– 2011 est l’année internationale de la chimie. A cette occasion, Nature a ouvert une page spéciale sur son site Internet, qui sera régulièrement mise à jour.
– L’Américaine Henrietta Lacks, bien que décédée en 1951, est immortelle et pourrait bien être une des femmes les plus importantes de l’histoire de la médecine. Ses cellules cancéreuses ayant la propriété de ne pas mourir, les chercheurs les cultivent à la chaîne et s’en servent depuis six décennies pour faire des découvertes majeures : vaccins, génétique, travaux sur le cancer et le sida. Ecrite par l’Américaine Rebecca Skloot, la saga des cellules HeLa (d’après le nom d’Henrietta Lacks) a été un best-seller primé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et vient de paraître en France sous le titre La Vie immortelle d’Henrietta Lacks.
– C’était le buzz de la semaine (si l’on met de côté les morts massives d’oiseaux et de poissons): les larmes des femmes (mais pourquoi que des femmes ?) réduisent le taux de testostérone et le désir sexuel chez les hommes. Une question demeure : ce signal chimique est-il opérant dans la vie réelle ?
– Il y a 25 ans, la sonde Voyager-2 passait au voisinage d’Uranus. Depuis, aucun engin d’exploration n’est allé rendre visite à cette planète. Une nouvelle mission pourrait partir à sa rencontre dans 10 ans et arriver à destination en 2036 ! Les astronomes sont connus pour voir loin…
– Une dépêche Reuters nous apprend que, selon une étude américaine, un test sanguin de détection de la maladie d’Alzheimer pourrait rapidement être mis au point.
– Un dossier sur la dendrochronologie, l’art de tirer des informations scientifiquement acceptables à partir des anneaux de croissance des arbres.
– Pour terminer : que faire avec les espèces invasives ? Deux idées : primo, les manger ; secundo, les porter sur soi (chaussures ou vêtements). Certains considérant que l’homme est la principale espèce invasive de la planète, je ne suis pas sûr que ces solutions soient toujours vues sous un jour favorable…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : 5 mois après son lancement officiel, le 9 août 2010, Globule et télescope vient de passer la barre des 500 000 pages vues. Un grand merci à vous ! Je profite de l’occasion pour vous dire que je participerai, mercredi 12 janvier, à l’émission La Tête au carré, de Mathieu Vidard, sur le thème des blogs scientifiques. C’est en direct sur France Inter, de 14h05 à 15 heures.
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– Une étude surprenante : l’effet placebo fonctionne même quand les patients savent que le “médicament” qu’ils prennent est un placebo…
– Cela n’était pas arrivé depuis longtemps : en 2008, l’espérance de vie a baissé aux Etats-Unis.
– Etant donné que l’épidémie d’obésité ne cesse de progresser, il serait temps de concevoir des crash tests avec des mannequins en “surpoids” et non pas des mannequins aux proportions standards…
– Vous aviez appris à l’école qu’il existait deux espèces d’éléphants, ceux d’Afrique et ceux d’Asie ? Il va falloir vous remettre à jour. On s’en doutait depuis plusieurs années mais, cette fois, la génétique a tranché : en fait, il existe trois sortes d’éléphants, deux d’Afrique (un des savanes et un des forêts) et un d’Asie.
– Une info que je mentionne en passant pour mes “amis” défenseurs du “Saint suaire” : l’origine médiévale du linge de Turin vient une nouvelle fois d’être confirmée. Cela n’apprendra pas grand chose à ceux qui ont suivi les débats autour de la datation au carbone 14 du suaire. Et cela ne convaincra pas non plus ceux qui placent la foi avant la science.
– On connaît les mœurs carnivores du tyrannosaure. Mais tous les membres de la famille ne se contentaient pas du même régime que lui et beaucoup mettaient des plantes à leur menu.
– On ne parle pas assez de mode dans ce blog… Pour pallier ce manque, je vous invite à lire cet article du New York Times consacré aux costumes… de l’espace.
– Pour terminer et ce billet et l’année, je vous propose, avec la complicité de The Telegraph, le portfolio des plus belles photos d’astronomie de 2010.
Pierre Barthélémy
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Je me pose la question à chaque fois que je le vois passer, sur son traîneau volant, dans son grand manteau rouge : quel est l’indice de masse corporelle du Père Noël ? Le brave homme n’a jamais le temps de se laisser peser ni mesurer mais je suppose, à sa silhouette, que son IMC est supérieur à 25, voire 30, ce qui fait de ce barbu aux joues rougies par le froid, un candidat idéal au régime. Malheureusement, le Père Noël est trop occupé pour prendre rendez-vous chez le diététicien et il va falloir réfléchir un peu pour comprendre les causes de son obésité. Car, oui, reconnaissons-le, Santa Claus mange trop, et surtout trop gras (et en plus de cela, il ne fait de l’exercice qu’un seul jour par an).
