Dimanche sera “fêté” le demi-siècle de la plus puissante des explosions nucléaires. Le 30 octobre 1961, au petit matin, explosait la bombe que les Soviétiques appelaient “Ivan” ou “Vanya”, et qui fut rebaptisée en “Tsar Bomba” à l’Ouest. L’engin était une bombe H de 26 tonnes, mesurant 8 mètres de long sur plus de 2 mètres de diamètre, tellement imposante qu’on ne put la placer à l’intérieur du Tupolev-95 chargé de la larguer. Au lieu de cela on la fixa sous l’appareil de telle façon que seulement 30 à 40 % du corps de la bombe se trouvait à l’intérieur du bombardier. Tsar Bomba fut larguée à 10,5 km d’altitude au-dessus de l’archipel arctique de la Nouvelle-Zemble, situé au nord de la Sibérie. Pour laisser le temps à l’avion et à son équipage de se mettre à l’abri à plusieurs dizaines de kilomètres avant l’explosion thermonucléaire, la bombe était attachée à un immense parachute. Après un peu plus de 3 minutes de chute, une fois descendu à 4 km d’altitude, l’engin explosa.
Nikita Khrouchtchev, le premier secrétaire du Parti communiste de l’URSS, avait, dès l’origine du projet quelques mois auparavant, voulu une démonstration de force. Nous sommes en pleine guerre froide et à un an de la crise des missiles de Cuba. Alors qu’Andreï Sakharov, père de la bombe H soviétique (et futur Prix Nobel de la paix…) doutait qu’il fût nécessaire de procéder à de nouveaux essais, Khrouchtchev demanda en juillet 1961 à ses ingénieurs et scientifiques spécialisés dans le nucléaire de “montrer aux impérialistes ce que nous pouvons faire”. Quelques mois auparavant, Youri Gagarine a été le premier homme dans l’espace et Khrouchtchev semble vouloir, d’une certaine façon, enfoncer le clou et dire : “Nous avons les plus puissantes bombes du monde et les fusées pour les envoyer.” Il faut battre un record et, symboliquement, la puissance de la bombe est fixée à 100 mégatonnes de TNT. A titre de comparaison, Little Boy, la bombe A qui explosa à Hiroshima le 6 août 1945, avait une puissance d’environ 15 kilotonnes, soit près de 7 000 fois moins… Pour rester dans les références, Castle Bravo, la plus puissante des bombes H américaines jamais testées (en 1954), ne dépassa pas les 15 mégatonnes. Après réflexion, les Soviétiques décidèrent prudemment de se contenter de la moitié de la puissance prévue à l’origine : 50 mégatonnes resteraient, quoi qu’il arrive, un chiffre parlant.
Et donc, ce 30 octobre 1961 à 8h33, “Ivan” explosa (voir vidéo ci-dessous).
Le village abandonné de Severny, situé à 55 km de là, fut entièrement détruit, comme le furent toutes les installations existant dans un rayon de 120 km. Alors que la bombe avait explosé dans l’atmosphère à assez haute altitude, l’US Geological Survey enregistra un signal sismique d’une magnitude de 5. Des vitres furent brisées jusqu’à 900 km du lieu de l’explosion. C’est comme si une déflagration survenue à Lille se faisait sentir à Marseille, Nice ou Perpignan… On estime que la lumière générée par l’explosion fut visible à un millier de kilomètres à la ronde. Un caméraman embarqué dans le bombardier pour filmer l’événement fit par la suite ce récit : “Les nuages situés sous l’avion et au loin furent illuminés par le puissant flash. La mer de lumière se propagea sous la carlingue et même les nuages commencèrent à luire et devinrent transparents. A ce moment, notre appareil émergea d’entre deux couches de nuages et en bas, dans l’interstice, émergeait une énorme boule brillante et orange. Cette boule était puissante et arrogante comme Jupiter. Elle grimpait doucement et en silence… Après avoir transpercé l’épaisse couche de nuages, elle continua de grossir. On aurait dit qu’elle allait aspirer la Terre entière. Le spectacle était invraisemblable, irréel, surnaturel.”
