Ce Tour ne fut ni un grand cru, du genre qui reste dans les mémoires, ni un petit truc frustrant. Tour de fin d’une époque, ou de début d’une autre ? Des adieux, des changements de style. Revue sous forme de liste.
Le général nous a offert un modèle de fausse bataille. Deux coureurs qui s’apprécient, se jaugent, collaborent, s’attendent, s’entendent, et font la différence sur un icident mécanique. Le duel entre Contador et Schleck n’en a pas été un. On s’est rendu compte que la victoire sur un tour ne se joue pas à la forme (Andy Schleck semblait plus fort), mais à l’intelligence de la course, et au fait que les autres osent moins que le patron. Etre chef, c’est aussi celà : se montrer impérieux, faire peur, contrôler. Plus que briller par la puissance effective, faire parler son mystère. On restera déçu : quand le favori gagne alors qu’on le sentait prenable, forcément…
Contrastre total avec la bagarre des sprinters. Là, c’en a été une (et elle se finit ce soir). Pas de concessions, et trois stratégies de courses différentes. Petacchi le puissant, le gros, qui assomme un sprint de loin, en solo, en temps long. Cavendish le bagarreur, qui joue avec les limites des règles, fout dehors les autres. Et Hushovd le malin, un renard des surfaces, un homme qui compte les points. Les trois peuvent finir avec le maillot ce soir, et ils ne se sont pas fait de concessions. Du vrai combat, du vrai suspense. Voilà du sport.
Le maillot à pois ne récompense plus le meilleur grimpeur, mais celui qui sait le mieux jouer avec la tactique de course, se placer en parallèle de la course des leaders pour tailler. C’est un talent, réel, que de savoir choisir un autre combat que celui qui vous dépasse. Charteau a été à l’image du cyclisme français : malin, forçant le respect par sa ténacité, doté d’une sacrée intelligence tactique. Ça vaut tous les Virenque.
De loin, sur le papier, j’étais assez dubitatif de ce parcours. Après coup, je n’ai pas grand chose à en dire. Certes, ce n’est pas le parcours qui fait la course, mais on a eu ce qu’il fallait, au bon moment, au bon endroit. Un début trépidant alors qu’il est souvent soporifique. Des Alpes enthousiasmantes, des Pyrénées éblouissants, de beaux sprints, du baroud, et un contre-la-montre dans un paysage de rêve. Un regret : le manque d’une montagne intermédiaire, d’un Ventoux, d’une côte isolée qui fixe l’attention.
Ce qui n’est pas prévisible, la météo, a donné aussi son spectacle : soleil écrasant la plupart du temps, poussière du nord, pluie et brume au Tourmalet. La grande classe.
On n’a pas entendu le mot du Tour. Pourtant, Petacchi faisait l’objet d’une enquête, et Landis balançait à fond sur Armtrong. Ca confirme que la lutte contre le dopage est essentiellement performative : moins on en parle, moins il semble être là. La réalité, aussi, c’est que les performance surnaturelles semblent avoir disparu. Contador est loin de ses performances d’extraterrestre de Verbier l’année dernière. Il n’en a pas eu besoin ? Amaury, l’UCI et l’AMA se félicitent. Je resterais plus circonspect : dès qu’on se rassure, on perd le contrôle, et les vieilles pratiques reviennent. Ne pas baisser la garde, et remettre en piste l’AFLD sur son terrain seraient de bon ton.
Il est des tours qui font l’histoire. Ceux de bagarres homériques au sommet, ou de leaders qui en imposent par leur classe. Ceux de sombres moments.
Celui-ci n’en fut pas. Il ne laissera pas de grandes traces. Mais il est fort de son passé : il nous a rappelé, dans chaque épisode, une petite page des cent années précédentes. Il était fort de son patrimoine, des pavés du Nord au Tourmalet. Il a fait ses adieux à Armstrong, à Moreau. Il a oublié un peu ce qui lui a fait mal. Il a glorifié ceux qui lui font du bien : les coureurs de panache, les Français qui gagnent.
On attend celui de l’année prochaine. Pour le programme, on l’aimerait complémentaire à celui-ci : une fin dans les Alpes, un Ventoux, plus d’étapes de cabotage intermédiaires (pourquoi pas du Massif Central ?). Et on aimerait aussi que le folklore soit bousculé : quand aura-t-on une autre étape de fin que ce sprint vélodromique (certes passionnant) sur les Champs-Elysées ?
Le Tour pourrait s’endormir, avec des leaders trop courtois, un manque de suspense, peu de renouvellement, des contrôles antidopage qui s’affaissent. La sérénité ne se décrète pas : elle se conquiert par l’innovation, le dépassement, dans le respect de l’histoire… Les coureurs le savent, aux organisateurs de le provoquer…
lire le billetJ’ai à moitié raté mon pronostic hasardeux. Ce n’est pas Armstrong qui a tenté une échappée, mais Sastre. Pour le reste, c’est Contador qui a attaqué, à quelques kilomètres de la ligne, face à l’apathie de son second. Ce duel est nul, parce qu’aucun des deux compétiteurs n’ose dégainer, tirer le premier, sortir les cartouches. On se disait qu’ils se réservaient. Il s’économisent pour rien, sans même utiliser leurs globules.
Vendredi, journée de baroud, j’espère. Dimanche, Contador calera un petit maillot jaune, acquis sans panache, contre un second sans audace.