Penchons-nous un instant sur son alimentation. Ce n’est un secret pour personne, pas même pour les petits enfants, le Père Noël vit quelque part dans le cercle polaire arctique, non loin du pôle Nord. Pour le moment, Wikileaks n’a pas encore divulgué les coordonnées géographiques exactes de sa maison, mais cela ne saurait tarder. Dans cette région du monde, pas grand chose ne pousse et c’est pour cette raison que le Père Noël se nourrit essentiellement de viande et de poisson, car son budget “végétaux” passe quasi intégralement dans le fourrage de ses rennes.
Qu’y a-t-il donc à manger dans la région ? Côté pêche, ses poissons préférés sont l’omble chevalier et la morue polaire. Mais le Père Noël a aussi un faible pour le hakarl, une spécialité culinaire islandaise à base de viande de requin du Groenland. Cela vous a un goût de vieux fromage pourri et une forte odeur d’ammoniaque car il faut dire que le requin sue son urine au lieu de l’excréter par un orifice… Côté chasse, le gibier ne manque pas et le Père Noël se fait souvent aider de ses lutins pour le tuer : des oiseaux comme le goéland bourgmestre, la macreuse à ailes blanches, différentes espèces de guillemots, le fulmar boréal, des animaux à quatre pattes comme le renard arctique ou un petit ours polaire de temps en temps (ne le dites pas au WWF…) et des mammifères marins bien gras, comme l’orque, le béluga, la baleine boréale ou le phoque annelé.
Le problème, c’est que ces animaux, quasiment tous situés au sommet de la pyramide alimentaire, stockent dans leur organisme beaucoup de produits chimiques. Car si l’Arctique est une région apparemment immaculée avec ses grands espaces glacés et un nombre réduit d’habitants humains, une quantité considérable de polluants venus d’Europe de l’Ouest, d’Amérique du Nord et d’Asie s’y retrouve, apportée là par les vents et les courants marins. Absorbés par les végétaux et animaux situés tout en bas de la chaîne alimentaire, ces produits la remontent en se concentrant dans l’organisme des prédateurs. Ce jusqu’au Père Noël qui est LE super-prédateur du coin.
Une équipe de chercheurs canadiens, norvégiens et danois a rassemblé, dans une vaste analyse publiée en 2009 par la revue Science of the Total Environment, un très grand nombre d’études réalisées sur le sujet au cours des dernières années. L’ensemble fait une cinquantaine de pages et, si on peut regretter que ces scientifiques n’aient pas pu mettre la main sur un des lutins du Père Noël pour lui faire subir un check-up complet voire le disséquer, il donne une bonne idée de ce que risquent ceux qui prélèvent leur nourriture sur la faune arctique. Si l’on prend l’exemple de l’ours polaire, qui est un bon analogue de Santa Claus, étant donné que les deux ont à peu près le même régime alimentaire, la même toison blanche et la même corpulence, il y a de quoi se faire du souci pour l’état de santé du Père Noël.
Ursus maritimus est devenu un cas d’école pour ce qui concerne l’accumulation des polluants organiques persistants, connus sous leur acronyme de POP. Non content de devoir se débrouiller avec le réchauffement climatique qui fragilise la banquise et réduit sa période de chasse, l’ours polaire est sûrement un des quadrupèdes les plus contaminés par des produits toxiques sur la planète. Parmi ces produits, on trouve le tristement célèbre PCB, le non moins connu DDT, le PFOS ou le HCH. Les effets de ces molécules sur la santé de l’ours et, partant, sur celle du Père Noël, sont multiples : problème de régulation des vitamines ; perturbation du système endocrinien touchant les hormones thyroïdiennes et les hormones sexuelles ; conséquences sur la fertilité et les organes de la reproduction, le foie, les reins, le système immunitaire et les os.
Chaque année, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) publie sa liste rouge des espèces menacées. Aux dernières nouvelles, l’ours polaire était classé dans la catégorie “Vulnérable” mais le Père Noël n’apparaissait nulle part. Pourtant, il est urgent de se préoccuper de sa santé : tant qu’il n’aura pas formé son successeur, il n’y aura que lui pour remplir nos chaussons dans la nuit du 24 au 25 décembre…
Pierre Barthélémy

Appelons-le Monsieur X. Agé de 66 ans, il se présente un jour dans un hôpital danois, pour soumettre aux médecins un petit problème intime. Depuis deux mois, à chaque fois que cet homme a un orgasme en faisant l’amour, il devient subitement aveugle de l’œil gauche, tout en continuant à y voir de l’autre côté. La cécité disparaît spontanément au bout de quelques minutes. Elle ne survient pas lorsque Monsieur X fait un exercice physique d’un autre genre, même intense.
