranger est souvent dévoré pour des questions alimentaires ou dans le cadre d’un conflit : on parle alors de cannibalisme guerrier. Les anciennes tribus guerrières d’Amérique du sud et d’Océanie en savent quelque chose. On y gardait les prisonniers comme des mets de choix, consommés pour des événements importants, comme la mort d’un chef. En général cela présupposait le décès du dévoré, mais ce n’était pas toujours le cas. En Amérique du sud, les Guayaki engrossaient leurs prisonnières pour en manger les enfants à l’adolescence. Plus au nord, les célèbres Iroquois mutilaient préalablement le consommé, toujours un guerrier, pour l’assimiler à un animal. En Afrique la tribu des Fangs du Gabon troquaient les cadavres des proches décédés avec d’autres peuplades, la croyance locale interdisant de manger ses parents proches.
Pour les manifestations particulièrement cruelles ou violentes de l’anthropophagie, on parle de cannibalisme de terreur. Il s’agit pour les guerriers d’une peuplade d’éloigner les rivaux de leur territoire, d’effrayer les ennemis et de se forger une réputation. Ainsi on rapporte que jusqu’au XVIIIème siècle, les belliqueux Tupi Guarani d’Amérique du sud capturaient des adversaires afin de les dévorer. Les prisonnier étaient accueillis au village par des chants rituels et devaient s’annoncer comme « prochain repas ». Ces derniers pouvaient être gardés captifs dans le village en attendant une occasion de sacrifice. On leur fracassait alors le crâne avec une massue avant de partager la carcasse dans la tribu.
Le cannibalisme guerrier est souvent destiné à renforcer le dévorant. Il constitue à la fois des représailles, un trophée, et une marque de respect pour le guerrier adverse, auquel on prête des qualités que l’on souhaite absorber. On sait que le célèbre chef des Sioux Sitting Bull a dévoré le cœur des Généraux Crook et Custer au terme de sa victoire à la bataille de White Mountain. La mutilation de la dépouille constituait un prolongement de l’humiliation du vaincu, comme chez les réducteurs de tête Jivaros. En Nouvelle Guinée la chair n’était consommable qu’après assimilation du vaincu à un animal. Certaines tribus iroquoises poussaient le vice jusqu’à forcer leurs victimes à se dévorer elles-mêmes.
On dévore l’adversaire pour incarner la victoire au sens propre, absorber la force de l’autre, acquérir ses qualités, comme une manifestation de jubilation. Les Aztèques croyaient dans les vertus régénératrices à la fois pour l’individu et pour le corps social du cannibalisme collectif. Il suivait les sacrifices. Dans certaines tribus de Bornéo, la chasse à l’homme et la consommation de la cervelle faisait partie du rite passage à l’âge adulte. On retrouve aussi un cannibalisme judiciaire qui relevait de la punition : on rapporte qu’en 1860 l’empereur d’Éthiopie Theodoros obligea l’assassin de deux marchands qui prétextait la famine, à manger ses deux mains.
Endo-cannibalisme : manger les siens
Lorsque le dévorant et le dévoré sont unis par un lien familial ou social direct on parle d’endocannibalisme. Lorsque le cannibalisme se pratique au sein du groupe, les enjeux sociaux et symboliques sont différents. Il s’agira en général de préserver le corps de la putréfaction d’assurer une renaissance au défunt ou de donner un sens à la mort par le renforcement du groupe autour du rite. La dévoration de la dépouille pouvait aussi éloigner les esprits malveillants en les privant d’enveloppe physique. Chez les Amahuaca d’Amazonie, les cendres de la crémation étaient ingérées dans cet objectif.
L’acte cannibalique peut faire suite à une mort naturelle ou provoquée, comme en Papouasie où certaines tribus tuaient les parents trop âgés et les dépeçaient avant de les manger. Dans certains groupes aborigènes d’Australie, la famine pouvait conduire à la consommation des nouveaux nés. La pratique était même systématisée dans certains cas, où il était admis qu’elle permettait la renaissance d’un nouvel enfant plus vigoureux.
On retrouve aussi la notion d’absorption des qualités qui prévaut dans les cas de cannibalisme guerrier. Dans tous les cas ces pratiques répondent aux codes de la parenté et s’inscrive dans le cadre de cérémonies très organisées, où chaque partie consommée, et l’ordre de consommation doit traduire la hiérarchisation des rapports. Le dévoré pouvait faire l’objet d’attentions et d’égards particuliers, et ses restes étaient inhumés dans le cadre de rites funéraires après le festin. Chez les Dieri d’Australie, le corps est placé dans la tombe avant que les parties comestibles soient prélevées et données à manger aux proches parents.