Comme le firent remarquer en 1994, après la disparition de l’URSS, Victor Adamsky et Youri Smirnov, deux des scientifiques ayant travaillé à la construction de Tsar Bomba, celle-ci “ne fut jamais une arme”, mais plutôt un cocktail politico-scientifique : mi-démonstration de force mi-preuve que le concept technologique fonctionnait. Un pas vers la superbombe à 100 mégatonnes qui ne fut jamais construite. En réalité, les militaires ont déjà suffisamment de joujoux nucléaires et ils n’ont pas vraiment besoin d’un engin qui détruise tout dans un rayon de 100 kilomètres. Enfin, on l’espère.
Pierre Barthélémy
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– Les premiers hommes parlants se seraient exprimés comme maître Yoda, non pas avec la structure, classique en français, “sujet+verbe+complément” mais avec des phrases composées sur le modèle “sujet+complément+verbe”. Le Globule des enregistrements d’époque aimerait entendre…
– Avec plus de 85 000 cas recensés depuis le début de l’année et quelque 2 500 morts, l’Afrique centrale et de l’ouest est confrontée à “une des plus grandes épidémies de choléra de son histoire”, assure l’Organisation mondiale de la santé.
– Autre grave problème sanitaire, celui des poêles défectueux, qui tuent chaque année 2 millions de personnes.
– Dans le débat sur la sortie du nucléaire, l’Allemagne est un intéressant cas d’école, qui passe de l’atome au lignite, sorte de charbon mouillé, combustible médiocre… et grand émetteur de CO2… Pas si facile que cela de résoudre le casse-tête énergétique.
– Un mode de piégeage inattendu pour le carbone atmosphérique : les cailloux que fabriquent les racines de certains arbres tropicaux.
– Le tyrannosaure était-il encore plus impressionnant que nous le pensions ? C’est l’avis d’une équipe de chercheurs britanniques et américains qui le voient un tiers plus gros que précédemment estimé. Ils pensent également que la bête grandissait deux fois plus vite que ce que l’on croyait.
– L’incroyable histoire de cet enfant de 16 mois qui, ayant de plus en plus de problèmes pour respirer, se vit découvrir une masse de la taille d’un petit citron dans la poitrine. En l’opérant, les chirurgiens découvrirent ce qu’ils prirent d’abord pour une tumeur cancéreuse attachée à la trachée et à l’œsophage… En réalité, il n’y avait aucun cancer : le garçonnet avait avalé un bout de feuille de chêne qui s’était coincée dans son œsophage. Son organisme s’était défendu contre ce corps étranger… presque au point de tuer l’enfant.
– Pour finir : dans ma chronique hebdomadaire du Monde, je m’attaque à un sommet de la science improbable, une étude scientifique tâchant de savoir si le bâillement est contagieux chez les tortues comme il l’est chez l’homme.
Pierre Barthélémy
– C’est un peu “Retour vers le futur” pour la NASA qui, après avoir tourné la page des navettes, revient à des lanceurs classiques pour les vols habités. Elle a présenté son Space Launch System qui devrait faire son vol inaugural en 2017 et, à terme, envoyer un équipage vers Mars, quelque part vers le milieu des années 2030…
– Sur le site Internet du Figaro, des membres de l’Académie des sciences répondent à plusieurs interrogations concernant le nucléaire : peut-on rendre les centrales plus sûres ? ; la fusion nucléaire est-elle la solution d’avenir ? ; quel nucléaire après Fukushima ?
– Le site Internet du Monde publie une série de reportages photo sur quatre grands fleuves pour l’eau desquels les populations se font concurrence. Après le Mékong et le Colorado, et avant le Jourdain, c’est le tour du Nil.
– Mercredi 21 septembre, c’est la journée mondiale Alzheimer. A cette occasion, Le Temps a rencontré Paul et son épouse Marguerite. Paul raconte le quotidien de sa femme, atteinte par la maladie.
– Cette semaine commence en Italie le procès de sept hommes, dont six chercheurs, accusés de ne pas avoir prévenu les autorités et la population de L’Aquila des risques de tremblement de terre avant le séisme du 9 avril 2009 qui a fait plus de 300 morts. Sachant qu’en matière de sismologie, la prédiction précise est pour l’heure impossible et que bien des alertes sont fausses…
– Les dinosaures commencent à quitter le monde du noir et blanc dans lequel les chercheurs les voyaient, grâce à quelques plumes conservées dans un ambre vieux de 70 millions d’années. Les pigments y ont été préservés.
