Le cerveau peut se soigner tout seul

Lors de l’émission Science Publique du 12 octobre 2012, que j’ai animée sur France Culture, il est arrivé ce qui se produit parfois lors d’une émission de radio. L’un des invités, Denis Le Bihan, directeur de Neurospin, a relaté des expériences qui ont été menées par différents laboratoires et dont les résultats ont été publiés dans des revues scientifiques. Et sa description s’est révélée tout bonnement sidérante. Elle est arrivée à un moment de l’émission où étaient évoquées les limites des thérapies actuelles. Qu’elles soient chimiques, avec les médicaments, ou électriques, avec les électrodes implantées à l’intérieur du cerveau, pour soigner, par exemple, la maladie de Parkinson.

La douleur disparaît

“Mais le cerveau peut aussi se soigner lui-même”, a alors lancé Denis Le Bihan. Pas de quoi être ébouriffé. Nous avions tenté de réaliser une émission sur ce thème. Sans grand succès d’ailleurs… La surprise est venue de l’expérience particulière qu’il nous a racontée. Le patient souffrant de douleurs chroniques est installé dans un appareil d’IRM fonctionnelle (IRMf). Les neurologues règlent l’instrument pour mesurer l’activité du cerveau dans le centre de la douleur. Ils établissent ensuite une liaison entre cette mesure et l’image d’une flamme de bougie qui est projetée sur un écran devant le patient. Les expérimentateurs demandent ensuite à ce dernier de tenter de faire baisser la hauteur de la flamme jusqu’à l’éteindre. Le patient n’a aucune clé, aucune méthode, aucune technique pour y parvenir. En se concentrant, il parvient toutefois à obtenir ce résultat. La hauteur de la flamme baisse. Et la douleur aussi ! Lorsqu’ils sortent de l’IRM, les patients restent capables de contrôler leur niveau de douleur. Mieux, ils expliquent que “leur douleur (a) baissé d’intensité sans qu’ils aient besoin d’y faire expressément attention”, note Denis le Bihan dans l’ouvrage intitulé Le cerveau de cristal qu’il vient de publier chez Odile Jacob.

Biofeedback

Cela s’appelle le biofeedback par IRM. Le résultat est encore plus spectaculaire sur des patients déprimés chroniques. Dans ce cas, la région du cerveau qui est choisie est celle du plaisir. Et les patients doivent, à l’inverse, tenter d’augmenter la hauteur de la flamme sur l’image qui leur est présentée. Il s’agit ainsi de stimuler l’activité de ce centre du plaisir. Et ils y parviennent. “Là encore, le résultat fut remarquable, certains patients sortant complètement de leur dépression après l’examen IRMf, et ne prenant plus aucune médication”, écrit Denis Le Bihan dans son ouvrage. Ainsi, un “simple” appareil de mesure devient un instrument thérapeutique !

Dépression, Parkinson…

Résultats également positifs sur la maladie de Parkinson. Les malades apprennent, de la même façon, à contrôler leur cerveau et ils améliorent leurs performances motrices. Denis Le Bihan ne met guère en valeur ces expériences dans son livre. Lors de l’émission, il n’a pas parlé des résultats obtenus sur la dépression. Cette discrétion n’est pas due au hasard. Le chercheur veut à la fois dévoiler ses avancées et ne pas faire naître des espoirs démesurés ou prématurés. “Il reste encore beaucoup à faire pour mieux cerner cette méthode de biofeedback, (mesurer) son efficacité à long terme, et préciser quels patients peuvent en bénéficier (certainement pas tous)”, écrit-il. “Cette approche n’est pas encore totalement validée, mais on potentiel est énorme”, poursuit-il.

Un divan en forme de miroir

 

Et d’envisager, encore avec prudence, ce que peut être l”avenir de l’IRM: “Il est encore trop tôt cependant pour dire si le lit de l’imageur IRM remplacera un jour le divan des cabinets de psychiatrie”. L’IRMf servirait alors de connecteur direct, sans l’intermédiaire d’un médiateur humain, entre l’individu et son cerveau. Les psychanalystes, déjà passablement mals en point, pourraient alors se faire du souci. Et peut-être se remettre en cause. Ce qui ne fait jamais de mal à personne. Pour les patients que nous sommes, les perspectives sont vertigineuses. Nous nous retrouverions devant une image réelle de l’activité d’une certaine région de notre cerveau. Avec le pouvoir d’agir sur son fonctionnement.

La fatalité des bugs

Comment comprendre qu’une douleur chronique, une dépression ou un tremblement puissent être maîtrisés aussi facilement que Denis Le Bihan le décrit ? On connaît aujourd’hui, et les invités de Science Publique se sont attachés à l’expliquer, la complexité mais également la plasticité des cellules nerveuses du cerveau. Sans cesse, elles se reconfigurent pour “faire le travail”, c’est à dire répondre aux besoins de l’organisme qu’elle contrôlent. 100 milliards de neurones ! Comment imaginer cette population grouillante, ces dizaines de milliards de synapses acheminant des messages électriques et chimiques en permanence ? Que, comme dans un ordinateur, cette complexité engendre des bugs est plus facile à concevoir. Que ces bugs se traduisent pas des états anormaux, comme une douleur chronique ou une dépression persistante, semble également plus que probable. Toute la question est de trouver un moyen de rétablir un fonctionnement normal. Pas question de rebooter… Pas de bouton de reset… Que faire ?

