La dette américaine : 45 tours Montparnasse pleines de billets verts

Il faut sauver la dette américaine, paraît-il. Le Monde titre à la “une” : “Les Etats-Unis se rapprochent du défaut de paiement”. Le journal du soir nous explique que “le déficit cumulé de l’Etat fédéral (son “plafond”) ne peut être augmenté qu’avec l’accord du Congrès. Sa limite actuelle, à 14 280 milliards de dollars (9 936 milliards d’euros), a été dépassée en mai. Depuis, Washington use d’expédients pour se financer. Mais les services du Trésor ont fixé au mardi 2 août la date butoir au-delà de laquelle ils ne pourront plus respecter leurs engagements obligatoires.” Des négociations serrées sont donc en cours entre la majorité républicaine et les démocrates (ainsi que la Maison blanche) pour remonter substantiellement le plafond, faute de réduire le déficit de l’Etat dans l’immédiat. Bref, c’est de l’économie. Mais, en voyant ce “14 280 milliards de dollars”, je me suis dit que ce chiffre ne voulait plus rien dire. Un chiffre à proprement parler “astronomique”.

L’astronomie est une discipline scientifique où les nombres prennent très vite des valeurs très importantes, notamment quand on parle de distances. A l’échelle de notre Terre, cela va encore avec un périmètre de 40 000 kilomètres, soit l’équivalent de ce que fait un gros rouleur chaque année. La distance Terre-Lune demeure elle aussi dans le domaine de l’entendement, avec un demi-grand axe de 384 000 km, un chiffre que peut indiquer le compteur kilométrique de certains taxis parisiens bien fatigués. En revanche, dès qu’on veut se promener dans le système solaire, dans la Voie lactée ou vers d’autres galaxies, notre petit kilomètre n’a plus grande signification. Dans le système solaire, on utilise l’unité astronomique (150 millions de kilomètres), qui est la distance moyenne Terre-Soleil. Au-delà, on passe à l’année-lumière, qui est la distance parcourue par la lumière dans le vide en une année, soit un peu moins de 10 000 milliards de kilomètres. L’étoile Polaire, située dans la constellation de la Petite Ourse, se trouve à 430 années-lumière de nous. Ce qui signifie que quand on la regarde, on voit en réalité la lumière que cet astre a envoyée il y a 430 ans, à l’époque où Henri III régnait sur la France…

Le déficit américain est un peu comme une galaxie lointaine : le chiffre qui lui correspond ne veut plus dire grand chose. A la seconde où j’écris ces mots, il s’élève à 14 292 823 millions de dollars, soit 142 928 230 000 coupures de 100 dollars. C’est beaucoup. Je me suis donc demandé si on pouvait imaginer un équivalent monétaire à l’année-lumière des astronomes. Mettre tous ces billets bout à bout n’est pas une très bonne idée car cela ferait une immense chaîne verte de plus de 22 millions de kilomètres. J’ai donc essayé de les empiler. Sachant que chacun de ces billets a une épaisseur de 0,11 millimètre, cela ferait une liasse de 15 722 kilomètres de haut, soit quasiment deux mille fois l’Everest… ce qui n’est pas un mode de représentation très explicite.

Pour trouver une comparaison plus parlante, je me suis donc intéressé au volume d’un “Benjamin Franklin”, comme les Américains surnomment le billet de 100 dollars. Celui-ci mesure 156 millimètres de long sur 66 de large et toujours 0,11 d’épaisseur. On pourrait demander à un ministre français de calculer le volume de ce bout de papier mais ce serait risqué étant donné la célèbre inculture mathématique des membres du gouvernement. Voici donc le résultat, très faible : 0,00000113256 mètre cube. Quand on le multiplie par le nombre de billets nécessaires pour combler le déficit de l’Etat fédéral américain, cela fait quand même 161 875 m3. Si l’on considère que chaque étage de la tour Montparnasse, à Paris, a une surface d’environ 1 700 m2, tous ces “Ben Franklin” rempliraient 95 mètres de hauteur, soit près de la moitié de la tour Montparnasse ! Il faudrait beaucoup de Tony Musulin pour, au choix, la remplir ou la vider. Evidemment, si j’avais retenu le billet de 1 dollar comme unité de base, la dette fédérale bourrerait 45 tours Montparnasse de ces coupures, puisque tous les billets américains ont le même format.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : dans le tableau synthétique du site usdebtclock.org, j’ai trouvé une ligne encore plus hallucinante, celle des “Currency and credit derivatives”, dont les chiffres des unités défilent encore plus vite que les rouleaux d’une machine à sous : 611 472 milliards de dollars. En billets de 100 dollars, la pile fait quasiment l’aller-retour Terre-Lune !

 

22 commentaires pour “La dette américaine : 45 tours Montparnasse pleines de billets verts”

  1. Oups, petite boulette: l’Everest ne fait pas 8000 kilomètres de hauteur, mais juste 8 et c’est déjà bien assez. Sinon la Terre serait beaucoup moins ronde, c’est sûr.

  2. @J… : le “mille” avait sauté, c’est corrigé. Merci pour votre lecture attentive et pour votre sens de l’humour !

  3. Un autre site pour visualiser la dette américaine : http://www.wtfnoway.com/ (en anglais). Aussi en Benjamin Franklin.

