Le cerveau en train de se régénérer pour la première fois en vidéo

Cela ressemble au routier d’une grande ville avec ses grands échangeurs. En fait, il s’agit de la circulation des protéines, rendues visibles grâce à des marqueurs luminescents issus de méduses, qui traversent les neurones pour les régénérer. C’est grâce à cette nouvelle méthode d’imagerie que les chercheurs de l’université de Californie du Sud (USC) ont pu réaliser cette vidéo inédite et trop courte qui dévoile l’intérieur des neurones.

Un nouveau cerveau toutes les semaines

“Notre cerveau est démonté et remonté chaque jour”, indique Don Arnold, professeur de biologie moléculaire et informatique au Dornsife College de l’USC et auteur d’un article sur ce sujet dans la revue Cell-Reports du 26 juillet 2012. “D’ici une semaine, votre cerveau sera constitué de protéines entièrement différentes de celles qui le compose aujourd’hui”, ajoute-t-il. “Cette vidéo montre cette régénération. Nous savions que cela se produisait mais, maintenant, nous pouvons voir le processus en train de se produire”.

La découverte du parcours réel des protéines

La nouvelle technique d’imagerie permet de suivre le parcours des protéines vers les deux zones qu’elles nourrissent dans les neurones : l’axone, le câble électrique qui transmet les signaux, et les dendrites, portes d’entrée des neurones pour les signaux provenant d’autre cellules. “Il est connu depuis plusieurs décennies que les protéines ont pour cible soit l’une soit l’autre de ces zones. Mais nous ne comprenions pas comment ce ciblage se produisait jusqu’à ce que nous puissions réellement voir les protéines se déplacer vers l’une ou l’autre”, note Sarmad Al-Bassam, doctorant et principal auteur de ‘l’article paru dans Cell Reports.

“Notre résultat est très surprenant”, précise Don Arnold. “Nous avons découvert qu’au lieu de viser spécifiquement les dendrites, les protéines pénètrent dans les deux zones et qu’elles sont ensuite stoppées pour leur éviter de se déplacer au delà de la portion initiale de l’axone”.

Michel Alberganti

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Du vin pour marcher droit ?

On aura tout dit sur le vin. Qu’il est bon pour la santé lorsqu’il est consommé avec modération. Qu’un seul verre est un verre de trop en matière de cancer. Aujourd’hui, Jane E. Cavanaugh, de l’université Duquesne à Pittsburg, présente devant une assemblée de 1400 scientifiques rassemblés pour le 244ème congrès national de l’American Chemical Society qui se tient à Philadelphie du 19 au 23 août 2012, le résultat de son étude sur l’amélioration de l’équilibre lors de la marche chez les personnes âgées. Un problème qui affecte un Américain sur trois au delà de 65 ans et qui provoque des chutes aux conséquences parfois graves ou même mortelles.

Les souris âgées retrouvent l’équilibre

La découverte de l’équipe dirigée par Jane Cavanaug concerne un produit naturel, le resvératrol, un antioxydant que l’on trouve dans le raisin ou les mures. Et le vin. Il est déjà connu pour ses effets sur le cholestérol, les maladies cardiaques et même sur certains cancers. Certains pensent qu’il ralentirait également le vieillissement. C’est son action sur le cerveau qui pourrait être bénéfique en matière de maintien de l’équilibre lors de la marche.
Pour étudier son impact  sur la mobilité, les chercheurs ont soumis des souris jeunes et âgées à un régime riche en resvératrol pendant 8 semaines. Ils ont ensuite mesuré l’aptitude des rongeurs à se déplacer sur une poutre grillagée en acier en comptant le nombre de leurs faux pas. Au début, les souris les plus âgées avaient du mal à ne pas perdre l’équilibre. Mais à partir de la quatrième semaine, elle ont rattrapé les souris les plus jeunes en retrouvant toute  leur stabilité.

700 verres de vin par jour…

Malgré ce constat expérimental, l’action du resvératrol sur le cerveau reste mystérieuse. Les chercheurs observent que les neurones exposés à de fortes doses du neurotransmetteur qu’est la dopamine ont tendance à mourir. Néanmoins, lorsqu’ils ont été préalablement traités au resvératrol, ils survivent beaucoup mieux à cette exposition à la dopamine. En y regardant de plus près, les chercheurs ont constaté que le resvératrol atténue les dommages causés par les radicaux libres d’oxygène générés par la dopamine et qu’il active une protéine favorisant la survie des cellules neuronales.
Les effets positifs du resvératrol sont néanmoins limités par le fait qu’il est très difficilement assimilé par le corps humain. Ainsi, une personne de 75 kg devrait boire près de 700 verres de 12 cl de vin rouge par jour afin d’absorber assez de resvératrol pour profiter de ses effets bénéfiques… On imagine les effets dévastateurs d’un tel régime… sur l’équilibre, justement.

Équivalent synthétique

Afin de pallier ce problème, les chercheurs tentent de mettre au point un produit synthétique qui pourrait avoir les mêmes effets sur le resvératrol tout en étant plus facilement assimilé. Il cherchent également à mesurer le taux de resvératrol qui parvient réellement au cerveau. Ils considèrent que, même si les effets de ce produit sont minimes, cela pourrait être suffisant pour que les personnes âgées profitent d’un gain d’équilibre capable de leur éviter des chutes.
L’étude en question est donc encore loin de proposer une véritable solution, sauf à trouver un moyen pour injecter directement du resvératrol dans le cerveau… Le recours au vin comme média, une fois de plus, décevra les amateurs. Il continuera à avoir les effets inverses que l’on connaît bien et que les policiers mesurent, aux Etats-Unis, en faisant suivre une ligne droite sur le sol aux conducteurs suspects.