Comme un pli anormal

L’expérience de biofeedback de Neurospin démontre que l’action est possible. Même si le modus operandi reste mystérieux. Tout se passe comme si le bug avait engendré un pli anormal dans le tissu cérébral. Sans fer à repasser, le pli perdure. Et il engendre une douleur, un malaise, un tremblement bien après que la cause première ait disparu. Le plus étrange, c’est que la volonté seule ne puisse pas effacer ce pli. Comme s’il restait inaccessible au fer à repasser. Or, avec l’expérience de la flamme de la bougie, il apparaît que ce fer à repasser existe bien et qu’il est possible de l’appliquer sur le pli. Notre attention a simplement besoin d’être guidée. Sans repère, elles n’est pas capable de se fixer sur le point névralgique. La bougie l’éclaire et, soudain, elle devient capable d’effacer le pli et de restaurer l’état antérieur.

Un potentiel inexploré

Bien sûr, si cette technique permettait de résoudre les problèmes de douleur, de dépression et de maladie de Parkinson, le bénéfice serait déjà considérable. Mais on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui deviendrait possible grâce à ce type d’action directe sur le cerveau. Resterions-nous limités au repassage des plis, c’est à dire à la correction d’anomalies ? Ou bien pourrions-nous accélérer à volonté l’activité de certaines zones du cerveau ? C’est à dire agir volontairement sur des processus qui se produisent inconsciemment. Pourrions-nous, ainsi, décupler notre concentration ? Augmenter à volonté la capacité de notre mémoire à court terme ? Amplifier certains sens ? Serons-nous un jour capables de reconfigurer notre cerveau beaucoup plus rapidement qu’il ne le fait tout seul ? Cette plasticité extraordinaire que nous avons découvert deviendra-t-elle malléable à souhait par notre volonté ? Deviendrions-nous, ainsi, véritablement maîtres des neurones de notre cerveau ? Un tel pouvoir fait rêver ! Mais il conduit aussitôt à une question : que ferions-nous d’un tel pouvoir ?

Michel Alberganti

(Ré)écoutez l’émission Science Publique du 12 octobre 2012 sur France Culture :

Comment fonctionnent nos neurones ? 57 minutes

Avec Jean-Gaël Barbara, Neurobiologiste et historien des sciences au CNRS, Jean-Pierre Changeux , neurobiologiste, membre de l’Académie des sciences, professeur honoraire au Collège de France, Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin, médecin et physicien, et François Lassagne, rédacteur en chef adjoint de Science & Vie.

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Périscope: Nobel de chimie, mur du son et OGM


Un Nobel de chimie au goût de café

Le prix Nobel de chimie 2012 est avant tout un prix Nobel de biochimie: il récompense deux chercheurs qui ont élucidé l’un des principaux mystères de la transmission moléculaire des informations à l’intérieur de chaque cellule des mammifères. A commencer par les corps humains.

Un exemple: lorsque nous buvons une tasse de café, nous percevons et ressentons dans l’instant sa robe, ses fragrances, sa suavité exotique d’arabica. Comment ce miracle matinal peut-il se produire voire se reproduire pluri-quotidiennement? Pour une large part grâce aux précieuses clés moléculaires découvertes par Robert Lefkowitz et Brian Kobilka.

L’analyse (consciente ou non) des milliers d’informations qui nous parviennent de l’extérieur (mais aussi et surtout de l’intérieur) de notre corps réclame des myriades de molécules réceptrices situées à la surface des milliards de cellules qui constituent notre organisme. Ce sont ces récepteurs qui captent les substances moléculaires circulant dans leur environnement immédiat, des hormones ou des médicaments, par exemple.
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US Researcher: Nobel Prize Win a ‘Total Shock’ par AP-Tech


Nobel chemistry winner Kobilka hopes for better… par reuters

Le saut du mur du son encore retardé

Il devait avoir lieu le lundi 8 octobre. Il a été repoussé à mardi 9 octobre. Mais les conditions météorologiques, en particulier le vent trop fort, ont conduit à un nouveau report du saut en chute libre de l’australien Felix Baumgartner d’une altitude de près de 37 km. Le sauteur fou veut franchir le mur du son avec sa seule combinaison comme protection. Après une annonce pour jeudi 11 octobre, le saut a finalement été repoussé au dimanche 14 octobre. Si le ciel est d’accord…


Daredevil Felix Baumgartner ‘disappointed’ par andfinally

Les OGM devant l’Assemblée Nationale

Auditionné par l’Assemblée nationale mardi 9 octobre, Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude controversée sur la toxicité d’un du maïs Monsanto NK603, résistant à l’herbicide Roundup, et du Roundup lui-même, a appelé les députés à instituer une “expertise contradictoire” pour mettre fin à quinze ans de “débat stérile” sur les OGM. Le professeur ne cesse de demander une telle innovation qui ne laisse d’inquiéter sur son réalisme. Pour lui, les études devraient être soumises à deux expertises, chacune étant effectuée par l’un des deux camps.  La “solution” aurait surtout pour résultat de plonger le législateur dans une perplexité encore plus grande qu’aujourd’hui. Comment départager deux expertises ouvertement militantes ? En en commanditant une troisième, indépendante ? Autant aller tout de suite à cette solution, non?


