La crise cardiaque en recul dans les pays occidentaux

Le cœur des Britanniques va de mieux en mieux : une nouvelle étude a constaté une division par deux des décès par crise cardiaque entre 2002 et 2010, pour arriver à 4 morts pour 10 000 hommes et moins de 2 pour 10 000 femmes.

L’amélioration particulièrement marquante pour les personnes entre 65 et 74 ans (les chercheurs soupçonnent d’ailleurs l’obésité de freiner l’amélioration pour les tranches d’âge plus jeunes). Les crises cardiaques elles-mêmes n’ont diminué que d’un cinquième mais elles sont moins mortelles, parce que moins graves et mieux prises en charge en moyenne.

Bleeding hearts, Dicentra spectabilis

 

Pour bienvenus qu’ils soient, ces résultats sont peu surprenants et s’inscrivent dans une dynamique commune à tous les pays occidentaux : en France, la mortalité d’origine coronaire a par exemple  baissé de moitié entre 1995 et 2005 et le nombre d’infarctus a diminué de 20 % entre 2000 et 2007.

Il est cependant moins facile de déterminer les causes précises de cette amélioration. D’après les chercheurs, la diminution du tabagisme joue un rôle clef, de même que l’amélioration de la prise en charge quotidienne de l’hypertension et des excès de cholestérol dans le sang. Les médecins espèrent que ces résultats encourageront la formation aux premiers soins, de façon à augmenter la probabilité de survie des patients qui subissent une crise cardiaque (environ une chance sur deux).

Fabienne Gallaire

Sources :

 

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La mort tient-elle compte de nos initiales ?

Monsieur et Madame Trucmuche ont des jumeaux, un garçon et une fille. Comment doivent-ils éviter de les appeler ? Benoît-Isidore et Pauline-Ursule. En effet, si l’on en croit une étude américaine publiée en 1999 dans le Journal of Psychosomatic Research, avoir des initiales à consonance négative (ici B.I.T. et P.U.T.) peut s’avérer un facteur non-négligeable d’espérance de vie réduite. A l’inverse, des initiales à consonance positive (F.O.R. ou V.I.E.) sont une petite promesse de vie plus longue. L’effet est sans doute nettement moins marqué en France qu’aux Etats-Unis, où la tradition d’insérer un deuxième nom entre le prénom et le patronyme est très vivace, comme on le voit fréquemment avec les présidents américains, de Franklin Delano Roosevelt à Barack Hussein Obama, en passant par John Fitzgerald Kennedy.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’impact du symbole (et donc de l’esprit) sur la mortalité humaine est un phénomène qui se rencontre en maintes occasions : ainsi, une étude a montré que les femmes mouraient en général moins la semaine précédant leur anniversaire, comme si la Camarde était priée de patienter jusqu’à ce que la ligne soit franchie… En revanche, la semaine suivant le changement d’âge était celle où, en moyenne, ces dames quittaient le plus volontiers ce monde (parce que le gâteau préparé par leurs héritiers était peu digeste ?). La même étude soulignait que ce n’était pas le cas chez les hommes, qui avaient une légère tendance à s’abstenir de souffler leurs ultimes bougies en décédant avant leur anniversaire. Nombreuses sont également les personnes tombant malades ou mourant à l’âge où l’un de leurs parents a disparu. A ces “réactions aux anniversaires” s’ajoutent d’autres exemples. Une étude a ainsi mis en évidence, chez des juifs pratiquants, une baisse sensible de la  mortalité dans les jours précédant la fête de Pessa’h et une hausse dans les jours suivants. Le même effet a été constaté, dans une communauté chinoise, au cours de la période entourant la fête de la mi-automne. Comme si la mort devait attendre dans le vestibule…

