Pourquoi faut-il que nos grands-parents continuent à faire l’amour ?

 

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by Erwin Olaf, Kate M. www.erwinolaf.com

«Bien évidemment, on ne se trouve pas beau tout nus quand on est un couple d’octogénaires!», s’exclame Thérèse Clerc, du haut de ses 82 ans. «Mais j’aime que mes amant(e)s soient intelligents. Ces messieurs ont parfois des difficultés, ces dames n’ont plus la même fermeté. On est plus du tout dans la performance. Les prouesses sont inutiles, on devient souvent plus attentif au plaisir de l’autre qu’au sien». Quant on est vieux, l’amour se pratique en longueur, avec patience. Son diagnostic est sans appel: la galipette est l’un des meilleurs conservateurs qui soient. Dans une France dont la toison grise vire au blanc, la sexualité des personnes âgées est un enjeu majeur de société.

Thérèse Clerc à le sourire sans âge d’une combattante. Ses mains fripées racontent le mariage, les 4 enfants. Son œil insoumis et gonflé d’une vie trop chargée tourne la page de ce cliché en noir et blanc à coup de ras le bol pré-soixante-huitard. Elle a vécu la croisade pour l’émancipation des femmes. Elle a pris son envol pour défricher la liberté sexuelle, multiplié les aventures. Et elle ne s’arrête jamais. Aujourd’hui, elle mène sa bataille à la barre de son arche de Noé, la Maison des femmes de Montreuil. Toute l’année, la matriarche et sa cohorte de recrues accueillent, conseillent et réconfortent les jeunes et les vielles femmes, seules ou en difficulté.

Foxy Grany

Lorsqu’elle dialogue avec ces femmes, la féministe s’alarme de voir ressurgir les vielles marottes de la morale sexuelle rigoriste qu’elle a combattue dans ses jeunes années. «Pour la première fois l’espérance de vie amène les femmes à vivre autant de temps ménopausées que fécondes. Le carcan du rôle maternel et reproductif limitant doit donc définitivement tomber en désuétude. Sans compter l’explosion de la proportion de personnes âgées dans la population. Il est urgent de poser publiquement la question de la prise en compte de la sexualité comme enjeux de santé publique, notamment chez les seniors, et d’autant plus pour les femmes ».

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Au temps des amours pleins de jeune sève, c’est assez souvent le garçon qui cherche à lancer les ébats amoureux. Avec l’amoindrissement physique et la modification des équilibres hormonaux, la fougue cavalière de l’étalon s’étiole, sans compter le désamour de soi, lié notamment à la peur de l’impuissance chronique. Avec l’âge, c’est donc souvent l’épouse qui se trouve en situation de prendre le relais et l’initiative, afin de maintenir l’équilibre sexuel et affectif dans le couple. C’est notamment ce qui pousse Thérèse à se concentrer sur l’émancipation tardive de ces dames vénérables: les femmes sont bien souvent la clé.

Son grand âge et sa liberté de parole lui permettent d’aborder les sujets les plus délicats de l’intimité. « Le désir, même s’il est moins passionnel reste présent chez de nombreuses personnes âgées. C’est vécu comme un drame, une honte. Du coup la frustration génère de l’aigreur et de l’amertume». Et c’est d’autant plus vrai chez les femmes, qui ne connaissent pas «les troubles mécaniques» incapacitants de ces messieurs, ou qui se trouvent confrontées au veuvage et sombrent dans l’isolement. «Après 80 ans, on compte beaucoup plus de femmes que d’hommes. Sans compter que nombre d’entre elles ont pu connaître une relative misère sexuelle dans le cadre du couple », ajoute t-elle, un brin vindicative.

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La démographie, le sexe et la jeunesse des vieux

L’argumentaire de la militante est imparable: la pyramide des âges impose la sexualité des seniors comme un enjeu majeur, car cela aide à viellir bien. «Avec l’espérance de vie qui s’allonge, la France comptera en 2050 plus de 10% de plus de 80 ans dans la population. Sachant que les frais de maintient à domicile pour une personne dépendante avoisinent parfois les 700 euros par jours, on ne peut pas se permettre de se laisser décrépir, de peser à ce point sur la société à venir ». Or le désir permet de conforter la confiance et l’estime de soi, parfois mise à mal par le vieillissement. Le désir pousse à prendre soin de soi, entretien la sociabilité et la vivacité intellectuelle. Sans compter toute une gamme de bénéfices médicaux reconnus.

Malheureusement, les lieux communs tendent à enfermer le troisième âge dans un monde figé qui sent la naphtaline, sans plaisir, sans désir. Etre vieux en occident, c’est triste. Bien souvent, les anciens sont cantonnés à l’attente de la mort dans des établissements impersonnels par nécessité, infantilisants, et où l’on se prépare à les oublier. «Avec des lits de 80 centimètres, des murs en carton pâte et des portes qui ferment rarement, c’est sûr que la vie amoureuse n’est pas une option en maison de retraite. Elle y est même souvent implicitement interdite», constate Thérèse. Cela génère une souffrance et condamne un outil de bien-être.