OGM : l’étude qui dérange par LCP

Michel Alberganti

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OGM et cancer : les Allemands tirent les premiers, l’Europe suit

Tandis que l’ANSES tarde à remettre son analyse, pourtant demandée en urgence par le gouvernement français, sur l’étude publiée le 19 septembre 2012 par l’équipe de Gilles-Eric Séralini, les Allemands, à qui l’on avait, semble-t-il, rien demandé, publient leurs conclusions. Et elles sont dures. De son coté, l’Europe, dont l’EFSA avait, elle, reçu une demande d’expertise de la part de la France, grille, elle aussi, la politesse à l’ANSES en publiant dès le 4 octobre le résultat de son premier examen. Et il est sévère.

Insuffisant, inadéquat…

L’EFSA considère l’étude comme “de qualité scientifique insuffisante pour être considérée comme valable en matière d’évaluation du risque”. De plus, son examen préliminaire considère que “la conception, le rapport et l’analyse de l’étude sont inadéquats”.  Pour approfondir son jugement, l’EFSA a demandé à l’équipe Séralini de partager des informations supplémentaires essentielles. En attendant, à cause de ces défauts, l’organisme se déclare incapable de considérer les conclusions des auteurs comme scientifiquement justes. “Aucune conclusion ne peut être tirée de l’occurrence des tumeurs chez les rats testés”, note l’EFSA. Suivent une dizaine de points que l’autorité juge problématiques.

Pas d’objectif prédéfini

Parmi ces critiques, certaines sont déjà connues, comme la race des rats choisie (sensible aux tumeurs  au cours de leur vie normale) ou la non conformité de l’étude aux protocoles internationaux (10 rats par groupe au lieu de 50), d’autres le sont moins. Ainsi, l’EFSA souligne la présence d’un seul lot de contrôle au sein des 10 lots de rats testés. Elle en déduit qu’il n’y avait pas de groupe de contrôle pour 4 groupes, soit 40% des animaux, nourris avec du maïs OGM traité ou non avec de l’herbicide Roundup. L’EFSA note également que l’expérience n’avait pas d’objectif bien défini au départ alors que cela est nécessaire pour établir le protocole correspondant. L’autorité se plaint aussi de l’absence d’information sur la composition de la nourriture des rats, en particulier la présence ou non de mycotoxines. Absence, également, de données sur les quantités de nourriture ingérées, seuls des pourcentages d’OGM et de Roundup étant indiqués. La méthode statistique d’analyse des résultats est aussi contestée.

L’Europe ne remet pas en cause ses évaluations

L’EFSA en déduit qu’elle ne voit pas de motifs de ré-examiner ses évaluations précédentes du maïs Monsanto NK603 ni de prendre en compte les résultats de l’équipe Séralini dans l’évaluation du glyphosate, la molécule active du Roundup. Néanmoins, elle annonce une seconde analyse, plus approfondie, pour la fin du mois d’octobre. Cette dernière prendra en compte toutes les informations supplémentaires fournies par l’équipe Séralini, les évaluations réalisées par les pays membres ainsi que celle des autorités allemandes, responsables des autorisations concernant le glyphosate.

Conclusions non compréhensibles

Justement, l’institut BfR (Das Bundesinstitut für Risikobewertung) a publié son opinion sur l’étude Séralini daté du 1er octobre. Il semble que l’EFSA se soit inspiré des conclusions allemandes, tant les critiques se recoupent. Néanmoins, le BfR reconnaît l’intérêt d’une étude sur le long terme d’une alimentation contenant du glyphosate à 0,5%. Il explique que ce travail n’a pas été effectué auparavant car la règlementation internationale n’impose qu’un test des substances actives elles-mêmes. Ainsi, le glyphosate lui-même a été largement étudié par de nombreuses études à long terme sur des rats et des souris sans qu’aucun effet sur le développement de cancers, une augmentation de la mortalité ou un impact sur le système endocrinien n’ait été observé, contrairement aux résultats obtenus par l’équipe Séralini.
Si l’institut juge intéressante la démarche des Français, elle est encore plus sévère que l’EFSA lorsqu’elle évalue le protocole et les résultats de l’expérience. Elle estime ainsi que les données expérimentales ne justifient pas les principales conclusions de l’étude. Qu’en raison de défauts dans la conception de l’étude aussi bien que dans la présentation et l’interprétation des données, les conclusions correspondantes tirées par les auteurs ne sont pas compréhensibles. Que pour une évaluation plus approfondie, le BfR a demandé aux auteurs de fournir le rapport d’étude complet comprenant les données individuelles des animaux et a posé certaines questions précises. Des demandes n’ayant pas reçu de réponses pour l’instant.

Une position difficile à tenir

Le rapport de 7 pages du BfR relève également de multiples manques dans les informations nécessaires à une évaluation en profondeur de l’étude. Critique déjà formulée plusieurs fois par différents scientifiques qui y ont accédé. Au JT de 20 heures de France 2, le 4 octobre, Gilles-Eric Séralini a expliqué que le jugement de l’EFSA provenait du fait que l’organisme ne voulait pas se dédire vis à vis de ses évaluations précédentes du NK603 “avec des tests trop courts”. Il a également laissé entendre, assez confusément, que l’EFSA est sous l’influence des lobbies et des industriels des OGM.

