La vogue du vaccin ne se dément pas. Après la nicotine, voici l’obésité. Les vendeurs de régimes diététiques n’ont qu’à bien se tenir. Ils vivent peut-être leurs dernières années d’opulence. Et ce sont les firmes pharmaceutiques qui pourraient prendre le relais pour tirer profit d’un mal qui sévit dans le monde entier, Etats-Unis en tête. Les perspectives sont si considérables qu’une entreprise de biotechnologies américaine, Braasch Biotech LLC, a décidé de concentrer sa stratégie sur ce type de vaccin, dont la cible principale est l’obésité humaine et animale. Pour ce qui est des animaux, la société est parfaitement bien localisée. Elle est en effet implantée à Garretson, dans le Dakota du Sud, une “ville” de 1166 âmes… Son président et directeur scientifique est Keith Haffer, spécialiste du développement de vaccins depuis 30 ans.
Braasch travaille sur une deuxième génération des vaccins fondés sur l’action sur une hormone, la somatostatine dont l’une des actions est d’inhiber le largage de l’hormone de croissance (GH) et d’une hormone secrétée par le foie (IGF-1). Ces deux hormones sont impliquées dans le métabolisme. Le vaccin utilise une somatostatine modifiée qui provoque la production par le système immunitaire d’anticorps contre la somatostatine naturelle. Il induit ainsi une suppression de l’inhibition de l’hormone de croissance sans interférer directement avec elle. Au final, l’organisme consomme plus d’énergie et il perd du poids.
Keith Haffer a testé le vaccin avec deux groupes de souris comprenant chacun 10 animaux obèses mâles. Le premier groupe a reçu le vaccin et l’autre des injections d’une solution saline. Toutes les souris avait été, auparavant, nourries avec un régime très gras pendant 8 semaines et elles ont continué à manger le même type de nourriture pendant les 6 semaines de l’expérience. Les vaccinations ont été administrées deux fois, la première injection ayant lieu au début de l’étude et la seconde 22 jours après.
Quatre jours après la première injection, les souris vaccinées ont affiché une perte de poids de 10% qui n’a pas été observée sur les souris non vaccinées. A la fin de l’expérience, les résultats ont montré que les deux injections ont provoqué la production d’anticorps à la somatostatine sans affecter les niveaux normaux d’hormone de croissance IGF-1 et d’insuline. Les souris traitées ont conservé leur perte de poids de 10% jusqu’à la fin du traitement.
“Cette étude démontre la possibilité de traitement de l’obésité par vaccination”, affirme Keith Haffer. “Bien que de nouvelles études soient nécessaires pour découvrir les effets à long terme de ce vaccin, la traitement de l’obésité humaine par vaccination devrait apporter aux médecins une alternative aux médicaments et à la chirurgie pour lutter contre l’épidémie de surcharge pondérale”. Les résultats de l’étude doivent être publiés dans la revue Journal of Animal Science and Biotechnology du 8 juillet 2012.
On se prend alors à rêver un peu. Il suffirait d’un double vaccin, nicotine et somatostatine, pour arrêter de fumer sans prendre de poids ! De quoi supprimer l’un des freins à l’arrêt du tabac. Et pour ceux qui ne fument pas, on imagine leur joie de pouvoir enfin dévorer sans grossir, et même maigrir en mangeant bien gras… Le paradis, non ?
Michel Alberganti
lire le billetPour les souris souffrant d’une dépendance à la nicotine, il va devenir beaucoup plus facile de s’en passer… Pour les hommes, il va falloir attendre un peu mais la piste ouverte par les chercheurs du Weill Cornell Medical College de l’université Cornell à New-York, semble prometteuse. L’idée est simple: pour stopper la dépendance à la nicotine, il suffit de l’empêcher de parvenir au cerveau. L’équipe de Ronald G. Crystal, professeur de médecine génétique, promet même une protection à vie… “Le meilleur moyen de traiter la dépendance chronique à la nicotine des fumeurs est de disposer de patrouilles d’anticorps, style Pac-Man, qui nettoient le sang de la nicotine avant qu’elle ait eu le temps de provoquer le moindre effet biologique”, déclare-t-il au sujet de l’étude dont il est le principal auteur et qui a été publiée dans la revue Science Translational Medicine du 27 juin 2012.