Michel Alberganti

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Pourquoi les femelles vivent-elles plus longtemps que les mâles ?

Dans le règne animal, la plupart des femelles vivent plus longtemps que les mâles. Chez l’homme, cette différence est souvent attribuée au mode de vie masculin (alcool, tabac, prise de risques…) moins sain que celui des femmes. Difficile de transposer cette explication chez… la mouche du vinaigre (drosophile melanogaster), par exemple… Une équipe de chercheurs des l’université australienne de Monash et de l’université anglaise de Lancaster ont découvert une nouvelle piste: les mutations génétiques de l’ADN des mitochondries. Leur étude, publiée le 2 août 2012 dans la revue Current Biology, est fondée sur l’analyse de 13 groupes différents de mouches du vinaigre mâles et femelles.

ADN mitochondrial

Résultat: l’ADN mitochondrial subit des mutations qui affectent la durée de vie des insectes mâles alors qu’elles n’ont pas cet effet sur les insectes femelles. De plus, comme les mitochondries ne sont transmises que par les femelles, les mutations mâles sont éliminées naturellement pendant la reproduction sexuée. Cela n’empêche pas les mâles d’en être victimes mais cela évite qu’ils en fassent hériter leur descendance. Ainsi, les nouveaux-nés bénéficient-ils d’un ADN mitochondrial provenant de la mère non affectées par le vieillissement subi par celui de leur père.

Les femmes vivent 5 à 7 ans de plus

Toute la question réside dans l’importance de ce facteur génétique différenciant entre mâle et femelles par rapport à d’autres cause du vieillissement des mâles. Il est tout de même remarquable qu’une très importante proportion des espèces animales présente cette même différence de durée de vie. En 2009, les chiffres de l’OMS donne une espérance de vie à la naissance de 66 ans pour les hommes et de 71 ans pour les femmes dans le monde (78 ans et 85 ans, respectivement, en France, 76 ans et 81 ans aux Etats-Unis, 47 et 50 ans en Afghanistan). Une différence de 5 à 7 ans apparaît donc clairement en faveur des femmes dans les pays développés.  Mais il est notable que les conditions de vie jouent, à l’évidence, un rôle majeur comme le montre la différence entre pays pauvres et pays riches. Il est aussi notable que les Etats-Unis aient vu leur espérance de vie baisser en 2010 (77,9 à 77,8 ans soit 80,3 ans pour les femmes et 75,3 ans pour les hommes) en raison du développement de l’obésité et des cancers et ce, malgré la poursuite de la baisse de la mortalité infantile. Les progrès indéniables en matière d’espérance de vie ne doivent pas masquer les chiffres qui mesurent l’espérance de vie en bonne santé. Là, on tombe à 62,4 ans pour les hommes et 64,2 ans pour les femmes en France en 2008. Les femmes vivent donc plus longtemps mais l’écart avec les hommes, en matière de vie en bonne santé, est réduit à moins de deux ans.

Les mutations de l’ADN mitochondrial n’expliquent donc peut-être pas tout. Si elles jouent vraiment un rôle, il sera peut-être possible un jour de permettre aux hommes d’espérer vivre aussi longtemps que les femmes. Ce qui serait plutôt une bonne nouvelle…

Michel Alberganti

 

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JO 2012: le cas d’Oscar Pistorius, alias Blade Runner

Parmi les multiples aventures personnelles qui se jouent en ce moment aux Jeux Olympiques de Londres, celle d’Oscar Pistorius revêt un caractère particulier. Cet athlète sud-africain va courir le 400 m et le relais 4×400 m avec les prothèses en fibre de carbone qui lui ont valu le surnom de “Blade Runner”. L’histoire de ce jeune homme, amputé des deux jambes à l’âge de 11 mois à la suite d’une malformation congénitale, est tout à fait remarquable. S’il doit beaucoup à la technologie développée par le firme islandaise Ossur, ses performances résultent d’une volonté hors du commun qui l’a conduit à vouloir se mesurer aux athlètes valides malgré son handicap.

Pour comprendre l’apport de la high-tech en matière de prothèses, vous pouvez écouter l’émission Science Publique que j’ai animée le 20 juillet 2012 sur France Culture. En attendant l’épreuve du 400 m à laquelle participera Oscar Pistorius le 4 août prochain.

France Culture:

20.07.2012 – Science publique
JO : Que peut-on attendre des prothèses high-tech ? 59 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

L’une des vedettes des Jeux Olympiques qui commencent dans une semaine exactement, le 27 juillet à Londres, sera sans doute Oscar Pistorius. Membre de l’équipe sud-africaine sur 400 mètres et relais 4 fois 400 mètres, il participera pour la première fois aux Jeux Olympiques des athlètes valides alors qu’il est privé de ses deux jambes. Né en 1986 sans péronés, il a été amputé dès l’âge de …

Michel Alberganti

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La méduse artificielle qui nage grâce aux muscles du coeur d’un rat

Décidément, la biologie synthétique ne nous laisse pas un jour de répit. Après le premier organisme vivant modélisé, voici la méduse artificielle qui nage grâce aux cellules d’un coeur de rat. Ce nouvel exploit fait l’objet d’un article publié le 22 juillet 2012 dans la revue Nature Biotechnology.