“Un cannibale, c’est quelqu’un qui aime son prochain avec de la sauce” (Jean Rigaux)
Il existe d’autres contextes de pratique du cannibalisme, pour survivre ou simplement par plaisir. Dans toutes les périodes de l’histoire, on retrouve des épisodes de disette qui ont favorisé la dévoration des morts. Ainsi se souvient-on des joueurs de rugby uruguayens perdus sur la cordillère des Andes, ou encore des épisodes sibériens consécutifs à la famine de 1922-24 en URSS. On sait par exemple que deux mille ans av. J.C. en Egypte, sous la Xe dynastie, la famine aurait amené « tous les hommes à manger leurs enfants ». En Papouasie-Nouvelle-Guinée, seule la pénurie alimentaire autorisait la tribu Foré à manger ses morts. A plusiquers rerises, les troupes japonnaises isolées ont dévoré leurs prisonniers, pendant la guerre du pacifique. D’une manière générale, ce moyen de subsistance est moralement un peu plus admis que lorsqu’il s’inscrit dans une pratique culturelle, répondant à un impératif de survie immédiat. Le pape Paul IV a d’ailleurs officiellement absous les survivants du vol 571 Fuerza Aérea Uruguaya.
A l’inverse le cannibalisme s’est aussi pratiqué par goût, la viande humaine étant considérée comme particulièrement délectable par certaines tribus du Pacifique Sud. De même en Afrique équatoriale où certains esclaves pouvaient être achetés spécifiquement à des fins culinaires, engraissés et mis à macérer dans l’eau pour attendrir les chairs. Mais la consommation de chair humaine est aussi motivée par la croyance et l’idéologie. Au-delà des vertus nutritives classiques de la viande, on prête à l’humain des vertus fortifiantes, renforçant la cruauté et le courage des guerriers. Les récits du XVIe siècle relatent que la tribu congolaise des Jagos exigeait de ses guerriers qu’ils fussent cannibales.
Rite cannibale
Diverses croyances investissent l’acte cannibalique d’une charge symbolique très forte. La construction du rituel est conditionnée par le rapport à la mort, au monde et aux ancêtres. Lorsque sa pratique est collective il renforce le groupe, réactualise les mythes fondateurs, permet l’initiation d’un individu. Ainsi les Aztèques sacrifiaient et dévoraient leurs prisonniers de guerre pour que le soleil puisse ressurgir chaque matin.
D’autres cultures associent cette pratique à la violence, la guerre, la vengeance ou à la colère divine. En Afrique et aux Amériques, le sacrifice et la consommation d’une victime expiatoire avait pour but d’apaiser le courroux divin. Cette offrande à l’autre monde ouvre la voie de la purification du groupe et favorise les naissances et donc sa régénération. Quand ce n’est pas le dieu lui-même qui est anthropophage, comme à Tyr ou à Carthage. En Mésopotamie, les dieux concernés ne mangeaient que de l’enfant.
Ces propriétés mystiques font que la viande d’homme était souvent réservée aux élites des tribus : chaman, chefs, sorciers, rois… Certaines cultures y ont recours à titre thérapeutique : on ingère l’organe du quel on souffre pour le guérir. En Europe centrale, jusqu’au début du XXème siècle, des fragments de crânes de pendus étaient adjoints aux potions pharmacologiques. Le cannibalisme peut aussi avoir eu pour objet la protection ou l’exorcisme d’esprits malveillants. L’apaisement ou la séduction des esprits et des fantômes est une justification récurrente. Les peuplades des îles Salomon offraient ainsi aux ancêtres la tête et le sang des sacrifiés, pour que leurs esprits ne viennent pas les hanter. Les Tupi Namba d’Amérique du nord pratiquaient des actes cannibales à l’occasion de renouvellement de sépultures, afin de maintenir l’esprit du défunt au repos.
C’est la rate que je préfère
Les parties du corps les plus prisées restent la chair, les cheveux, le foie, les yeux et le cœur. Il faut aussi y ajouter les fluides tels que le sperme, le lait, les excréments et le sang auquel s’ajoutent le fœtus et son placenta. Dans « Histoire Naturelle » Pline l’ancien fait état des propriétés régénératrices du sang humain.
En Mélanésie on préfère le cerveau considéré comme le siège de l’âme, ailleurs ce sont les os et leur Moelle. Les méthodes de cuisine de la chair humaine sont aussi variées que les peuples qui s’y adonnent. On mange rarement de l’homme cru, la méthode la plus répandue selon Claude Lévi-Strauss reste le bain-marie ; le rôtissage de la victime étant plus fréquent lorsqu’elle est extérieure au groupe social. On trouve aussi les méthodes de boucanage et de cuisson à l’étouffée. Mais certaines tribus considérées comme particulièrement barbares et cruelles mangeaient tout à partie de leur victime en la gardant en vie aussi longtemps que possible. Restent enfin les rites et fétichismes du cannibalisme pathologique, apprécié dans sa dimension transgressive, mais beaucoup plus rare et ponctuel. Ils correspondent à un acte de rejet ou à l’assouvissement d’une déviance.