Ce patient aux symptômes pour le moins singuliers fume un paquet de cigarettes par jour depuis un quart de siècle mais n’a aucun problème de santé, ne consomme pas de substances illicites, n’est pas alcoolique et ne prend aucun médicament. Il n’y a pas non plus d’antécédent de maladie cardio-vasculaire dans sa famille. Les examens ophtalmologiques, neurologiques et cardiaques préliminaires sont tous normaux. Euh, on sait bien que l’amour rend aveugle mais ce n’est pas vraiment une explication satisfaisante à ce phénomène étrange… Y a-t-il un docteur House dans la salle pour le diagnostic ?
En fait, après quelques analyses, les médecins danois vont se forger une petite idée de ce qui cause cette cécité passagère. Monsieur X a du cholestérol et, surtout, des problèmes au niveau de ses carotides internes. A droite, le sang ne passe plus et, à gauche, l’artère est bouchée à 50 %, une sténose mise en évidence par une échographie et confirmée par une angiographie par résonance magnétique. Heureusement pour lui, on peut très bien vivre avec une carotide bouchée, si les autres axes de circulation sanguine (qui alimentent le cerveau, le tympan et l’œil) compensent, ce qui est visiblement le cas de Monsieur X sur son côté droit. Côté gauche, en revanche, la roue de secours artérielle n’est sans doute pas aussi efficace, ce qui explique les incidents dont le patient est victime.
Comme l’ont écrit les médecins de monsieur X dans l’étude de cas qu’ils lui ont consacrée, publiée en 2009 dans le British Journal of Ophtalmology, “la réponse physiologique à l’activité sexuelle inclut une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique, du rythme cardiaque et de la pression artérielle”. Si, au rétrécissement des vaisseaux sanguins advenant lors de l’orgasme, on ajoute une carotide gauche déjà à moitié bouchée et un système de “dérivation” moyennement efficace, on obtient l’arrêt de l’irrigation de l’œil et une perte momentanée de la vision. Celle-ci revient aussitôt que la vanne artérielle se rouvre, au moment du relâchement postcoïtal.
Monsieur X est donc reparti chez lui avec une ordonnance pour un vasodilatateur. Au bout de deux semaines, les symptômes ont disparu. A toute chose malheur est bon puisque ces accidents finalement sans conséquence l’ont alerté sur l’état calamiteux de ses carotides.
Pierre Barthélémy

Dans la rubrique des faits divers ou dans les feuilletons de police scientifique, il se passe rarement une semaine sans qu’une analyse ADN confonde un suspect ou bien le mette hors de cause. Dans les enquêtes et devant les tribunaux, c’est désormais une arme fatale. Encore faut-il que l’ADN recueilli sur les scènes de crime corresponde à celui d’un suspect ou à celui d’une personne enregistrée dans le Fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg). Si ce n’est pas le cas, les poils, le sperme, le sang, la salive, les cellules de peau retrouvés par terre, sur la victime, sous ses ongles, sur un mégot, ne servent pas à grand chose, si ce n’est à enlever des noms de la liste des coupables potentiels.
L’ADN pourrait bientôt quitter ce rôle passif, purement comparatif, et donner des pistes aux enquêteurs. Comment ? A partir de marqueurs, on va prédire avec un bon degré de confiance certaines caractéristiques physiques du criminel. On est certes encore très loin de dessiner le portrait-robot de ce dernier à partir de son ADN car la complexité biologique de ce qui donne son apparence extérieure à un être humain est immense. Néanmoins, si l’on sait que l’assassin est une femme blonde aux yeux bleus, les policiers chercheront plutôt une Grace Kelly qu’un Jackie Chan pour résoudre ce crime qui est presque parfait…
Cette prédiction des caractères observables à partir de l’ADN a commencé il y a peu avec la couleur des yeux, qui n’est pas, à vrai dire, une piste forcément discriminante sauf si l’assassin d’un restaurateur asiatique en plein Chinatown a les yeux bleus. Une nouvelle étude, néerlandaise, publiée dans Current Biology le 23 novembre pourrait intéresser davantage les spécialistes de la police scientifique, car elle parvient à déterminer avec une précision correcte l’âge d’une personne à partir de l’analyse de globules blancs. Pour comprendre comment cela fonctionne, entrons brièvement dans la machinerie du corps humain. Le “T” des lymphocytes T, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, est l’initiale de thymus. C’est en effet dans cet petit organe situé dans la cage thoracique que les lymphocytes T, fabriqués par la moelle osseuse, sont formés à leur métier de guerriers du système immunitaire. Pour le dire simplement, ils y éduquent leurs récepteurs à reconnaître les cellules du “soi” et par conséquent à détecter les corps étrangers. Au cours de cet apprentissage, leur matériel génétique est réarrangé, ce qui produit de petites molécules circulaires d’ADN.