Heureusement que tout le reste a été bon !
lire le billetVoilà comment va se passer cette journée. Ou pas. Oui, en fait, certainement pas.
12:30 : départ fictif. On quitte Pau, et c’est la tension maximale dans le peloton. Tout le monde a un enjeu sur cette étape. Tous ceux qui n’ont pas fait le boulot dans les étapes précédentes se disent que c’est la dernière. Seuls les Français baroudeurs savent qu’il leur reste demain. Le maillot vert peut changer de mains encore aujourd’hui. Le maillot à pois retrouve un duel avec Moreau-Charteau (contre Pineau-Charteau auparavant, c’est le maillot d’eau). La victoire d’étape est la plus belle du parcours. Et 8 secondes séparent les deux leaders. Du coup : ça frotte dès les premiers mètres.
12:50 : toutes les premières tentatives d’échappée ont été tuées par un train d’enfer conjoint des Astana et des Saxo Bank. Mais une première réussit, juste avant la montée de Renoir, parce qu’elle réunit des coureurs peu menaçants au général. Petite échappée. Cinq coureurs, dont deux Français. Pas de prétendant à un maillot, personne dans les 20 premiers.
13:30 : on monte dans Marie-Blanque, le premier de la journée. Peloton tendu en bas de côte, et lâchage immédiat d’un large gruppetto. Les Saxo Bank, qui ont mené un train d’enfer, laissent la place aux Astana dans la montée. L’échappée est maintenue à 5 minutes grand maximum. Ni Schleck ni Contador n’attaquent, ils travaillent ensemble à lâcher presque tout le monde, dans un mini-peloton, qui passe le col à une grosse vingtaine. Seuls quelques Français arrivent à tenir dans ce groupe : Moreau, Charteau, Casar, peut-être Le Mével et Gadret. Schleck est sans équipier, Contador a avec lui deux ou trois copains. Contador et Schleck laissent Moreau et Charteau s’étriper dans le col. C’est dans le plat que l’échappée est absorbée.
14:00 : on descend, à toute blinde. Il faut voir Vinokourov tenter d’assommer tout le monde en emmenant un peloton dans une descente et un plate de malade. En ligne : le Soulor. Une heure de descente et de plat, pas un gramme de pause.
15:00 : on est au pied du Soulor. Et là, c’est la bagarre. Ca commence par Schleck, tout fou, qui commence par lâcher Contador. Puis celui-ci revient, tiré par deux copains, en un long effort, où il les lâche ensuite, et revient sur le gamin ensuite. Ils lâchent tout le monde pendant un temps, puis, s’étant bien regardés, ayant jaugé leurs capacités, se redressent un peu. Reviennent Menchov, Sanchez, Armstrong (tiens, qu’est-ce qu’il fait là, lui ?), et quelques autres. Les petits Français sont dans les choux.
15:30 : on passe le col en groupé, tendu, à moins d’une dizaine. En vue : le Tourmalet. Après la descente, on a 20 Kilomètres de plat avant de monter le bonhomme.
16:30 : on est à Barèges, en bas du col. Schleck et Contador se regardent, se regardent, se marquent à la culotte. Aucun des deux n’ose placer l’attaque au bon moment. Ils ont beau s’être chargés comme des mules, aucun n’a suffisamment confiance. Ils roulent dur, linéaire, pendant tout le début de la montée? Du coup, ce sont les autres qui y vont. Armstrong, dans un moment tactique fort, place, après que Menchov et Sanchez aient été contrés par les patrons, une attaque décisive. Il mentait depuis le début, se faisant un peu lâcher, montrant des faiblesses, disant qu’il n’y était pas, que c’était fini pour lui. Son attaque est imparable, forte, nette. Il se détache comme il faut. Très vite, il prend deux minutes dans la montée, et on dirait vraiment une mobylette. Il atteint un sommet historique de puissance développée.
Contador et Schleck font un duel de contrôle des deux suiveurs (Mechov et Sanchez). Et, tard, tard, Schleck passe une attaque. Contador semble défaillir, encore, puis réagit, et le rattrape, le remonte, s’ensuite un court duel fait d’attaques mutuelles, sur la fin du col. Ils ne sont plus que deux. Armstrong devant, et se bagarrent comme deux gamins le feraient en fin de course de village.
17:00 : Armstrong passe le Tourmalet en vainqueur. Bras levés, grand sourire. Demain, toute la presse américaine saluera le courage et la force de volonté (dans la lutte contre le cancer) d’un coureur vieilli, usé et fatigué, qui a su trouver les ressources nécessaires pour vaincre le Tourmalet en solo. Nicolas Sarkozy va féliciter le grand gagnant, louer ses capacités de ténacité, explique lui aussi ne renonce jamais dans sa volonté de réforme de notre pays.
17:01 : Contador passe avec 5 secondes d’avance sur Schleck. Match nul. Schleck promet en arrivant en haut qu’il va tout jouer dans le contre la monte de Samedi. Tout le monde rigole.
17:48 : le premier gruppetto arrive. Et là, on se rend compte que la montée d’Armstrong, de Schleck et de Contador ont été les plus rapides de l’histoire du col. Les derniers vont arriver hors délais, mais ils seront tellement nombreux qu’il va falloir les repêcher. Armstrong fait la montée en 39’39”, nouveau record du col, mieux que son record personnel, qu’Ullrich, que Pantani. Contador et Schleck égalent Pantani. En arrivant en haut, ils ressemblent à des gars qui ont passé un pont, et en redemandent, se disent qu’ils sont peut-être passés à côté de quelque chose.