“Notre vaccin permet au corps de fabriquer ses propres anticorps monoclonaux contre la nicotine et de développer ainsi une immunité qui fonctionne”, explique Ronald Crystal. L’idée est si simple que l’on peut se demander pourquoi les chercheurs n’y ont pas pensé plus tôt. Il suffit en effet de traiter la nicotine comme un virus ou une bactérie infectieuse. Si l’on apprend au système immunitaire à reconnaître cette molécule comme un agresseur, il la détruira. Ainsi, la nicotine ne pourra plus parvenir au cerveau et activer les centres de plaisir qui sont à l’origine de la dépendance. CQFD.
Les essais précédents de vaccin contre la nicotine avaient échoué parce qu’ils apportaient eux-mêmes des anticorps. Leur efficacité était ainsi réduite à une durée de quelques semaines et ils imposaient des injections répétées et coûteuses. De plus, les doses nécessaires étaient variables suivant les patients. Ce type de vaccin est dit passif car il ne fait pas appel au système immunitaire contrairement à ceux, dits actifs, qui eux apportent une faible dose de l’agresseur afin que le système immunitaire apprennent à le reconnaître et à le détruire. Les chercheurs de Cornell ont mis au point un troisième type de vaccin, dit génétique, développé initialement pour traiter certaines maladies des yeux et certains types de tumeurs.
Pour la nicotine, les scientifiques ont utilisé la séquence génétique d’un anticorps spécialement créé pour attaquer de la nicotine par l’un des co-auteur, Jim D. Janda du Scripps Research Institute, et ils l’ont introduit dans un virus conçu pour être inoffensif. Ils ont également introduit dans ce virus les informations nécessaires pour qu’il se fixe sur les cellules du foie. C’est ainsi que le virus sert de vecteur à la manière d’un missile guidé. Sa charge utile est constituée par la séquence génétique de l’anticorps anti-nicotine. Lorsque la cible est atteinte, la séquence génétique de l’anticorps s’intègre au noyau des cellules du foie. Ainsi reprogrammées, ces dernières se mettent aussitôt à produire en série des molécules d’anticorps anti-nicotine parmi toutes les autres qu’elles fabriquaient auparavant. Le tour est joué.
Chez les souris, le vaccin a provoqué la production de taux élevés d’anticorps que les chercheurs ont pu mesurer dans le sang des animaux. Ils ont pu également observer qu’une faible partie de la nicotine injectée dans l’organisme des souris parvenait au cerveau. Il semble que les animaux n’ont pas été affectés par cette double injection et ont poursuivi une activité normale. En revanche, ceux qui n’avaient reçu que l’injection de nicotine ont affiché une attitude de forte décontraction tandis que leur pression sanguine et leur rythme cardiaque baissait, signes révélateurs de l’action de la nicotine sur le cerveau.
Les chercheurs s’apprêtent maintenant à tester le vaccin sur des rats et des primates avant de passer aux essais sur l’homme. Pour Ronald Crystal, cette solution pourrait aider les personnes qui souhaitent arrêter de fumer à ne pas rechuter car, si elles recommençaient à fumer, elles n’obtiendraient plus le plaisir escompté. Il estime également, étant donné l’absence d’effets nocifs du vaccin, qu’il pourrait être administré à titre préventif, comme les vaccins contre les maladies infectieuses. “Tout comme lorsqu’ils décident de faire vacciner leurs enfants contre les papillomavirus (HPV), les parents pourraient faire appel au vaccin contre la nicotine. Mais il s’agit d’une option théorique pour l’instant”, ajoute avec prudence le chercheur. “Nous devons, bien entendu, évaluer le bénéfice-risque et il faudra des années d’études pour l’établir“.