“Morphologiquement, nous avons construit une méduse. Fonctionnellement, nous avons construit une méduse. Génétiquement, cette chose est un rat”, explique Kit Parker, biophysicien de l’université de Harvard qui a dirigé cette étude. Même si les termes choisis sont légèrement emphatiques et peu respectueux pour le “donneur”, ils semblent très bien décrire cette nouvelle création des biologistes qui fait largement appel au biomimétisme.

Coup de tonnerre

C’est en effet en observant la technique utilisée par les méduses pour se propulser dans l’eau que les chercheurs, qui travaillaient sur la création de modèles artificiels des tissus du coeur humain, ont établi le parallèle. Lors d’une visite de l’Aquarium New England de Boston en 2007, Kit Parker a eu une révélation. “J’ai vu une méduse sur un écran et cela m’a frappé comme un coup de tonnerre”, raconte-t-il. “J’ai pensé: je sais que je peux construire ça”.

 

Avec l’aide de John Dabiri, bioingénieur spécialisé dans la propulsion biologique, et Janna Nawroth, diplômée du California Institute of Technology (Caltech) à Pasadena, il s’est mis au travail. D’abord en étudiant les mécanismes permettant aux méduses de nager. L’équipe a découvert que la forme en cloche des Aurelia aurita est constituée d’un couche unique de muscles dont les fibres sont alignées autour d’un anneau central et le long de huit rayons.

Ondes électriques

Pour obtenir la contraction des muscles, la méduse envoie des ondes électriques lentes qui se propagent le long des fibres comme les ondulations provoquées par un caillou jeté dans l’eau. “C’est exactement ce que l’on peut voir dans un coeur”, note Kit Parker qui parie que, pour obtenir une pompe musculaire, l’électricité doit se propager comme un front d’ondes.

Janna Nawroth s’est alors chargée de faire croître une couche unique de cellules de muscle du coeur d’un rat sur une surface plane de polydiméthylsiloxane. Quand un champ électrique est appliqué à la structure souple, le muscle se contracte rapidement ce qui compresse la feuille de polymère et imite le battement de la méduse qui nage dans l’eau.

Rat démonté…

“Nous avons démonté un rat et nous l’avons reconstruit en méduse”, résume Kit Parker avec son art consommé de la formule mesurée. Le biomimétisme est tel que les chercheurs ont reproduit également le courant d’eau que crée la nage des méduses et qui leur permet de se nourrir. Modestement, Kit Parker estime avoir fait monter une marche à la biologie synthétique. Il n’hésite pas à considérer que son avancée n’a rien de commun avec la pratique classique de cette discipline qui consiste à introduire des gènes dans une cellule vivante. “Nous, nous avons construit un animal. Il ne s’agit pas uniquement de gènes mais de morphologie et de fonction”, conclut-il.

Application au coeur humain

Comme quoi l’euphorie de la découverte peut conduire à des déclarations exagérées. Certes, l’équipe de Kit Parker a fidèlement reproduit les mouvements de la méduse à l’aide de cellules musculaires du coeur d’un rat. Mais, à la différence des vraies méduses, la sienne ne peut se mouvoir que dans un liquide soumis à un champ électrique. De là à dire qu’il s’agit d’un animal… Plus raisonnablement, il s’agit d’un modèle expérimental de coeur. Pour aller plus loin vers leur objectif, les chercheurs vont tenter de remplacer les cellules de coeur de rat par des cellules de coeur humain. Il espèrent alors obtenir une plateforme d’essai pour des médicaments visant à renforcer l’activité du coeur. Ce qui semble assez raisonnable.

Mais l’incorrigible Kit Parker rêve déjà d’autres exploits et déclare avoir une commande pour… un poulpe.

Michel Alberganti

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Mycoplasma genitalium: premier organisme vivant 100% informatisé

La bactérie Mycoplasma genitalium restera dans l’histoire de la biologie comme le premier organisme vivant pour lequel un modèle informatique complet a été réalisé. La nouvelle a été annoncée le 19 juillet 2012 par l’université de Stanford et publiée le 20 juillet dans le revue Cell. Cette première mondiale résulte d’un effort qualifié de “mammouth” par Stanford… Markus Covert, professeur de bioingénierie dans cette université, a utilisé les données provenant de 900 publications scientifiques pour prendre en compte chaque interaction moléculaire se produisant dans le cycle de vie de cette bactérie, la plus petite connue à ce jour.

in silico

La démarche révèle également un tournant dans la recherche en biologie. Les expériences in vivo ou in vitro ne suffisent plus pour étudier les mécanismes à l’oeuvre dans le vivant et  il faut désormais passer au travail in silico. “Cette réussite démontre la transformation de l’approche visant à répondre aux questions sur les processus biologiques fondamentaux“, confirme James M. Anderson, directeur de la division de la coordination des programmes, du planning et des initiatives stratégiques des National Institutes for Health (NIH). “Des modèles informatiques de cellules entières peuvent faire progresser notre compréhension de la fonction cellulaire et, au final, fournir de nouvelles approches pour le diagnostic et le traitement des maladies“, précise-t-il.