Présent sur chaque continent et à toutes les époques, le cannibalisme est loin d’avoir disparu. Il s’est plutôt transformé à mesure que la vie des Hommes s’est détachée de la nature, du moins en occident. On persiste à dévorer les autres, non leur chair mais leur force de travail pour se renforcer, leurs idées et leurs propres richesses, pour capitaliser et prospérer. La loi du « manger ou être mangé » n’est en rien l’apanage des cultures archaïque. Nous ne pouvons persister dans la position du juge, et déformer par le prisme de la sauvagerie les interprétations de ces pratiques. Elle était pour Voltaire constitutive de la nature humaine, et donc tout l’inverse d’une marque d’inhumanité.
MdB
Sources bibliographiques :
– W. Arens, The Man-eating Myth, Oxford University Press, 1979.
– L.V. Thomas, Le Cadavre de la biologie à l’anthropologie, Bruxelles, Complexe, 1980.
– M. Patou-Mathis, Mangeurs de viande, Paris, Perrin, 2009.
– J. Jelinek, Encyclopédie illustrée de l’homme préhistorique, Paris, Grund, 1975.
– C. Lévi-Strauss, Cannibalisme et travestissement rituel (1974-1975), In Paroles données, Plon, 1984.
– F. Lestringant, Le Cannibale, grandeur et décadence, Perrin, 1994.
– M. Monestier, Cannibales, histoire et bizarreries de l’anthropophagie, hier et aujourd’jui, Le cherche midi, 2000.
Un autre avatar du cannibalisme se retrouve dans la serie Transmetropolitan d’Ellis et Robertson ou toute une chaine de fast-food propose de la viande d’humain cloné ainsi que d’autres animaux.
On peut ainsi dévorer des “cuisses de bâtards rôties” ou du “français” entre deux “seau d’yeux de caribou” et de “dolphin nuggets”.
Bien que traité de manière amusante, le tabou demeure et un billet d’humeur du personnage principal relate qu’un homme en as dévoré un autre sans son consentement, suivi d’un procès.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par de Boni, Perceval. Perceval a dit: Je lis https://blog.slate.fr/chasseur-d-etrange/2010/10/09/nous-sommes-tous-des-cannibales/ […]
il existait aussi de ce que j’ai lu du cannibalisme pour preserver les genes, certains peuples pensaient qu’on etait ce qu’on mangeait et que manger des humains les preservait d’une augmentation de part animale, à relier avec les pharaons par exemple qui voulaient preserver aussi le sang en se mariant avec leurs soeurs.
j’ai lu que certaines vitamines ou elements vitaux ne se trouvaient que chez les humains, produits par le corps et non dans la nature ou alors en quantités insuffisantes.
C’est plus que vrai, l’homme a toujours ete un loup pour l’homme. Mais c’est aussi affreux de constater que les progres de la civilisation moderne n’ont pas reussi a nous humainiser, au contraire …
La comparaison de l’eucharistie avec un rithme du canibalise peut preter a confusion et encourager les predateurs.
Article enrichissant
bon article bien référencé , cependant votre conclusion me semble plus tirer de l’instinct de prédateur ou de domination que du cannibalisme.
de plus il y à moult références cinématographiques plus ou moins en rapport avec le sujet mais il en manque essentielle à mon humble avis, c’est celle du célèbre film Soleil vert qui vous aurait permis une réflexion que plus poussée sur le sujet (entre autre :pollution extrême, totalitarisme…) qu’une référence à “twiligth ” accrocheuse certes mais peu pertinente 🙂
Les Français ont connu également leurs cas de cannibalisme. Les croisés ont dévoré leurs prisonniers après le siège de Constantinople. Lors de la Révolution Française, des marquises ont été dévorées après avoir été dépecées.
Une pratique existante, vue une fois dans un documentaire, est la dégustation de placenta de la femme enceinte qui vient d’accoucher. Cannibalisme ou pas?
Article très intéressant ! Merci !
Bonsoir,
@ Belizaire : le rite catholique qui consiste à manger une ostie, dont l’usage veut qu’elle se transforme en “corps du christ” dans votre bouche, relève pour le moins d’une parabole du cannibalisme. De même pour le vin-sang. Bien sûr c’est un symbole. Mais il nen reste pas moins qu’à même titre que de nombreux autres rites chrétiens, ce rite contient une transposition de pratiques en usage dans les cultures païennes antérieures. La particularité de ce sacrifice, puisqu’il s’agit d’une “offrande”, c’est que le rapport classique est inversé : c’est ici Dieu offre aux hommes. Un concept révolutionaire en temps et séduisant. Il n’en garde pas moins sa part cannibale.