Les travaux de Ronald Crystal ne peuvent que susciter l’admiration face à l’exploit médical et l’espoir pour ceux qui désirent arrêter de fumer sans y parvenir avec les méthodes actuelles. Ils appellent également quelques remarques. Il est notable que la démarche s’attaque à la nicotine, composant du tabac qui engendre le plaisir de fumer et qui n’est pas à l’origine des maladies provoquées par le tabagisme. Le vaccin a donc l’effet inverse des prises orales de nicotine visant à apporter la satisfaction sans les effets nocifs. La méthode consistant à détruire définitivement une source de plaisir peut également faire débat. Elle s’apparente en effet à une forme de castration… Enfin, il est notable que la puissance de la technique de thérapie génique utilisée, si elle fonctionne sur l’homme, revient à modifier le génome de certains cellules du corps humain. L’action du vecteur virus rappelle la procédure qui a permis de soigner les bébés bulles en France. Il sera sans doute nécessaire de réfléchir à l’extraordinaire potentiel de telles modifications effectuées au plus profond de l’organisme humain. Comme dans d’autres domaines de la médecine, cette réflexion conduira sans doute à tenter d’encadrer ces pratiques afin d’en éviter les dérives. Pour l’heure, réjouissons nous de cette avancée qui laisse poindre la perspective d’une éradication du tabagisme.
Michel Alberganti
lire le billetJusqu’au 2 mai, c’est la semaine européenne de la vaccination. Une nouvelle fois, c’est sur le vaccin contre la rougeole (auquel sont associés les vaccins contre les oreillons et la rubéole, d’où l’acronyme ROR) que l’accent sera mis car la France n’arrive pas à se dépêtrer d’une épidémie qui a commencé en 2008 et ne cesse de prendre de l’ampleur, comme le montre le graphique ci-dessous, tiré d’un bilan effectué par l’Institut de veille sanitaire (InVS) :
Ce bilan indique que 14 500 cas ont été déclarés. Le nombre réel de cas est probablement bien supérieur. La principale raison expliquant pourquoi le virus court, au point que la France est accusée de contaminer ses voisins européens, tient à une vaccination trop parcellaire, que déplore l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pourtant, la vaccination n’est pas du luxe car la rougeole n’est pas bénigne : comme l’explique l’OMS, “les complications les plus graves dues à la maladie sont notamment la cécité, l’encéphalite, des diarrhées graves et la déshydratation qui s’ensuit, des infections auriculaires et des infections respiratoires graves comme la pneumonie. Jusqu’à 10% des cas de rougeole s’avèrent mortels chez les populations atteintes de niveaux élevés de malnutrition et ne pouvant recevoir des soins de santé adéquats.”
En 2010, sur les quelque 5 000 personnes touchées par la maladie en France, 30% se sont retrouvées à l’hôpital. Selon L’Express, la très grande majorité d’entre elles (95%) n’étaient pas vaccinées ou n’avaient subi qu’une seule injection alors que deux sont nécessaires pour être protégé. Depuis le début de l’épidémie, on compte également quatre décès. On sait par ailleurs qu’une vaccination de 95% de la population peut à terme permettre la disparition de la maladie comme c’est le cas en Amérique du Nord et du Sud. On est, en France, bien loin de ce chiffre puisque, selon les chiffres de l’InVS de 2005-2006, seulement 44% des enfants de 6 ans avaient été soumis à la double injection.
La question qui se pose donc est la suivante : si des pays moins riches et moins bien équipés sur le plan sanitaire que la France sont parvenus à se débarrasser de la rougeole, pourquoi n’y arrivons-nous pas ? Pourquoi la couverture vaccinale est-elle mauvaise ? Il y a bien sûr toujours une part de négligence, notamment dans le fait que beaucoup de parents se contentent parfois d’une seule injection alors que le calendrier vaccinal en prévoit deux, la première entre 9 et 12 mois, la seconde entre 12 et 24 mois. Mais cela ne suffit pas à expliquer le phénomène.