Mais celle-ci peut-elle s’inviter plus tard lorsque vos initiales reflètent une notion positive, ou plus tôt si vous vous appelez Maurice-Alexandre Landouillette ? L’étude du Journal of Psychosomatic Research répond par l’affirmative. Pour le montrer, ses auteurs, chercheurs en psychologie à l’université de Californie (San Diego) ont ainsi épluché les registres des décès de cet Etat entre 1969 et 1995, car ils présentent l’avantage de donner le nom complet des morts. Deux listes d’initiales à consonances positive et négative avaient auparavant été testées et validées auprès d’un panel. Dans la première catégorie, on trouvait notamment ACE (as), GOD (dieu), LIF (pour vie), LOV (pour amour), VIP, WIN (gagner). La seconde rassemblait des mots ou abréviations comme APE (singe), ASS (cul), BAD (mauvais), DIE (mourir), DTH (abréviation de “death”, mort), DUD (raté), HOG (pourceau), ILL (malade), MAD (fou),  ROT (pourriture), SAD (triste), SIK (pour malade). Pour les morts portant ces initiales particulières, on notait l’âge au moment du décès, qui était ensuite comparé à l’âge moyen de groupes témoins dont les membres avaient des initiales sans signification. Les résultats ont été plus que surprenants. Les hommes portant des initiales “géniales” vivaient en moyenne 4,48 années de plus que le groupe témoin, et les hommes avec des initiales “pourries” vivaient 2,8 années de moins que le groupe témoin. Du côté des extrêmes, les 28 LOV ont vécu 76,85 ans en moyenne alors que les 194 DTH sont passés de vie à trépas à seulement 58,9 ans, toujours en moyenne. Chez les femmes, l’effet était moins marqué (3,36 années de plus pour la première liste et pas de différence significative pour la seconde), ce à quoi les chercheurs s’attendaient : au gré de leur(s) mariage(s), les femmes peuvent changer plusieurs fois d’initiales au cours de leur existence et si l’impact de celles-ci existe, il est nécessairement moindre. Autre point à signaler, les causes du décès chez les hommes aux initiales négatives étaient sensiblement différentes des autres, avec une surreprésentation des accidents et des suicides, c’est-à-dire des causes directement dues au comportement.

Pour expliquer ces écarts tout de même importants, les auteurs de l’étude ont cherché de nombreux biais. Une petite “controverse” a surgi quand une équipe d’économistes a remis en cause les méthodes statistiques utilisées, notamment le fait qu’il est toujours délicat de recruter des cohortes de sujets a posteriori. Un biais dont les chercheurs étaient parfaitement conscients et qu’ils ont tâché de contourner en établissant avec précision les groupes témoins. L’hypothèse d’une corrélation sans lien de cause à effet a aussi été écartée. Il était en effet envisageable que les mauvaises initiales trahissent simplement des parents négligents, que l’espérance de vie plus courte soit avant tout la conséquence de mauvais soins et non pas celle due à l’influence desdites initiales. Mais rien n’est venu confirmer cette hypothèse, notamment au niveau de la mortalité infantile.

Les psychologues californiens ont donc conclu à la validité de leur hypothèse sur la puissance symbolique des initiales (tout comme il existe une puissance symbolique du nom que l’on porte) : “Il semble improbable, écrivent-ils, qu’une personne ayant des initiales comme CUL ou JOI puisse ne pas remarquer leurs connotations négatives ou positives. Apparemment, de telles initiales (…) peuvent influencer la cause et le moment de la mort. Notre interprétation de cette découverte s’appuie sur l’examen des causes individuelles du décès. Le suicide et les accidents, qui sont, parmi toutes les causes de décès étudiées, les plus liées au comportement, montraient les plus fortes différences entre les groupes positif et negatif. L'”explication symbolique” est aussi soutenue par la découverte que les effets sont moins importants chez les femmes et absents chez les enfants : ces groupes sont plus faiblement attachés à leurs initiales.” Par conséquent, si votre patronyme commence par un “R” et si vous souhaitez donner un prénom composé à votre futur fils, préférez Franz-Olivier à Marc-Olivier ou Pierre-Olivier.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : Winston Churchill, en photo au début de ce billet, est mort à l’âge de 90 ans. En dépit de ses initiales, pourrait-on dire. Trois objections toutefois : 1/ en psychologie, il y a toujours des cas particuliers ;  2/ son vrai nom était Winston Leonard Spencer-Churchill, ce qui change un peu la donne ; 3/ l’expression “water closet” à laquelle ses initiales peuvent renvoyer est… beaucoup plus utilisée en France qu’outre-Manche !