Or, le thymus a la particularité de régresser avec l’âge, ses tissus étant petit à petit remplacés par du tissu adipeux. Conséquence de cette évolution, les lymphocytes T présentent avec le temps de moins en moins de cercles d’ADN. Les auteurs de l’étude ont donc vérifié, avec des échantillons de sang prélevés sur 195 personnes âgées de 0 à 80 ans, que ce déclin était constant. De plus, que l’échantillon soit tout frais ou qu’il ait un an et demi ne fait pas de différence. Ces travaux permettraient donc d’évaluer assez précisément l’âge d’un criminel, ce qui donnerait des pistes aux enquêteurs. Comme le souligne l’étude, cette approche peut aussi être “appliquée à l’identification de victimes de catastrophes où des morceaux de corps (contenant du sang) sont disponibles et où la connaissance de l’âge peut être cruciale pour l’identification définitive.” Autre possibilité intéressante, l’estimation de l’âge des animaux sauvages pour les zoologues ou les responsables de parcs naturels.
Les auteurs restent néanmoins prudents quant à l’application immédiate de leur méthode : en effet, il reste à déterminer si des altérations sévères du système immunitaire, qu’elles soient dues à un sida ou à une leucémie, peuvent ou non influencer la précision du procédé. Par ailleurs, le référentiel que l’étude a établi concerne la population néerlandaise. Encore doit-on vérifier que l’origine géographique des personnes ne peut pas faire varier ces critères. Il ne faudrait pas chercher une Grace Kelly de 81 printemps à la place d’un Jackie Chan de 56 ans…
Pierre Barthélémy
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– Benoît XVI, dans un livre à paraître, admet l’utilisation du préservatif quand l’intention est d’éviter une contamination. C’est la première fois qu’un pape va dans ce sens, un pas important quand on sait l’influence que l’Eglise catholique peut avoir, notamment en Afrique, sur l’utilisation du préservatif dans les pays où le sida fait des ravages.
– Des chercheurs du Cern ont réussi à conserver des atomes d’antimatière. Certes, cela n’a duré qu’un dixième de seconde mais ce genre de capture temporaire va permettre aux physiciens d’étudier l’antimatière et d’essayer de comprendre pourquoi elle semble avoir disparu de l’Univers alors qu’il s’en est a priori créé autant que de matière lors du Big Bang.
– La grippe aviaire a fait sa réapparition à Hongkong. Un cas isolé ou le début d’une nouvelle flambée ?
– Le Grand Prix de l’Inserm 2010 ira, le 30 novembre, à Didier Raoult, ancien mauvais élève en classe et adolescent rebelle, aujourd’hui grand chasseur de microbes et en particulier de virus géants, mangeurs d’autres virus. Le Monde dresse son portrait.
– Le nom de Phil Jones n’est sûrement pas très connu. Pourtant, ce chercheur britannique fut, sans le vouloir, au centre du pseudo-Climategate de 2009 car dans le millier de courriels volés et publiés lors de cette sombre histoire de piratage informatique, les siens figuraient en bonne place. Il fut rapidement accusé d’avoir voulu manipuler les données pour accréditer la thèse du réchauffement climatique. A tort, mais le mal était fait. Nature a rencontré Phil Jones un an après et celui-ci raconte la tempête dans laquelle il a été pris, qui l’a mené au bord du suicide. Pour lui, ce fut vraiment une année très chaude…
– De l’archéoptéryx aux outils fabriqués par les chimpanzés, les 10 plus grandes découvertes de zoologie selon le magazine Wildlife de la BBC.
– Les ptérosaures géants faisaient la même taille que les girafes. Et ils avaient des ailes. Ces énormes animaux pouvaient-ils voler pour autant ? Beaucoup en doutaient. Mais une équipe de chercheurs affirme désormais le contraire, pensant que ces dinosaures disposaient pour s’envoler d’une grande quantité de muscles.
– Et pour finir… Sauf à s’appeler Nicolas Sarkozy, peu d’entre nous auront le privilège de visiter la grotte de Lascaux. Ils devront se contenter de sa réplique, ou bien, désormais, de son double virtuel. Un magnifique site lancé à l’occasion des 70 ans de la découverte de la grotte.
