Préparez vous un happy end au Salon de la mort !

Vingt-deux heures trente, le 31 mars dernier. “Allons-y, débranchez, c’est terminé”, dis-je avec les dents serrées. Je marche, souffle court et poings crispés, dans le couloir de sortie du service de réanimation de l’hôpital de la Pitié Salpetrière. Un long “twiiiiiiiiit” caractéristique retentit derrière moi. Mon père vient officiellement de mourir, après six long mois d’agonie. Je viens pour ma part de basculer dans une tourmente jusqu’à lors ignorée : l’onéreux maelström administratif de la déclaration de décès et de l’organisation d’obsèques.

John Martin, 1825

Malgré la fin évidente, nous ne nous étions pas préparés, absorbés par l’accompagnement aux derniers instants. Mon père était italien, ce qui n’a fait que compliquer les choses. Il a fallut découvrir “sur le vif”, étouffer tout de suite la douleur, et trouver des fonds importants -plusieurs milliers d’euros- pour ainsi dire du jour au lendemain. Pour éviter ces déconvenues au moment les plus difficiles, 4 millions de Français ont désormais choisi de prévoir le grand départ de leur vivant. Cela donne matière au développement exponentiel du secteur funéraire, puisque 50% de la population devrait avoir souscrit un contrat prévoyance d’ici 2050. La mort est un commerce comme les autres, un marché florissant, avec un chiffre d’affaire annuel de 1.2 milliard d’euros et elle tiendra d’ailleurs son propre salon en avril 2011.

« Comment Mourir ? Nous vivons dans un monde que la question effraie et qui s’en détourne. Des civilisations, avant nous, regardaient la mort en face. Elles dessinaient pour la communauté et pour chacun le chemin du passage. Elles donnaient à l’achèvement de la destinée sa richesse et son sens. Jamais peut-être le rapport à la mort n’a été aussi pauvre qu’en ces temps de sécheresse spirituelle où les hommes pressés d’exister, paraissent éluder le mystère. Ils ignorent qu’ils tarissent ainsi le goût de vivre d’une source essentielle ».

François Mitterrand, 1995, dans sa préface pour « La mort intime » de la psychologue Marie Hennezel.

Cachez cette fin que je ne saurais voir

C’est en partant d’un constat similaire que Jean-Pierre Jouët et Jessie Westhenholz ont fait le pari d’organiser, en avril 2011, un « Salon de la mort !». Déployé au Carrousel du Louvre il s’adresse au public comme aux professionnels. « On subit sa naissance, on essaie de prendre en main sa vie ; il faut pouvoir assumer sa mort, ne pas rester passif », affirme la vivace organisatrice danoise. Au bout de trente cinq ans de carrière dans l’organisation d’évènements prestigieux tels la FIAC, le Salon du livre ou le Salon Nautique, elle a fondé ce projet dès la fin 2008, suite à ses propres expériences de deuil. Un acte militant : « les gens sont désarmés face au tabou, il faut en parler ». 

Mourir est universel. Reste que 60 % de nos concitoyens n’ont pas connaissance des procédures ni des frais liées au décès ou à l’organisation des obsèques, selon une étude réalisée pour les services funéraires de la ville de Paris. Les statistiques de l’INSEE concernant l’évolution de la potentielle clientelle sont édifiantes : le nombre de décès passera de 546 000 en 2009 à 770 000 en 2049, soit une augmentation de 45 %. Les entreprises funéraires s’assurent un bel avenir en contrôlant les arcanes d’un service duquel tout le monde aura un jour besoin. 

Pompe

La mort reste un puissant tabou, une fin que l’on préfère ignorer, oublier, contourner, pour la plus grande joie des multinationales des pompes funèbres. On tend, en occident, à fuir tant que possible le lien avec les défunts, qui nous renvoie à notre propre mortalité. Notre médecine elle-même tend vers l’abrogation du décès. Soigner la mort comme si elle était une maladie. Ainsi au quotidien abandonne-t-on les messes du souvenir et autres rites de la toussaint (moins de 45 % des familles les respectent, selon un sondage du CREDOC). La sous-traitance de cette tâche rituelle, fondatrice et inhérente à la vie en société, fait la fortune des croque-morts.

De la croissance exponentielle de la demande, couplée au rejet suscité par les problématiques de la fin de vie, découle une forte hausse des tarifs. Comme on se cache « ses vieux » en maison de repos, on se cache volontiers « ses morts ». Les temps changent, l’organisation des obsèques est perçue comme un fardeau et non plus comme un devoir. De plus en plus de Français rompent avec l’usage en vigueur depuis la nuit des temps : 42 % estiment aujourd’hui que l’organisation des funérailles doit être payée et assurée par le défunt lui-même. Un terreau fertile pour les « contrats prévoyance » obsèques.

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La mort est t-elle un commerce comme les autres ?