  4. Bravo pour vos énormes calculs bourrés d’humour.
    L’arithmétique est-elle suffisante pour nous aider à appréhender notre petite planète….?

  5. Un article intéressant et drôle. Dommage que le dernier paragraphe soit totalement impénetrable…

    Qu’est ce que “currency and credit derivative” ? pourquoi nous en parler si c’est pour ne pas nous expliquer en quoi ça consiste ?
    D’autant plus que ça a l’air plutôt important…

  6. @Gab : n’étant pas spécialiste en économie, j’ignore ce que ce CCD recouvre. Ce qui m’a frappé, c’est le chiffre en question 600 000 milliards de dollars.

  7. Merci pour ce billet,

    D’ailleurs, en parlant de billet, il me semble que les états unis avaient à un moment des billets de 1000 $ (soit une dette remplissant seulement 9,5 m de la tour montparnasse,)

    c’est impressionnant tout de même une telle quantité d’argent.

    Quant au CCD, même si je n’y connais rien en économie, j’ai tendance à penser que cela représente ce qu’au final le contribuable Américain devra payer.

  8. Qui peut payer des sommes pareilles? même la planche à billets n’y suffirait pas!
    Ça serait d’ailleurs amusant de calculer la surface de forêt qu’il faudrait raser pour imprimer tout ça.
    Une dette pareille étant inremboursable, les USA sont ruinés, donc leurs créanciers ont virtuellement des kilomètres-cube de vent dans leurs coffre.

  9. Si on représente la dette américaine en posant à plat des billets de 1 dollar au sol c’est assez marrant :

    Superficie de la dette avec des billets de 1 dollar :
    0,156 * 0,066 = 0,010296 m2 pour 1 billet
    0,010296 * 14 280 000 000 000 = 147026880000 m2

    Superficie de la France : 670922000000 m2

    Comparaison : 670922000000 / 147026880000 = 4,5 fois

    Ce qui veut dire sauf erreur de ma part que si on pose à plat toute la dette américaine avec des billet de 1 dollar on recouvre 1/4 de la France. Viva america faut réagir avant que cela soit trop tard 🙂

  10. La dette américaines, dans 20 000 milliards d’années, on n’en parera plus, vous verrez…

  11. Ca ressemble tres fortement a un article de freakonomics…

    Bonne lecture !

  12. @Munhonga : je ne connaissais pas ce site, merci de le signaler. Les grands esprits se rencontrent…

  13. Et si on les comptait ?

    Pour compter de 1 à 1 milliard à voix haute, il faut environ (à vitesse moyenne d’élocution) 116 ans (24h/24).

    Il est donc probable que si Henri III avait commencé à compter, il y serait encore…

  14. Une autre échelle en équivalent or:
    Sur la base de 52270,69$ le lingot de 1 kg, la dette américaine correspondrait à 273196,89 tonnes d’or

    L’extraction de l’or en circulation des origines de l’humanité à nos jours serait de 125.000 tonnes d’or, et serait de nos jours de 2300 tonnes par ans.

    Il semblerait que ce chiffre corresponde à quelque chose qui serait de l’ordre de plus de deux fois l’or du monde qui a été mis en circulation…
    “Pour tout l’or du monde”….”In God we trust”
    Seule solution produire quelque chose qui vaille de l’or et plus encore… on se demande bien quoi?… silence!

  15. Et fatalement, avec les intérêts. Il faudrait qu’ils remboursent (chaque année) combien de $ et sur combien d’année pour mettre fin à la dette ?

  16. […] Post-scriptum : dans le tableau synthétique du site usdebtclock.org, j’ai trouvé une ligne encore plus hallucinante, celle des “Currency and credit derivatives”, dont les chiffres des unités défilent encore plus vite que les rouleaux d’une machine à sous : 611 472 milliards de dollars. En billets de 100 dollars, la pile fait quasiment l’aller-retour Terre-Lune ! via blog.slate.fr […]

  17. […] de l’Afrique, alors que l’on parle de milliers de milliards de dollars lorsqu’on évoque la dette américaine ou de centaines de milliards pour les plans de sauvetage grecs. Presque rien pour sauver des vies, […]

  18. Bon, j’achète des actions de sociétés industrielles qui fabriquent des “imprimantes à billets”!!!!

  19. Bon ,une solution:Faire faillite et recommencer sous un autre nom…Comme Gringolandia par exemple

  20. on peut acheter 14 000 bombardier furtif B2 a raison de 1 milliards l’unité le bombardier
    sa sert a quoi ?
    bof faut voir c’est selon !

  21. @renaudp73 “Une dette pareille [est] inremboursable”. Si, en fait. Parce que les chiffres de population dépassent eux aussi l’entendement.

    @Gab, @nicolas
    Les «Currency and credit derivatives» sont, il me semble, des produits d’assurance (de couverture des risques financiers) à effet de levier, qu’il faut interpréter comme un flux plutôt que comme une somme matérialisable. Et ils sont médiatisés par les sites alarmistes car ils ont le potentiel de foudroyer le système financier mondial si celui-ci en venait à être trop déstabilisé…

  22. Une vue sympa de la dette française cette fois :

    http://www.dette-de-la-france.fr/

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