Dépasser le réductionnisme

Les travaux des biologistes, au cours des 20 dernières années, ont permis d’amasser un véritable trésor d’informations sur ce fonctionnement cellulaire. Ce ne sont donc pas les données expérimentales qui manquent. Tout se passe comme si l’on était parvenu à rassembler tous les éléments d’un puzzle très complexe mais sans avoir réussi à percer tous les secrets de l’assemblage et du fonctionnement de l’ensemble. Ce constat marque les limites de l’approche réductionniste qui domine la recherche en biologie depuis que les moyens expérimentaux permettent d’observer et d’analyser les mécanismes du vivant à l’échelle de ses composants élémentaires. Il reste à recomposer l’ensemble. C’est ce à quoi le nouveau modèle informatique doit aider.

Mycoplasma genitalium, l’organisme le plus simple

D’abord avec un organisme très simple comme cette bactérie Mycoplasma genitalium. Un tel choix ne doit, bien entendu, rien au hasard. Cette bactérie, responsable d’urétrites et de maladies sexuellement transmissibles découverte en 1980, possède le plus petit génome connu nécessaire pour constituer une cellule vivante : 521 gènes, dont 482 codent pour une protéine, sur un chromosome circulaire de 582 970 paires de bases. A titre de comparaison, la véritable bête de labo qu’est la bactérie Escherichia coli dispose de près de 4300 gènes.

Un autre atout de Mycoplasma genitalium est d’avoir été également choisie dès 2008, pour les mêmes raisons de simplicité relative de son génome, par l’institut de Craig Venter pour réaliser la synthèse complète de son génome. Si la bactérie est la plus frustre connue à ce jour, la création de son modèle informatique n’a pas été facile pour autant. La quantité d’information introduite dans ce clone numérique est énorme et le résultat intègre pas moins de 1900 paramètres déterminés expérimentalement.

Le programme est subdivisé en 28 modules distincts possédant chacun son propre algorithme et communiquant entre eux pour reproduire aussi fidèlement que possible le fonctionnement réel de la bactérie.

CAO biologique

En fait, la création de ce premier modèle informatique du vivant ouvre une nouvelle ère pour la recherche en biologie. Ce nouvel outil devrait, comme la conception assistée par ordinateur (CAO) l’a fait dans l’industrie, considérablement accélérer le rythme des découvertes. En effet, les chercheurs vont pouvoir utiliser ce modèle pour simuler des mécanismes ce qui va permettre à la fois de vérifier certains résultats expérimentaux mais également d’ouvrir des pistes pour de nouvelles expériences. Ainsi, les biologistes pourront sortir de la phase d’accumulation des données pour tenter d’en découvrir le sens, la mécanique intime qui relie les gènes, l’ADN ou les protéines pour produire la vie. Parallèlement, la biologie synthétique, qui vise la création de nouveaux organismes vivants, pourra certainement tirer profit de ce nouvel instrument. De quoi renforcer les craintes de ceux qui craignent le pire de cette nouvelle génération d’apprentis-sorciers. D’autres mettent en avant la perspective de création de bactéries artificielles capables de fabriquer en masse des médicaments, dans la lignée de l’insuline produite depuis 1978 par une bactérie E. Coli transgénique.

Vers un modèle informatique humain…

Mycoplasma genitalium et son modèle informatique marque donc la première étape d’un long chemin qui n’est pas sans rappeler celui du séquençage du génome humain achevé en 2004. Mais la réalisation d’un modèle informatique de l’organisme humain sera encore plus difficile et prendra sans doute des décennies, voire plus. Ce que les chercheurs qualifient déjà de bio-CAO devrait conduire à des avancées médicales en particulier dans les thérapies personnalisées. Le nouveau modèle informatique ouvre la voie, “potentiellement à un  nouveau “projet génome humain”, déclare Jonathan Karr, coauteur de la publication, qui précise toutefois que “cela demandera un très grand effort de la communauté scientifique pour se rapprocher d’un modèle humain”.

Michel Alberganti

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Fukushima : Combien de victimes ?

La revue Energy and Environmental Science du 17 juillet 2012 publie la première estimation du nombre de victimes consécutives à la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi, déclenchée par le tsumani qui a ravagé le nord est du Japon le 11 mars 2011. Selon l’étude réalisée par John Ten Hoeve et Mark Z. Jacobson de l’université de Stanford, les radiations émises par les réacteurs en fusion de la centrale pourraient provoquer de 15 à 1300 morts et de 24 à 2500 cas de cancer, dont la grande majorité au Japon. Si ces fourchettes sont extrêmement larges, elles contrastent avec les déclarations qui ont assuré que les émissions de radiations n’auraient pas d’effets sérieux sur la santé. Ces chiffres s’ajoutent aux 600 morts provoqués par l’évacuation de la zone d’exclusion de 20 km de diamètre autour de la centrale, dans les semaines qui ont suivi le drame, dont 245 seraient liées aux irradiations et les autres à des causes diverses (fatigue, maladies chroniques…).

Pour les chercheurs, plus précisément, il pourrait y avoir 130 morts (15 à 1100) par cancer et 180 morts (24 à 1800) décès par cancer si l’on tient compte des incertitudes sur les modèles d’exposition. Les chercheurs ont tenté de tenir compte de la sensibilité des personnes aux débits d’émission des particules radioactives et à la proportion d’iode 131 ainsi que du rayon de la zone d’exclusion. Ils estiment que ces facteurs pourraient repousser la limite supérieure de leurs estimations à, respectivement, 1300 et 2500 victimes. En ce qui concerne les travailleurs qui sont intervenus sur le site et ont donc été fortement exposés aux radiations, ils projettent une mortalité située entre 2 et 12 personnes.