Etant donné que le ROR n’est pas obligatoire, mais simplement recommandé (ce qui en réalité devrait signifier “indispensable”), chacun est libre de vacciner ou pas ses enfants. Certains ne le font pas car ils pensent, à tort, que la rougeole est une maladie bénigne. D’autres parce qu’ils craignent les effets secondaires, alors que le rapport risque-bénéfice est clairement en faveur du vacciné. Autre raison que décrit Catherine Ducruet dans Les Echos, l’individualisme bien français qui aboutit au raisonnement suivant : « Je n’ai pas besoin de faire vacciner mon enfant, les autres le sont. » Enfin, comme le dit Didier Houssin, directeur général de la santé, cité dans le même article, « à la sous-estimation des maladies s’ajoute la perméabilité du public – mais aussi d’une partie du corps médical – aux médecines alternatives, voire aux courants anti-vaccination ».
Ce mouvement anti-vaccin est une réalité et il gagne du terrain aux Etats-Unis et en Europe. Pour ce qui concerne la France, le fiasco gouvernemental dans la communication sur le vaccin contre la grippe A/H1N1 en 2009-2010 n’y est sans doute pas étranger mais les racines de ce mouvement sont plus profondes. On se souvient notamment de la controverse, à la fin des années 1990, sur un éventuel lien, jamais prouvé, entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques. C’est à la même époque qu’une étude, dirigée par le chercheur britannique Andrew Wakefield, fait le rapprochement entre le ROR et des cas d’autisme. On sait aujourd’hui que ce médecin, qui touchait de l’argent de l’industrie pharmaceutique, avait délibérément falsifié ses données, raison pour laquelle personne n’était parvenu à reproduire ses résultats. Wakefield a depuis été interdit d’exercer la médecine. Mais le soupçon a mis une dizaine d’années à être lavé et, comme toujours dans ce genre de cas, le mal est fait et les médias ont été beaucoup moins bruyants lorsque le scandale s’est évaporé que lorsque l’article original est paru dans The Lancet…
Le problème, c’est que cette atmosphère de soupçons et de rumeurs, contre laquelle il est déjà par nature difficile de lutter, est entretenue par un petit courant d’activistes anti-vaccins. Aux Etats-Unis, on y retrouve des promoteurs de médecines dites naturelles comme Mercola.com ou le National Vaccine Information Center. Tous les deux viennent d’ailleurs de s’offrir une campagne publicitaire sur un des fameux écrans de Times Square à New York, ce qui a provoqué un tollé dans le monde médical outre-Atlantique. L’égérie de ce mouvement est l’ancienne modèle de Playboy Jenny McCarthy, qui a vu un lien de cause à effet entre la vaccination et l’autisme de son fils. En France, pas encore de “célébrité” pour brandir le même étendard, mais un groupuscule recruté, comme l’a montré une enquête de Conspiracy Watch, chez les habitués des théories du complot, pour la plupart d’extrême-droite. Certains craignent que les médecins profitent de la vaccination pour injecter des puces sous la peau qui serviront aux juifs à prendre le contrôle de l’humanité, d’autres que les vaccins eux-mêmes soient des armes bactériologiques déguisées, le tout dans le but de réduire drastiquement le nombre d’humains sur la planète. Ce genre d’argumentation prêterait plutôt à rire mais, par la magie d’Internet, ces idées diffusent. Ainsi, une de leurs vidéos sur le vaccin de la grippe A/H1N1 a-t-elle été visionnée plus de 800 000 fois.
