Ce Tour ne fut ni un grand cru, du genre qui reste dans les mémoires, ni un petit truc frustrant. Tour de fin d’une époque, ou de début d’une autre ? Des adieux, des changements de style. Revue sous forme de liste.
Le général nous a offert un modèle de fausse bataille. Deux coureurs qui s’apprécient, se jaugent, collaborent, s’attendent, s’entendent, et font la différence sur un icident mécanique. Le duel entre Contador et Schleck n’en a pas été un. On s’est rendu compte que la victoire sur un tour ne se joue pas à la forme (Andy Schleck semblait plus fort), mais à l’intelligence de la course, et au fait que les autres osent moins que le patron. Etre chef, c’est aussi celà : se montrer impérieux, faire peur, contrôler. Plus que briller par la puissance effective, faire parler son mystère. On restera déçu : quand le favori gagne alors qu’on le sentait prenable, forcément…
Contrastre total avec la bagarre des sprinters. Là, c’en a été une (et elle se finit ce soir). Pas de concessions, et trois stratégies de courses différentes. Petacchi le puissant, le gros, qui assomme un sprint de loin, en solo, en temps long. Cavendish le bagarreur, qui joue avec les limites des règles, fout dehors les autres. Et Hushovd le malin, un renard des surfaces, un homme qui compte les points. Les trois peuvent finir avec le maillot ce soir, et ils ne se sont pas fait de concessions. Du vrai combat, du vrai suspense. Voilà du sport.
Le maillot à pois ne récompense plus le meilleur grimpeur, mais celui qui sait le mieux jouer avec la tactique de course, se placer en parallèle de la course des leaders pour tailler. C’est un talent, réel, que de savoir choisir un autre combat que celui qui vous dépasse. Charteau a été à l’image du cyclisme français : malin, forçant le respect par sa ténacité, doté d’une sacrée intelligence tactique. Ça vaut tous les Virenque.
De loin, sur le papier, j’étais assez dubitatif de ce parcours. Après coup, je n’ai pas grand chose à en dire. Certes, ce n’est pas le parcours qui fait la course, mais on a eu ce qu’il fallait, au bon moment, au bon endroit. Un début trépidant alors qu’il est souvent soporifique. Des Alpes enthousiasmantes, des Pyrénées éblouissants, de beaux sprints, du baroud, et un contre-la-montre dans un paysage de rêve. Un regret : le manque d’une montagne intermédiaire, d’un Ventoux, d’une côte isolée qui fixe l’attention.
Ce qui n’est pas prévisible, la météo, a donné aussi son spectacle : soleil écrasant la plupart du temps, poussière du nord, pluie et brume au Tourmalet. La grande classe.
On n’a pas entendu le mot du Tour. Pourtant, Petacchi faisait l’objet d’une enquête, et Landis balançait à fond sur Armtrong. Ca confirme que la lutte contre le dopage est essentiellement performative : moins on en parle, moins il semble être là. La réalité, aussi, c’est que les performance surnaturelles semblent avoir disparu. Contador est loin de ses performances d’extraterrestre de Verbier l’année dernière. Il n’en a pas eu besoin ? Amaury, l’UCI et l’AMA se félicitent. Je resterais plus circonspect : dès qu’on se rassure, on perd le contrôle, et les vieilles pratiques reviennent. Ne pas baisser la garde, et remettre en piste l’AFLD sur son terrain seraient de bon ton.
Il est des tours qui font l’histoire. Ceux de bagarres homériques au sommet, ou de leaders qui en imposent par leur classe. Ceux de sombres moments.
Celui-ci n’en fut pas. Il ne laissera pas de grandes traces. Mais il est fort de son passé : il nous a rappelé, dans chaque épisode, une petite page des cent années précédentes. Il était fort de son patrimoine, des pavés du Nord au Tourmalet. Il a fait ses adieux à Armstrong, à Moreau. Il a oublié un peu ce qui lui a fait mal. Il a glorifié ceux qui lui font du bien : les coureurs de panache, les Français qui gagnent.
On attend celui de l’année prochaine. Pour le programme, on l’aimerait complémentaire à celui-ci : une fin dans les Alpes, un Ventoux, plus d’étapes de cabotage intermédiaires (pourquoi pas du Massif Central ?). Et on aimerait aussi que le folklore soit bousculé : quand aura-t-on une autre étape de fin que ce sprint vélodromique (certes passionnant) sur les Champs-Elysées ?
Le Tour pourrait s’endormir, avec des leaders trop courtois, un manque de suspense, peu de renouvellement, des contrôles antidopage qui s’affaissent. La sérénité ne se décrète pas : elle se conquiert par l’innovation, le dépassement, dans le respect de l’histoire… Les coureurs le savent, aux organisateurs de le provoquer…
En tout cas merci pour cette chronique, bien agréable à suivre, bon contrepoint à des commentaires trop formatés. Et ce tour était l’un des plus plaisants à suivre depuis longtemps, sans doute parce qu’on a évité les performances invraisemblables et que tout le monde semblait avoir des faiblesses.
Pour le final je me demande toujours pourquoi ils ne refont pas un clm individuel sur les champs, comme la fameuse année Fignon-Lemond.
En tout cas, il y a de quoi être optimiste pour l’avenir, avec une potentielle bagarre Andy-Contador qui pourrait atteindre des sommets pendant plusieurs années.
On peut d’ailleurs se satisfaire de voir Andy courir comme un leader unique sans son frère… mais aussi être pressé qu’il le retrouve l’an prochain, ce qui permettra de nombreuses possibilités tactiques.
Par contre, on peut être déçu de ne voir quasiment que deux coureurs tentant réellement de gagner ce Tour (3 si l’on rajoute Cadel Evans, pendant un temps). Menchov ou Basso (très loin de sa meilleure forme) n’ont ainsi strictement rien tenté en ce sens. Dommage.