– Gros buzz autour de la planète qui, comme Tatooine dans La Guerre des étoiles, a deux soleils. Sauf que, à la différence de Tatooine, Kepler-16b n’est pas une planète rocheuse mais gazeuse de la taille de notre Saturne, qu’il y fait très froid et que Luke Skywalker n’y a sûrement pas grandi. Mais bon, les chercheurs et les médias font ce qu’ils peuvent pour rendre la science attrayante…
– Globule et télescope s’était demandé si la fonte de l’Arctique battrait, cet été, le record de 2007. Finalement, non, mais il s’en est fallu de peu et 2011 monte sur la deuxième marche du podium.
– Pour finir : des chimistes britanniques ont l’idée de recycler les pelures d’orange pour en faire… du plastique.
Pierre Barthélémy
lire le billet– Le protocole de Kyoto sur la limitation des émissions des gaz à effet de serre prend fin en 2012. Mais son remplaçant n’est pas sûr de voir le jour : les Etats-Unis, le Japon, le Canada et la Russie ne veulent pas d’un nouvel accord contraignant. Le réchauffement climatique a de très beaux jours devant lui.
– Mon ancien collègue du Monde, Jérôme Fenoglio, est retourné au Japon, plus de deux mois après le tsunami meurtrier du 11 mars et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui l’a suivi. Il s’est rendu, avec le photographe Hirashi Narayama, dans les vallées et montagnes dont on croyait qu’elles seraient épargnées par la radioactivité mais qui, en réalité, ne le sont pas. Un portfolio bref, mais touchant. Le reportage au long cours est ici.
– Selon le Muséum national d’histoire naturelle et l’Union internationale pour la conservation de la nature, plus d’un quart des oiseaux nicheurs français seraient menacés de disparition.
– Si la planète Mars est si petite (un peu plus de 10 % de la masse de la Terre), c’est peut-être parce qu’elle s’est formée très rapidement et est restée ensuite dans un état embryonnaire.
– Le New York Times raconte l’émouvante destinée post-mortem de Julio Garcia, mort en 2010, dont les organes ont été transplantés dans les corps d’au moins 8 personnes (on ignore si les cornées on été données à une ou deux personnes). Un an après, sa famille a rencontré une partie des receveurs.
– Toujours dans le NYT, l’incroyable histoire de deux sœurs siamoises reliées par le crâne, les Canadiennes Krista et Tatiana Hogan. Incroyable parce que les cerveaux des deux fillettes semblent eux aussi reliés : ce que l’une perçoit, l’autre le ressent…
– Comment la police scientifique britannique a, plus de vingt ans après les faits, résolu deux doubles meurtres.
– Les rennes de l’Arctique peuvent voir dans la partie UV du spectre électro-magnétique, qui est inaccessible à l’œil humain. Peut-être une adaptation au “white-out” (un brouillard blanc des régions enneigées où la visibilité est parfois de moins d’un mètre), qui permet à ces animaux de se repérer et de détecter nourriture et prédateurs dans le blizzard.
– Quand un reptile mange un insecte, cela n’émeut personne. Mais quand un insecte géant (et un seul) dévore une tortue ou un serpent, cela fait un article et l’impressionnante photo ci-dessus qui, je le précise aux sceptiques en tous genres, n’est pas truquée (crédit : Shin-ya Ohba).
– Pour terminer : dans sa précédente sélection, le Globule relevait que la prédiction selon laquelle le jour du Jugement dernier tombait le 21 mai ne s’était pas avérée. La faute à une erreur de calcul, s’est excusé Harold Camping, l’auteur de la prophétie ratée. L’erreur est humaine, doivent se dire ceux qui ont dépensé tout leur argent à l’approche de ce jour fatidique. Camping a refait ses comptes et on se donne désormais rendez-vous devant l’Eternel le 21 octobre. Espérons que, cette fois, notre homme a pris une calculette. Il faut au moins ça pour annoncer l’apocalypse.
Pierre Barthélémy
lire le billet– En concluant que le rythme de disparition des espèces était réel mais surestimé, une étude publiée dans Nature crée une polémique sur l’érosion de la biodiversité.
