Qui connaît M. Fouettard ?

Il se fait discret depuis que la députée UMP Edwige Antier a lancé son appel à la croisade contre la fessée. Certains prétendent que sa petite entreprise serait sur le point de mettre la clé sous la porte. Non pas que la sagesse ait inondé les bacs à sable, mais une concurrence déloyale menace de l’écraser au ministère de l’identité nationale. Mais qui sait au juste qui est ce curieux personnage que nos imaginaires d’adultes patentés se sont empressés d’oublier ? Son rôle ingrat consiste à canaliser les émotions négatives qui entraveraient la mystification de son bedonnant alter-ego. Un peu comme dans les tragédies politiques…

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Signalement

Zwart Piet (Pierre le Noir) en Hollande, Housecker au Luxembourg, Krampus (crochet) en Autriche, Ruprecht ou Knechtrupecht, le Père Fouettard porte autant de noms que son acolyte rougeoyant. Il est parfois représenté avec des cornes et/ou une queue. Nommé Bartel, Pelzbock, Rasselbock, Peznickel ou Pelzruppert en Rhénanie et en Silésie, il apparait même sous la forme d’un métamorphe mi-homme mi-bouc.

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Contrairement à sa sainteté qui fut évêque, le Père Fouettard porte en général de larges bottes crasseuses, une tunique brune et une barbe noire bien fournie. Il manie toutes sortes de fouets, martinets et autres baguettes de flagellation. Qu’il porte les attributs du tanneur ou du charbonnier, il est, en plus d’être pauvre, sale et méchant. Pire encore, dans la tradition belge et hollandaise, c’est un esclave noir. Il porte de gros anneaux, des habits chatoyants et emporte les vilains garnements jusqu’en Espagne. Autant dire que les affaires ne doivent pas fleurir ces derniers temps avec la concurrence du père Besson.

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Il est à noter que l’on trouve parfois des « mères fouettardes ». Margaret Thatcher en Angleterre, La Befana en Italie, Frau Holle et Klausenweiben de Bavière, jusqu’à la fée Arie en Franche Comté. Il s’agit toujours d’une vielle femme mi fée, mi sorcière. Ces personnages sont en général moins terrifiants que leur homologue masculin, apportant des friandises aux gentils enfants et du charbon aux méchants.

Symbole du mal

On prête diverses origines à la légende du Père Fouettard, la plus ancienne remontant au IVe siècle de notre ère. Nicolas de Myre, originaire des environs d’Antalya en Turquie, fut un contemporain du concile de Nicée et des dernières vagues de persécutions romaines. La légende raconte qu’il permit la résurrection de trois petits enfants, sauvagement découpés par un boucher psychopathe, ce qui en fit le Saint patron des enfants. La figure du boucher, elle, est parfois considérée comme la première occurrence du Père Fouettard, condamné à suivre éternellement Saint Nicolas pour punir les enfants qui ne méritent pas ses largesses. En somme il est l’homme de main d’un saint mafieux qui achète la paix sociale dans les ménages à coup de babioles, Santa-Claus livre à son gorille les petits resquilleurs…

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A Metz, on raconte que le Père Fouettard est né à la période de Noël, lors du siège de la ville par les armées du Saint Empire de Charles Quint en 1552. Les habitants auraient singé l’empereur en le représentant sous l’effigie du boucher de la légende muni d’un fouet, qui poursuivait dans sa parade canailles et jouvencelles, dans les coursives de la cité pour leur tanner la croupe. Il fut monté sur les murailles et incendié pour démoraliser l’assiégeant. Le mannequin noirci fut ressuscité les années suivantes aux mêmes périodes que Saint Nicolas.

Une lignée d’épouvantails

Une autre légende alsacienne, ma préférée, fait remonter l’apparition du Père Fouettard, dit « Hans Trapp », à la fin du moyen-âge, dans la ville alsacienne de Wissembourg. Les écrits des moines de l’abbaye locale rapportent qu’un seigneur déchu vivait retranché dans l’imprenable château de Bewartstein. Il fit régner, de 1480 à 1503, une ère de terreur, de pillages, d’enlèvements et de massacres sur le nord de l’Alsace, le Palatinat, Wissembourg et son abbaye. On lui prête différents noms, Axel Biard ou « Père Legendre » en France, Hans von Drodt, Rüpeltz, ou plus vraisemblablement Hans von Trotha, en langue allemande. La ville disputait au sanguinaire Chevalier Thuringien la propriété du château, sans avoir jamais pu imposer ses vues.

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Il est dit que, pour assiéger la ville, Von Trotha construisit un barrage qu’il laissa se remplir plusieurs semaines, avant d’inonder les rues et les terres de l’abbaye. Les habitants traumatisés inventèrent en son souvenir un personnage hirsute et terrifiant, qui allait de foyers en foyers, au soir de Noël pour faire réciter poèmes et prières aux enfants. Les malheureux qui n’y parvenaient pas étaient enlevés et fouettés.

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La lignée du Père Fouettard de Wissembourg a produit un autre croquemitaine. Lothar Von Trotha , Général des forces coloniales de l’empire allemand de 1896 à 1908, est considéré comme le premier génocidaire du XXème siècle. Il s’est rendu coupable du massacre systématique de plus de 60 à 100 000 Hereros en Namibie, soit près des neuf dixièmes de leur population. Les survivants ont été enfermés dans les premiers camps de concentration, hérités de la guerre des Boers, où ils subirent notamment des expérimentations médicales.

Les enfants pas sages sont sans papiers !?

Le Père Fouettard n’est pas toujours l’ennemi du Père Noël, mais son homme-lige négatif dévolu aux basses besognes de la punition. Ils paradent d’ailleurs ensemble dans les pays germaniques et nordiques, lorsqu’on fête Saint-Nicolas. Car, chacun le sait, le Père Noël est un saint, choisi parmi les hommes pour la concordance de ses actes avec le dessin de Dieu. Je crois que dans une culture où le dieu se doit d’être bon et miséricordieux, le Père Fouettard est une icône destinée à cristalliser et à évacuer toute référence négative. Car il me semble que notre morale veut que la récompense (de l’enfant sage) prenne toute sa valeur dans son rapport dialectique à la punition (de l’enfant pas sage). Cela peut sembler dommage, mais on est aussi heureux d’être récompensé parce que d’autres sont lésés ou punis.

A en croire l’hebdomadaire Marianne de la semaine passée, le parti au gouvernement ne recule donc devant rien. Avant même le Lip Dub de l’UMP ou le plagiat de Slate.fr par Frédéric Lefebvre, il semble que c’est à la figure du Père Fouettard que se soit subrepticement attaquée la majorité, d’Hortefeux à Éric Besson. Reste à déterminer à qui profite le fouet, et donc de démasquer qui tente de se cacher sous la barbe du Père Noël.

MdB

3 commentaires pour “Qui connaît M. Fouettard ?”

  1. love the article!

    Pourquoi pas de Pere Fouetard aux Etats Unis?

  2. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Arnaud@Thurudev, Flo.H . Flo.H a dit: Qui connaît M. Fouettard ? 😉 🙂 https://blog.slate.fr/chasseur-d-etrange/2009/12/25/qui-connait-m-fouettard/ […]

  3. excellente analyse, monsieur de Boni, avec un nom pareil vous méritez le passage de Saint Nicolas

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