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La sexualité est toujours pour Thérèse une grande source de joie, un élixir de jouvence. Elle y puise sa confiance, c’est une bravade charnelle jetée à la mort qui attend. Elle avoue, un peu lasse, préférer désormais les femmes. Le maintien d’une activité amoureuse est un précepte fondamental de sa philosophie: «Vivre en termes de service et non de pouvoir, être pleinement ce que l’on peut être, créer la vie partout et toujours, remettre en question les pulsions de mort si chère à nos sociétés patriarcales, changer la civilisation du mépris en civilisation du regard ».

Elle l’a constaté trop souvent, « la pulsion de mort emprisonne l’esprit comme la vieillesse séquestre le corps». C’est sa bataille et son rêve: animer «une université populaire du savoir des vieux et du désir». Avec ses amies «les Babayagas», elle souhaite fonder une maison de repos pour femmes, autogérée, avec des clés aux portes et des lits doubles. En attendant, elle fait le tour de la France, de colloques en conférence, pour sensibiliser les pensionnaires des maisons de retraite… Elle prend un malin plaisir à malmener leur pudeur en brisant les tabous. Sa vivacité force le respect, mais elle se sent encore être une exception.

Calendrier seniors
Calendrier seniors

Dit papy, comment tu fais les bébés ?

Pourtant, une autre étude américaine récente, présentée par le docteur Marc Ganem, président de l’Association Mondiale de Sexologie (WAS), démontre que malgré les lieux communs, le sexe reste un sujet d’intérêt de modéré à fort pour 55% des femmes et 75% des hommes. En 2007, une publication scientifique du New England Journal dévoile que le quart des sondés de la tranche 75-85 ans affirmaient avoir eu une relation sexuelle dans l’année, un taux qui double chez les 65-74 ans. Il est incontestable que les nouveaux seniors, à âge égal, ont une libido plus libre que leurs prédécesseurs. Cependant cette sexualité reste présentée comme déclinante.

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Jean Marin est une preuve vivante et heureuse de la continuité de la vitalité sexuelle tout au long de la vie. Porté sur le batifolage dès sa prime jeunesse, cet ancien professeur de sciences naturelles fut l’un des pionniers de l’éducation sexuelle au lycée, dans les années 70. Le vieux monsieur de Bagnolet vit aujourd’hui une union libre avec son épouse, «la meilleure des femmes». Avec le temps le désir réciproque s’est fait moins exclusif et ils ont choisi d’accepter les aventures extra conjugales. Octogénaire rayonnant, Jean prouve au fil des photos de vacances qu’il fait toujours du camping sauvage avec son amante, une jeunette qui aborde la soixantaine.

La plupart de ses connaissances du même âge jalousent cette relation. Selon lui, ils «se projettent davantage dans la mort qui approche, au lieu de se concentrer le temps de vie qu’il reste». Lui, la mort, il y pense rarement, toujours avec sérénité. Son souhait ardent, qu’il avoue volontiers égoïste, serait de s’éteindre au zénith d’une étreinte, dans les bras des son aimée.

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En ce qui concerne le feu de l’action, Jean Marin concède volontiers qu’il est un peu moins ardent, que les vieux os limitent la créativité. «Nous avons dépassé les rapports de domination, nous sommes passés à une relation de complicité profonde. L’exposition réciproque de nos faiblesses intimes nous y amène naturellement». La capacité de ressentir le plaisir tactile reste intacte, détaille t-il, même si l’on ne jouit pas toujours. La qualité variable des érections l’amène parfois à se satisfaire de la seule contemplation du plaisir qu’il procure à sa partenaire. Le pénis devient un peu secondaire, et d’une manière générale, le coït est beaucoup moins systématique. «Mais je n’ai pas à me plaindre», assure t-il.

«Bien sûr que nos idylles ne sont pas exempte de soucis techniques. Le “savoir aimer” implique une anticipation des changements, de l’échange et de la modestie mais offre une sexualité beaucoup plus riche et féconde». Avec le grand âge, Jean Marin dit toucher du doigt une forme de perfection amoureuse qui lui était jusqu’à lors inaccessible. Sans domination, sans affirmation de puissance, la qualité s’impose sur la quantité. Et a voir son sourire épanoui, on a envie de le croire sur parole.

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Que disent les «études scientifiques»: après 70 ans, le sexe permet de grader toutes ses dents

En premier lieu, l’activité physique soutenue qu’implique une libido bien exploitée permet la diminution des risques cardiaques et des cancers (étude américaine du Cancer Council of Victoria en 2003). Plusieurs études japonaises et australiennes ont mis en évidence l’effet préventif du sport de chambre pour les cancers de la prostate, de même que l’effet protecteur de la stimulation des tétons féminins face au cancer du sein. Le glandes mammaires libèreraient alors une hormone, l’ocytocine, également très présente lors de l’orgasme. Le sexe permet également d’agir sur un certain nombre de pathologies chroniques largement répandues dans les populations âgées. Le British Medical Journal publiait en 2000 une étude selon laquelle les patients pratiquant une activité érotique étaient moins touchés par le diabète, l’hypertention, ou les troubles cardiovasculaires.