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Mort : les alternatives à l’inhumation et à la crémation

Cette veille de Toussaint et avant-veille du jour des Morts est l’occasion ou jamais, pour un blog qui traite de science et d’environnement, d’évoquer l’empreinte écologique des trépassés et les manières de la réduire. Car un disparu ne l’est jamais complètement. Son enveloppe corporelle subsiste et il est en général convenable de s’en occuper. Simplement, les deux techniques les plus usuelles dans le monde pour “évacuer” le corps du défunt, l’inhumation et la crémation, sont, à cause de l’inflation démographique mondiale, de moins en moins “planéto-compatibles”. La première en raison du manque de place dans les cimetières, car les vivants occupent de plus en plus d’espace au détriment des morts. La seconde parce que brûler des cadavres, en ces temps de raréfaction des hydrocarbures et de déforestation, consomme des ressources énergétiques que l’homme utiliserait volontiers à autre chose, sans compter les émissions de gaz à effet de serre induites. Ainsi, en Inde, le rituel de la crémation brûle entre 50 et 60 millions d’arbres chaque année et envoie 8 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Autre problème de l’incinération, le relargage dans l’environnement de produits toxiques, dont le plus commun est le mercure contenu dans les amalgames dentaires.

Pour tenter de réduire l’empreinte écologique des morts, il n’est pas question de revenir à la momification, même si l’expérience vient d’être récemment tentée sur la dépouille d’un chauffeur de taxi britannique, mais plutôt d’utiliser deux technologies qui redonnent du sens à ce très célèbre extrait de la Bible : “Car tu es poussière et tu retourneras à la poussière.” Le premier de ces deux moyens inventés pour rendre les corps à la terre porte le nom d’aquamation mais les chimistes lui préfèreront celui d’hydrolyse alcaline. L’idée consiste à immerger le corps dans une eau très chaude contenant une base forte, ce qui va entraîner la dissolution des chairs en moins de trois heures. Il ne subsistera plus que des restes osseux, qui seront ensuite broyés et rendus aux familles, comme les cendres récupérées après une crémation. Plus efficace que les bains d’acide auxquels la Mafia s’est parfois adonnée pour faire disparaître des amis encombrants. On peut voir le fonctionnement des premières machines à aquamation dans la vidéo ci-dessous (en anglais).

 

L’aquamation nécessite sept à dix fois moins d’énergie qu’une incinération et produit également moins de gaz à effet de serre. Les métaux présents dans le corps (plombages, broches, prothèses, etc.) sont rétrouvés intacts et les fluides récupérés au terme de l’opération, stérilisés, vont directement dans le tout-à-l’égout. Evidemment, l’idée d’expédier cette soupe brune que furent les chairs d’un homme ou d’une femme dans les égouts de la ville en a fait hurler quelques-uns, sous prétexte qu’il s’agissait d’un manque de considération pour les défunts. Il faudra tout de même que ces mêmes personnes nous expliquent en quoi donner un corps à manger aux asticots est plus respectueux. Tout ce qui compte, c’est que d’affreux industriels de l’agro-alimentaire ou de la pharmacie ne mettent pas la main sur ces résidus pour en faire de la nourriture, à l’instar de ce qui se passe dans le film Soleil vert, de Richard Fleischer.

La seconde technique pour transformer les cadavres en poussière fait tout autant appel à la science. Inventée par une biologiste suédoise, elle porte le nom de promession et consiste tout d’abord à passer le corps sous un flux d’azote liquide (-196°C) afin de le solidifier, ce qui le rend aussi fragile que du cristal. Il est ensuite facile, en le soumettant à des vibrations, de le pulvériser. Les restes ainsi obtenus sont ensuite lyophilisés, afin d’en extraire toute l’eau, puis tamisés pour récupérer les métaux et versés dans un “mini-cercueil” biodégradable que la famille peut ensuite inhumer où elle le souhaite. Au bout de quelques mois, tout a disparu dans le sol. La technique est résumée dans la vidéo ci-dessous (en anglais elle aussi).

Il existe un dernier moyen pour ne pas être bien encombrant une fois passé de vie à trépas. Transformer vos cendres en un diamant. Le procédé n’est en revanche pas du tout écologique et il implique une débauche d’énergie. Tout commence par une crémation. Les cendres sont ensuite purifiées à très haute température pour ne conserver que le carbone sous forme de graphite. Pour métamorphoser ce graphite en diamant (qui est une cristal de carbone particulier), il faut enfin le soumettre à une température et à une pression dantesques. On le voit, le processus ne risque pas de s’attirer le moindre éco-label. Mais bon, porter Mamie au petit doigt, c’est d’un chic… Et puis, les diamants sont éternels, eux.