De telles prévisions contredisent donc les déclarations officielles assurant que le périmètre interdit de plusieurs centaines de km2 autour de la centrale devait protéger la population. En fait, les chercheurs soulignent que l’essentiel du nuage radioactif est parti vers la mer. Seulement 19% des particules rejetées seraient retombées sur le sol japonais. Ce phénomène, dû aux vents dominants, a protégé la population d’une contamination bien supérieure. Le nuage a poursuivi sa route autour de la Terre et de faibles doses ont été détectées en Amérique du Nord et en Europe. Un mois après le désastre, le comité scientifique sur les effets des rayonnement atomique des Nations Unies a cru pouvoir assurer qu’il n’y aurait pas d’effets graves des radiations sur la santé humaine.

Pour vérifier cette affirmation, John Ten Hoeve  et Mark Z. Jacobson ont utilisé un modèle numérique en 3D, développé grâce à 20 ans de recherches, pour prédire le parcours du nuage radioactif. Ils ont également fait appel à un modèle standard sur les effets de l’exposition aux radiations sur la santé humaine. D’après leurs calculs, les effets sanitaires du nuage sont presque exclusivement concentrés sur le Japon. De très faibles effets concerneraient l’Asie et l’Amérique du Nord avec, toutefois, la possibilité de 0 à 12 morts aux Etats-Unis et de 0 à 30 cas de cancer. Les chercheurs soulignent que les méthodes utilisées sont nettement moins précises dès lors que les doses sont très faibles.

Les résultats de cette étude ont été critiqués, le jour même de leur parution dans Energy and Environmental Science par Burton Richter, prix Nobel de physique en 1976 avec Samuel Ting. Cette critique, comme la réponse des auteurs de l’étude, également publiée le 17 juillet, n’est pas accessible librement sur le site de la revue. Nous attendrons donc d’en connaître la teneur pour découvrir l’opinion du physicien sur ce travail…

Michel Alberganti

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Un vaccin pour maigrir en mangeant gras… Paradis des futurs ex-obèses

La vogue du vaccin ne se dément pas. Après la nicotine, voici l’obésité. Les vendeurs de régimes diététiques n’ont qu’à bien se tenir. Ils vivent peut-être leurs dernières années d’opulence. Et ce sont les firmes pharmaceutiques qui pourraient prendre le relais pour tirer profit d’un mal qui sévit dans le monde entier, Etats-Unis en tête. Les perspectives sont si considérables qu’une entreprise de biotechnologies américaine, Braasch Biotech LLC, a décidé de concentrer sa stratégie sur ce type de vaccin, dont la cible principale est l’obésité humaine et animale. Pour ce qui est des animaux, la société est parfaitement bien localisée. Elle est en effet implantée à Garretson, dans le Dakota du Sud, une “ville” de 1166 âmes… Son président et directeur scientifique est Keith Haffer, spécialiste du développement de vaccins depuis 30 ans.

Anticorps contre la somatostatine

Braasch travaille sur une deuxième génération des vaccins fondés sur l’action sur une hormone, la somatostatine dont l’une des actions est d’inhiber le largage de l’hormone de croissance (GH) et d’une hormone secrétée par le foie (IGF-1). Ces deux hormones sont impliquées dans le métabolisme. Le vaccin utilise une somatostatine modifiée qui provoque la production par le système immunitaire d’anticorps contre la somatostatine naturelle. Il induit ainsi une suppression de l’inhibition de l’hormone de croissance sans interférer directement avec elle. Au final, l’organisme consomme plus d’énergie et il perd du poids.

Keith Haffer a testé le vaccin avec deux groupes de souris comprenant chacun 10 animaux obèses mâles. Le premier groupe a reçu le vaccin et l’autre des injections d’une solution saline. Toutes les souris avait été, auparavant, nourries avec un régime très gras pendant 8 semaines et elles ont continué à manger le même type de nourriture pendant les 6 semaines de l’expérience. Les vaccinations ont été administrées deux fois, la première injection ayant lieu au début de l’étude et la seconde 22 jours après.

10% de perte de poids

Quatre jours après la première injection, les souris vaccinées ont affiché une perte de poids de 10% qui n’a pas été observée sur les souris non vaccinées.  A la fin de l’expérience, les résultats ont montré que les deux injections ont provoqué la production d’anticorps à la somatostatine sans affecter les niveaux normaux d’hormone de croissance IGF-1 et d’insuline. Les souris traitées ont conservé leur perte de poids de 10% jusqu’à la fin du traitement.

“Cette étude démontre la possibilité de traitement de l’obésité par vaccination”, affirme Keith Haffer. “Bien que de nouvelles études soient nécessaires pour découvrir les effets à long terme de ce vaccin, la traitement de l’obésité humaine par vaccination devrait apporter aux médecins une alternative aux médicaments et à la chirurgie pour lutter contre l’épidémie de surcharge pondérale”. Les résultats de l’étude doivent être publiés dans la revue Journal of Animal Science and Biotechnology du 8 juillet 2012.

