Gardes à vue, démentis et confidences rebondissantes font oublier l’information sociologique déterminante que rappelle l’affaire Bettencourt. La preuve est faite s’il en était besoin: les Hauts-de-Seine sont devenus le nouveau Versailles, un cœur géographique du pouvoir; l’office central de distribution des enveloppes Kraft. C’est là que se nouent les drames de «la France d’après la rupture», que se répètent les prestations «décomplexées» des jongleurs financiers. L’œil averti ou le paparazzi bien caché peut observer ces hommes de pouvoir et autres contribuables d’exception, évoluer dans leur habitat usuel. Petite exploration aux abords de la rue des milliardaires.
L’affaire Bettencourt, on tombe dedans quand on est petit. Petit journaliste, parce qu’il faut bien commencer. C’est par excellence un casse tête télévisuel, qui promet de longues heures de planque et quelques courses poursuites aux limites de la déontologie. Il faut s’y résoudre: les millions cachés, les fraudes fiscales, le trafic d’influence ou l’abus de faiblesse ne s’illustrent pas bien à l’antenne. Cela ne vaut pas la belle image d’un Rainbow Warrior envoyé par le fond. Et un François-Marie Banier mollasson, ça ne sonne pas comme un Villepin en croisade pour sa vertu.
Au Pays de Neuilly tous les chats sont gris
C’est donc là-bas, à Neuilly, qu’on trouvera quelque chose à observer, pour comprendre un peu mieux les mœurs de «ces gens-là». Une belle contrée toute en pelouses bien tondues, où l’on vit entre gens de bonne condition: hommes d’affaires, PDG, avocats, médecins, politiques, rentiers… Et toute la cohorte de leurs suivants et obligés. Vous imaginez déjà les rues bordées de palmiers ? Des pinups siliconées qui font du roller en minishort? Des files de «Porsche Cayenne» qui laissent courtoisement traverser de vielles dames veuves et riches? Détrompez-vous, il n’en est rien…
S’il faut encore rappeler que la matrice du pouvoir actuel est enracinée dans cette ville de banlieue, c’est parce qu’en France, on reste riche quand on sait le cacher. Prenons un exemple d’actualité, donc. L’habitat de Liliane Bettencourt se trouve nichée dans un dédale résidentiel morne et tranquille. Vu depuis le rond point Saint-James, le mur d’enceinte plutôt «discret» occupe un bon tiers du trottoir droit de la rue Delabordère. A l’opposé, un unique et taiseux pharmacien tient le monopole du commerce local. Chaque lampadaire est orné d’une gracieuse lanterne qui indique le numéro de la propriété correspondante. Autant dire que les 18, l’adresse de «madame», sont légion.
Une rue qui ne paie pas de mine, mais que la fortunée vieille dame partage avec Martin Bouygues, le couturier en retraite André Courrèges, l’ex-ministre Maurice Herzog et quelques autres bons clients des banques. Tous sont ou ont été par le passé d’honorables administrés, voisins, et à l’occasion de généreux mécènes de notre actuel Président.
Au numéro 18 donc, les deux portails sans affichettes au nom du propriétaire scellent des allées privées. Ils sont noirs, austères et bien entendu équipés d’un interphone dernier cri. Seule une boîte à lettres dorée ouvre une gueule béate, en attendant de bonnes nouvelles du centre des impôts. Et pour cause, selon l’avocat du gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, pas moins de 100 millions d’euros de remboursements fiscaux y auraient été déposés ces quatre dernières années.
Derrière les murs, des arbres oblongs forment un voile pudique qui dissimule la propriété. Seules les rondes des gardiens, soucieux de chasser les photographes indiscrets qui perturbent l’inertie des lieux. On distingue facilement un pavillon massif de plusieurs étages, dont l’architecture vaguement futuriste laisse circonspect. Les beaux volumes combinés au cours du foncier local laissent tout de même rêveur. «Ce n’est que la maison des gardiens», indique en passant un employé de la ville.
Nous n’avons pas la même valeur
Tout s’éclaire. En regardant mieux, un immense pavillon blanc d’au moins quatre étages peut être entraperçu en arrière plan. Un bâtiment tellement grand que l’on croit d’abord apercevoir un immeuble de l’autre versant du pâté de maisons. En plus d’être aussi large que la rue, la propriété est assez profonde pour cacher presque totalement le nid douillet de l’héritière L’Oréal. Les nombreuses fenêtres de l’hôtel particulier sont toutes fermées. «Madame est en vacances, il n’y a personne jusqu’en septembre», annonce alors un domestique à Ray-Ban, en espérant décourager les trois journalistes qui montent la garde. En vacances, en attendant son audition par la brigade financière, dans son énorme propriété de Bretagne près de la superbe île de Bréhat, où elle aime se rendre en hélicoptère.
Ils sont nombreux à travailler pour la grande fortune, malgré le calme apparent. L’été est l’occasion des grands travaux, et dans le parc une batterie de jardiniers s’affaire. Ils sortent régulièrement se soulager dans les toilettes de chantier, qui trônent seuls dans la rue Delabordère. Dans le quartier, on ne partage pas ses WC avec n’importe qui. Au gré du va et vient des ouvriers, le portail laisse entrevoir des chemins ombragés, de belles étendues de verdure dont on ne distingue pas la fin. Difficile d’en découvrir plus sans enfreindre la loi.
Et cette dernière option semble mal avisée, à voir la ronde des véhicules banalisés aux vitres teintées qui font le tour du quartier. Et n’importe qui serait ruiné avant d’atteindre le standing pour passer inaperçu dans une telle contrée. C’est d’ailleurs ce que la police s’applique à faire sentir en n’hésitant pas à multiplier les contrôles d’identité dès que l’on traîne un peu trop dans les alentours. D’abord en voiture, ensuite à vélo, enfin à pied; histoire de ne pas avoir l’air de s’acharner.
C’est que dans cette rue déserte, en plus des gardes du corps, des flics et des employés, on trouve une autre Bettencourt, celle par qui tout le scandale est arrivé: Françoise Meyers-Bettencourt. En effet la mère et la fille qui se déchirent sur la place publique ne s’adressent plus la parole depuis des années, mais vivent à quelques dizaines de mètres l’une de l’autre. Dans un microcosme où la discrétion reste le maître mot, cela n’étonne pas vraiment les quelques riverains de passage. Ici on se côtoie sans se connaître, on se jauge et on se méfie. Une chose est sûre, la profusion de journalistes enhardis par l’affaire, attire une attention qui ne plaît à personne.
Marc de Boni
C’est d’ailleurs ce que la police s’applique à faire sentir en n’hésitant pas à multiplier les contrôles d’identité dès que l’on traîne un peu trop dans les alentours.
Tres bon article, ceci dit tout ça c’est l’argent et c’est des riches, alors il n y a pas de quoi s’etonner. Le truc mon cher journaliste c’est de ne pas laisser tomber, et que cette affaire soit etouffée comme ça arrive des fois.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par misajey et misajey, Slate.fr. Slate.fr a dit: Bettencourt: A quoi ressemble (de très loin) un pied-à-terre de milliardaire? http://bit.ly/cXXn94 […]
Ca c’est du journalisme