Chacun est évidemment libre de se faire vacciner ou pas. Ce que je crains cependant, et ce que l’on constate en partie avec cette épidémie de rougeole, c’est que ce genre d’élucubrations se nourrisse du rejet des experts auquel une partie de la société française s’adonne depuis quelques années. Nous sommes passés d’une image sans doute caricaturale où le progrès scientifique et technique allait apporter joie et prospérité à tous et où la figure du chercheur était respectée, car auréolée d’objectivité, à un autre extrême dont j’ai déjà parlé, une image où le savant joue les apprentis-sorciers au service secret de firmes industrielles puissantes qui le payent pour promouvoir les vaccins, les médicaments dangereux comme le Mediator, les téléphones portables aux ondes mortifères, le wifi, les OGM et les produits phytosanitaires, le nucléaire, les nanotechnologies et, maintenant, les sacrifices à faire pour lutter contre le réchauffement climatique. Tous ces produits de la science ne sont pas forcément inoffensifs. Mais pour évaluer leurs vrais risques, il faut s’informer sans sombrer dans la paranoïa.
Pierre Barthélémy
Petite mise au point : après la publication de ce billet et ma participation, sur le même sujet, à l’émission de Mathieu Vidard, la Tête au carré, beaucoup d’auditeurs et de lecteurs s’en sont pris à moi en m’accusant d’avoir fait un gros amalgame avec le mouvement anti-vaccination et d’être vendu à l’industrie pharmaceutique (tout comme certains m’ont accusé, gratuitement, d’être vendu à Areva lorsque j’ai dit que la catastrophe nucléaire japonaise n’aurait pas de retombée significatives en France). Lisez attentivement mon texte (que j’ai repris en très grande partie dans l’émission) et vous vous apercevrez qu’il n’en est rien. J’ai bien spécifié qu’il y avait deux choses différentes : d’un côté ceux qui pour X raisons, ne faisaient pas vacciner leurs enfants contre la rougeole et, de l’autre, ceux qui faisaient la promotion active et souvent délirante de l’anti-vaccination. Et j’ai bien dit que chacun était libre de ses propres choix mais que, pour ma part, je préférais les choix qui résultaient d’une analyse objective. Voilà. Alors, oui, je pense que le vaccin contre la rougeole est une bonne chose parce qu’en seulement dix ans, il a évité le décès de millions d’enfants dans le monde. En revanche, je ne me prononcerais pas sur le vaccin contre la grippe A/H1N1 parce que 1/ il a été fait très vite 2/ on a vu aussi, très rapidement, que la dangerosité de cette grippe n’était pas celle qui nous avait été annoncée. Donc, j’aimerais bien qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit, parce que c’est pire que l’amalgame dont on m’accuse.
Pour ce qui est de ma “complicité” avec l’industrie pharmaceutique. Je dirais tout d’abord que si j’étais payé par cette industrie, je ne serais probablement pas à écrire des piges les jours et des billets de blog la nuit pour nourrir ma famille. C’est un premier point. Ensuite, l’angle de ce billet (qui n’est même pas un article, on est sur un blog), c’était d’exposer les raisons de la non-vaccination contre le virus de la rougeole et pas du tout d’enquêter sur les industries pharmaceutiques avec lesquelles je n’ai aucun conflit d’intérêt, pas plus que j’ai de conflit d’intérêt avec le nucléaire comme d’autres lecteurs l’ont soupçonné.
D’un autre côté, il est vrai qu’il me serait beaucoup, mais alors beaucoup plus facile, d’écrire des petits billets pleins de sous-entendus ironiques sur les potentielles collusions entre Big Pharma et l’Etat : pas besoin de lire des articles de recherche, pas besoin de dénicher de rapports et d’études, de les lire, des les mettre en lien. Non, juste du jus de crâne et c’est bâché en une demi-heure. Si c’est cela que vous cherchez, du café du Commerce qui ne fait pas mal à la tête et ne fait que conforter l’ère du soupçon généralisé, vous ne le trouverez pas ici. Parce que, de la même manière que je déteste qu’on m’accuse sans preuve, je déteste accuser sans preuve.
