Voilà comment va se passer cette journée. Ou pas. Oui, en fait, certainement pas.
12:30 : départ fictif. On quitte Pau, et c’est la tension maximale dans le peloton. Tout le monde a un enjeu sur cette étape. Tous ceux qui n’ont pas fait le boulot dans les étapes précédentes se disent que c’est la dernière. Seuls les Français baroudeurs savent qu’il leur reste demain. Le maillot vert peut changer de mains encore aujourd’hui. Le maillot à pois retrouve un duel avec Moreau-Charteau (contre Pineau-Charteau auparavant, c’est le maillot d’eau). La victoire d’étape est la plus belle du parcours. Et 8 secondes séparent les deux leaders. Du coup : ça frotte dès les premiers mètres.
12:50 : toutes les premières tentatives d’échappée ont été tuées par un train d’enfer conjoint des Astana et des Saxo Bank. Mais une première réussit, juste avant la montée de Renoir, parce qu’elle réunit des coureurs peu menaçants au général. Petite échappée. Cinq coureurs, dont deux Français. Pas de prétendant à un maillot, personne dans les 20 premiers.
13:30 : on monte dans Marie-Blanque, le premier de la journée. Peloton tendu en bas de côte, et lâchage immédiat d’un large gruppetto. Les Saxo Bank, qui ont mené un train d’enfer, laissent la place aux Astana dans la montée. L’échappée est maintenue à 5 minutes grand maximum. Ni Schleck ni Contador n’attaquent, ils travaillent ensemble à lâcher presque tout le monde, dans un mini-peloton, qui passe le col à une grosse vingtaine. Seuls quelques Français arrivent à tenir dans ce groupe : Moreau, Charteau, Casar, peut-être Le Mével et Gadret. Schleck est sans équipier, Contador a avec lui deux ou trois copains. Contador et Schleck laissent Moreau et Charteau s’étriper dans le col. C’est dans le plat que l’échappée est absorbée.
14:00 : on descend, à toute blinde. Il faut voir Vinokourov tenter d’assommer tout le monde en emmenant un peloton dans une descente et un plate de malade. En ligne : le Soulor. Une heure de descente et de plat, pas un gramme de pause.
15:00 : on est au pied du Soulor. Et là, c’est la bagarre. Ca commence par Schleck, tout fou, qui commence par lâcher Contador. Puis celui-ci revient, tiré par deux copains, en un long effort, où il les lâche ensuite, et revient sur le gamin ensuite. Ils lâchent tout le monde pendant un temps, puis, s’étant bien regardés, ayant jaugé leurs capacités, se redressent un peu. Reviennent Menchov, Sanchez, Armstrong (tiens, qu’est-ce qu’il fait là, lui ?), et quelques autres. Les petits Français sont dans les choux.
15:30 : on passe le col en groupé, tendu, à moins d’une dizaine. En vue : le Tourmalet. Après la descente, on a 20 Kilomètres de plat avant de monter le bonhomme.
16:30 : on est à Barèges, en bas du col. Schleck et Contador se regardent, se regardent, se marquent à la culotte. Aucun des deux n’ose placer l’attaque au bon moment. Ils ont beau s’être chargés comme des mules, aucun n’a suffisamment confiance. Ils roulent dur, linéaire, pendant tout le début de la montée? Du coup, ce sont les autres qui y vont. Armstrong, dans un moment tactique fort, place, après que Menchov et Sanchez aient été contrés par les patrons, une attaque décisive. Il mentait depuis le début, se faisant un peu lâcher, montrant des faiblesses, disant qu’il n’y était pas, que c’était fini pour lui. Son attaque est imparable, forte, nette. Il se détache comme il faut. Très vite, il prend deux minutes dans la montée, et on dirait vraiment une mobylette. Il atteint un sommet historique de puissance développée.
Contador et Schleck font un duel de contrôle des deux suiveurs (Mechov et Sanchez). Et, tard, tard, Schleck passe une attaque. Contador semble défaillir, encore, puis réagit, et le rattrape, le remonte, s’ensuite un court duel fait d’attaques mutuelles, sur la fin du col. Ils ne sont plus que deux. Armstrong devant, et se bagarrent comme deux gamins le feraient en fin de course de village.
17:00 : Armstrong passe le Tourmalet en vainqueur. Bras levés, grand sourire. Demain, toute la presse américaine saluera le courage et la force de volonté (dans la lutte contre le cancer) d’un coureur vieilli, usé et fatigué, qui a su trouver les ressources nécessaires pour vaincre le Tourmalet en solo. Nicolas Sarkozy va féliciter le grand gagnant, louer ses capacités de ténacité, explique lui aussi ne renonce jamais dans sa volonté de réforme de notre pays.
17:01 : Contador passe avec 5 secondes d’avance sur Schleck. Match nul. Schleck promet en arrivant en haut qu’il va tout jouer dans le contre la monte de Samedi. Tout le monde rigole.
17:48 : le premier gruppetto arrive. Et là, on se rend compte que la montée d’Armstrong, de Schleck et de Contador ont été les plus rapides de l’histoire du col. Les derniers vont arriver hors délais, mais ils seront tellement nombreux qu’il va falloir les repêcher. Armstrong fait la montée en 39’39”, nouveau record du col, mieux que son record personnel, qu’Ullrich, que Pantani. Contador et Schleck égalent Pantani. En arrivant en haut, ils ressemblent à des gars qui ont passé un pont, et en redemandent, se disent qu’ils sont peut-être passés à côté de quelque chose.
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C’est aujourd’hui. Et ça ne se passera pas comme ça. Mais ce n’est pas grave.