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C’est aujourd’hui. Et ça ne se passera pas comme ça. Mais ce n’est pas grave.
lire le billetC’était aujourd’hui la pause. Après, c’est la dernière ligne droite. Détour aujourd’hui sur le cyclisme, en parlant de budgets, d’équipes, de sponsors et de managers.
Le cyclisme est un sport individuel qui se pratique en équipe. Sans son équipe, peu de coureurs de l’ère moderne n’aurait pu gagner un tour. Peu de sprinters arrivent sur la ligne sans des locomotives qui les emmènent. L’équipe, c’est l’unité de base du cyclisme, son cadre de vie, celle qui permet le métier. Comme tout sport, on assiste depuis quelques années à une professionnalisation, et à une accélération de ce mouvement : le cyclisme est loin d’être le football, évidemment, mais l’immense notoriété et l’uaidence du Tour attirent des annonceurs, qui veulent s’y associer.
C’est le paradoxe du cyclisme : tu veux qu’on voie ton nom sur le Tour ? Il faut te payer une équipe. Etre partenaire d’un maillot, par exemple, rapport beaucoup moins en notoriété qu’une équipe active. Mais se payer une équipe, c’est aller plus que sur le Tour, et enclencher toute une saison, un championnat, de nombreux déplacements. C’es tainsi, et c’est heureux : c’est sans doute parce que le vaisseau amiral qu’est le Tour attire beaucoup de visibilité et de bons sponsors que des équipes ont de l’argent toute l’année.
Depuis 2005, l’UCI, l’Union cycliste internationale (la FIFA du vélo) a créé un championnat international, la petite ligue des champions du vélo. C’est le Pro-Tour : seules 18 équipes y participent. Les autres sont dans des championnats nationaux, comme, par exemple, Bbox Boygues Telecom. Le Pro Tour, ce sont 16 courses, et, presque chaque année, des négociations longues avec chaque organisateur de course (privé, en général, et indépendant) pour savoir si telle ou telle course intégrera cette élite des courses. Paris-Tours, par exemple, la classique de fin de saison, est sortie du Pro Tour après 2007. Je vous passe les détails : il existe une première division internationale, c’est là l’essentiel.
Cette première division a fortement structuré le sport. C’était la volonté de l’UCI : faire monter le cyclisme, par de grands événements médiatiques à forte résonance (et pas qu’avec le Tour de France). Ça marche plutôt pas mal, même si le Tour reste sans commune mesure avec le reste. Ça marche, mais ça a des effets : il y a de plus en plus d’argent dans le cyclisme. Ce sport, qui était auparavant un sport populaire de petits, voit arriver l’argent.
Avant 2005, une équipe française de premier niveau tournait avec un budget de l’ordre de 2 à 4 millions d’euros. Comptez vous-même : il fallait, avec ça, payer une bonne quinzaine de coureurs, le staff (managers, techniciens, médecins…), les déplacements et la logistique… C’était artisanal. Le salaire moyen d’un coureur était modeste, pour un sport de haut niveau : un mec qui fait 40.000 kilomètres à vélo par an, en chie comme peu dans le sport de haut niveau, arrête sa carrière à peu près aussi tôt que les autres, s’en sortait avec 40, 50K€ annuels grand maximum. Nombreux étaient ceux qui tournaient en-dessous.
Avec le Pro Tour, les budgets des équipes ont explosé. Les plus petits budgets du Pro Tour, c’est de l’ordre de 7M€ annuels (les Françaises). Les plus gros, autour de 18-20M€ (Radioshack, Sky, notamment). Ca fait à peu près autant de différence qu’entre l’Olympique Lyonnais et le Barça en Champion’s League (du simple au triple). Hiérarchie par l’argent.
Où va cet argent ? Dans les coureurs. La masse salariale, c’est le très gros du budget d’une équipe : il faut payer les coureurs. Et la différence est simple : une anorme star mondiale comme lance Armstrong est hors norme (il est de toute façon plus qu’un salarié de son équipe). Un bon coureur, qui gagne régulièrement des courses, ou se place dans les favoris du Pro-Tour, peut toucher entre 1 et 2 millions d’euros annuels. Evidemment, un footballer rirait de ces montants. Mais le changement d’échelle est majeur : gagner devient vraiment rémunérateur, même si peu atteignent ces sommets. Peu : très peu. Les coureurs à un million, ou même à 500.000 € anuels, il doit y en avoir quelques dizaines, à peine. A côté, le reste du peloton, lui, s’il a suivi le mouvement un peu, reste assez mal payé : cette année, sur le tour, on doit compter plusieurs dizaines de coureurs qui touchent entre 40 et 60K€annuels. Le salaire d’un cadre. Ce n’est pas rien, c’est peu par rapport à l’explosion du budget qui a eu lieu dans le cyclisme.
Hyper inégalité, donc, dans le peloton. Il reste des coureurs d’avant, des capitaines de route de l’ancien temps, des gars qui ont touché deux fois le SMIC pendant quinze ans de carrière. Et ils roulent avec, à leurs côtés, des gamins qui émargent en un an à ce qu’ils ont touché pendant dix ans. Quand on réunit ainsi 200 coureurs qui se frottent, on se dit que ça peut faire bizarre.