– La Chine reconnaît que le barrage des Trois Gorges, le plus grand du monde, pose un certain nombre de problèmes humains (le sort du 1,3 million de personnes déplacées reste à améliorer) et environnementaux (comme des glissements de terrain, de la pollution ou un manque d’eau en aval). Pékin a annoncé un plan contre ces effets indésirables, explique Le Monde.
– Les climatosceptiques mettent souvent en avant les “centaines” d’études scientifiques allant dans leur sens pour dire que le consensus parmi les scientifiques n’est pas aussi général qu’on veut bien le dire. Le blog The Carbon Brief a réalisé une analyse de ces articles, pour s’apercevoir que 20 % d’entre eux étaient l’œuvre de seulement 10 personnes et que, sur ces 10 auteurs les plus prolifiques, 9 étaient liées… au pétrolier ExxonMobil. Autre enseignement, les climatosceptiques embrigadent contre leur gré un certains nombre de chercheurs dont le travail va en réalité dans le sens du réchauffement climatique. Mécontents, ceux-ci leur demandent ensuite d’être retirés de leurs références… en vain la plupart du temps. Enfin, 15% des articles sont publiés dans Energy and Environment, un journal dont les articles ne sont pas tous revus par des pairs, contrairement à la règle des revues scientifiques. Une analyse qui montre bien sur quels ressorts fonctionne le climatoscepticisme.
– Dix planètes sans étoiles viennent d’être découvertes, rapporte Le Figaro en citant un travail publié dans Nature. Ces orphelines ont probablement été éjectées des systèmes solaires où elles se sont formées.
– Toujours dans le cosmos, une nouvelle méthode confirme l’existence de la mystérieuse énergie noire qui accélère l’expansion de l’Univers. Mais on en n’a pas identifié sa nature pour autant…
– Avec la mort d’Oussama ben Laden puis l’affaire DSK, on en aurait presque oublié le Japon et les conséquences nucléaires du tsunami du 11 mars. A Fukushima, la situation ne s’améliore pas.
– Pour rester dans le monde de l’atome, Interpol vient de lancer une unité de prévention du terrorisme radiologique et nucléaire.
– Une étude britannique révèle qu’à force de passer beaucoup de temps devant les écrans, les enfants d’aujourd’hui sont moins musclés et incapables de réaliser certaines tâches physiques que les générations passées effectuaient.
– Pour terminer (mais pas définitivement…) : ce samedi 21 mai devait être, selon certains, le jour du Jugement dernier. “Caramba ! Encore raté !”, pourrait-on s’exclamer en plagiant le perroquet moqueur de l’Oreille cassée. “Encore”, parce que ce jour du Jugement dernier a été annoncé bien des fois. Petite liste de cinq prédictions erronées.
Pierre Barthélémy
lire le billet– La catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl, c’était le 26 avril 1986. Un quart de siècle plus tard, alors que le monde vient de connaître un nouvel incident nucléaire au Japon, beaucoup de médias se souviennent : Le Monde, Le Figaro, Libération, Arte, Sciences et Avenir, etc. A lire aussi, un point de vue de Ban Ki-moon publié par le New York Times.
– Autre anniversaire : il y a un an, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull provoquait l’annulation de cent mille vols au départ de ou vers l’Europe. Beaucoup de questions s’étaient posées sur l’utilité de ces mesures et notamment pour savoir s’il ne s’agissait pas d’un abus du principe de précaution. Douze mois plus tard, une étude de chercheurs islandais et danois montre que les particules projetées par le volcan étaient effectivement dangereuses pour les avions.
– Le nombre de communes françaises soumises à des normes de construction parasismiques passe de 5 000 à 21 000, nous apprend Le Figaro. Le sous-sol hexagonal ne s’est pas soudain transformé mais ce sont les exigences pour les constructions neuves qui ont été renforcées.
– Un portfolio sur le site de Libération, consacré aux tornades qui ont provoqué la mort de centaines de personnes aux Etats-Unis. Les villes sinistrées, dit Le Monde, ressemblent à “des zones de guerre”.
– J’ai déjà parlé dans ce blog des ambitions spatiales chinoises. Pékin vient de réaffirmer son intention de construire une station orbitale d’ici dix ans.
– Autre grande ambition, celle du projet scientifique Explaining Religion : caractériser les aspects du sentiment religieux et en comprendre les causes. Un point d’étape est fait par The Economist.