Cette position de Gilles-Eric Séralini devient ainsi de plus en plus difficile à tenir. On voit mal comment il pourra continuer à refuser de donner des informations détaillées sur son expérience afin qu’une évaluation complète de l’étude puisse être réalisée. A moins que sa stratégie vise uniquement le battage médiatique qu’il a déjà largement réussi à engendrer. Dans ce cas, nous risquons de rester sur notre faim en attendant le résultat d’une éventuelle nouvelle étude. Dans deux ou trois ans…

Michel Alberganti

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OGM: L’Empire Monsanto contre-attaque

Sous la violence de l’attaque de Gilles-Eric Séralini, via le Nouvel Obs du 20 septembre 2012 divulguée la veille sur Internet, le géant Monsanto a d’abord fait le gros dos. Seule déclaration, en substance : “Nous analysons l’étude…”. Mais, très vite, des voix se sont “spontanément” élevées pour critiquer le travail du professeur de l’université de Caen, président du comité scientifique du CRIIGEN, organe ouvertement militant anti-OGM. Interrogé par l’AFP, ce dernier s’est plaint, lundi 24 septembre, des méthodes utilisées par Monsanto sans le citer :

“Je suis attaqué de manière extrêmement malhonnête par des lobbies qui se font passer pour la communauté scientifique. C’est le même lobby qui a permis l’autorisation de ces produits et qui est activé par les entreprises de biotechnologies”.

Le ton est donné. Il ne devrait guère s’adoucir avec la publication, mercredi 26 septembre, du livre de Gilles-Eric Séralini intitulé Tous cobayes, OGM, pesticides, produits chimiques”. Au cinéma, ce même mercredi, sort le documentaire de Jean-Paul Jaud intitulé…, “Tous cobayes”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini. Le chercheur français, outre l’originalité qu’il revendique pour son étude de deux ans sur des rats nourris au maïs OGM et au Roundup, est certain d’établir un record difficile à battre dans son domaine (et même ailleurs). En huit jours, calendrier en main, il a réussi à :

  • publier une étude dans une revue scientifique, certes assez modeste (Food and Chemical Toxicology),
  • susciter la une outrancière (Oui, les OGM sont des poisons!) d’un grand hebdomadaire (Nouvel Obs)
  • provoquer une pluie de critiques discourtoises et une cascade de reprises dans la presse
  • publier un ouvrage sur cette même étude chez un grand éditeur (Flammarion)
  • apparaître sur les écrans de cinéma dans un documentaire de près de 2 heures consacré… à ce même livre et projeté dans 5 salles à Paris.

Pour faire bon poids, sans tomber dans un excès qui pourrait être taxé de matraquage outrancier, il faut ajouter:

  • un documentaire intitulé “OGM, vers une alerte mondiale”, de 52 minutes réalisé par Clément Fonquernie et produit par Lieurac Production, diffusé sur France 5 le 16 octobre à 20h40.
  • un DVD du documentaire bientôt disponible, tout comme celui du film de Jean-Paul Jaud.

Résumons: un article scientifique, la une et 7 pages dans le Nouvel Obs, des centaines d’articles dans la presse et sur Internet et de “papiers” à la radio et à la télé, un livre, un film au cinéma, un documentaire à la télé et 2 DVD… Qui dit mieux ?

Même chez un géant américain des biotechnologies végétales comme Monsanto, qui emploie 20 600 personnes dans le monde et a réalisé 11,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011 avec un bénéfice net de près de 1,7 milliard de dollars (plus de 14% de marge nette), une telle volée de flèches empoisonnées provoque des démangeaisons désagréables. Pas étonnant que l’archer se trouve rapidement transformé en cible.

On imagine les services de communication de Monsanto France sur le pont. La réaction ne se fait pas attendre sur le site de la filiale française. Dès le 21 septembre, soit le lendemain de la sortie en kiosque du Nouvel Obs, on peut lire: “Monsanto répond concernant l’étude sur rat française”. Déclarant avoir “évalué l’étude”, le semencier n’y va pas de main morte pour la descendre en flamme dans un résumé en français et dans une réponse détaillée en anglais d’une dizaine de pages. Cette réponse cite un grand nombre d’articles de presse, essentiellement anglosaxons, qui tous, sont à charge pour la validité de l’étude. Voici trois exemples des critiques formulées :

1°/ Le protocole

Selon Monsanto, le protocole de l’expérience n’est pas conforme aux normes de l’OCDE en ce qui concerne le nombre de rats étudiés. Gilles-Eric Séralini en a utilisé 10 par groupe au lieu des 50 demandés par l’OCDE. Ce point est l’un des plus récurrents dans les critiques de l’étude. Selon le chercheur français, les études réalisées pendant 3 mois seulement par Monsanto ont également utilisé des groupes de 10 rats. Le semencier ne dit pas le contraire. Il se contente de relever une contradiction dans les affirmations de Gilles Eric Séralini vis à vis des normes de l’OCDE. Astucieux.

