Drôle d’endroit pour un procès. Et drôle de date. Mais ça, les organisateurs du 10e prix SNCF du polar n’y pouvaient rien. Avouez tout de même que remettre des récompenses estampillées SNCF un jour de grève des trains était, comment dire, osé ? bizarre ? Nous y reviendrons. Hier soir donc, mardi 2 février, La Flèche d’Or, salle parisienne réputée pour son excellente programmation musicale, s’est transformée en tribunal. Dans le box des accusés, six auteurs, trois français, trois européens – une sorte d’association internationale de malfaiteurs -, l’Avocat général, Eric Naulleau (oui, la deuxième moitié du duo Zemmour-Naulleau de chez Ruquier, qui dans la vraie vie est aussi éditeur, écrivain et traducteur paraît-il), le grand témoin, Philippe Torreton, chargé des reconstitutions, heu… de lire des extraits des romans finalistes, à la barre, six avocats, du lourd, du ténor du barreau comme on dit (Maîtres Francis Szpiner et Philippe Valent notamment, sans oublier ces dames, Maîtres Yaël Scemama et Charlotte Plantin) et le Procureur général Guillaume Pépy (en sa qualité de président de la SNCF) qui avoue d’entrée de jeu que le verdict de ce soir n’est recevable d’aucun appel. Tiens, tiens, encore un ex-futur patron sur la scellete ?
Coupons court de suite au suspens, les grands coupables sont : L’exil des anges de Gilles Legardinier (Fleuve noir), dans la catégorie roman français, et Petits meurtres entre voisins de la Néerlandaise Saskia Noort (Denoël), dans la catégorie roman européen. Ces deux-là ont remporté la mise décernée par 3 000 lecteurs cette année. Car tout ce ci n’était en réalité qu’une parodie de justice. Les votes étaient clos depuis plusieurs jours déjà… Mais alors, on nous aurait menti à l’insu de notre plein gré ? Elémentaire, mon cher comme dirait l’autre (au cinéma à partir d’aujourd’hui d’ailleurs, fermons la parenthèse). La cérémonie qui précède la remise des prix est surtout l’occasion de passer un moment savoureux pour le public et de se lâcher dans les plaidoiries pour les avocats. Humour, noir bien sûr, répliques dignes des meilleurs dialogues d’Audiard, piques et boutades sur l’actualité judiciaire récente, tout y est passé.
Avouons-le, nous avions de gros doutes quant à l’Avocat général. Doutes qui furent levés au fur et à mesure qu’Eric Naulleau lisait ses actes d’accusation et qu’il répliquait aux avocats le titillant. “Maître Szpiner, une chose est sûre, vous ne mourrez pas étouffé par votre bonne foi”, restera notre remarque préférée. Car, face à six professionnels de cette trempe (pour citer tout le monde, se sont aussi succédés à la barre Maîtres Antonin Lévy et Rodolphe Bosselut), habitués des cours d’Assises et des grands procès, il fallait du cran. Nous faisons donc ici amende honorable et promettons de regarder dorénavant Naulleau le samedi soir sur France 2.
Au cours de ce faux-procès, les bavards, comme on les appelle, ont confirmé qu’ils portaient bien leur surnom. Tous les avocats ont fait preuve d’une verve admirable pour défendre les oeuvres finalistes. Et l’on découvre que sous la robe noire de la femme et de l’homme de loi se cache parfois un(e) humoriste et, surtout, de petit(e)s coquin(e)s. Illustration avec deux extraits des plus applaudis hier soir.