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Le docteur Guillot, neuropsychologue en retraite de 74 ans, confirme le bénéfice médical procuré par l’activité sexuelle: les fonctions intellectuelles sont préservées dans de meilleures conditions que chez les sujets «sédentaires». Le sexe permet simplement une bonne oxygénation du cerveau et favorise également la production de substances bénéfiques pour le cerveau et le système nerveux. Un étude écossaise, réalisée sur 3.500 patients âgés de 18 à 102 ans par le Dr David Weeks du Royal Hospital d’Edimbourg, a observé qu’une moyenne de trois ébats hebdomadaires prolongeaient l’espérance de vie de 10 ans.

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Alors que les génération du baby-boom attendent en rang serrés sur le seuil du grand âge, la nécessité de lever ce tabou prend une dimension toute particulière. Une société qui vit bien ses seniors (et donc où ces derniers vivent bien) est une société qui n’aura pas à en porter la charge comme un fardeau, dont les dépenses médicales seront limitées par une préservation de leur autonomie, dont la vie des jeunes générations ne sera pas entièrement confisquée par le devoir moral d’assistance aux ainés. Il s’agit de se préparer à la France d’après, une société où la norme sera la ride et le poivre-et-sel, et pour laquelle nous devons éviter qu’elle ne se termine en déambulateur.

MdB

Pour conclure, une petite histoire, à voir sans hésiter.

Et à ne pas rater, la BD “Les petits ruisseaux”, par Pascal rabaté, actuellement en cours d’adaptation pour le cinéma.

Photo de une : A couple known as Grandpa Woodstock and his wife Queen Estar walk in town near the site of the original Woodstock Music Festival in Bethel, New York August 14, 2009. A concert featuring a handful of the original bands is planned for Saturday at the Bethel Woods Center to commemorate the 40th anniversary of the festival. Crédits REUTERS/Eric Thayer

Photos d’illustration 1 et 4 par Erwin Olaf  / www.erwinolaf.com

7 commentaires pour “Pourquoi faut-il que nos grands-parents continuent à faire l’amour ?”

  1. Bonjour

    j’ai connu Thérèse à Besançon il y a 7 ans, ce fut pour moi un vrai bonheur de l’entendre parler librement de la sexualités avec son franc parlé qui en a choqué plus d’un et une !!!

    Bravo à elle ! Je côtoie la sexualité tous les jours vu que je suis hypnothérapeute, et je trouve des gens en pleine déprime, hommes et femmes, dans un état de détresse vu le manque de rapports amoureux.
    Vive la libération sexuelle des séniors, défoulez vous vous serz rayonnants et vivrez plus temps en pensant toujours faire l’amour !

  2. Je ne suis pas tout à fait d’accord.
    D’un côté je vous suis au sujet du tabou sur la sexualité des anciens, qu’il faut combattre.
    Mais il ne faudrait pas non plus étendre au 3éme âge l’aliénation véritable que constitue l’obligation contemporaine de performance sexuelle (avec la bénédiction des laboratoires pharmaceutiques : Viagra),
    et inversement ne peut-on considérer la vieillesse comme un(e) oasis dans une société de plus en plus obsédée par la sexualité (à tel point que certains, par défi, se proclament désormais asexuels…)
    Les choses sont donc plus ambivalentes qu’elles ne semblent au 1er abord….

  3. Je suis d’accord avec vous, il faut prendre garde à la systématisation. La sexualité est fondalement individuelle et ne devrait pas répondre à la normativité. Mais malheureusement sur le plan sexuel, les personnes âgées ne sont pas dans un oasis mais plûtot dans un ghetto. Je crois que l’enjeu n’est pas tant d’en parler (bien que ce soit important) mais bien d’accepter que cela fasse partie de l’ordre des choses.

  4. […] mort, la sexualité des séniors prend des visages différents. Un article intéressant à lire sur Chasseur d’étrange. (0 vote)  Loading […]

  5. les vieux qui font l’amour sont en général en bonne santé .Dire que baiser préserve d’un tas de maladies me parait abusif.La retraite sexuelle n’exclut
    pas non plus la sérénité et le bien-être .

  6. Plusieurs études semble t-il sérieuses et accessibles ici prétendent le contraire. En ce qui me concerne je ne crois pas que la baise en elle même prévienne des maladies, je crois que la vie sexuelle met en branle une réaction en chaine comportementale qui tend résolument vers la vie, et donc le bien être.

  7. le calcium est pour les os ce que le rapport sexuel est au moral. et on sait qu’aujourd’hui le moral a une place non négligeable dans la bonne santé, l’équilibre (ou le bon rétablissement) d’un individu. par le fait, qu’avant tout c’est un sport (“pratiquez une activité physique régulière” nous conseille le ministère de la santé) et pour ses vertus bénéfiques telles que l’endorphine et d’autres trucs… et je pense que comme un médicament, cette prescription n’est pas à administrer à tout le monde aussi facilement. en attendant on fait surement moins la guerre… (désolée j’ai ripée un peu sur le sujet, mais pas tant finalement)

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