Pierre Barthélémy
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C’est dans une relative discrétion que le ministère de la santé a lancé, le 4 novembre, le Plan national de lutte contre le VIH/Sida et les infections sexuellement transmissibles (IST) 2010-2014. Certes, les grandes lignes en avaient été dévoilées par Roselyne Bachelot début octobre dans Libération, mais on pouvait imaginer qu’après la grande baffe qu’avait prise la première mouture du Plan à la fin du printemps, vertement critiquée par le Conseil national du sida et la Conférence nationale de santé, le ministère aurait eu à cœur de montrer qu’il avait soigneusement revu sa copie. Surtout, ce Plan 2010-2014 marque un changement de paradigme majeur de la politique de prévention et de dépistage du VIH. Pour schématiser, celle-ci reposait toujours sur les trois piliers établis dans les années 1980, lorsque l’épidémie a commencé : 1/ tout le monde est concerné ; 2/ le dépistage est une démarche individuelle ; 3/ tout le monde doit se protéger avec le préservatif.
En un quart de siècle, tout cela a changé. Tout d’abord, en France, le VIH ne concerne plus “tout le monde” au même titre. Les homosexuels masculins et, dans une moindre mesure, les migrants d’Afrique subsaharienne, sont nettement plus touchés que les hétérosexuels. Une étude de l’Institut de veille sanitaire, publiée dès 2009 sans que cela fasse de bruit, et reparue en septembre dans The Lancet, cette fois avec tambours et trompettes, laissait penser que l’épidémie de VIH était “hors de contrôle” chez les gays de France. C’était un peu exagéré mais cela traduisait une réalité : il n’y a pas d’égalité vis-à-vis du virus du sida. Le Plan 2010-2014 intègre enfin ce fait, reprenant les recommandations de divers rapports. Il insiste sur un dépistage généralisé, qui devra être proposé par les médecins de ville et financé à hauteur d’un milliard d’euros, et sur un traitement précoce, les antirétroviraux ayant désormais fait la preuve de leur efficacité. Le but est d’identifier rapidement les séropositifs qui s’ignorent : ils seraient environ 50 000 en France (avec évidemment un turn-over important puisqu’il y a 7 000 nouvelles contaminations chaque année) et ce vivier sans cesse renouvelé alimente l’épidémie.
Ces chiffres montrent bien que l’actuelle politique de prévention, basée sur l’utilisation du préservatif, a atteint ses limites depuis plusieurs années. Comme me l’a dit Bruno Spire, directeur de recherches à l’Inserm et président de l’association Aides, “croire que les gens vont se protéger à 100% tout le temps avec le préservatif relève de la méthode Coué. Comme si les gens allaient être parfaits tout le temps… C’est comme si on prônait l’abstinence : après tout, c’est un bon moyen de ne pas être contaminé !” Même si le marché du condom se porte bien en France, l’utilisation systématique de la capote est donc en baisse. Ce qui, dans une population fortement touchée par le VIH comme celle des homosexuels masculins, est un vrai danger. J’ai voulu comprendre les raisons de cette baisse de vigilance ou de cette lassitude, et la manière dont les gays envisageaient la prise de risque. Voici les témoignages de trois d’entre eux.
Vincent a 22 ans. Il est étudiant et passe une année Erasmus en Angleterre :
“La lassitude vis-à-vis du préservatif est arrivée rapidement pour moi : à chaque rapport sexuel, c’est une frustration d’utiliser la capote, un sentiment qu’on ne peut jamais aller au bout du plaisir. Ma difficulté n’est ni d’ordre technique, ni liée à un manque d’information, ni un manque de volonté de me protéger. J’ai envie de me protéger face au VIH et je ne souhaite attraper aucune IST. Seulement, ma sexualité est très importante dans ma vie et les rapports naturels sans rien ont toujours été les meilleurs et ceux qui m’excitent le plus. J’entre dans le même moule que beaucoup de gens : je n’aime pas les préservatifs. Dans la mesure du possible, j’en mets, je me force à en mettre.”
“En général, je résiste à mes envies de faire sans. Mais cette difficulté à me protéger survient ou est aggravée dans deux situations. Soit lorsque j’ai des baisses de moral car je me sers du sexe autant comme occupation que comme exutoire avec des partenaires occasionnels : quand j’ai eu une sale journée, ma seule envie c’est de compenser sexuellement et c’est dans ces moments-là que je peux aller loin tant au niveau des pratiques qu’au niveau de ma prévention. Soit lorsque j’ai de l’affection pour une personne. Dans ces situations, ma stratégie n’intervient qu’à posteriori : je discute avec la personne après le risque, je fais des dépistages régulièrement (tous les 6 mois ou un mois après un risque), et il m’est arrivé une fois de prendre un traitement post-exposition. Mais vu la lourdeur du truc, je crois que je réfléchirai à deux fois avant d’en reprendre un.”