L’étude française porte effectivement sur les effets du maïs NK 603 et du Round Up de Monsanto sur 200 rats répartis en groupes de 10. Le 25 septembre, Gilles Eric Séralini a défendu cette procédure en arguant du fait que ““toutes les études du monde sont faites là-dessus. Le NK 603 a été autorisé sur cette base. Si on ne peut pas tirer de conclusions, il faut aussi tout de suite interdire tous les OGM”. Il précise à l’AFP que “tous ceux qui ont aboyé [contre l’étude] sont à l’origine de l’autorisation de ces produits, et ils l’ont fait sur la base de tests sur la même souche de rat, avec des échantillons de 10 rats pendant seulement trois mois et pas avec autant de tests. C’est ridicule”. Pour autant, le chercheur se déclare conscient des limites de son travail comme il dit l’expliquer dans son livre. “On pourrait faire des groupes de 50 rats, mais c’est aux pouvoirs publics de financer, ça ne peut plus être un laboratoire indépendant qui finance 20 millions d’euros”, ajoute-t-il.  L’étude réalisée avec son équipe a été financée à hauteur de 3 millions d’euros pour 200 rats étudiés pendant 2 ans, soit un coût de 15 000 euros par rat. S’il avait utilisé des groupes de 50 rats, il aurait eu besoin de 1000 rats. Au même coût, on arrive à 15 millions d’euros et non 20… Toujours est-il que l’on apprend, à cette occasion, le coût exorbitant de l’expérience sur les rats. Pas moins de 7500 euros par rat et par an… Même en intégrant le coût des croquettes, de l’hébergement, des soins et le salaire des personnels…

2°/ Les données

Monsanto relève l’absence ou le manque de données importantes dans la description des travaux de Gilles Eric Séralini. L’entreprise estime ainsi que l’origine et la qualité du maïs utilisé sont peu claires. Normal, le chercheur s’est procuré le maïs OGM Monsanto de façon clandestine au Canada. Pas terrible question traçabilité… Mais c’était le seul moyen trouve pour se procurer ce maïs sur lequel Monsanto interdit de faire des études sans son contrôle. Plus ennuyeux, l’entreprise souligne l’absence “de détails essentiels sur la préparation des rations et le niveau de consommation par les animaux”.

3°/ Les résultats

Dans ce domaine non plus, Monsanto ne fait guère dans la nuance : “L’analyse statistique concernant la  mortalité ou l’incidence des tumeurs est complètement absente”. L’entreprise met également en avant la critique sur la race des rats utilisés dans une expérience sur 2 ans. “Les taux de mortalité et la fréquence des tumeurs dans tous les groupes de rats sont dans les normes historiques pour cette lignée de rats de laboratoire, qui est bien connue pour sa forte prédisposition aux tumeurs”. Alors que les rats Sprague Dawley sont utilisés par la plupart des laboratoires pour les expériences sur 90 jours, il semblent être moins adaptés aux études plus longues en raison de cette prédisposition aux tumeurs qui perturbe les observations.

De façon assez perverse, Monsanto lance une autre critique dans son analyse détaillée. L’entreprise reconnaît d’abord que les études sur 90 jours ne sont pas équivalentes à celles qui couvrent toute la durée de vie (environ 2 ans) des rats. Un bon point pour Gilles-Eric Séralini. Mais cela se gâte rapidement. Monsanto  note que les auteurs de l’étude française détectent des tumeurs par palpation des rats dès le quatrième mois de l’expérience. “Etant donné que les tumeurs mettent un temps considérable pour parvenir à un stade de détection par palpation, et étant donné que seule une minorité de tumeurs atteint en général une taille importante, des tumeurs, même non détectables par palpation, auraient dû être constatées dans les expériences à 90 jours avec le NK-603. Or, cela n’a pas été le cas”.

En attendant le verdict des autorités

Ces quelques exemples de critiques suffisent pour montrer que, comme l’on pouvait s’y attendre, Monsanto a décidé d’attaquer frontalement le travail de Gilles-Eric Séralini. Au delà du battage médiatique qui aura son effet sur le grand public, le chercheur français ne pourra éviter la confrontation sur le fond. La prochaine étape est, bien entendu, le verdict des autorités françaises (ANSES, HCB) et européennes sur l’étude. Après la semaine de gloire médiatique, Gilles-Eric Séralini devra se battre pied à pied sur le terrain scientifique.

Michel Alberganti

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OGM: Gilles-Eric Séralini prend un gros risque, la France aussi

Gilles-Eric Séralini, GES pour les intimes, prend un gros risque avec le dernier chapitre en date de sa croisade anti-OGM. Et la France, aussi, en soutenant ses résultats avant même qu’ils ne soient vérifiés et en envisageant, si vite, comme le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en déplacement à Dijon, une demande de l’interdiction pure et simple des OGM en Europe.

Gilles-Eric Séralini dirige l’équipe qui a publié l’étude «Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize» montrant que des rats nourris aux OGM et au Roundup meurent beaucoup plus vite que les rats du groupe de contrôle recevant une nourriture sans OGM ni Roundup.

Moins de 24 heures après la divulgation des résultats de l’étude dans la revue Food and Chemical Toxicology, la déclaration de Jean-Marc Ayrault confirme l’impression d’affolement que le gouvernement a donné après l’orchestration à grand spectacle de la révélation, par le Nouvel Obs daté du 20 septembre, des résultats obtenus sur des rats.

Une publication dans une revue plutôt modeste

Une médiatisation hors du commun pour une publication scientifique de chercheurs, certes français, dans une revue de renommée moyenne (facteur d’ impact de 3, loin de celui des principales revues: 38 pour The Lancet,  36 pour Nature, 31 pour Science, 16 pour PLoS Medecine…). Food and Chemical Toxicology est donc une revue, à comité de lecture certes, mais plutôt spécialisée et dont l’autorité n’a rien de comparable avec celle des grands journaux scientifiques. Elle n’atteint pas, non plus, le facteur d’impact de Toxicology and Applied Pharmacology (4,4). La publication, encore absente du site de la revue, de l’article cosigné par Gilles-Eric Séralini ne peut donc pas être considérée comme totalement validée.