Pierre Barthélémy

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Plus morts que les morts

Il y a les vivants, les morts, et il y a l’entre-deux. On l’appelle état végétatif chronique et ceux qui s’y trouvent sont parfois péjorativement qualifiés de “légumes” par ceux qui jouissent de tous les attributs de la vie. D’où le débat qui surgit de manière récurrente (et vive) pour savoir si l’on peut ou non les “débrancher” des appareils qui les alimentent. Une étude qui vient d’être publiée par la revue Cognition montre que, d’une certaine façon, les personnes en état végétatif chronique sont considérées comme… plus mortes que les morts eux-mêmes.

En introduction, les auteurs, chercheurs en psychologie de l’université du Maryland et de Harvard, écrivent que “les morts ont une certaine présence dans nos perceptions et nos pensées, qu’on les voie comme des fantômes, des habitants du paradis ou de l’enfer, ou comme des souvenirs. Par contraste, une personne en état végétatif chronique (EVC) semble généralement perçue comme n’ayant pas de présence du tout – le patient en EVC est simplement vu comme un corps soutenu par des machines, dénué de capacité mentales. Ces images antagonistes suggèrent que, même si l’EVC peut, sur le plan biologique, être catalogué entre la vie et la mort, il est possible que les patients en EVC soient, curieusement, perçues comme plus mortes que les morts, avec des capacités mentales moindres que celles des morts.”

A priori, il peut sembler étrange que l’on trouve aux morts des capacités mentales, mais il faut compter avec les forces de l’esprit que les vivants peuvent leur attribuer. C’est ainsi que l’étude a proposé un sondage aux résultats étonnants. Les chercheurs ont inventé une petite histoire dans laquelle un personnage nommé David a un accident de voiture au cours duquel il est gravement blessé. Dans le scénario A, il se rétablit parfaitement. Dans le scénario B, il meurt. Dans le scénario C, il entre dans un état végétatif, qui est décrit sans ambiguïté ainsi : “Tout le cerveau de David a été détruit, à l’exception de la partie qui lui permet de continuer à respirer. Ainsi, alors que son corps est techniquement toujours en vie, il ne se réveillera jamais.” Chacune des quelque 200 personnes sondées a reçu un fiche résumant un des trois scénarios. On lui a ensuite posé six questions sur l’esprit de David (qui, je le rappelle, est soit guéri, soit mort, soit en EVC) : peut-il influencer l’issue d’une situation, faire la différence entre le bien et le mal, se souvenir des événements de sa vie, avoir des émotions et des sentiments, être conscient de ce qui l’entoure et avoir une personnalité ? Les sondés devaient noter chaque question de -3 (“Pas du tout d’accord”) à 3 (“Tout à fait d’accord”), en passant par 0 (“Ni d’accord ni pas d’accord”).

Il y a au moins un résultat rassurant : c’est le David guéri de ses blessures et en pleine possession de ses capacités mentales qui obtient le score le plus élevé, avec en moyenne 1,77. En deuxième position, arrive… le David mort, avec un résultat faiblement négatif (-0,29). Bon dernier est le David en EVC, avec -1,79, plus mort que les morts. Pour affiner les résultats, les chercheurs ont réalisé deux autres sondages. Dans le premier, ils se sont aperçus que les personnes croyantes et/ou croyant à la vie après le trépas plaçaient l’esprit des décédés nettement au-dessus de zéro et reléguaient dans les limbes spirituelles les patients en EVC. Les non-croyants quant à eux estimaient que les cadavres et les personnes en EVC disposaient des mêmes capacités mentales… faibles mais pas nulles. Dans le dernier sondage, les personnes interrogées ont clairement dit qu’elles préféraient la mort à l’EVC, ce qui est finalement logique avec le reste.

Les auteurs de l’étude rappellent que d’autres recherches ont déjà montré que “mettre l’accent sur le corps d’humains vivants normaux tend à les dépouiller de leur esprit et que la nature biologique des patients en EVC pourrait de manière similaire conduire les gens à les “démentaliser”. En d’autres mots, les patients en EVC pourraient être vus comme des corps sans esprit tandis que les morts pourraient être vus comme des esprits sans corps.” Une hypothèse qui s’appuie sur le fait que l’on a fréquemment une vision dualiste des êtres, en les considérant soit comme des corps, soit comme des esprits, mais pas comme un assemblage indissoluble des deux.