@ Rémy : oui cannibalisme. Si c’est la mère qui mange son propre placenta je suppose qu’il s’agit d’autophagie.
C’est courant dans la nature, de nombreuse espèces le pratiquent.
@ Laurent
Vous avez raison, Soleil vert est une référence incontournable et je l’ai oublié, j’y avais pourtant pensé lors des recherches. Ceci dit, c’est un film (culte) qui évoque et tend à dénoncer le phénomène. Si je parle de Twilight, c’est à dessin : c’est très actuel, et il n’y a pas de réel recul critique. Son objectif est de donner envie aux ados l’envie de s’identifier à l’imberbe hématophage. Il me semble faire partie d’une série de films ambigus par leur absence de ce recul critique.
Je crois que ce que vous présentez comme les photos d’un corps humain vendu sur un marché asiatique sont plutôt celles d’un supplicié chinois (supplice des cent morceaux).
Le symbole du cannibalisme dans la communion chrétienne (l’ostie étant le corps du Christ, et le vin le sang du Christ) est un acte de sacrifice du Christ pour que l’humanité reconvertie change de pratique, en bannissant le cannibalisme, car l’assimilation symbolique du Christ est aussi l’assimilation de la conscience divine. De ce fait l’occident qui était converti au christianisme a banni le cannibalisme en tant que tel, mais la consommation de viande n’en reste pas moins la preuve que le processus d’assimilation de la vie d’autrui pour se fortifier a simplement changé d’aspect, on mange l’animal au lieu de l’humain pour les mêmes raisons, assimiler la force vitale de l’animal.
Pour bien assimiler l’enseignement du Christ, il faudrait abolir la consommation de viande pour opérer une vraie révolution mentale. Il est temps que l’humain évolue vers cette conscience supérieure.
Quel est le but de cet article??
Que l’homme est un loup pour l’homme dans tous les sens du terme? super… ou à légitimé une tendance, une pulsion, une déviance? on est des lecteurs pas des hannibales l….
On peut rien faire pour toi, ca te fascine, tu as l’air de cherchez une sorte de dé-culpabilisation, en se disant tout le monde l’a fait, le fait et le fera et c’est naturel car commun à l’ensemble de l’humanité….
Mange de l’homme si ça t’intéresse… mais te réfugie pas derrière l’anthropologie..
@Sam.
Le but s’il devait y en avoir un, c’est de titiller ceux qui ont le jugement facile et court en perspective, ce qui semble être votre cas.
L’idée c’est de décortiquer les mécanismes, de tenter de comprendre pourquoi et comment, absolument pas de justifier ou de faire l’apologie du cannibalisme.
Je ne me cache derrière rien, l’anthropologie nous renseigne comme nulle autre, c’eut été une faute professionnelle de ne pas m’y pencher.
Je ne me sens pas coupable de quoi que ce soit, et oui ça me fascine et j’assume. Non merci pour la barbaque, je vous la laisse.
Faîtes attention, ce genre de rumeurs est destiné à pourrir notre société et notre jeunesse, c’est voulu. Il y aaussi des rumeurs totalement fausses sur le sexe du style de celles diffusées par un leader politique français dans les années 68.
C’est quoi cet article a la con ?
@Sam : vous vous emballez. Ce n’est pas parce qu’on disserte d’une pratique, aussi cruelle fusse-t-elle, qu’on y adhère ou qu’on la revendique. La fascination (même morbide) n’implique pas le passage à l’acte. De plus, contrairement à vous, je n’ai pas eu l’impression que le ton de cet article ne révèla quoi que ce soit sur son auteur.
@marcdeboni : excellent travail de documentation avec une couverture mondiale et historique du phénomène, cet article fait disparaître le tabou sur le sujet. La peur primale que l’on peut ressentir dans les propos de Sam est impliquée par son système de pensée indéfectiblement lié à l’entendement général en occident que vous-même rapportez : “Pour l’homme occidental le qualificatif de cannibale est un facteur de déshumanisation radicale, sans compromis possible : toute la société est conditionnée pour le rejeter.” Donc Sam représente le faible pourcentage de la population conditionnée par la société qui a néanmoins le courage d’affronter en face ses peurs en venant lire cet article. C’est louable mais on ne peut que regretter que cela ne l’amène pas à plus de recul sur ce document et vous son auteur…
Merci pour cet article.