Résolutions 2010 : manger écolo. Je teste pour vous l’extrême Bio

« Bonne année, bonne santé, que vos vœux soient exhaussés »… C’est bien gentil pour la forme. Me voici cloué au lit, le ventre noué, et le corps courbaturé depuis trois jours; probablement une très vilaine indigestion. Tel est le prix des festins immodérés de la période de Noël. Trop mangé et visiblement mal mangé aussi… Enfin pardon pour mes hôtes, mais c’est l’avis de mon estomac. Et puisque la mode du moment est à la résolution, que les modes de production alimentaires actuels menacent la survie de l’espèce et que Copenhague n’a rien donné, j’ai décidé d’essayer de me nourrir proprement et correctement, autant que faire se peut. Manger moins mais Bio en somme. Mais la résolution se doit aussi d’être bonne, il faut donc que ce soit Bio et écolo. C’est là que les choses se corsent…

Macgros 

 Il y a écrit sur la boite que les produits issus de l’agriculture Biologique préservent la santé du consommateur. Mais leur production coûteuse et leur commercialisation ne garantissent pas forcément la sauvegarde de l’environnement.

 

« Le Bio. Bon pour la nature, bon pour nous », ce slogan adopté par la commission européenne en 2008 pour lancer sa campagne de promotion de l’agriculture Bio (AB), sonne comme une vérité universelle. Malheureusement mon banquier, lui, ne perçoit pas l’universalité. Mais en bon citadin, résolu à braver le diktat financier qui prétend atteindre à ma santé alimentaire, je vais au supermarché. Et de retour chez moi, mes sacs pleins de produits « Bio » de marque « distributeur », je suis consterné par la quantité d’emballages inutiles. Mais c’est vrai que la conscience tranquille, les biscuits sont meilleurs. 

Les normes AB permettent par exemple l’utilisation de produits chimiques tant qu’ils sont naturels. C’est mieux certes, ceci dit des produits naturels trop concentrés peuvent être très polluants (lisier de porc, bouses de vaches, contaminées aux antibiotiques ou par des vitamines de synthèse, etc). Ils favorisent certains champignons toxiques, ou les concentrations excessives en nitrates… On peut ainsi produire Bio sur une terre totalement souillée. Sans compter les produits qui impliquent un fort impact carbone dû à leur transport et à leur conditionnement. Le blé de mes petits gâteaux secs par exemple, peut tout à fait provenir de Roumanie. La production intensive qu’implique la commercialisation massive du Bio tend à aggraver ces travers. Pour ne pas faire les choses à moitié et que cette résolution soit vraiment bonne, j’entreprends de chercher ce qui se fait de plus « radical » dans le domaine.

 

Il y a toujours, et notamment chez les écolos, des irréductibles puristes. Ils veulent dépasser les limites du Bio conventionnel et les mirages du « marketing vert », et ont adopté la Bio-dynamie, un modèle d’agriculture qu’il estiment à la fois performante et régénératrice pour son environnement. Ces méthodes agricoles promeuvent un modèle de « fermes en fonctionnement autonome », et reposent sur deux piliers essentiels: l’enrichissement des sols par le travail du compost fertilisant, et l’optimisation naturelle des performances propres aux plantes cultivées. On utilise les produits de la ferme pour l’alimenter, comme au bon vieux temps.

Développées dès 1924 à partir des travaux controversés de l’ingénieur-mystique allemand Rudolf Steiner, ces techniques entendent conjuguer les contraintes environnementales de chaque exploitation pour optimiser la qualité, selon un cahier des charges strictement adapté à la biosphère. Le cycle des astres est également pris en compte afin d’exploiter les performances des terrains et des plantes. Chaque paramètre qui influe naturellement sur la culture est exploité: le vent, les cycles lunaires, solaires, et planétaires, le rythme biologique, la faune et la flore… Mais certaines de ces pratiques semblent d’inspiration plus mystique que scientifique, avec par exemple l’utilisation de calendriers astraux très complexes ou l’utilisation des fameux « préparats dynamisants ». Les réserves et critiques sont encore très nombreuses quant à cette pratique.

A quoi ça ressemble en vrai ?

Pour juger, autant se rendre sur le terrain. Une enfilade d’éoliennes brise la monotonie du terrain beauceron. Un air de campagne futuriste, où le développement durable a pris ses droits, à une heure et demi de Paris. Direction la ferme des Bleuets, 60 hectares perdus dans la région Centre. On y produit des œufs, du blé, du seigle, du maïs ou encore des lentilles. Deux poules par mètre carré, en plein air toute l’année et nourris aux céréales bio : la polyculture ici est un paramètre fondamental. « C’est de l’homéopathie agricole », explique le chef d’exploitation Jean-Marie Loury, paysan cinquantenaire au regard perçant. Certifié Bio depuis 1982, il est passé en Bio-dynamie en 1997. Ce n’est pas un ingénieur agronome, mais il connait sa terre d’instinct.