On se prend alors à rêver un peu. Il suffirait d’un double vaccin, nicotine et somatostatine, pour arrêter de fumer sans prendre de poids ! De quoi supprimer l’un des freins à l’arrêt du tabac. Et pour ceux qui ne fument pas, on imagine leur joie de pouvoir enfin dévorer sans grossir, et même maigrir en mangeant bien gras… Le paradis, non ?

Michel Alberganti

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Boire du café, bon pour le coeur et la peau, mauvais pour la FIV


Ah! Le café… Sans céder au cliché du petit noir sur le zinc d’un bistrot, il faut bien reconnaître que ce breuvage est un compagnon incontournable, pour beaucoup d’entre nous, des journées de travail tout comme des moments de détente. Wikipédia nous apprend que cette boisson psychoactive, fruit du caféier, ne date pas d’hier. Son introduction en Europe date de 1600 et il séduit tant que le pape Clément VIII le baptise… Aujourd’hui, il est souvent considéré comme un excitant dont on ignore les impacts sur la santé. Depuis des années, les études s’accumulent pour tenter de cerner les multiples effets du café sur l’organisme humain. Au cours des derniers jours, pas moins de trois ont ainsi été publiées dans les revues scientifiques. Ces travaux révèlent deux point positifs et un négatif.

1 – Les risques cardiaques : deux tasses, ça va…

Consommé quotidiennement avec modération, le café pourrait protéger significativement contre les défaillances cardiaques selon l’article publié le 26 juin 2012 dans le journal de l’association américaine du coeur, Circulation Heart Failure. En revanche, une consommation excessive aurait les effets exactement inverses. Attention, l’acception américaine de la modération risque de décevoir vos espoirs… Pour Murray Mittleman, directeur de l’unité de recherche en Épidémiologie cardiovasculaire du centre médical Beth Israel Deaconess de Boston, elle se limite à l’équivalent de deux cafés américains classiques par jour. Dans ce cas, la réduction du risque cardiovasculaire atteindrait les 11%. La frontière de l’excès arrive très vite. “Cinq ou six tasses de café américain par jour n’apportent pas de bénéfices et peuvent même être dangereuses”, indique Murray Mittleman qui souligne la vertu, dans ce cas comme dans tant d’autres, de la mo-dé-ra-tion…

Pour atteindre ce résultat, les chercheurs ont analysé les résultats de 5 études pourtant que 6522 cas de défaillances cardiaques parmi 140 220 personnes (hommes et femmes). Quatre de ces études ont été réalisées en Suède et une en Finlande. L’origine des études complique leur interprétation tant les modes de consommation du café varient en fonction des pays. La consommation modérée dans le Nord de l’Europe correspond à 4 cafés par jour, soit environ 220 g de liquide qui sont l’équivalent de 2 cafés américains servis dans les coffee shops. La consommation excessive commence à 10 cafés au Nord de l’Europe, soit 4 ou 5 cafés américains. Ces doses varient sensiblement d’un établissement à l’autre puisqu’elles peuvent atteindre plus de 500 grammes, soit un demi-litre, par café en Amérique du Nord.

Il n’a pas échappé aux chercheurs que la force du café, au delà de son volume, varie également fortement suivant les pays. En moyenne, elle est plus faible aux Etats-Unis qu’en Europe. Ils n’ont guère pu tenir compte du caractère caféiné ou décaféiné des boissons car les Suédois et les Finlandais semblent adeptes de la caféine. Malgré ces biais multiples, la conclusion de l’étude prend à contre-pied les prescriptions habituelles qui déconseillent la consommation de café aux personnes susceptibles d’avoir des problèmes cardiaques. Ces dernières vont donc pouvoir passer de l’interdiction à la modération. Un indéniable avantage pour celles qui aiment le café. La Fédération américaine du coeur préconise, pour les personnes sensibles, la boisson d’un à deux cafés américains ou autres boissons caféinées par jour.

2 – Le cancer de la peau : le plus serait le mieux…

Pour la peau, le régime est différent. Selon l’étude publiée le 2 juillet 2012 dans le journal américain Cancer Research, plus nous buvons de tasses de café caféiné, plus nous sommes protégés contre les risques de développer un cancer de la peau, un carcinome basocellulaire. Jiali Han, professeur à l’hôpital Brigham and Women à l’école de médecine de Harvard à Boston, reste toutefois aussi prudent qu’ambigu: “Je ne recommanderai pas que vous augmentiez votre consommation de café à partir des seules données de cette étude. Néanmoins, nos résultats  incluent le carcinome basocellulaire à la liste des maladies pour lesquelles le risque décroit avec l’augmentation de la consommation de café. Dans cette liste, on trouve des pathologies telles que le diabète de type 2 et la maladie de Parkinson”.

Le carcinome basocellulaire est le plus fréquent des cancers de la peau au Etats-Unis. Malgré son évolution lente, il provoque une morbidité considérable et met à mal les systèmes de santé. “Etant donné le grand nombre de nouveaux cas, tout changement dans le régime alimentaire quotidien ayant un effet protecteur peut avoir un impact sur la santé publique”, précise Jiali Han.