“Je dis ça en étant très bien informé de ce que c’est que vivre avec un traitement, être séropositif, etc. Mais le comportement sexuel et l’excitation n’obéissent pas à des éléments rationnels. C’est pour cela aussi que le meilleur outil de prévention pour moi, en l’absence de vaccin ou autre traitement pré-exposition, reste d’être soutenu, encouragé, rassuré par des gens qui m’écoutent et me comprennent sans me juger. Certains trouvent paradoxal d’être engagé dans la lutte contre le sida et d’avoir des prises de risque. Or justement je pense que si la lutte contre le sida bloque et qu’il y a toujours des nouvelles contaminations dans des pays où l’on a un accès élevé au dépistage et à la prévention, c’est notamment parce que l’on refuse d’avoir une approche différente des personnes qui prennent des risques.”
Christophe a 36 ans. Il est acteur de prévention à l’association Aides.
“Pour moi, une relation sexuelle normale est sans préservatif. Il faut le rajouter. C’est un acte qui n’est pas “prévu” et qui vient s’immiscer en temps et en sensations entre les deux corps. Cela dit, il y a quinze ans, le VIH était encore relié à la mort et je faisais très attention. Il y avait une urgence et il était hors de question pour moi de ne pas me protéger. Aujourd’hui, cela a changé : je ne vois plus trois personnes mourir chaque mois du sida. Il faut donc que je fasse un effort au niveau du préservatif. Il y a des fois où je n’y pense tout simplement pas. Il faut bien comprendre que beaucoup d’homosexuels ont une vie sexuelle plus libérée que la plupart des hétéros : quand je vais en backroom, ce qui peut m’arriver plusieurs fois par semaine, je peux faire dix fellations en 25 minutes, ce qui veut dire que je serai en contact avec au moins une personne séropositive.”
“La multiplication des partenaires, qui est un mode de vie chez beaucoup de gays, entraîne une multiplication des risques. Je peux avoir plusieurs centaines de partenaires en une année et j’estime que 10% de mes rapports sexuels sont non-protégés. Je vais me faire dépister trois ou quatre fois par an pour le VIH et une fois par an pour la syphilis et l’hépatite C. Une fois sur deux, j’ai recours au dépistage communautaire. En 1h20 c’est réglé, c’est rapide et c’est fait par des gens qui me ressemblent et ne me jugent pas.”
Jean-Louis a 55 ans. Il est chargé de mission à Aides. Et séropositif.
“Après que je me suis séparé de ma femme, à 45 ans, j’ai eu une vie sexuelle particulièrement active et c’est à ce moment-là que j’ai été contaminé. La capote n’est pas du tout naturelle ni spontanée pour ceux qui, comme moi, ont connu la sexualité avant le sida. Quand, en 2006, j’ai découvert ma séropositivité à l’occasion d’une demande de prêt (que je n’ai pas eu avec cette banque…), je n’étais pas bien informé du tout. Je suis allé faire des analyses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris et le premier médecin que j’ai vu m’a dit : “Vous n’avez pas honte, à votre âge ?” Mais encore une fois, utiliser le préservatif n’est pas évident quand vous avez connu la période où on n’en mettait pas…”
“Les homosexuels d’un certain âge ne sont pas d’ailleurs perçus dans le champ de la prévention qui est faite pour les jeunes citadins : ces personnes sont donc plus difficiles à appréhender, moins liées aux associations, elles vivent plus à part, ne fréquentent pas les mêmes lieux que les jeunes. Et pour ce qui est de l’utilisation du préservatif s’ajoute un autre problème, celui des érections plus difficiles : quand vous commencez à bander moins bien, c’est plus compliqué. C’est un sujet tabou que celui de la perte de virilité, difficile à exprimer. On touche à quelque chose d’intime, à la fragilité de l’homme qui vieillit…”
Pierre Barthélémy
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Lorsque Luke Skywalker se fait trancher un bras par le sabre-laser de son gentil papa dans L’Empire contre-attaque, le membre perdu est aussitôt remplacé par une prothèse bionique et c’est bien dommage : cela ne laisse pas le temps au héros de George Lucas d’expérimenter le phénomène du membre fantôme. Ainsi nommé en 1871 par l’Américain Silas Weir Mitchell, qui avait soigné plusieurs soldats amputés de la Guerre de Sécession, il consiste, pour la personne à laquelle manque un bras, une main, un pied, une jambe, à percevoir des sensations “venant” du membre absent. Les femmes auxquelles on a retiré un sein peuvent également y être sujettes… tout comme les hommes ayant perdu l’organe de leur virilité.