Son trésor se cache dans la cave de l’exploitation : la bouse de corne. Cet humus se compose de bouse ou de fiente de poule, d’abats, de sillice, de paille et de plantes, le tout conservé dans des pots de céramique enfouis dans la tourbe. Du caviar au parfum de sous-bois. Ce fertilisant est mis en terre par petites quantités deux à trois fois par an dans des cornes ou des crânes de vaches, qui font office de diffuseurs. « C’est un peu de la sorcellerie », reconnaît l’agriculteur.

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Son chaudron s’appelle « le dynamiseur ». Une barrique de bois, un moteur et des pales qui reproduisent le courant de l’eau des rivières pour transformer les mixtures que l’on y dépose en humus. S’ajoute le suivi d’un calendrier astral, où il est dit que par la réverbération de la lumière sur les planètes, la prise en compte du cycle astronomique permet d’influer sur la photosynthèse et la croissance des végétaux.

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On trouve également des fioles d’apothicaire, des « préparas Biodynamiques » à base d’eau de pluie enrichie de pissenlit, d’écorce de chêne, d’ortie ou encore de camomille. Ces produits mélangés au compost doivent agir dans les sols pour en activer les éléments, comme un levain. Ils optimisent le renouvellement de la terre à tel point que selon l’exploitant, la ferme se passe totalement d’engrais depuis 8 ans. L’arrosage se fait essentiellement à l’eau de pluie.

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Les rendements restent acceptables : 45 quintaux à l’hectare pour l’orge par exemple, pour une moyenne nationale de 69 quintaux en 2006, en culture intensive, la différence étant en partie compensée par un faible coût de production. Ses revenus suffisent à nourrir M. Loury, ainsi que deux autres employés à temps partiel. Le paysan utilise 100 grammes de “bouse de corne” dans un minimum de 30 à 35 litres d’eau par hectare. Pour des parcelles inférieures à 10 ares (1000m²) on utilise 10 à 20 grammes dans 5 à 10 litres d’eau, et le tout est pulvérisé.

Lui, il s’en fout de savoir si les labos estiment que son crâne de vache suffit à fertiliser un hectare de champs ou non, il constate que ça pousse, à moindre frais, proprement et que c’est bon. Et c’est vrai qu’il n’y a pas à dire, ses poules commes ses épis de maïs multicolore sont canons.

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Plus écolos que les « géants verts »

Ils sont 260 producteurs comme lui, à vendre leurs produits sous le logo orange de la marque Demeter. Les produits Bio-dynamiques s’achètent directement à la ferme, parfois à Rungis, en AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) ou dans les boutiques de produits Biologiques, à même prix que les autres produits Bio.

Le credo marketing de Demeter : créer un « produit citoyen » véritable et battre en brèche la tendance vert pâle qui teinte les rayons des grandes enseignes. La contre-attaque du « Green-Washing » des marques distributeurs est déjà sans merci. Pour rester abordables, elles délocalisent l’approvisionnement, achètent à moindre coût en Europe de l’est et bénéficient de normes européennes moins strictes qu’en France. Selon le site du ministère de l’agriculture, 95 % de la production Bio de la Hongrie est exportée vers le nord et l’ouest de l’Europe. La culture Bio explose en Roumanie, avec 75% de croissance en 2006-2007, principalement à destination de la Suisse et de l’Allemagne. 

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Pour faire face, Demeter inscrit son activité dans le cadre d’un projet de société sous-jacent. Le modèle propose un renouvellement des rapports humains et de la proximité, entre le consommateur, le producteur et le produit. Chacun se trouve en position d’agir directement pour un développement « vraiment » durable, par une démarche de consommation « moins individualiste ». « Avec des fermes plus autonomes et plus propres, on réduit sur le long terme le coût de production comme l’impact sur la Biosphère », souligne Gauthier Baudouin. Le responsable des relations presse au siège de Demeter déplore « l’évolution laxiste » des certifications Biologiques européennes.

Cultiver une solution d’avenir ?

Les demandes de certifications sont en forte augmentation, notamment dans la vigne qui représente près de 50% des cultures Bio-dynamiques. La faible surface moyenne des cultures, « l’effet terroir », le succès croissant des vins Bio sans sulfites, favorisent la diffusion de ce modèle parmi les vignerons. Signe des temps, le vignoble Bio-dynamique bordelais du Château Lagarette s’est invité à la table du président, sélectionné pour la « garden party » de l’Elysée le 14 juillet 2007. Ce cru est également distingué par divers prix et sélections.

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Mais l’objectif de Demeter reste de conquérir les fermes d’élevage. Loin d’une lubie de micro cultivateurs idéalistes, la Bio-dynamie s’applique aussi à des exploitations de grande taille. La ferme Chassot dans l’Allier élevait par exemple 300 bovins sur 260 hectares, en plus de sa production céréalière. Pionnier en Australie, Alex Podolinsky s’est appliqué depuis les années 50 à adapter les méthodes de Rudolf Steiner à l’échelle d’exploitations dépassant le million d’hectares. En formant les « farmers du bush », il a adapté les techniques et préparations Bio-dynamique aux sols de chaque pays, et soutient aujourd’hui ce qu’il estime être « l’agriculture d’avenir ». 