Avec son équipe, Jiali Han a analysé les données provenant de la surveillance médicale de femmes et d’hommes. Sur les 112 897 personnes suivies, 22 786 ont été victimes d’un carcinome basocellulaire au cours des 20 années de suivi médical. Une corrélation inverse est apparue entre la consommation de café et le risque de développer cette maladie. La même corrélation inverse existe avec la consommation de toutes les boissons caféinées (café, tea, cola et chocolat). En revanche, cette corrélation n’est pas apparue avec la consommation de boissons décaféinées. C’est donc bien la caféine qui apparaît comme le facteur protecteur contre ce type de cancer de la peau. Ce résultat confirme celui d’études réalisées sur des souris qui montrent que la caféine peut bloquer la formation de tumeur de la peau.

Il est notable que l’impact de la caféine sur le carcinome basocellulaire ne se retrouve pas sur les deux autres formes de cancer de la peau: le carcinome spinocellulaire et le mélanome malin, le plus mortel. Sur les 112 897 personnes suivies, ces deux maladies ont affecté, respectivement 1953 et 741 individus. “Il est possible que ces chiffres soient trop faibles pour détecter l’impact de la caféine”, note Jiali Han qui estime qu’il faudra encore 10 années de suivi de la cohorte pour avoir une meilleure appréciation sur ce point.

3 – La fécondation in vitro (FIV) : fort risque au dessus de 5 tasses

La situation se complique encore pour les candidates à la fécondation in vitro. Pour ces femmes, la consommation de 5 tasses ou plus de café par jour pourrait réduire de 50% les chances de succès de leur FIV. L’étude présentée le 3 juillet 2012 par Ulrik Schiøler Kesmodel, de la clinique de la fertilité de l’hôpital universitaire d’Aarhus, au Danemark, à la réunion annuelle de la société européenne pour la reproduction humaine et l’embryologie (ESHRE) qui se tient à Istanbul du 1 au 4 juillet, indique ne pas avoir été surpris que la consommation de café affecte les taux de réussite des FIVs. En revanche, l’importance de cet impact n’était pas attendue. Le lien entre caféine et fertilité avait déjà été étudié mais avec des résultats contradictoires. Certaines indiquaient une augmentation des taux d’avortements spontanés liée à la consommation de café, mais d’autres non.

La dernière étude danoise a porté sur 3959 femmes engagées dans une procédure de fécondation in vitro. Les informations sur la consommation de café ont été recueillies au début du traitement. Les effets statistiques d’autres facteurs comme l’âge, le consommation de tabac ou d’alcool, la cause de l’infertilité, la masse corporelle, la stimulation ovarienne ou le nombre d’embryons fécondés ont été contrôlés. Résultat: une frontière apparaît à 5 tasses de café par jour. Mais, contrairement à l’analyse sur les risques cardiaques, la définition de la tasse ne semble pas précisée dans le résumé de l’étude… Outre un taux de succès réduit de 50%, les chercheurs ont noté une baisse de 40% des chances de naissance d’un bébé viable, bien que la valeur statistique de ce chiffre semble contestable, selon les chercheurs eux-mêmes. Ces derniers estiment que le café a un effet négatif similaire à celui du tabac en matière de FIV.

“Il existe peu de preuves concluantes concernant le café dans la littérature”, note Ulrik Kesmodel. “Aussi, nous ne voulons pas inquiéter outre mesure les parents engagés dans une FIV. Mais il semble raisonnable, d’après nos résultats, que les femmes ne boivent pas plus de 5 tasses de café par jour pendant une FIV.”

Et les expressos ?…

Ces trois études semblent significatives de l’approche actuelle d’une partie de la recherche médicale qui se fonde sur des études statistiques pour tenter de dégager des corrélations entre des causes et des effets. Elles rappellent les suivis de grandes cohortes de patients destinés à détecter les causes du cancer. Cette approche semblent révéler l’incapacité de la médecine actuelle à comprendre les mécanismes à l’oeuvre. Aucune cause biologique n’est évoquée pour expliquer pourquoi le café peut protéger contre les risques cardiaques ou les favoriser, réduire les risques de cancer de la peau ou diviser par deux les chances de succès de la FIV. Pas plus d’informations sur les doses maximales découvertes. Tous ces résultats sont issus de pures observations statistiques. Sans nier leur valeur, qui peut exister, il faut bien admettre, et les chercheurs eux-mêmes le soulignent souvent, qu’elles peuvent être sujettes à caution, tant les facteurs perturbateurs semblent nombreux.

Il est également notable que jamais, dans ces trois études, il n’est fait mention du cas des expressos… Dommage quand on considère la quantité de ce type de café consommée dans le Sud de l’Europe, en particulier. Mais il semble que l’affaire intéresse surtout les pays du Nord et les Etats-Unis, amateurs de cafés américains…

Michel Alberganti

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Un vaccin anti-nicotine prometteur

Pour les souris souffrant d’une dépendance à la nicotine, il va devenir beaucoup plus facile de s’en passer… Pour les hommes, il va falloir attendre un peu mais la piste ouverte par les chercheurs du Weill Cornell Medical College de l’université Cornell à New-York, semble prometteuse. L’idée est simple: pour stopper la dépendance à la nicotine, il suffit de l’empêcher de parvenir au cerveau. L’équipe de Ronald G. Crystal, professeur de médecine génétique, promet même une protection à vie… “Le meilleur moyen de traiter la dépendance chronique à la nicotine des fumeurs est de disposer de patrouilles d’anticorps, style Pac-Man, qui nettoient le sang de la nicotine avant qu’elle ait eu le temps de provoquer le moindre effet biologique”, déclare-t-il au sujet de l’étude dont il est le principal auteur et qui a été publiée dans la revue Science Translational Medicine du 27 juin 2012.