Cette dernière catégorie suscite de plus en plus d’intérêt dans le milieu médical depuis que sont pratiquées des opérations de changement de sexe. La littérature à ce sujet est cependant assez pauvre et il est fréquent de lire que les premiers cas rapportés datent du milieu du XXe siècle. Ainsi, en 1950, un chirurgien de Boston, A. Price Heusner, publie-t-il un article contenant deux études de cas. La première évoque un vieil homme dont le pénis a été “accidentellement blessé et amputé” et qui ressent de temps en temps des érections fantômes. Le monsieur en question est obligé de regarder sous ses vêtements pour s’assurer que son sexe (turgescent ou non) manque bel et bien à l’appel. La seconde étude de cas contenue dans cet article parle d’un homme d’âge moyen, souffrant d’un cancer dans la région périnéale qui s’est étendu et lui cause d’affreuses souffrances dans l’aine, au point qu’il a choisi de se faire amputer du pénis ! Après l’opération chirurgicale, il continue de ressentir des douleurs dans le sexe qu’il n’a plus…
En réalité, les mystères du pénis fantôme intéressent les médecins depuis des siècles, comme le révèlent Nicholas Wade (université de Dundee, Grande-Bretagne) et Stanley Finger (université Washington de Saint-Louis, Missouri) dans une étude publiée en octobre par le Journal of the History of the Neurosciences. Ces deux chercheurs ont retrouvé plusieurs références dans les écrits de médecins écossais vivant aux XVIIIe et XIXe siècles. Ainsi, John Hunter (1718-1783) , célèbre chirurgien et anatomiste exerçant à Londres, décrit-il ainsi un cas de pénis fantôme : “Un sergent des troupes de marine qui avait perdu le gland et la plus grande partie de son pénis, et à qui l’on demandait s’il ressentait jamais ces sensations qui sont particulières au gland, déclarait que quand il frottait l’extrémité de son moignon, cela lui procurait exactement la sensation qu’il avait en se frictionnant le gland et que cela était suivi d’une émission de semence.” Une masturbation fantôme en quelque sorte…
Un autre praticien écossais, Andrew Marshal (1742-1813), qui s’intéressait au transport des signaux sensoriels, rapporte le cas de W. Scott, “dont le pénis a été emporté par un coup de feu et dont le moignon, qui était au même niveau que la peau du pubis, retrouvait la sensibilité particulière du gland”. Troisième et dernier exemple, celui d’un homme dont le sexe avait été détruit par une maladie, exemple donné par Charles Bell (1774-1842), grand spécialiste du système nerveux, qui jugea plus pudique de le présenter… en latin pour ne pas choquer certains de ses lecteurs : “Quando penis glandem exedat ulcus, et nihil nisi granulatio maneat, ad extremam tamen nervi pudicæ partem ubi terminatur sensus supersunt, et exquisitissima sensus gratificatio.” Ce qui signifie à peu près, pour autant que mes souvenirs de latin me permettent une traduction : “Quand un ulcère dévore le gland et que rien d’autre ne subsiste qu’une granulation, le plaisir sensoriel le plus exquis demeure dans la région terminale du nerf honteux où les sensations s’arrêtent.”
C’est ici que l’on trouve l’intérêt de cette étude. Dans les cas classiques de membres fantômes, le phénomène est souvent douloureux, ou, dans le meilleur des cas, gênant. Les exemples cités par Nicholas Wade et Stanley Finger montrent que, lorsque le membre absent est le membre viril, les sensations fantômes sont plutôt agréables. Contrairement à ce que pouvait imaginer Georges Brassens dans sa chanson Les Patriotes, chez les “amputés de leurs bijoux de famille”, l’absence d’organe ne signifie pas forcément absence de jouissance…
Pierre Barthélémy
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– La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière a commencé il y a un mois dans une indifférence qui contraste avec le psychodrame de 2009 autour de la grippe A(H1N1). Les polémiques de l’an passé pourraient autour de l’utilité et de la “dangerosité” du vaccin pourraient jeter la suspicion sur les autres vaccins, explique une enquête du Monde Mag. Un article accompagné d’un entretien avec l’anthropologue Frédéric Keck, auteur de Un monde grippé (Flammarion), qui analyse les réactions des sociétés face aux maladies émergentes.
– Des astronomes français et britanniques ont détecté la galaxie la plus vieille découverte à ce jour dans la constellation du Fourneau. Elle a plus de 13 milliards d’années, ce qui fait qu’elle est née seulement 600 millions d’années après le Big bang. L’article annonçant la trouvaille est paru dans Nature.