– Le SETI Institute, principal acteur de la recherche de signaux provenant d’une civilisation extra-terrestre, a des soucis budgétaires. Si ET appelle la Terre, il risque d’entendre que la ligne a été coupée suite à une facture impayée…
– Pour terminer, si les cochons se vautrent dans la boue, c’est parce que c’est essentiel à leur bien-être.
Pierre Barthélémy
lire le billetAlors qu’en ce 28 mars, jour anniversaire de l’accident nucléaire de la centrale américaine de Three Mile Island, le monde garde les yeux braqués sur les réacteurs défaillants de Fukushima au Japon, il faut peut-être rappeler qu’avant que l’atome devienne militaire ou civil, il tuait déjà en série aux Etats-Unis. C’est l’histoire un peu oubliée des “Radium Girls”. La journaliste américaine Deborah Blum vient de la ressusciter avec à-propos sur son blog et, pour la raconter, il faut remonter aux sources de la radioactivité, c’est-à-dire à Pierre et Marie Curie. Le couple de savants découvrit ce métal hautement radioactif en 1898 et, quatre ans plus tard, donna à l’inventeur américain William J. Hammer des échantillons de sels de radium. En mixant l’élément radioactif (et donc producteur d’énergie) avec du sulfure de zinc, Hammer créa une peinture phosphorescente, le sulfure de zinc ayant la propriété de restituer sous forme de lumière l’énergie que lui conférait le radium.
Ce n’est que quelques années plus tard, au détour de la Première Guerre mondiale, que l’on prit pleinement conscience de l’intérêt de la chose. Dans les tranchées de France, les “boys” s’aperçurent que leurs bonnes vieilles montres à gousset étaient tout sauf pratiques. Même en les fixant à leurs poignets, les soldats avaient du mal à lire l’heure à la nuit tombée, quand les lumières étaient proscrites. D’où l’idée de recouvrir aiguilles et cadrans de cette peinture phosphorescente. Ce contrat avec l’armée fit de l’entreprise Radium Luminous Material Corporation, par la suite rebaptisée U.S. Radium Corporation, une société prospère. D’autant plus qu’à la fin de la guerre, il y eut un véritable engouement, chez les civils cette fois, pour ces bracelets-montres.
Dans leur usine située à Orange, dans le New Jersey, les petites mains de l’U.S. Radium Corporation ne chômaient pas. Deborah Blum raconte qu’à 1 cent et demi par cadran peint, à 250 cadrans par jour et à 5 jours et demi par semaine, les “Radium Girls” gagnaient une vingtaine de dollars par semaine. Leur travail exigeait beaucoup de précision et de minutie et les contre-maîtres leur conseillaient de mettre leurs pinceaux entre leurs lèvres pour en affiner la pointe. Les mêmes pinceaux qu’elles trempaient ensuite dans le pot de peinture au radium… Insipide, la substance ne faisait pas peur. Elle avait même bonne réputation à l’époque puisqu’on en vantait les pouvoirs curatifs : eau de radium, crèmes et poudres au radium, savons, lotions, pommades et mêmes suppositoires pour rendre vigueur aux membres virils. Le Viagra de l’époque était radioactif…
Les “Radium Girls” n’avaient aucunement conscience des risques encourus. Si, dans l’entreprise, les chercheurs qui travaillaient à l’extraction du radium étaient équipés de masques, de gants et de combinaisons de protection, les filles de l’atelier de peinture ne se doutaient de rien : certaines se servaient du mélange comme d’un vernis à ongles, d’autres s’amusaient à en mettre sur leurs dents ou à s’en asperger les cheveux pour étonner leurs petits amis le soir venu avec un sourire plus qu’ultrabright ou des tignasses ensorcelées… Mais, au début des années 1920, plusieurs filles tombèrent malades. C’était un mal mystérieux : leurs dents tombaient, leurs mâchoires pourrissaient, leurs os se brisaient, le tout combiné avec des anémies ou des leucémies. Selon Deborah Blum, dès 1924, neuf des ouvrières étaient mortes, toutes des jeunes femmes n’ayant pas encore atteint la trentaine. Et leur seul point commun était d’avoir travaillé dans cette usine du New Jersey.