L’échec des vaccins passifs

“Notre vaccin permet au corps de fabriquer ses propres anticorps monoclonaux contre la nicotine et de développer ainsi une immunité qui fonctionne”, explique Ronald Crystal. L’idée est si simple que l’on peut se demander pourquoi les chercheurs n’y ont pas pensé plus tôt. Il suffit en effet de traiter la nicotine comme un virus ou une bactérie infectieuse. Si l’on apprend au système immunitaire à reconnaître cette molécule comme un agresseur, il la détruira. Ainsi, la nicotine ne pourra plus parvenir au cerveau et activer les centres de plaisir qui sont à l’origine de la dépendance. CQFD.

Un vaccin du troisième type

Les essais précédents de vaccin contre la nicotine avaient échoué parce qu’ils apportaient eux-mêmes des anticorps. Leur efficacité était ainsi réduite à une durée de quelques semaines et ils imposaient des injections répétées et coûteuses. De plus, les doses nécessaires étaient variables suivant les patients. Ce type de vaccin est dit passif car il ne fait pas appel au système immunitaire contrairement à ceux, dits actifs, qui eux apportent une faible dose de l’agresseur afin que le système immunitaire apprennent à le reconnaître et à le détruire. Les chercheurs de Cornell ont mis au point un troisième type de vaccin, dit génétique, développé initialement pour traiter certaines maladies des yeux et certains types de tumeurs.

Missile guidé

Pour la nicotine, les scientifiques ont utilisé la séquence génétique d’un anticorps spécialement créé pour attaquer de la nicotine par l’un des co-auteur, Jim D. Janda du Scripps Research Institute, et ils l’ont introduit dans un virus conçu pour être inoffensif. Ils ont également introduit dans ce virus les informations nécessaires pour qu’il se fixe sur les cellules du foie. C’est ainsi que le virus sert de vecteur à la manière d’un missile guidé. Sa charge utile est constituée par la séquence génétique de l’anticorps anti-nicotine. Lorsque la cible est atteinte, la séquence génétique de l’anticorps s’intègre au noyau des cellules du foie. Ainsi reprogrammées, ces dernières se mettent aussitôt à produire en série des molécules d’anticorps anti-nicotine parmi toutes les autres qu’elles fabriquaient auparavant. Le tour est joué.

Forte décontraction

Chez les souris, le vaccin a provoqué la production de taux élevés d’anticorps que les chercheurs ont pu mesurer dans le sang des animaux. Ils ont pu également observer qu’une faible partie de la nicotine injectée dans l’organisme des souris parvenait au cerveau. Il semble que les animaux n’ont pas été affectés par cette double injection et ont poursuivi une activité normale. En revanche, ceux qui n’avaient reçu que l’injection de nicotine ont affiché une attitude de forte décontraction tandis que leur pression sanguine et leur rythme cardiaque baissait, signes révélateurs de l’action de la nicotine sur le cerveau.

De la désintoxication à la prévention

Les chercheurs s’apprêtent maintenant à tester le vaccin sur des rats et des primates avant de passer aux essais sur l’homme. Pour Ronald Crystal, cette solution pourrait aider les personnes qui souhaitent arrêter de fumer à ne pas rechuter car, si elles recommençaient à fumer, elles n’obtiendraient plus le plaisir escompté. Il estime également, étant donné l’absence d’effets nocifs du vaccin, qu’il pourrait être administré à titre préventif, comme les vaccins contre les maladies infectieuses. “Tout comme lorsqu’ils décident de faire vacciner leurs enfants contre les papillomavirus (HPV), les parents pourraient faire appel au vaccin contre la nicotine. Mais il s’agit d’une option théorique pour l’instant”, ajoute avec prudence le chercheur. “Nous devons, bien entendu, évaluer le bénéfice-risque et il faudra des années d’études pour l’établir“.

Une réflexion nécessaire

Les travaux de Ronald Crystal ne peuvent que susciter l’admiration face à l’exploit médical et l’espoir pour ceux qui désirent arrêter de fumer sans y parvenir avec les méthodes actuelles. Ils appellent également quelques remarques. Il est notable que la démarche s’attaque à la nicotine, composant du tabac qui engendre le plaisir de fumer et qui n’est pas à l’origine des maladies provoquées par le tabagisme. Le vaccin a donc l’effet inverse des prises orales de nicotine visant à apporter la satisfaction sans les effets nocifs. La méthode consistant à détruire définitivement une source de plaisir peut également faire débat. Elle s’apparente en effet à une forme de castration… Enfin, il est notable que la puissance de la technique de thérapie génique utilisée, si elle fonctionne sur l’homme, revient à modifier le génome de certains cellules du corps humain. L’action du vecteur virus rappelle la procédure qui a permis de soigner les bébés bulles en France. Il sera sans doute nécessaire de réfléchir à l’extraordinaire potentiel de telles modifications effectuées au plus profond de l’organisme humain. Comme dans d’autres domaines de la médecine, cette réflexion conduira sans doute à tenter d’encadrer ces pratiques afin d’en éviter les dérives. Pour l’heure, réjouissons nous de cette avancée qui laisse poindre la perspective d’une éradication du tabagisme.

Michel Alberganti

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