Francis Szpiner (client : Hervé Le Corre pour Les Coeurs déchiquetés) :
“J’apprécie l’indépendance du Parquet […] Le livre que je défends va gagner, et il va gagner malgré moi. Cela porte un nom, la prédestination […] Regardez la couverture, pénétrez-vous du nom de l’auteur, Hervé Le Corre. Qui dit mieux ? Comment parler d’un crime sans le corps ? Il est essentiel au polar […] Le titre maintenant, Les Coeurs déchiquetés, extrait d’une chanson de Léo Ferré… Ferré, Le Corre… Le prix SNCF lui est destiné ! En ces temps de barbarie et de bling-bling mélangé, où quand vous citez Camus on vous demande : Jean-Claude ?, il faut avoir du courage pour respecter le lecteur et une exigence dans l’écriture […] Si vous prenez Marc Lévy pour un écrivain, Doc Gynéco pour un rappeur et Steevie Boulay pour un penseur, passez votre chemin. Mais si vous aimez la littérature, aimez ce livre et donnez-lui ce prix. Pour le reste, ceux qui m’aiment prendront le train.”
Charlotte Plantin (cliente : Saskia Noort pour Petits meurtres entre voisins) :
“Chers lecteurs, chères lectrices, chers jurés, Monsieur l’Avocat Général, chères mamies, cher Pépy, chers tous […] Comme les organisateurs du prix du Polar SNCF sont de moins en moins respectueux des droits de la défense et de l’ego des avocats, ils ont décidé de limiter les plaidoiries à 3 minutes […] Soit je ne parle pas de l’ouvrage, mais je vous parle de moi. Soit j’expurge les phrases des sujets, des verbes et des compléments pour coller au timing et vous décris l’oeuvre de la façon suivante : livre-meurtre-322 pages-17,50 €-frissons-coït-angoisse-coït-course-poursuite-coït- grosse policière lesbienne-coït-café hypocrite entre copines-coït-orgasme-coït-coït-coït ! […] Vous vous plongerez avec délices dans cette intrigue, dans ces psychoses de bourgeois de la banlieue d’Amsterdam qui ne sont pas sans rappeler les bourgeois de Neuilly-sur-Seine, la blondeur en plus et Jean Sarkozy en moins, dans ces adultères feutrés, dans la perversité des protagonistes.”
Prestation remarquée également d’Antonin Lévy, qui défendait notre favori, DOA, pour Le Serpent aux mille coupures. Malgré son talent, il a perdu, pour une fois, son procès. Après les six plaidoiries, l’heure du verdict a sonné. Et c’est en robe de procureur que le patron de la SNCF est entré en scène, pardon dans la salle d’audience : “le talent, lui, ne fait pas grève ce soir”, a-t-il déclaré en préambule de la lecture du verdict. Humour noir, toujours. Et réponse à la fin de la plaidoirie de Charlotte Plantin qui, outre le fait d’être fort séduisante (n’est-ce pas Monsieur Naulleau ?), n’a pas sa langue dans sa poche : “En plus du sang, du stupre et de la sueur, emportez dans votre délibéré ce dernier argument. Pensez à ces milliers d’usagers qui s’entassent sur le quai des gares, pendant que la SNCF élit son polar de l’année avant de déboucher le champagne…”
Ces prix SNCF du polar sont importants car ils sont décernés par un jury composé de lecteurs. Ils étaient 3 000 cette année, organisés dans des comités de lecture régionaux. Les inscriptions (sur le site dédié du prix) pour faire partie du prochain jury ouvriront dès le 12 février prochain. Allez, pour finir, on ne résiste pas à vous faire partager un extrait du communiqué de presse annonçant les lauréats, citant Guillaume Pépy, très en verve : “Grâce [à ces prix], le fameux roman de gare a pris toute sa signification et le “mauvais genre” a choisi la bonne voie.”
Bibliothécaire participante, ainsi que d’autres collègues, je suis déçue et indignée de ne jamais être consultée sur le choix comme il y a quelques années. Maintenant tout est virtuel et les lecteurs s’interrogent …C’est du show biz ,c’est tout.
Madame Vigreux,
Je me permets juste de vous préciser que les sélections du Prix SNCF du polar sont d’abord faites par Christine Ferniot, journaliste spécialiste du polar. La Commission, qu’elle préside, est composée de grands lecteurs – ceux qui ont été repéré comme participant activement au Prix – et de spécialistes du polar par leur métier. Aussi, tout le monde ne peut pas faire partie de cette Commission, mais si vous participez au Prix, peut être en ferez vous partie un jour?