L’U.S. Radium Corporation demanda cette année-là une enquête scientifique pour comprendre ce qui se passait dans sa fabrique. Il y avait de la poussière de radium partout, au point que certaines des filles, dans l’obscurité, brillaient comme des fantômes. Des résultats édifiants… qui furent enterrés, mais pas pour longtemps. Des médecins finirent par s’intéresser à ces jeunes femmes malades et ne tardèrent pas à comprendre d’où venait leur pathologie. Les patientes exhalaient du radon, un gaz rare radioactif, produit de la désintégration nucléaire du radium… Celui-ci, sorte de lointain cousin du calcium, s’était installé à la même place que lui dans l’organisme mais, au lieu de fortifier les os, les détruisait, ainsi que la moelle osseuse, en les irradiant de l’intérieur.
Deborah Blum raconte que Harrison Martland, un des médecins qui enquêtèrent sur cette histoire hors du commun, fit exhumer le corps d’une des ouvrières décédées, préleva des tissus qu’il réduisit en cendres ainsi que des os qu’il nettoya et plaça le tout dans une chambre noire près d’un film photographique enveloppé dans du papier noir. Il procéda à la même préparation avec des tissus et des os pris sur un mort “normal”, pour avoir un échantillon témoin. Selon le docteur Martland, “s’ils étaient radioactifs, les os et les cendres de tissus émettraient un rayonnement, et les rayons bêta et gamma traverseraient le papier noir pour impressionner le film photographique”. Au bout de dix jours, le premier film était constellé de taches blanches et le second était resté noir. La preuve était faite qu’une importante radioactivité était bien présente dans le corps des “Radium Girls”, même après leur mort. J’ai d’ailleurs retrouvé un article de 1987 du New York Times qui explique que si l’on approche un compteur Geiger des tombes de ces pauvres femmes, l’aiguille fait encore un bond, des décennies après leur décès…
Même si l’U.S. Radium Corporation fit tout pour étouffer l’affaire, cinq des ouvrières, bien qu’étant gravement malades, eurent l’énergie de porter plainte et de se rendre au tribunal, en 1928 (date à laquelle a été publiée la caricature ci-dessus). Le procès n’alla pas à son terme car un arrangement entre les parties fut trouvé : chaque ouvrière reçut la somme de 10 000 dollars, une rente annuelle de quelques centaines de dollars et l’assurance que les soins médicaux seraient payés par l’U.S. Radium Corporation. Aucune des cinq plaignantes ne survécut aux années 1930. Quant à Marie Curie, la mère du radium, qui lui valut un Prix Nobel de chimie en 1911 (après celui de physique qu’elle avait partagé avec son époux et Henri Becquerel en 1903 pour la découverte de la radioactivité), elle mourut en 1934 d’une leucémie consécutive à son exposition prolongée à des éléments radioactifs.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : merci à Mady, dont le commentaire laissé sur mon précédent billet consacré à la radioactivité intrinsèque du corps humain m’a fait repenser à cette histoire.
lire le billetSi l’on met de côté l’accident nucléaire au Japon dont tout le monde parle, la création d’un sperme “artificiel” là aussi au Japon et la découverte par Hugo Chavez que le capitalisme à tué les Martiens, voici ce qu’on peut trouver dans l’actualité Sciences et Environnement de la semaine :
– L’homme est arrivé en Amérique 2 500 ans plus tôt que ce que l’on croyait. C’est le verdict rendu par l’analyse d’outils en pierre trouvés au Texas (photo ci-dessus).
– On en a beaucoup parlé ces derniers jours avec les particules radioactives japonaises qui poursuivent leur tour du monde : il n’y a pas de frontières dans l’atmosphère. C’est aussi valables avec les émanations polluantes produites depuis des années par un pays comme la Chine qui est devenue la grande fabrique de la planète. Une grande enquête de Discover Magazine.
– Toujours en connexion avec la tragédie nippone, je vous signale une interview de la géophysicienne américaine américaine Lori Dengler, qui revient sur l’histoire des tsunamis dans le Pacifique, et notamment au Japon.
– Sur les océans, la vitesse des vents et la hauteur des vagues augmentent depuis un quart de siècle. Il est encore trop tôt, disent les chercheurs, pour connaître la cause de ce phénomène.
– J’évoquais la semaine dernière les inquiétudes concernant la survie des lions, que beaucoup d’Américains importent sous la forme morte de trophées. Cette semaine, c’est au tour des rhinocéros d’être sous le feu des projecteurs : même si les populations augmentent ces dernières années, le braconnage fait de même.