Surtout, ça change les perspectives. Avant, un coureur ne roulait pas pour l’argent. Il roulait pour la gloire et la gagne, et la passion. Et quand il finissait ses années, il allait s’enrôler dans le milieu, ou s’achetait un café (je schématise, mais c’était pas si faux). Maintenant, un coureur qui réussit (et pas que celui qui gagne le Tour de France), en fin de carrière, c’est une petite chaine de cafés qu’il pourra s’acheter. Ca change le rapport à la gagne, au peloton.
Alors oui, on peut parler de dopage. Prendre le risque de se gâcher la santé, de mourir jeune, pour la gloire ? Ca s’est fait. Le faire avec la perspective supplémentaire de quelques centaines de milliers d’euros ? Ca se joue, surtout quand, comme bon nombre de coureurs du peloton, on vient d’un milieu modeste, qu’on a appris le métier dans les courses de kermesse du Nord ou de Mayenne, sans forcément des tas de perspectives.
Tableau noir ? Pas vraiment. Il faut accompagner ce mouvement. On voit des équipes et leurs sponsors intelligents, travailler à la formation de leurs coureurs, leur reconversion, tenter de ne pas jouer pleinement le jeu cynique du résultat à tout prix, celui qui amène plus d’argent, plus de sponsors, plus de résultats, plus de dope. Ils sont rares, néanmoins. La plupart des équipes sont en fait possédées par meurs managers, dont certains sont des mercenaires, qui font monter les enchères avec leurs sponsors sur des contrats pas toujours pris en responsabilité. D’autres sont gérées autrement : La FDJ, Cofidis ou Liquigas, par exemple, appartiennent à leurs sponsors, qui s’engagent dans la durée, et ne jouent pas à cette surenchère. Petit bastion : cette année, l’équipe Sky, lancée en grande pompe autour de Bradley Wiggins, avait des Jaguars comme voitures de course, et un budget record. Et Radioshack ? N’en parlons pas.
Le cyclisme vit actuellement la mue qu’ont connu avant lui le Football, et le rugby, plus récemment. Il en est à un stade proche de la natation, ou de l’athlétisme (des tas de coureurs qui n’en vivent pas sérieusement, quelques stars mondiales). Il a connu le business depuis plus longtemps, aussi (les sponsors sont dans l’histoire du cyclisme, sport si populaire, si proche des gens, itinérant, accessible, pratiqué par tous). Mais un business qui n’a plus rien à voir avec celui d’il y a encore 5 ou 7 ans.
Complainte rétrograde ? Non. Espoir qu’on peut faire les choses autrement, en mêlant un peu plus d’argent et éthique : oui. Envie qu’un fantastique coureur comme Philippe Gilbert soit rémunéré à la hauteur de son talent ? Oui, mais le grouillot de son équipe, celui qui le pousse et le remonte, aussi…
lire le billetIl vous amuse, ce duel Contador-Shleck ? Moi oui.
Il vous fait rêver ? Moi non plus.
Ca tombe bien, ça fait longtemps que le général ne me fait plus vraiment rêver. J’ai vécu le règne sans fin d’Armstrong, les années qui puent, les perfs hors normes de Riis, de Pantani, de Landis, et les rires devant Oscar Pereiro. Le général, je l’ai délaissé depuis longtemps, dans le Tour ; ça fait trop longtemps qu’un leader ne m’a pas fait vibrer vraiment. Je garde un oeil amusé sur ces batailles, et je commente par habitude autant que par une sorte de goût nostalgique pour un passé idéalisé, mais au fond, je n’en ai pas grand chose à faire. Oh oui, je vibre, quand une attaque est placée au bon moment dans une ascension, oui je m’émeus d’un numéro. Mais de fait, Contador peut bien gagner, ce que j’attends, c’est du spectacle. Dont je sais qu’il est un peu faux.
Alors cette année, c’est plutôt drôle, et une forme de satisfaction. On peut aboutir aux champs avec un maillot jaune sans victoire d’étape, qui n’aura placé aucune attaque décisive dans aucune montagne. Juste maintenu le bon écart, et rattrapé un retard sur une chierie mécanique. Nul, honteux ? Non, le sport, la compétition. Parfois, ce n’est pas la gloire. Parfois, les leaders n’ont pas de panache. Parfois, l’histoire ne s’écrit pas avec les patrons, mais les d euxièmes rôles.
Ici, ce seraient plutôt les autres. Armstrong qui en finit nous rappelle qu’il est un coureur avec un vélo, mais pas si terrible. Casar a repris sa tunique de Poulidor. Fédrigo a fait mouche, c’est un habitué, un spécialiste, et un sacré baroudeur. Il y a les loosers, aussi, ceux qui n’ont jamais perçé.
Prenez Andreas Klöden. Ce fut le dauphin d’Ullrich. Il est le sous-dauphin de Contador. Klöden, c’est l’espoir perpétuel, le mec qui a monté des tas de cols en ouvrant la voie à un patron, mais n’a jamais accédé au leadership. Pour un peu, je le verrais encore concourir cette année pour le meilleur jeune, alors qu’il a mon âge, 35 ans. Klöden, c’est Vinokourov, en plus jeune : un équipier des “grandes” équipes des années EPO. Pas franchement recommandables, pas éclatants, jamais leaders, mais toujours là, à se rappeler à votre bon souvenir (comme Vinokourov) ou pas (comme Klöden, absent).