Un dernier point : c’est tellement facile et lâche, dans l’anonymat des commentaires, d’attaquer gratuitement ceux qui osent prendre la parole pour défendre publiquement la science quand elle assume correctement sa mission, que je commence à en avoir plus qu’assez de tous ces internautes soi-disant experts qui ne donnent jamais aucune référence, ne signent pas de leur nom et s’adonnent avec délices au dénigrement et à la diffamation quand ce n’est pas carrément de l’insulte. Je suis pour le débat à partir du moment où il se fait de manière équitable et cordiale. Les lecteurs ne sont pas obligés d’être d’accord avec moi, et heureusement d’ailleurs. Simplement, pour le dire, il faut qu’ils y mettent et les formes et des arguments valables parce que je déteste la mauvaise foi et les preuves bidon qu’on me balance sans arrêt.
Quant à ceux qui me disent qu’ils sont très déçus et qu’ils ne me liront plus parce que je n’ai pas lissé leurs convictions dans le sens du poil, c’est leur choix. De toute manière, il y a des années que j’ai réalisé qu’on ne prêchait que les convaincus et que ce genre de texte ne pouvait faire changer d’avis qu’à une fraction infinitésimale de la population. Il est des jours où je me demande encore pourquoi je les écris alors que je pourrais passer mon temps à flotter sur mes petits textes rigolos et sans conséquence. Mais c’est précisément parce que je m’en prends plein la tête pour pas cher que je persiste, parce que si un journaliste scientifique ne parle pas des gros problèmes auxquels la science est confrontée, personne ne le fera.
– Pour plusieurs chercheurs, la fragilité de nos sociétés technologiques vis-à-vis des “tempêtes solaires” (éruptions solaires et éjections de masse coronale) s’est accrue au cours des dernières années, qui ont correspondu à une exceptionnelle période de calme dans l’activité de notre étoile. Si de massives bouffées de particules hautement énergétiques devaient atteindre la Terre, de nombreux systèmes risquent de ne pas résister (satellites, électronique, réseaux électriques) et la facture pourrait atteindre les 2 000 milliards de dollars, estiment-ils.
– Un groupe de scientifiques s’exprimant au congrès annuel de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) a dévoilé un modèle montrant que le réchauffement climatique pourrait entraîner, d’ici une trentaine d’années, une augmentation dans les eaux (douces ou marines) des algues toxiques et des micro-organismes dangereux pour l’homme.
– Autre prédiction énoncée à cette réunion de l’AAAS : la pression démographique sur les ressources sera telle au cours des prochaines décennies que la planète pourrait devenir méconnaissable d’ici à 2050.
– Time publie un entretien avec le docteur Paul Offit, qui dirige le département des maladies infectieuses au Children’s Hospital de Philadelphie. Au menu : les dangers du mouvement anti-vaccin.
– Nature consacre un dossier spécial au délicat sujet de l’expérimentation animale et, dans ce cadre, dresse le portrait de Joseph Harris, chercheur en oncologie le jour, et militant de la cause animale la nuit. Il a été condamné à trois ans de prison pour différents actes de sabotage et de vandalisme.
– A l’occasion d’une étude sur la précognition, qui semble montrer que prévoir le futur est possible, Le Temps explique que l’interprétation des statistiques est parfois trompeuse.
– La petite capsule spatiale 3K1-2, qui servit à préparer, en 1961, le vol de Youri Gagarine, premier homme dans l’espace, sera mise aux enchères le 12 avril, chez Sotheby’s, nous signale Le Figaro. L’engin vaudrait entre 2 et 10 millions de dollars.
– Restons dans l’espace en signalant que la navette Discovery a, pour la dernière fois de son histoire, quitté le plancher des vaches en direction de la Station spatiale internationale. Après cette mission, deux autres vols de navette sont programmés avant leur mise à la retraite : Endeavour en avril et Atlantis en juin.