D’ailleurs, le gouvernement appelle les autorités compétentes –l’agence de sécurité sanitaire (ANSES) et l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)– à vérifier l’étude au plus vite. Cela induit une analyse des données brutes et des résultats publiés mais ne permet pas de refaire l’expérience qui a pris deux années aux chercheurs français.


Les réactions à l’enquete montrant les dangers… par Maxisciences

Au stade actuel, moins de deux jours après «l’événement», un premier bilan se dessine. Avec des points forts, des points faibles et des zones d’ombres.

1°/ Les points forts

  • Gilles-Eric Séralini est en passe de réussir son coup médiatique. Via le Nouvel Obs qui affirme, en une, que “oui, les OGM sont des poisons”, il a mis le gouvernement sur le pont, affolé la population qui va fuir les biscuits d’apéritif, les plats cuisinés et les potages de peur de se retrouver avec des tumeurs grosses comme des ballons de football, réveillé les institutions françaises et européennes qui pouvaient espérer que le débat sur les OGM commençait à s”épuiser et embêté le géant Monsanto piqué par la mouche française.
  • Quelques jours après la conférence environnementale des 14 et 15 septembre qui a satisfait bon nombre d’écologistes, cette nouvelle affaire va conforter la position de la France en faveur d’un moratoire sur la culture des OGM. Décrété en février 2008, ce moratoire a été invalidé en 2011 par la Cour européenne de justice. Mais le gouvernement Fillon a de nouveau interdit la culture des OGM en mars 2012. Jean-Marc Ayrault reste sur la même ligne et hérite ainsi du bras de fer avec l’Europe. La publication de Gilles-Eric Séralini pourrait l’aider à plaider sa cause.
  • Sur le plan plus scientifique, la nouvelle étude a le mérite de pointer une pratique peut-être un peu légère de l’EFSA qui s’est, jusqu’à présent, contentée de tests de 90 jours sur les rats pour juger de l’innocuité des OGM. Un peu court, semble-t-il. Mais deux ans, c’est long et coûteux. N’empêche, cela vaut tout de même la peine de faire cet effort pour savoir, dès lors que l’alimentation humaine est en jeu.
  • Gilles-Eric Séralini a le mérite de contraindre les institutions européennes à revoir les protocoles des expériences dans ce domaine. Pierre-Henri Gouyon, spécialiste de l’évolution, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, membre de la fondation Nicolas Hulot et du CRIIGEN, nous précise que, pour lui, ces études devraient concerner également la 2ème génération des rats nourris aux OGM.
  • Le tapage médiatique intense orchestré par le CRIIGEN paraît excessif et assez insupportable. Mais il peut être défendu comme réaction proportionnelle aux menées d’un groupe comme Monsanto dont la puissance lobbyiste n’a rien de commun avec celle du CRIIGEN. La différence, c’est aussi que le semencier agit dans l’ombre alors que les chercheurs français ne peuvent compter que sur les médias et la lumière pour alerter l’opinion publique.

2°/ Les points faibles

  • La méthode de communication tous azimuts utilisée par Gilles-Eric Séralini (presse + publication scientifique + livre + documentaire) peut se retourner contre lui. De même que son militantisme notoire contre les OGM. Certes, il faut parfois frapper fort. Mais jusqu’à quel point ?
  • En privant les médias, hors Nouvel Obs, et les scientifiques d’une analyse de l’étude avant sa diffusion massive, les chercheurs ont mis les politiques en situation de devoir réagir en absence de toute prise de position du milieu scientifique.
  • Gilles-Eric Séralini s’est déjà fait de nombreux ennemis parmi ses confrères. L’un des derniers en date est Marc Fellous, président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV), qui a été condamné pour diffamation en janvier 2011 pour avoir contesté l’indépendance de Gilles-Eric Séralini vis a vis de Greenpeace au sujet d’une étude menée sur l’impact de trois variétés de maïs transgénique sur la santé des mammifères. Le chercheur a également eu des démêlés avec le CNRS et l’INRA.
  • Le 15 juin 2007, un avis rendu par la Commission du génie biomoléculaire (CGB) a contesté la méthodologie utilisée par Gilles-Eric Séralini et son équipe lors d’une étude concernant la toxicité du maïs transgénique MON 863 publiée dans la revue Archives of Environnemental Contamination and Toxicology.

3°/ Les zones d’ombre

  • Au moment même où le gouvernement français accorde un crédit tel à l’étude de Gilles-Eric Séralini que le chercheur va être auditionné au Parlement, des voix commencent à contester plusieurs points de l’étude publiée le 19 septembre.
  • La race de rats utilisée, Sprague Dawley, serait réputée pour développer spontanément des tumeurs mammaires cancéreuses.
  • Les groupes de rats, dans chaque catégorie étudiée, ne comptent que 10 individus alors qu’il en faudrait 50 pour obtenir des résultats statistiques valables en matière de cancer pour une étude sur 2 ans.
  • Le régime alimentaire des rats, hors OGM et Roundup, n’est pas communiqué.
  • Les résultats de mortalité identiques pour les groupes nourris à 11% et à 33% d’OGM s’expliqueraient mal.