Les adeptes français de la Bio-dynamie espèrent bénéficier de l’objectif annoncé par Borloo dans le cadre du Grenelle de l’environnement, d’atteindre « 20% d’alimentation Biologique à haute valeur environnementale » dans la restauration collective en 2012. Certains « Bio avant-gardistes » se prennent même à rêver de parvenir un jour à s’approcher de l’autonomie alimentaire des régions françaises.

En ce qui concerne ma bonne résolution, non comptant la satisfaction de me sentir dans l’air du temps, je détiens désormais la clé d’une conscience ultra-tranquile, en mangeant mes œufs ultra-Bio… Reste que ça fait toujours mal de devoir batailler et payer plus cher pour des aliments qui ne sont finalement que “produits normalement”. Mais à ceux qui doutent encore du caractère urgent de ma résolution, ou qui estiment que ce n’est qu’une problématique de nanti occidental, je propose de regarder ce film… Attention, encore balloné par le champagne, le foie gras et le saumon, c’est dur.

 

6 commentaires pour “Résolutions 2010 : manger écolo. Je teste pour vous l’extrême Bio”

  1. Juste avant d’aller m’occuper de mes 60 vaches, je viens de lire votre article. Je ne suis ni un agriculteur bio ni non plus un éleveur “intensif” ou industriel. Je suis juste un modeste paysan limousin choqué par tant de parisianisme nourrit par une réelle fracture entre vous autres citadins et vie rurale. Et puis ce passéisme… “c’était mieux avant” n’est ce pas, quand mes grands parents crevés sous la charge de travail et n’avait pour seul horizon que labeur et vie si ce n’est miséreuse, modeste… Aujourd’hui’ hui je dois m’occuper d’un veau ayant contracter une infection gastrique, je vais peut être faire comme le chanteur à mèche, “demander à la lune….”

  2. Vous avez mille fois raison, je suis un citadin déconnecté, pollué par l’interface alimentaire du super marché. Mais sachez que je travaille à m’améliorer (la preuve je vais rendre visite à vos collègues beauçerons). Je n’entendais pas prétendre que “c’était mieux avant”, mais les personnes que j’ai rencontrées, elles, favorisent les méthodes “à l’ancienne”. J’ai conscience (même si ce n’est que trop théorique) de la pénébilité du travail agricole, étant moi même descendant d’agriculteurs savoyards. J’espère tout de même me soigner un peu de ce “parisianisme” que je ne peux nier de par mon lieu de naissance, en m’intéressant avec respect au travaux de ceux qui nous nourrissent. En souhaitant un bon rétablissement à votre veau, veuillez croire à mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année !

  3. Merci Eric de montrer à quel point sont détachées de la réalités les utopies écologistes. Comment oser dire aux agriculteurs, pêcheurs, mais également aux pays en développement qu’il faut s’occuper de la nature pour demain – nos enfants, quand eux mêmes et leurs propres enfants ont des situations parfois précaires et des avenirs souvent limité.

  4. Et comment espérer en quelques années résorber un habitus (élevage, nature ressource inépuisable, loi du plus fort i.e culte du sportif) acquis durant des siècles? Et pourtant ces mêmes siècles nous ont apporté les connaissances (psychologie, biologie, etc.) nécessaires à nous en sevrer.

    Cela prendrait malheureusement plusieurs génération par l’éducation, ou une dictature …
    Est-ce souhaité? Est-ce trop tard? Mais ne rejetons pas immédiatement la question qui tue: est-ce grave de ne rien faire (pourquoi ne pas assumer la “nature humaine” – la loi du plus fort est un principe naturel)?

    Pour conclure: L’harmonie avec la nature n’est ni une fin ni une possibilité en soi, mais une conséquence de l’homme ayant atteint la sagesse à plus grande échelle. Mais pour cela encore faudrait-il arrêter avec le capitalisme, ou la légitimation du barbarisme moderne.

  5. Je vous prie de m’excuser de faire ainsi irruption dans ce débat, mais il me semble qu’il est une fois de plus “humainement égocentrique” de penser que nous sommes à l’origine des dérèglements de la Nature. Si nous ne respectons pas à juste mesure l’utilisation de nos ressources vitales, alors ces ressources vitales disparaîtront sans doute un jour. Mais la Terre existait bien avant l’Homme et continuera d’exister bien après. Faut-il rappeler qu’un jour les océans furent constitués d’ammoniaque ? Si les humains disparaissent, une espèce sera là pour les remplacer.
    Désolé de sembler aussi détaché, mais je suis amoureux de la Nature.

    Cordialement,

  6. De bonnes choses et d’autres plus douteuses, la “bouse de corne” par exemple, 100g par hectare, à part la magie je ne vois pas comment les sols peuvent compenser les pertes en matières sur le long terme, donc épuisement inévitable un jour ou l’autre.

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