Heureusement la réglementation impose depuis 1999 aux entreprises de pompes funèbres de proposer des devis gratuits, stipulant quelles prestations sont obligatoires (certificat de décès, permis d’inhumation, déclaration de succession, paiement d’une concession ou de la crémation…) ou optionnelles (embaumement sophistiqués, services religieux, accessoires, etc.). Les comparateurs de prix disponibles sur le web permettent également d’éviter les petites arnaques qui sont légions.

Depuis la libéralisation du secteur en 1993, le prix des obsèques s’est élevé de 56%, soit 2,5 fois plus vite que l’inflation. Tarif actuel pour des funérailles basiques complètes : un peu plus de 3000 euros pour une inhumation, 2500 euros pour une crémation, et encore 100 à 200 euros pour un service religieux. Dans des villes comme Paris, cette hausse des prix a pu être limitée par le maintient d’opérateurs publics qui permettent à la collectivité de peser un peu sur le marché. Les tarifs du service funéraire de la ville sont en effet votés par le conseil municipal. Cent trente enseignes « privées » leur disputent les revenus de la préparation et de la tenue des obsèques. Sans compter que de nombreux cimetières de renom subissent des « crises immobilières ». Un funèbre marché de spéculations sur les concessions prospère « sous le manteau ». Le repos éternel au Père La Chaise n’est pas à la portée de chacun.

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Mais là où la compétition entre les opérateurs funéraires est moindre, les tarifs flambent. Sans compter que dans le désarroi du décès, on cède facilement à l’imprécation « d’offrir le meilleur » à son proche disparu. Comme dans le domaine de la petite enfance, la stratégie de la culpabilisation déguisée reste un atout commercial de premier ordre. « Le salon sera l’occasion d’en parler ouvertement. Plus de 200 exposants seront présents, dont certaines grandes enseignes du funéraires. Elles ne s’y rendront pas tant pour exposer du cercueil dernier que pour redorer leur image, percer les abcès et affronter les doutes du public. Nous rêvons d’une grande table ronde », explique l’organisatrice Jessie Westhenholz, en concédant que l’événement prendra la tournure d’États généraux.

Vous mourrez ? Ils en vivent.

L’objectif poursuivi par les organisateurs du Salon de la mort est double : d’une part offrir un cadre d’échange et de visibilité aux nombreux professionnels et d’autre part amener le public à aborder les problématiques liées au décès, sans vergogne. « Pour mieux s’y préparer », ajoute t-elle. Pour ce faire le salon prévoit d’accueillir près de 200 exposants qui présenteront les dernières nouveautés liées à la fin de vie : médecins, gériatres, artistes, thanatopracteurs, religieux, assureurs, associations promouvant les soins palliatifs, la prévention du suicide, partisans de l’euthanasie ; jusqu’aux traiteurs spécialisés dans les buffets d’après funérailles

Jean-Pierre Jouët ne craint pas la polémique. « Il n’est pas question de banaliser mais de normaliser la chose. Il faut réintégrer la mort au sein du vivant » souligne t-il. On est moins vulnérable face à ce qui est familier. Cela passe par la création, c’est pourquoi les organisateurs souhaiteraient associer l’univers artistique. « Je voudrais voir une collection de vêtements de deuils présentée par Karl Lagerfeld, par exemple. On peut imaginer que de jeunes compositeurs proposent leurs services pour des hommages personnalisés. Il faudrait également que les artistes réinvestissent les cimetières ». Il s’agit de « créer une atmosphère, de donner une âme », pour que les 25 000 visiteurs attendus dépassent leurs à aprioris face au macabre.

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Au-delà des bonnes intentions, reste que l’idée de faire du profit sur le dos de la mort hérisse le poil, et qu’un salon reste avant tout un espace commercial. Les grandes multinationales des pompes funèbres elles-mêmes rechignent à trop communiquer sur leurs activités et préfèrent l’intimité, entre professionnels, du Salon International de l’Art Funéraire. « Nous sommes prêts à affronter les critiques », assure l’organisateur : la mort est un marché vigoureux créateur d’emplois, qui implique des savoirs faires qui méritent d’êtres reconnus et rémunérés à leur juste valeur. Inspiré par les pratiques de pays voisins, il souhaite ainsi mettre en avant l’innovation et montrer sans complexes ce que la mort offre de plus moderne. « Ouvrir un débat, un dialogue, pour revenir sur le mystère intime qui nous laisse coi ».

Mourrir tendance : l’écologie et le crématoire ont le vent en poupe

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Les cimetières français sont souvent homogènes, remplis de dalles standard grises et polies. Nous restons assez classiques et conventionnels en matière d’obsèques. Au Japon par exemple, où les cimetières sont plus visités, de nombreux services ultramodernes agrémentent le souvenir. Des codes barres sur les tombes permettent par exemple à l’utilisateur d’un smartphone d’obtenir une biographie détaillée, une épitaphe vidéo ou tout autre contenu que le défunt ou sa famille ont souhaité laissé. Certaines tombes sont également équipées d’écrans LCD, où le défunt apparaît en image animée. D’autres sépultures sont ornées de cloches de protection scellées, montrant au visiteur un objet cher au défunt. Dans un pays où les terrains sont rares et l’incinération une norme, on trouve des cimetières sur plusieurs étages dans des immeubles, et des pages web comme pierres tombales.