Désormais, il faut attendre l’avis des autorités saisies par le gouvernement sur la nouvelle étude. Dans l’intervalle, la campagne médiatique de Gilles-Eric Séralini et de ses soutiens va se poursuivre. Il semble donc que l’on ait mis la charrue avant les bœufs, avec tous les risques d’accidents que cela comporte. Si jamais l’étude était invalidée, la carrière de Gilles-Eric Séralini ne s’en remettrait pas et la France serait ridicule. Si elle est confirmée et que des dangers pour l’homme peuvent en être déduits, Gilles-Eric Séralini deviendra le héros de la lutte contre Monsanto et la diablerie des OGM.

Michel Alberganti

Photo: Gilles-Eric Séralini. REUTERS/Yves Herman

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Le militantisme anti-OGM est-il compatible avec la science ?

Les photos illustrant l’étude publiée le 19 septembre 2012 par Gilles Eric Séralini (Université de Caen, Institut de biologie, CRIIGEN) dans la version en ligne de la revue Food and Chemical Toxicology rappellent celles qui ornent… les paquets de cigarettes. Reprises par le Nouvel Obs qui fait la couverture de son édition du 20 septembre avec le titre “Oui, les OGM sont des poisons!”, elles montrent des rats perclus de tumeurs après avoir été alimentés avec du maïs Monsanto NK603, résistant à l’herbicide Roundup de… Monsanto, et de l’herbicide Roundup. Résultat : les rats ainsi nourris meurent beaucoup plus vite que les rats du groupe de contrôle recevant une nourriture sans OGM ni Roundup.

Quels effets sur l’homme ?

Les scientifiques se prononceront sur le fond de cette étude. Ils devront, en particulier, reproduire l’expérience afin de vérifier qu’ils obtiennent les même résultats que l’équipe de Gilles-Eric Séralini. La procédure classique. En cas de confirmation de l’effet de ce cocktail mortel, il restera à extrapoler ses effets sur l’être humain. Il faudra enfin vérifier que les doses utilisées par les chercheurs français, transposées à la masse corporelle humaine, sont représentatives de ce que nous consommons. C’est dire s’il reste des choses à vérifier avant de conclure, comme nos confrères du Nouvel Observateur, que les OGM sont des poisons. Si tel était le cas, un désastre sanitaire majeur serait à craindre aux Etats-Unis, grands consommateurs d’OGM depuis des décennies. Pour l’instant, donc, il s’agit d’une alerte très inquiétante qui impose de lancer de nouvelles études indépendantes.

Traitement médiatique et éthique

S’il est trop tôt pour statuer sur la valeur scientifique de cette étude, il est d’ores et déjà possible d’en analyser le traitement médiatique et la composante éthique. Il se trouve en effet que le principal auteur de l’étude, Gilles-Eric Séralini, est également ouvertement militant anti-OGM. A la fin de la publication dans Food and Chemical Toxicology, il est mentionné:

Conflict of Interest
The authors declare that there are no conflicts of interest.

Les mêmes auteurs remercient ensuite, pour leur support, la fondation “Charles Leopold Meyer pour le progrès de l’homme” et le CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie Génétique), l’équivalent de la CRIIRAD, spécialisée dans le nucléaire, mais pour le génie génétique. Le CRIIGEN se déclare un comité “apolitique et non-militant d’expertise, de conseil, indépendant des producteurs d’OGM“. Le président de son comité scientifique est… Gilles-Eric Séralini. Parmi ses membres, on trouve Corinne Lepage, présidente d’honneur, et Jean-Marie Pelt, secrétaire général.

Publication scientifique, livres, documentaire…

Gilles-Eric Séralini publie, le 26 septembre prochain chez Flammarion, un ouvrage intitulé : Tous cobayes, OGM, pesticides, produits chimiques”. Le même jour, sort au cinéma un documentaire de Jean-Paul Jaud, “Tous cobayes”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini. Ce film sera diffusé sur France 5 le 16 octobre. Quelques jours auparavant, le 22 septembre, les éditions Charles Leopold Meyer auront publié un ouvrage intitulé “Pour qu’ils ne puissent plus dire qu’ils ne savaient pas !” signé par Corinne Lepage. Le livre “démontre l’absolue nécessité et l’urgence dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui de mener des études indépendantes” sur les OGM, selon  l’éditeur. Cela fait beaucoup. Même si l’on considère comme aussi salutaire que nécessaire l’alerte de l’opinion publique sur les questions que soulèvent les OGM et les agissements de Monsanto, largement exposés dans le remarquable documentaire Le Monde selon Monsanto, réalisé par Marie-Monique Robin.

Indépendant… et militant

Indépendant, le CRIIGEN n’en est pas moins militant, quoi qu’il en dise. Les écrits de ses principaux membres en témoignent largement. Gilles-Eric Séralini est l’auteur de Génétiquement incorrect (Flammarion, 2003, 2012), Ces OGM qui changent le monde (Flammarion, 2004) et Nous pouvons nous dépolluer ! (Josette Lyon, 2009). Avec Jean-Marie Pelt, il a publié Après nous le déluge ? (Flammarion, 2006). Quant à Joël Spiroux de Vendômois, docteur en médecine et président du CRIIGEN, il signe aujourd’hui même, dans le Nouvel Observateur, une tribune intitulée: “OGM, Monsanto, Roundup & Co : comment notre société produit des malades”. Difficile, dans ces conditions, d’arguer d’une quelconque indépendance d’opinion du CRIIGEN et de ses membres vis à vis des OGM. Tous mènent un combat ouvert contre les organismes génétiquement modifiés.