– A cause du réchauffement de la planète, l’Arctique est probablement entré dans une nouvelle phase de son climat où ce qui était la norme il y a encore quelques décennies risque de ne pas se revoir de sitôt.
– Toujours sur le changement climatique, le site Climate Progress s’est aperçu que 22 des 37 candidats républicains aux postes de gouverneurs pour les prochaines élections américaines niaient la réalité du réchauffement.
– Les volcanologues doivent-ils ou non percer un trou pour évaluer le potentiel des Champs Phlégréens, une zone volcanique située à l’ouest de Naples, au risque de chatouiller et de réveiller la bête ? Un débat que nous rapporte Newsweek.
– Depuis plusieurs années, les autorités égyptiennes ont pour plan de redessiner la ville de Louxor pour mettre en valeur son patrimoine archéologique exceptionnel. Au point d’en faire un Las Vegas archéologico-touristique, se demande Time ?
– Pourrait-on faire entendre la forme d’un objet à un aveugle qui ne la voit pas ? C’est l’idée de chercheurs de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal.
– La physique du chien qui s’ébroue a fait la “une” de nombreux sites et blogs scientifiques anglo-saxons… Voici ce qu’a écrit et montré wired.com.
– Pour terminer, une infographie simple et claire sur les gros géocroiseurs, ces astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre qui ont frôlé ou vont frôler un jour notre Terre.
Pierre Barthélémy
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"Yama-uba et Kintarō", estampe d'Utamaro (1753-1806)
Le saturnisme est souvent décrit comme une maladie d’enfants défavorisés car il est fréquemment causé par l’ingestion d’écailles de peintures au plomb dans de vieux logements non-réhabilités. Dans le Japon impérial de l’époque d’Edo (1603-1868), ce pourrait bien être le contraire : une maladie d’enfants favorisés, ainsi que le révèle une récente étude publiée par le Journal of Archaeological Science.
Tamiji Nakashima (University of Occupational and Environmental Health, Kitakyushu) et trois de ses collègues ont analysé les ossements très bien préservés découverts sur le site d’un ancien temple bouddhiste zen à Kitakyushu. Seuls les restes des samouraîs et de leur famille y étaient conservés. Au total, les os de 11 hommes, 12 femmes et 38 enfants ont été étudiés. Et voici les concentrations en plomb retrouvées en moyenne : 14,3 microgrammes de plomb par gramme (μg/g) d’os sec chez les hommes, 23,6 μg/g d’os sec chez les femmes, 313 μg/g d’os sec chez les enfants de plus de 6 ans, 462,5 μg/g d’os sec chez les enfants de 3 à 6 ans et, enfin, 1 241 μg/g d’os sec chez les enfants de moins de 3 ans. Ce dernier chiffre est incroyablement élevé, surtout si on le compare à celui des adultes. D’où vient tout ce plomb ?
Les chercheurs avaient déjà constaté, au cours de précédents travaux portant sur les adultes, une différence significative entre hommes et femmes, ce qui les a conduits à soupçonner… les cosmétiques. Ceux-ci sont devenus très à la mode dans les franges aisées de la société japonaise pendant l’époque d’Edo, notamment sous l’influence des acteurs de kabuki. Et, en bonne place parmi les cosmétiques, figurait la céruse. A la même époque, ce cosmétique à base de carbonate de plomb faisait fureur à la cour des rois de France et d’Europe pour le teint blanc qu’il conférait, jusqu’à ce que ses effets nocifs le fassent, à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, disparaître de l’arsenal des fards.
Cette prise de conscience fut visiblement plus tardive au pays des samouraïs où les mères maquillées ont, pendant longtemps et sans le vouloir, empoisonné leurs enfants par simple contact, en concluent les auteurs de l’étude. Ces derniers poussent d’ailleurs leur réflexion plus loin et formulent l’hypothèse que, le saturnisme se traduisant notamment par des troubles mentaux et des retards cognitifs, les élites japonaises n’étaient pas, en raison de ces intoxications, les mieux armées pour bien réagir en période de crise. Ces chercheurs mettent notamment en avant le cas du 13e shogun, Tokugawa Iesada, décrit comme souvent malade et incapable de s’opposer aux pressions américaines qui contraignirent le Japon à rompre son isolationnisme en 1854. N’y aurait-il qu’un pas du maquillage à l’insécurité politique ?
Pierre Barthélémy
Post-scriptum du 6 octobre : le saturnisme est loin d’avoir disparu partout. En témoigne cette dépêche de l’AFP, reprise sur le site Internet du Soir, qui raconte qu’au moins 400 enfants empoisonnés au plomb sont décédés au Nigeria, en raison d’activités minières illégales.
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