By Roger Bambers

By Roger Bambers

En Angleterre il n’est pas rare d’essayer son cercueil, réalisé sur mesure dans des bois non précieux et biodégradables. La société Crazy Coffins propose par exemple toute une gamme de cercueils personnalisés. Au choix : formes de Chaussure, de requin, de sac de sport, de tire-bouchon, avec un motif « Red-Bull » ou même un imprimé « I-phone »… Le web propose des sites destinés à recueillir en détails les volontés d’une personne qui tomberait dans la dépendance ou en fin de vie, et dont le contenu est communiqué au médecin souhaité. Souvent mis en ligne par des opérateurs des pompes funèbres, l’idée serait que chacun prenne ses responsabilités pour ne pas abandonner aux vivants les choix difficiles. Des formulaires à trous permettent de préciser en autres choses si l’on souhaite donner ses organes, qui voudrait t-on voir nous visiter, ce qu’il doit advenir des animaux de compagnie, si l’on souhaite que la médecine s’acharne ou non, quelle drogue choisir pour les soins paliatifs, si préfère mourir seul ou entouré…

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Mais le dernier cri de la mode est bien sûr au « green washing » écologique. Ainsi voit t-on apparaitre des cercueils en « bois durable », en tissus ou en carton biodégradables ; des urnes qui se dissolvent au contact de l’humidité, et qui peuvent contenir la graine d’un arbre de son choix ; des formules de crémation avec bilan carbone réduit… Pour une brillante éternité, la société suisse Algordonza permet depuis 2006 de transformer les cendres de votre cher disparu en diamant (moyennant 2 800 à 10 600 euros selon la taille et la qualité). D’autres entreprises vous promettent de disperser vos cendres dans le vide intergalactique. 

Papy dans le cendrier

En France le secteur connaît un fort développement de la crémation, qui représentait 0,5% des funérailles en 1970 contre près de 30% aujourd’hui. D’une manière générale l’incinération est souvent présentée comme une solution écologique, mais elle pose en réalité de nombreux problèmes de pollution. En cause le plombage des dents, les toxines chimiques médicamenteuses, les vernis du bois, et autres produits toxiques utilisés dans l’embaumement. Ainsi les sédiments des grands lacs américains ont t-ils révélé de fortes pollutions au mercure probablement dues aux cendres humaines.

 Urne sable

La crémation n’a été tolérée par l’église catholique romaine que depuis 1963, contre 1898 chez les protestants. Un accord de l’évêque reste cependant nécessaire pour la tenue d’une messe face à une urne cinéraire, même si des prêtres l’acceptent aujourd’hui. On ne dispose plus des cendres à sa guise depuis 2007. Les urnes sont désormais scellées et tracées, il faut déclarer leur dispersion et les garder chez soi expose à 15 000 euros d’amende. Les cendres ne peuvent être libérées sur la voie publique, dans une rivière ou à moins de 300m d’un rivage.

Selon l’article de loi du 19 décembre 2008, les seules destinations possibles sont l’inhumation de l’urne dans une sépulture de famille, ou une case columbarium, le scellement de l’urne sur la sépulture de famille, ou la dispersion en pleine nature et dans les espaces aménagés à cet effet. Xavier Labbée, professeur d’éthique à l’Université de Lille II explique que ces dispositions entendent notamment mettre fin à des situations incongrues, liées à l’évolution de nos sociétés. D’abord placée sur la cheminée, l’urne se perd parfois dans les déménagements, lors d’un décès sans héritier ou au gré des divorces. Certaines se trouvaient vendues en braderie, saisies par les huissiers, abandonnées dans le métro, enfermées dans les consignes à bagage…

Loin du bois de chauffage, des hydrocarbures de combustion et des gaz à effet de serre, la solution dernier cri, propre et  moderne, nous vient tout droit de Suède : la promession. Ce dispositif encore interdit en France, repose sur la congélation du cadavre à l’azote liquide. Il permet une pulvérisation des restes à moindre frais, par vibration. Il en ressort une poudre rosée parfaitement biodégradable.

 

En attendant, si vous cherchez par où commencer à prendre votre mort en main, sachez que de plus en plus de gens s’écrivent une oraison funèbre, ou l’enregistrent sur magnétophone. Un bon moyen de se lustrer le blason avant de passer au purgatoire. Si vous êtes inspirés, « Le Salon de la mort ! » pourrait même lancer un concours d’épitaphes pour sa première édition… Comme disait Sacha Guitry à Yvonne Printemps : « Sur votre tombe on mettra pour épitaphe « enfin froide ». Réponse de la dame : « Et sur la votre on mettra « enfin raide »…

MdB

Un commentaire pour “Préparez vous un happy end au Salon de la mort !”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par analienfeed_ et de Boni. de Boni a dit: ‎"On subit sa naissance, on essaie de prendre en main sa vie ; il faut pouvoir assumer sa mort" http://tinyurl.com/3x3knhw […]

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