Mais surtout, il y a les bonnes nouvelles, et les gagnants d’un jour. +1 ! Fédrigo s’ajoute à la liste des Français qui font bonne pioche. Fédrigo, c’est tout un cyclisme à la française. Un coureur complet, un tactique qui sait sentir une course d’un jour, et un fier. Pas un super grimpeur efflanqué, mais un malin, qui peut gagner une étape qui passe par le Tourmalet et l’Aubisque. Un vrai plaisir. Pour comprendre ce qu’est le cyclisme et Fédrigo, faut aller sur son site officiel. Ça donne, c’est le site officiel d’u ncoureur d’aujourd’hui, dans le peloton.
Y’a du vrai dans les petites histoires d’à côté. Du ridicule dans le duel au sommet. Mais au fond, qui s’en soucie ?
lire le billetIronie du sort. On commençait à s’impatienter devant le duel entre Alberto Contador et Andy Schleck. Hier, dans l’étape qui menait à Ax 3 Domaines, on les a vus se regarder comme deux pistards, sans qu’aucun n’ose attaquer sérieusement l’autre. Contador, en challenger , n’a pas osé y aller, Schleck s’est maintenu à ses côtés. Etonnant ballet : Contador est favori, mais craint Schleck dans la montagne ; Schleck avait le maillot jaune, mais restait challenger, en besoin d’écarts, pour pallier sa faiblesse en contre-la-montre. Bilan : rien.
S’il n’y a rien eu hier, entre ces deux-ci (mais la belle victoire de Riblon, qui en a profité), c’est surtout qu’il y a ces journées d’après. Dont l’étape d’aujourd’hui, avec son Port de Balès qui faisait mal. ON redoutait un scenario identique, Schleck retsant dans la roue de Contador, en contrôle. On attendait une éventuelle attaque du maillot jaune, qui a le devoir de le faire à un moment. Et elle a eu lieu ! Schleck a bouffé l’espagnol, sur quelques mêtres, et montré son potentiel de grimpe. Mais vlan. Coup du sort : la chaine se brise, et alors qu’il allait sans doute manger des secondes, précieuses, il a perdu le maillot. Ce que c’est, aussi, de rouler avec un groupe SRAM (belle pub pour le fournisseur de Saxo Bank !).
Bilan final : 8 secondes d’écart entre les deux, un nano-mouchoir de poche, et changement de maillot. Énervement probable de Schleck, qui doit être fou ; galvanisation de l’équipe Astana, qui va se mettre en position de défense du maillot. La stratégie se clarifie : Schleck va être obligé d’attaquer, à l’aller ou au retour du Tourmalet, pour creuser un écart important (la minute semble presque nécessaire, vu le profil du contre la montre). Seul gros hic : son équipe. Les Astana vont mener un train d’enfer, et il sera très dur pour Schleck d’en sortir, avec une équipe Saxo Bank bien en peine de lui filer un coup de main sérieux. Voilà du suspense donc. Pour le panache, on repassera : Contador a failli perdre le tour aujourd’hui, et se rattrape au vol sur un ennui mécanique. Schleck a montré de vraies qualités de stratège, et on en redemande. Leur duel sera-t-il celui du jeune challenger contre l’affreux ? On sait qui gagne, dans ces cas.
Grande inconnue : le jour de l’attaque. Demain, c’est chaud. Et après-demain, aussi. Dans les deux cas, le premier col sera majeur : Tourmalet demain, Soulor jeudi. Les deux sont des monstres, et ont un autre montre en ligne de mire. Ca suppose une chose : une attaque franche, une prise de distance, et un travail en solo de Schleck. On en rêve, ça aurait du panache. Mais sera-t-il assez fort ? Osera-t-il ?
(et le fera-t-il à l’eau claire, ou nous fera-t-il une petite Landis 2006 ? – spéciale dédicace à ceux qui parlèrent alors des plus belles heures du Tour)
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Et sinon ?
Sinon, la joie française. Quatre coureurs qui gagnent, et avec la manière. Cinq victoires, dont trois sur des étapes de montagne qui tuent. Rien à dire : chapeau Voeckler ! Chapeau Riblon ! Chapeau Casar et Chavanel !
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Et sinon ?
Sinon, on aimerait bien pouvoir disposer quelque part des temps de montée et d’analyses des puissances développées par ces patrons, quand même. Ca manque un peu. Quelque chose comme ça, mais rapidement après chaque étape.
lire le billetVoilà un final de rêve.
Quatre étapes de Pyrénées, avec chacune un profil différent, et au centre des monstres, comme le Tourmalet ou l’Aubisque. Quatre jours suivis d’une bonne étape de sprint toute plate (qui mettra le peloton en ébullition : dernière chance de victoire pour un sprinteur avant les Champs-Elysées). Et, avant de rentrer à la maison, et de s’user dans le plus beau vélodrome du Monde, un grand classique : le contre la montre individuel, au milieu des plus grands vins qui se fassent (j’ai fait la reconnaissance de cette étape plusieurs fois, pour des raisons moins cyclistes).
Ca vaut le coup de faire le point, et de revenir sur ce début de tour.
Côté spectacle : ♥♥♥♥
Je me souviens de peu de tours avec autant de bonheur à le suivre. Ce n’est pas le classement général qui intéresse vraiment, mais tous les à-côtés. Même la médiocrité d’un favori comme Contador, qui désavoue son capitaine de route (Vinokourov) en allant grappiller quelques secondes, nous donne droit le lendemain à un réveil du vieux (37 ans), qui nous rappelle que le cycliste est fier.