– On sait depuis quelques années fabriquer de l’antimatière, sous la forme d’atomes d’antihydrogène. Une équipe américaine vient d’annoncer avoir créé, pour la première fois, des noyaux d’atomes d’antihélium. Ce sont les plus gros assemblages (2 antiprotons, 2 antineutrons) d’antiatomes jamais vus sur Terre.
– Cela pourrait être une des questions de la populaire rubrique “L’explication” de Slate.fr : pourquoi les insectes se précipitent-ils sur les lumières ou dans les flammes, à la nuit tombée, avec la quasi assurance d’y trouver la mort ? Eh bien, même si plusieurs chercheurs se sont posé la question au cours des dernières décennies, le phénomène reste un mystère.
– Pour terminer, en résonance avec mon précédent billet sur les faiseurs de peur qui ont glosé à gogo sur les pseudo-risques que le “nuage” radioactif faisait courir aux populations situées à des milliers de kilomètres du Japon, voici un échange édifiant que j’ai trouvé (en anglais) entre l’animatrice d’une émission de la chaîne HLN de CNN et un météorologue. La dame qui, de toute évidence, n’y connaît pas grand chose et est en quête de sensationnel, veut absolument faire dire à l’homme de science qu’il y a danger pour la côte ouest des Etats-Unis. Et il résiste.
Pierre Barthélémy
lire le billetAu palmarès des peuples qui aiment à se faire peur, la France devrait être aussi bien classée que son équipe nationale de football lorsqu’elle joue en match amical : championne du monde. Entre deux tours d’élections cantonales où la République menacée par les gars de la Marine tremble sur son piédestal, entre deux bombardements en Libye qui nous font craindre des représailles terroristes, il y a le NUAGE. Ce terrible nuage radioactif venu en express du Japon, qui nous fait parodier Racine en claquant des dents : “Pour qui sont ces sieverts qui sifflent sur nos têtes ?” Le Français a les foies, les choquottes et le trouillomètre à zéro. Autant le nuage de Tchernobyl s’était arrêté aux frontières de l’Hexagone, autant celui de Fukushima va nous tomber sur la tête, ruisselant d’une radioactivité qui s’infiltrera dans le moindre pore de nos peaux de peureux. Et certains de nos braves journalistes de jeter la suspicion sur les experts à grands coups de sous-entendus : “Selon l’Autorité de sûreté nucléaire, il n’y a pas de risque…”, “Nathalie Kosciusko-Morizet assure que…”, “L’ASN affirme que…”, etc.
Du coup, on se précipite sur les pharmacies pour faire le plein de pastilles d’iode, les compteurs Geiger se vendent comme des petits pains et je sens que le marché de la salade ne va pas tarder à s’effondrer ou que Lady Gaga tournera son prochain clip dans un abri anti-atomique. Tous les discours n’y pourront rien, y compris celui, rassurant, de la Criirad, organisme indépendant qui, d’ordinaire, a plutôt tendance à agiter le chiffon rouge au moindre pet nucléaire de travers. Même Greenpeace calme le jeu. On a beau dire qu’il n’y a pas de nuage mais seulement quelques particules radioactives diluées dans l’atmosphère, que les retombées radioactives seront de mille à dix mille fois moindres que celles de Tchernobyl, que l’on n’est même pas sûr de pouvoir la mesurer correctement, rien n’y fera. Rien n’y fera car Tchernobyl, le sang contaminé, le Mediator et autres scandales sanitaires sont passés par là : le “on nous cache tout on nous dit rien” est plus fort que la raison.