– Pour finir, des épidémiologistes ont trouvé que la fameuse crise de la quarantaine était un mythe, rien d’autre qu’un gimmick pour romanciers ou scénaristes. Si crise il doit y avoir, elle peut survenir à n’importe quel âge…
Pierre Barthélémy
lire le billet– La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière a commencé il y a un mois dans une indifférence qui contraste avec le psychodrame de 2009 autour de la grippe A(H1N1). Les polémiques de l’an passé pourraient autour de l’utilité et de la “dangerosité” du vaccin pourraient jeter la suspicion sur les autres vaccins, explique une enquête du Monde Mag. Un article accompagné d’un entretien avec l’anthropologue Frédéric Keck, auteur de Un monde grippé (Flammarion), qui analyse les réactions des sociétés face aux maladies émergentes.
– Des astronomes français et britanniques ont détecté la galaxie la plus vieille découverte à ce jour dans la constellation du Fourneau. Elle a plus de 13 milliards d’années, ce qui fait qu’elle est née seulement 600 millions d’années après le Big bang. L’article annonçant la trouvaille est paru dans Nature.
– A cause du réchauffement de la planète, l’Arctique est probablement entré dans une nouvelle phase de son climat où ce qui était la norme il y a encore quelques décennies risque de ne pas se revoir de sitôt.
– Toujours sur le changement climatique, le site Climate Progress s’est aperçu que 22 des 37 candidats républicains aux postes de gouverneurs pour les prochaines élections américaines niaient la réalité du réchauffement.
– Les volcanologues doivent-ils ou non percer un trou pour évaluer le potentiel des Champs Phlégréens, une zone volcanique située à l’ouest de Naples, au risque de chatouiller et de réveiller la bête ? Un débat que nous rapporte Newsweek.
– Depuis plusieurs années, les autorités égyptiennes ont pour plan de redessiner la ville de Louxor pour mettre en valeur son patrimoine archéologique exceptionnel. Au point d’en faire un Las Vegas archéologico-touristique, se demande Time ?
– Pourrait-on faire entendre la forme d’un objet à un aveugle qui ne la voit pas ? C’est l’idée de chercheurs de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal.
– La physique du chien qui s’ébroue a fait la “une” de nombreux sites et blogs scientifiques anglo-saxons… Voici ce qu’a écrit et montré wired.com.
– Pour terminer, une infographie simple et claire sur les gros géocroiseurs, ces astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre qui ont frôlé ou vont frôler un jour notre Terre.
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est une histoire instructive qui est passée inaperçue en France. Elle en dit long sur la dissémination des informations sur Internet et les craintes conspirationnistes qu’inspirent de plus en plus les scientifiques. Tout a commencé avec un long article de Jonah Lehrer sur le stress, publié par le site du magazine américain Wired. L’auteur y décrit notamment les travaux de Robert Sapolsky, professeur à l’université Stanford et spécialiste de neuro-endocrinologie, qui a consacré l’essentiel de sa carrière aux liens unissant hormones du stress et mauvaise santé. La dernière partie de l’article évoque d’audacieux essais de thérapie génique mené sur des rats, qui ont consisté à endiguer le flux de glucocorticoïdes émis lors d’un stress, ce qui a amélioré la santé des rongeurs. Ajoutons que, dans le papier de Jonah Lehrer, Robert Sapolsky précise bien que ses expériences sur un vaccin anti-stress ne vont “aider personne à court terme, la recherche étant encore à des années d’essais cliniques, mais nous avons prouvé que c’était possible. Nous pouvons réduire les dégâts neuraux causés par le stress“. Ce papier fouillé de 35.000 signes est publié en ligne le 28 juillet.
Le 2 août, sous la plume de Rachel Quigley, le Daily Mail, journal populaire britannique, reprend la thématique de l’article de Wired en le citant à peine et en insistant sur l’éventuel vaccin anti-stress, capable de calmer sans pour autant avoir l’effet abrutissant des anxiolytiques. Le papier sensationnaliste de Rachel Quigley, qui n’est qu’une resucée approximative de celui de Jonah Lehrer, fait 3.000 signes.