Ce parcours a été idéal. Le début puisait dans les belles racines du Nord, patrie des baroudeurs et du mal partout des pavés. Les Alpes ont été finalement intéressantes, réservant leur lot de suspense, et montrant la vérité du classement général. On eu de beaux sprints, et des échappées qui ont réussi. Qui se plaint ? Personne, sauf ceux qui aimeraient avoir une vraie bataille collective pour le classement général.
Les Français : ♥♥♥♥
On a eu des Français très actifs, et du succès. Ce tour confirme que Chavanel et Casar, chacun dans leur style, sont des bons costauds de leur génération. Trois victoires dans leur duel à distance, entre trentenaires du peloton, deux pour Chavanel, une pour Casar, chacune avec une belle dose de panache. Avance pour Chavanel : deux maillots jaunes gagnés, perdus le lendemain.
L’autre joie française, c’est ce duel amical pour le maillot à pois, entre Pineau et Charteau, qui est vraiment un magnifique exemple de bagarre et de fair-play. Ils sont vraiment joueurs, mais loyaux. On leur souhaite que l’un des deux finisse avec le maillot à Paris, même si les Pyrénées pourraient faire mal.
Ceux qui attendent un Français au classement général en sont pour leur frais. On ne joue pas dans la catégorie des Contador, Schleck et autres Sanchez et MEnchov ? Tant mieux ! On ne le leur reprochera jamais, tant ils font plaisir de vérité.
Le sprint : ♥♥♥
On est arrivé dans ce tour avec des incertitudes : personne ne savait vraiment qui allait s’imposer comme patron du sprint, cette année. Cavendish avait fait une saison décevante, et aucun autre ne se détachait. Finalement, on a une belle bagarre : Cavendish contre Petacchi pour les victoires, et Hushovd qui la joue malin pour stabiliser un maillot vert. Raté à Revel : Hushovd est à deux points de Petacchi, et Cavendish encore en embuscade. En prime, la bagarre, la vraie, des méchants, avec ces désormais lagendaires coups de tête de Renshaw.
La montagne : ♥♥♥
On attend encore la vraie montagne, celle qui provoquera le duel entre Schleck et Contador. Mais celle qui est passée a été belle. La Madeleine s’est rappelée à nos souvenirs. L’arrivée sur Morzine-Avoriaz a tenu ses promesses. Et le classement de meilleur grimpeur est l’objet d’un beau duel. Surtout, le gros nous attend, et il promet.
Les jeunes : ♥♥
Ca manque un peu de révélations sympathiques, ce Tour. On a eu, dans des courses plus anciennes, de belles batailles pour le maillot blanc. Il y a bien Gesink, qui a plutôt le profil de coureur de classiques, et surprend à ce niveau, mais ça manque un peu de suspense. La bonne nouvelle, c’est l’irruption de trois Français, avec Gautier, El Fares et Rolland, qui sont une forme de relève.
Le général : ♥♥
C’est un peu toujours la même chose : avant chaque tour, on fait monter le suspense. Armstrong viendra-t-il menacer Contador ? Où en sont Menchov, Sastre, Sanchez, Basso ? Schleck peut-il succéder à l’espagnol ? Plein de unes nous faisaient saliver devant une vraie bataille. La vérité, c’est que Contador est au-dessus du lot. Schleck représente une menace un peu virtuelle, concentrée sur la montagne, et à peu près aussi irréelle que celle de Contador : ils sourient trop dans la montagne pour être honnêtes. Au-dessus du lot, certes, mais pas vraiment en bagarre pour l’instant, comme si Schleck savait que c’était perdu, et s’accrochait à sa position de futur favori, tout en étant encore immature.
L’échec d’Armstrong était couru d’avance. Il a fait un mauvais début d’année, il est vieux. On en vient à se dire qu’il le fait exprès, pour asseoir son image de grand, que de venir courir sans gagner, pour se montrer humain. Je ne serais pas surpris qu’il se présente enfin aux élections, fort de cette histoire d’échec assumé, en 2012. Je m’en désintéresse pas mal, en fait, de la déchéance d’un ancien grand.
L’information : ♥
On ne peut pas dire que regarder ce tour ait été une grande innovation, en termes de couverture médiatique. France Télévisions nous ressort exactement le même dispositif que les années précédentes, comme si son audience n’évoluait pas, que le Tour vivait hors de tout. Les commentaires en direct sont toujours aussi mous, partiaux ou mauvais, renseignent peu, et font penser à un système vieillissant, plus qu’à une véritable entreprise d’information. On est bien dans l’info-spectacle. Du coup, on va à l’étranger, ou en direct sur des infos de coureurs, pour trouver quelque chose. Mais c’est mou. Même sur twitter, où un bon paquet de coureurs s’expriment, on ne trouve pas grand chose à se mettre sous la dent.
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Le Tour ne commence pas aujourd’hui. Il entame sa dernière semaine, la plus dure, assurément. Place au grand spectacle. On n’attend plus que du combat, du vrai.
lire le billetC’est donc fait. Malgré ce que tout le monde disait (moi le premier) sur des Alpes amoindries dans le tracé 2010, peu mises en valeur, on aura eu une sacrée sélection, pour se retrouver avec le véritable duel attendu : Contador contre Schleck. Ils ont laissé, dans le col de la Madeleine, tous leurs concurrents derrière eux. Ca n’a donc pas été une bataille : les deux favoris, s’ils se battent de front, le feront dans une ascension du Tourmalet. Ce fut un détachement, principalement dans la Madeleine, donc.