Eh bien, il me faut bien l’avouer, en termes de contamination radioactive, il y a peut-être pire que le nuage nippon. Il y a… nous. C’est sans doute le plus grand scoop médico-scientifique de l’année, nous sommes tous radioactifs. Ne le dites à personne mais, pour le savoir, j’ai découpé et analysé mon voisin (c’est pour la science et le bien de toute l’humanité que je me suis livré à cette expérience) et voici ce que j’ai trouvé : un humain moyen de 70 kilos contient 90 microgrammes d’uranium, 30 microgrammes de thorium, entre 17 et 40 milligrammes de potassium 40 selon les sources, 31 picogrammes de radium, 22 nanogrammes de carbone 14, 0,06 picogramme de tritium et 0,2 picogramme de polonium. Oui, le fameux polonium 210 qui avait tué en quelques jours l’espion russe Alexandre Litvinenko… Quelle horreur, ça dans nous ?! La plus grosse dose vient du potassium 40, présent naturellement dans la nature parce qu’il a été fabriqué il y a quelques milliards d’années par une étoile en train de mourir. Saleté de supernova. A 40 mg par tête de pipe, cela fait dans les 12 000 désintégrations et 1 300 photons gamma (des rayons gamma, AARGGHHHH, je me sens mal !) à chaque SECONDE qui passe. Nous nous contaminons nous-mêmes et il n’y a rien à y faire, sauf à se couper la tête et à se la greffer sur une poupée gonflable. Au secours, décontaminez-moi !
Mais il y a pire encore. A la limite, vous pouvez vous résigner à vivre avec vous-même. A la limite. Mais faut-il pour autant dormir dans le même lit que quelqu’un d’autre ? A huit heures de sommeil par nuit pendant des années près d’une source radioactive appelée Bernard ou Germaine, on risque le cancer… Selon les calculs de Richard Miller, professeur de physique à la prestigieuse université de Berkeley (Californie), en admettant que tous les Français dorment à côté de quelqu’un pendant 50 ans, trois d’entre nous développeront chaque année un cancer simplement pour avoir partagé leur lit avec une centrale nucléaire sur pattes. Mon conseil : revendez vos pastilles d’iode et votre compteur Geiger parce que le nuage de Fukushima n’aura qu’un temps. Avec l’argent, installez une barrière en plomb au milieu de votre matelas, afin de stopper les rayons gamma que vous expédie traîtreusement votre moitié. Ou mieux, divorcez.
Pierre Barthélémy
lire le billet– L’information principale de la semaine écoulée a été l’accident nucléaire japonais qui a suivi le séisme et le tsunami du 11 mars. Tous les médias s’en sont emparés et je n’en ferai pas la liste. Je me permets toutefois de signaler, en plus de la couverture que Slate a réalisée, les dossiers spéciaux de Nature, de Sciences et Avenir et du Monde. Regardez aussi ce traitement photo de la catastrophe et cette animation cartographique recensant les centaines de séismes qui ont secoué la région ces derniers jours. Le 11 mars, un lecteur m’a demandé si le rapprochement périodique de la Lune pouvait causé des séismes ou des éruptions volcaniques : j’y ai succinctement répondu mais si vous voulez une réponse plus approfondie, Bad Astronomy, l’excellent blog de Phil Plait, vous comblera.
– En s’ouvrant largement chaque été, grâce à la fonte croissante de la banquise, l’Arctique n’avive pas que les appétits des chercheurs d’hydrocarbures : les pêcheurs aussi pourraient en profiter.
– Beaucoup d’Indiens et de Chinois pratiquent des avortements sélectifs pour avoir des garçons plutôt que des filles. Selon une étude dont le Los Angeles Times se fait l’écho, l'”excès” de mâles à prévoir dans ces pays serait de 10 à 20 % d’ici vingt ans.
– On utilise souvent l’expression péjorative d’espèces invasives en parlant des populations de plantes ou d’animaux importées dans des écosystèmes où n’existent pas naturellement. Mais il arrive que ces implantations de nouvelles espèces aient des effets bénéfiques, estime une étude publiée dans Conservation Biology.
– La population de lions est en chute depuis plusieurs décennies, une baisse en partie due à la demande américaine de trophées.
– La sonde Messenger de la NASA a été mise en orbite autour de Mercure. C’est la première que l’homme satellise un engin autour de la planète la plus proche du Soleil. En 1974, Mariner-10 l’avait par trois fois survolée.
– On peut pirater un ordinateur pour en prendre le contrôle à distance. Désormais, on peut aussi réussir ce genre de forfait avec… des voitures.
– Pour terminer : Marc Abrahams, du Guardian, a exhumé une étude de 1995 dans laquelle deux chirurgiens ont répertorié tout ce que leurs confrères avaient, au cours des âges, extrait des rectums de leurs patients…
Pierre Barthélémy
(crédit photo : REUTERS/Yuriko Nakao)
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