Le 3 août, Prison Planet, le site conspirationniste du très conservateur animateur de radio texan Alex Jones reprend l'”info” du Daily Mail, l’accommode à sa sauce “théorie du complot”. Cela commence ainsi : “Les médias de l’establishment et la dictature scientifique promeuvent des vaccins mangeurs de cerveau qui lobotomisent virtuellement les gens et mettent leurs esprits dans un état de conformité servile, de telle sorte que leur instinct naturel à se mettre en colère et à se rebeller contre la tyrannie qui leur est imposée est châtré et stérilisé.” Je vous passe la logorrhée qui suit, laquelle redoute la transformation chimique de la population en une sous-espèce d’esclaves. Etant donné le peu d’influence qu’a d’ordinaire ce genre de médias, tout cela n’aurait eu qu’une importance limitée si l’article ne s’était pas terminé par un subtil appel technologique au petit peuple conspirationniste : pour “attirer l’attention nécessaire sur ce grave problème“, le site d’Alex Jones demande à ses lecteurs de taper “brain eating vaccines” (vaccins mangeurs de cerveau) sur le moteur de recherche Google, ce qui aura pour effet de faire grimper la requête dans le Top de Google Trends, l’outil de Google qui analyse en temps réel les tendances du Net…
Et cela marche ! Comme on peut le voir ici, le 3 août aux Etats-Unis, les recherches “brain eating vaccines” (au pluriel) et “brain eating vaccine” arrivent respectivement en première et troisième places sur Google Trends. Ce qui a amplifié et alimenté le buzz car on imagine aisément à quel point l’évocation de vaccins mangeurs de cerveau a pu inquiéter ou intriguer les internautes.
La recherche de "brain eating vaccine" sur Google Trends le 3 août
On peut se demander comment un site aussi confidentiel que Prison Planet a ainsi pu mettre l’Internet américain en émoi. Il suffisait en réalité de peu de monde pour faire grimper la recherche au top des “Hot Searches” : celles-ci ne prennent en effet pas en compte le nombre de requêtes car, si c’était le cas, les Google, Yahoo et autres Wikipedia monopoliseraient sans arrêt le podium et les effets de mode n’apparaîtraient pas, noyés dans la masse. Google Trends ne fonctionne pas ainsi et Alex Jones le sait : c’est un outil qui insiste sur les tendances, un capteur qui enregistre les déviations par rapport à la moyenne. Par conséquent, si une requête très particulière est soudain saisie simultanément par quelques centaines de personnes, elle montera très vite dans le Top 10. L’instrument parfait pour qui veut disséminer une info.
En voyant ce qui s’est passé, Jonah Lehrer a été consterné. Il a dénoncé sur son blog la façon dont son papier avait été détourné et a traité Alex Jones de menteur, tout en sachant parfaitement qu’on ne rattrape pas une rumeur, surtout à l’ère d’Internet. De manière plus générale, la Toile a facilité l’essaimage des théories conspirationnistes, notamment dans le domaine scientifique. On peut citer rapidement, en plus des idées d’Alex Jones sur l'”empoisonnement” de l’eau potable au lithium ou au fluor, la rumeur persistante selon laquelle les missions Apollo ne se sont jamais posées sur la Lune, celles toujours d’actualité sur les extraterrestres, les grandes craintes concernant les nanotechnologies et, dans un registre guère différent, la facilité avec laquelle les climato-sceptiques ont fait leur trou depuis un an et le soi-disant Climategate. La figure du scientifique n’est plus aujourd’hui celle du professeur Nimbus ou de son héritier Tryphon Tournesol, ni celle d’un Pasteur triomphant, mais s’apparente de plus en plus à celle d’un apprenti sorcier moderne. Autant de raisons pour lesquelles, dans une période où le chercheur est pris entre une demande toujours plus avide de progrès et un soupçon croissant sur la “toxicité” de ce même progrès, la vulgarisation scientifique doit se renforcer et ne plus se cantonner à quelques niches médiatiques.
Pierre Barthélémy
Derniers commentaires