L’écart s’est fait dans la montée de la Madeleine, donc. Au sommet, Contador et Schleck avaient mis leurs rivaux loin derrière eux : 1’39 pour Menchov et Leipheimer, 7’34 pour Evans. En s’attaquant légèrement (Schleck jouant avec Contador, qui jouait au patron réactif), ils ont de fait collabora pour distancer les petits joueurs.
Ce qui est néanmoins frappant, et amusant, c’est que l’écart s’est également creusé dans la descente. Contador et Schleck ont fait une descente fantastique de la Madeleine, et très bien roulé sur le bas. Ils arrivent avec 2’05 d’avance sur le groupe Leipheimer – Menchov, et 8’07 sur Evans. Trente secondes de mieux, grosso modo, sur les descentes des autres coureurs. Un tiers de l’écart final aura été fait dans la descente, deux tiers dans la montée. C’est rare, et ça prouve que le mythe de l’arrivée en hauteur ne vaut pas toujours : une descente, c’est parfois majeur, même si ça ne fait que succéder à une montée qui est l’endroit où se décide le classement. Schleck, qui n’est pas réputé un très bon descendeur, peut remercier la pugnacité et l’intelligence de Contador dans cette phase de l’étape : il a suivi le boss, dans sa roue, et profité de sa dynamique.
Cela fait voir certaines étapes à venir autrement. On se disait que l’étape monstre Bagnères de Luchon – Pau, avec le Tourmalet et l’Aubisque, ne serait pas forcément décisive, l’Aubisque étant loin de l’arrivée. La descente sera un peu amortie par une arrivée tardive. Mais il va falloir regarder aussi Pamiers-Bagnères, lundi prochain : le col du Port de Barès, hors catégorie, est à 20 km de l’arrivée. Les deux leaders vont-ils jouer une carte similaire ? Contador, fort de ses capacités de descendeur, va-t-il tenter de choper son jeune rival et lui gagner des secondes dans la descente ? Les ténors de second rang, qui se battent désormais pour la troisième place, ont compris qu’on pouvait manger des secondes dans cette phase de jeu : comment vont-ils anticiper ces étapes-clefs ?
Ce sont des cartes à jouer, et une leçon : la montagne, on y crée un classement dans la montée, on peut le modifier un peu dans la descente…
lire le billetTu ne peux pas comprendre.
Ce qui unit un fan de base à Sandy Casar, c’est quelque chose de bizarre. Ce coureur n’est rien, mais il est tout, pour l’amateur de vélo. Ce n’est pas un grimpeur légendaire, du genre à placer une attaque au milieu de la Madeleine ; ce n’est pas un sprinteur, du genre qui te couche un peloton en étant plus gros que les autres ; ce n’est pas un coureur de classiques, à la Philippe Gilbert, tactique, puncheur au bon moment ; ce n’est pas un immense gars qui te met du palmarès plein la vue en te montrant, chargé comme une mule, que c’est le plus fort.
Casar, c’est le vélo, et c’est la France. Il est complet, polyvalent, malin, et surtout, il en veut. Il connait ses limites, les avoue et les montre, mais le surpasse avec talent, quand il le faut. Et souvent, il trébuche, il finit deuxième. C’est pas un souriant, aussi, bogosse du vélo et personal branding. C’est pour ça qu’il est beau, qu’il est comme nous, et qu’il me plait. Il n’est pas plein de morgue, il est plein d’envie, de stress, de peurs face à son sport. En tout cas, c’est ce qu’on lit quand on le voit courir. Et pourtant, il est grand. C’est un coureur sincère, pas faux, et qui sait te faire rêver quand même parce que oui, il gagne.
Même après des gadins.
Mais heureusement, pas aujourd’hui.
Et puis, il est mobile, il s’adapte. En début de Tour, il visait une place au général. Deux étapes, et l’objectif s’éloigne ? Hop, on remonte sur sa selle, et on change d’enjeu. Qui perd gagne. Et peut gagner encore. Une étape, comme celle d’aujourd’hui, c’est la classe, ça reste. Casar est comme nous, quand on est en forme : il rebondit, évolue, change. On aimerait être un français comme lui, plein d’envie, heureux de son taf, dur au mal, sachant économiser quand il faut, comme quand il flanche un peu sur la Madeleine, mais réservant son effort pour ce qui est important.
Faut dire qu’il a du passé, sur le Tour. Cinq fois deuxième, sur des étapes où il fait le boulot, et se fait bêtement moucher à la fin. On l’a déjà dit trop de fois, et trop l’ont raillé, pour ça. Ce n’est pas Poulidor pour autant : il en a moins à son actif, des deuxième, et sa concurrence n’a plus rien à voir. Il fait son boulot. A ceux qui lui promettent un avenir éclatant, quand, en 2002, il éclate sur Paris-Nice, il a répondu par le travail et la propreté, avec Madiot, son patron. Il a tenu sa place, avec envie, mais aussi, on le sent, en sachant que certains niveaux sont hors de portée, et que la gloire est là, dans ces autres choses que le grand classement.
Il est des seizièmes ou des douzièmes du Tour qui sont plus beaux que les patrons, parce qu’ils sont justes. Il est des premiers d’un jour qui font vibrer, grave, parce que leurs bras levés sont le fruit d’une intelligence et d’un style, mais aussi d’une sacrée vérité dans le cyclisme. Une simple vérité qui nous parle.