Depuis 2006, d’étonnantes expériences ont prouvé que certains patients en EVC étaient parfaitement conscients. Lorsqu’on leur demandait d’imaginer jouer au tennis ou de se promener par la pensée dans leur appartement, deux zones bien différentes de leur cerveau s'”allumaient” en IRM, les mêmes qui s’activaient lorsqu’on soumettait des personnes saines au même exercice mental. Un résultat que, jusqu’à preuve du contraire, on aura du mal à obtenir avec des morts.

Pierre Barthélémy

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Comment on date un cadavre

C’est une mode macabre qui semble saisir les meurtriers ces temps-ci : découper et cacher les cadavres de leurs victimes, comme dans l’assassinat de Lætitia Perrais ou dans l’affaire, plus récente, de cette famille nantaise disparue, dans le jardin de laquelle au moins un corps démembré a été découvert ce jeudi 21 avril. La première question qui se pose, lorsque l’on retrouve des restes humains est : à qui appartiennent-ils ? Et, tout de suite après, les enquêteurs veulent savoir quand et comment la personne est morte.

Pour le savoir, il faut reconstituer ce que Patricia Cornwell a nommé la séquence des corps, titre de l’un de ses romans : la décomposition d’un cadavre se fait dans un ordre biologique bien précis et prend plus ou moins de temps suivant les conditions dans lesquelles elle se déroule. En découvrant un corps, la police scientifique peut remonter le temps et donner une date voire une heure du décès. Pour y arriver, il a fallu étudier toutes les manières dont un corps mort retourne à la nature. En général, ces travaux de recherche sont effectués sur des cochons, qui sont de bons analogues au corps humain. Mais il existe un endroit unique dans le monde où ces études sont réalisées sur de vrais cadavres humains : l’Anthropological Research Facility (ARF), à Knoxville (Tennessee), plus connue sous le nom de The Body Farm, littéralement “la Ferme des corps”, qui est aussi le titre anglais du livre de Cornwell que j’ai cité plus haut.

En lisant ce roman, j’ai senti que l’endroit dont parlait l’auteur n’était pas un lieu de fiction et j’ai décidé d’y partir en reportage. J’ai donc été le premier journaliste français à mettre les pieds dans ce lieu de science incroyable qu’est la Ferme des corps de l’université du Tennessee, laquelle est avant tout le domaine du chercheur qui l’a créée, le docteur William Bass, Bill pour ses invités. C’était en septembre 2000 et l’article est paru quelques jours après dans Le Monde. Voilà comment il commençait :

« Vous n’avez jamais vu de mort ? Eh bien, dans un instant, vous ne pourrez plus prononcer cette phrase ! » Les cheveux blancs coupés en brosse, jean, polo et tennis comme pour un pique-nique à la campagne, William Bass descend du pick-up climatisé qu’il vient de garer sur le parking étouffant de l’hôpital universitaire de Knoxville. Même en septembre, l’été a de beaux restes au Tennessee, et ce n’est pas la meilleure saison pour franchir la porte que le docteur Bass débarrasse de ses chaînes et cadenas. Un grand papillon jaune folâtre. Le grillage est doublé d’une haute palissade surmontée de rouleaux de fil barbelé.

Trois acres boisées à flanc de colline, surplombant la Tennessee River. La quarantaine de locataires que compte en permanence cet endroit si secret ne se lèvent jamais. A plat ventre, torse nu, la barbe éparse, un homme nous regarde. Arrivé récemment, il se parchemine au soleil. Les autres s’en protègent sous des bâches que le maître des lieux soulève sans répugnance. La cage thoracique de celui-ci (ou peut-être est-ce « celle-là », comment savoir ?) ne soutient plus rien, ne contient plus grand-chose. Chair, muscles et organes ont coulé entre les os, qui barbotent dans une bouillie brunasse. Ici dépasse un pied cramoisi. Là, un squelette blanc, presque poli, touche à la fin du voyage. Ils sont partout. Ailleurs, enfin, ne reste plus qu’un scalp, gisant sur une tache noire en forme de silhouette. Le cadavre a été emporté mais ses fluides ont empoisonné le sol, l’herbe a disparu, les arbustes alentour agonisent d’avoir aspiré la mort par les racines. Bienvenue à la Ferme des corps. « Si vous ne vous sentez pas bien, vous n’avez qu’à marcher un peu », avait conseillé Bill Bass. Marcher, pour aller où ? Ils sont partout, par terre, sous terre, peut-être dans le coffre de la vieille Chevrolet ou de l’Oldsmobile blanches qui rouillent près de l’entrée. Ils sont partout et surtout dans l’air. Car même si l’on réussit à fixer ses yeux sur une zone vierge, on ne peut faire abstraction d’une chose : l’odeur. Une pestilence insoutenable comme celle qui doit régner sur un champ de bataille quelques semaines après les combats. Contrairement aux autres sens, l’odorat n’a pas de transcription directe dans le langage. Il existe autant de référents qu’il y a d’odeurs. Cela fleure bon le jasmin, mais cela ne sent pas rouge, ni grave, ni amer, ni rugueux… Ici, cela sent plus que la charogne, parce que l’on sait qu’il ne s’agit pas d’un simple chien crevé. Une puanteur douceâtre, insidieuse et agressive à la fois, presque insoutenable, qui semble regrouper toutes les odeurs de la vie quotidienne et dont on croit retrouver ensuite un composant dans son eau de toilette, dans le papier d’un livre que l’on feuillette, dans la viande que l’on mange ou dans sa propre sueur.