Bravo Sandy ! Un victoire de plus ! Et merci, tu es le vélo.
lire le billetDans le monde entier, un débat anime le monde de l’information : celui des données ouvertes. Open data, on dit, aux Etats-Unis, où l’administration Obama a lancé un très large mouvement de mise à disposition des données publiques dans des formats qui permettent leur utilisation libre. Ce débat concerne beaucoup l’action publique : des données sur l’action des députés, leur financement, à la mise à disposition électroniquement utilisable des données d’état civil, partout, dans toutes les administrations au monde, on débat sur la mise à disposition de ce qui est un domaine commun.
La philosophie de ce grand mouvement d’ouverture des données publiques est simple : le monopole de l’utilisation d’une donnée est peu fertile. L’ouverture des données crée des usages, permet les connexions, soit pour qu’un meilleur service d’information soit rendu avec celles-ci, soit pour qu’un secteur économique se développe. Par exemple, l’information d’état civil, en France, bien que publique, est extrèmement difficile d’accès, hétérogène dans ses formats et ses accès, et pas disponible de manière électronique. Pourtant, une demande forte existe, de généalogistes, historiens, démographes. Les rendre libres d’accès, et accessibles facilement de manière électronique, dans des formats standards, permettrait de développer de nouveaux secteurs d’activités, et de rendre un meilleur service aux citoyens. Au Royaume-Uni, l’ambition est de créer jusqu’à 6 milliards de Livres Sterling de nouvelles activités grâce à l’ouverture de données publiques.
Débat ridicule ? Non. Vrai sujet de gouvernance, d’information à l’âge numérique, et enjeu économique. Mouvement qui mobilise de nombreuses administrations, et des militants qui ne sont pas ridicules. La France pourrait y trouver, si elle s’en emparait bien, d’un sacré réservoir de croissance en même temps que d’approfondissement de sa démocratie.
Ce débat ne devrait pas concerner que les administrations.
Le Tour de France, comme la plupart des grands événements sportifs, ne rend publiques et accessibles, utilisables, aucune des données concernant son activité. Le classement, les statistiques des coureurs, leurs fiches, les archives des temps de montée sur les étapes, tout cela n’est pas vraiment utilisable, sauf à investir, sur une donnée qui est pourtant publique, dans un lourd travail de compilation manuelle, comme peut le faire un journal comme L’équipe (et encore, allez trouver chez eux un classement du tour qui apporte un peu de valeur ajoutée…). Même le New York Times fait une couverture assez décevante de l’épreuve.
L’organisateur de l’événement, ASO, comme une bonne vieille administration, se dit que le monopole sur ces données a une valeur (la garder, plutôt que la distribuer). Raisonnement d’avant-web. Un tel organisateur aurait potentiellement un bénéfice immense à construire un accès public à ses données, structurées, accessibles, bien foutues. D’abord, le monopole est déjà mort : des milliers de sites d’information donnent la même information brute, de base, que celle que fournit le site officiel d’ASO. L’information de base ne vaut plus rien. Le direct et la vidéo, quand ils sont en monopoles, ont une valeur, mais limitée. L’avenir est dans l’approfondissement du traitement, qui va au-delà de chroniques et commentaires, que tout le monde peut faire. Et, dans le cyclisme plus que dans tout autre sport, la donnée est reine : classements de jour en jour ; écarts au fil des étapes ; temps de montée des côtes coureur par coureur ; tout est données dans ce sport (enfin, tout pet se ramener à cela).
ASO collecte énormément de données, et les valorise peu. On pourrait en collecter plus, et mieux. Et on pourrait en faire quelque chose. ASO pourrait en retirer un bénéfice. Soit par la revente d’informations structurées, qui respectent les 8 principes de l’open data (complètes, primaires, à jour, accessibles, exploitables par ordinateur, accessibles à tous, disponibles dans un format libre, et libres de licence). Que se passerait-il ? Des centaines d’acteurs, des milliers, se mettraient à en faire quelque chose. Des classements en relief, des comparaisons de performance historique, des services de suivi en temps réel, des visualisations en direct des ascensions de cols avec simulation des performances des autres coureurs (des concurrents ou des épreuves passées)…
Avec des données ouvertes, on n’aurait pas droit qu’à cette couverture télé, mais à une vraie intelligence de la course. On pourrait, comme je l’appellais l’année dernière, y ajouter un véritable travail sur la valorisation des performances des coureurs (ah, tiens, on peut regarder par là). Mais même sans entrer dans un travail critique sur la performance, on pourrait la rationaliser, satisfaire les millions de passionnés qui se gavent de cette information sur le Tour, et en ressortent volontiers frustré : à l’heure où, sur chaque match de football, on s’abreuve de statistiques en tout genre, de visualisations 3D des buts, sur le cyclisme, on n’a rien qu’une liste de temps, et des fiches de coureurs.
ASO le fera-t-il ? J’en doute. La logique de cette organisation est encore dictée par celle d’un monopole, et celle de la protection des intérêts du cousin, L’équipe. La création d’un réseau de promoteurs du Tour, de création d’attention sur un tel événement serait énorme, pourtant, avec de nombreux bénéfices indirects sur la compétition, le sponsoring, sans compter l’information professionnelle, pour les équipes, les équipementiers, les media… Cela ne se fera pas ? Pas tout de suite. Reste que l’on pourrait appeler à construire, et libérer les données sur le Tour. Cela permettrait, pour un des spectacles les plus suivis au monde, de s’informer comme on peut l’être à l’heure du numérique… Faudra-t-il attendre encore dix ans pour que l’on s’informe bien sur cet événement ?
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