Bill Bass a créé la première version de l’ARF en 1971 car la littérature scientifique manquait de données pour aider la police scientifique à déterminer la date du décès pour les cadavres en décomposition. Huit ans plus tard, après s’être aperçu qu’il devait multiplier les expériences dans toutes les conditions imaginables, il obtient un grand terrain proche du centre-ville où la véritable aventure scientifique de la Ferme des corps commence, ainsi que je l’écrivais en 2000 :

P OUR analyser les processus post mortem, les facteurs biologiques et environnementaux participant à la décomposition d’un cadavre, plusieurs centaines de corps ont séjourné sur l’ARF. Habillés, nus, enveloppés dans du plastique ou dans un tapis, au soleil, à l’ombre, sous l’eau, sous terre, dans le coffre des deux Américaines blanches, toutes les situations ont été testées et le sont encore. Grâce à ces recherches, la « séquence » des morts est désormais bien établie, explique le docteur Bass : « Cela commence de manière interne. Les enzymes du système digestif commencent par manger les tissus, ce qui engendre la putréfaction. La première chose que vous voyez, c’est la décoloration de la région intestinale. Puis le corps saigne et entame sa décomposition. S’il se trouve à l’air libre, les insectes vont y avoir ac1cès. Ils sont là pour aider à la disparition des tissus morts. Leurs oeufs vont donner naissance à des larves qui mangeront la matière. Au bout de trois semaines, elles seront devenues adultes. C’est pour cela que, en général, si vous découvrez sur un cadavre les cocons vides ayant contenu les pupes de ces mouches, vous pouvez dire qu’il s’est écoulé au moins vingt et un jours depuis la mort. »

Les habitants de la Ferme des corps y séjournent en moyenne une année. Et tels des Attila involontaires, là où ils ont couché, l’herbe ne repousse pas avant deux ans, en raison des acides gras qui l’empoisonnent. Le sol est ainsi analysé de manière à savoir, même en l’absence de cadavre, combien de temps celui-ci y a résidé. Idem pour l’odeur. Directement importés de l’industrie du parfum, des nez artificiels reniflent les arômes pestilentiels et dessinent les courbes de différents marqueurs chimiques au fil du temps. Si l’ordre des événements advenant après la mort ne varie jamais, la vitesse du processus, elle, est sujette à des fluctuations, avant tout en raison de la température. Un corps pourrit moins vite à Chicago qu’à Miami.

William Bass a pris sa retraite en 1998 mais, aux dernières nouvelles, il est toujours actif. Il a raconté ses souvenirs dans un livre co-écrit avec le journaliste Jon Jefferson et intitulé La ferme des corps. Les deux hommes ont poursuivi leur collaboration en publiant plusieurs romans policiers qui parlent beaucoup d’ossements. Après m’avoir montré son “domaine”, Bill Bass m’avait invité à prendre un verre chez lui. J’avais profité de ce moment de détente pour lui demander à quoi il rêvait la nuit. Il m’avait répondu : “C’est curieux, vous êtes le premier à me poser la question. Je ne l’ai jamais dit à personne – y compris à ma troisième épouse, Carol – mais, de temps en temps, je rêve que je tue quelqu’un et que je tente de cacher son cadavre dans la Ferme des corps.”

Pierre Barthélémy

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