Influence sur le protocole expérimental ?

Rien de plus respectable. La question qui se pose concerne la conjonction entre la publication d’une étude scientifique et un battage médiatique visiblement orchestré s’exprimant simultanément dans la presse, dans l’édition, au cinéma et à la télévision. Bien entendu, l’objectivité scientifique n’existe pas plus que l’objectivité journalistique. Mais jusqu’où le militantisme peut-il influencer le protocole d’une expérience ? La publication d’aujourd’hui dans Food and Chemical Toxicology conduit forcément à cette interrogation du fait de l’engagement idéologique et politique de son auteur principal. Seule l’expertise scientifique de ses travaux pourra lever ce doute légitime. S’il est prouvé que la découverte de Gilles-Eric Séralini constitue effectivement une grave menace pour l’homme, cela démontrera que le militantisme peut servir de moteur efficace à la démarche scientifique.  Dans le cas contraire…

Michel Alberganti

» A lire aussi: Maïs OGM Monsanto, l’étrange affolement du gouvernement français

(Ré) écoutez l’émission Science Publique que j’ai animée sur France Culture le 24 février 2012 :

24.02.2012 – Science publique│La France peut-elle se passer de la recherche sur les OGM ? 59 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobileaudiovideo

Avec:
Philippe Chalmin, professeur d’économie à Paris-Dauphine.
François Houllier, directeur général délégué à l’organisation, aux moyens et à l’évaluation scientifique de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA.
Jean-Christophe Pagès, président du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies ( HCB).
Joël Spiroux de Vendomois, docteur en médecine générale et en environnement, président du Comité de recherche et d’informations indépendantes sur le génie génétique, le CRIIGEN.

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L’excitation sexuelle atténue nos sensations de dégoût

Le sexe a longtemps été considéré comme “sale”. Et nombre de pratiques sont encore, parfois, qualifiées de repoussantes, dégradantes ou dégoutantes. Pourtant, il semble que ces jugements, émis en général à froid, ne correspondent pas forcément aux sensations à chaud, c’est à dire sous l’emprise d’une excitation sexuelle. L’étude publiée le 12 septembre 2012 dans la revue PLoS One par Charmaine Borg et Peter J. de Jong, du département de psychologie clinique et de psychothérapie expérimentale de l’université de Groningen, aux Pays-Bas, s’attache à montrer que les sensations de dégoût s’atténuent sous l’effet de l’excitation sexuelle chez les femmes, comme chez les hommes.

Stimulants du dégoût ou dégoût des stimulants

“La salive, la sueur, le sperme et les odeurs corporelles comptent parmi les plus forts stimulants du dégoût”, notent-ils. Et de se demander, dans ces conditions, comment les gens parviennent à ressentir le moindre plaisir dans la relation sexuelle. Pour répondre à cette interrogation fondamentale, puisqu’elle est à la base même de l’acte permettant à l’être humain de se reproduire et dont le moteur est fondé sur la recherche du plaisir, les chercheurs sont partis d’une hypothèse : “l’engagement sexuel pourrait réduire temporairement les sensations de dégoût engendrées par certaines stimulations”. Par ailleurs, ils se sont demandé si la relation sexuelle n’atténue pas l’hésitation à réellement agir face à ces stimulations.

90 femmes, trois groupes

Pour répondre à ces questions, Charmaine Borg et Peter J. de Jong ont réalisé une expérience à l’aide d’un groupe de 90 femmes en bonne santé affectées au hasard à trois groupes : celui des femmes excitées sexuellement, celui des femmes excitées non sexuellement et celui du groupe de contrôle neutre, des femmes non excitées du tout. Des films ont été utilisés pour induire ces trois états (érotique pour le premier groupe, sportif pour le second et touristique pour le troisième). L’ensemble des participantes ont ensuite effectué des tâches comportementales sexuelles, comme la lubrification d’un vibromasseur avec les mains, ou non sexuelles comme la boisson dans un verre de jus de fruit contenant un gros insecte. Le tout pour mesurer l’impact de l’excitation sexuelle sur les réactions de dégoût et les comportements d’évitement des tâches demandées. Ces dernières ne manquaient pas de piment…

Fort Boyard…

Autres exemples : retirer un papier toilette souillé d’un bocal et l’y remettre, manger un morceau d’un biscuit posé à coté d’un ver vivant, tenir un pansement utilisé sur une blessure pendant 5 secondes, frotter une brosse à dent usagée sur sa joue pendant 5 secondes, enfoncer une aiguille dans un œil de vache …  Plus sexe mais tout aussi dégoutant : enfoncer son doigt dans un bol de préservatifs usagés et toucher chacun d’eux, sortir d’un sac et serrer dans ses bras une chemise portée par un pédophile pendant un viol, lire et dire à haute voix: “j’étais si excitée de l’avoir (le chien) en moi”…

Des chercheurs pudiques

Il faut donc reconnaître que les chercheurs n’y sont donc pas allés de main morte. A leur décharge, les tests étaient truqués lorsque nécessaire et possible. Ainsi, la chemise du supposé pédophile était neuve et propre, tout comme la brosse à dents ou les préservatifs. En revanche, le ver était bien vivant et l’œil de vache bien réel, mais les participantes n’avaient, en fait, qu’à le toucher avec le bout de l’aiguille. Néanmoins, les chercheurs ont préféré exclure le détail des épreuves du corps de leur publication et le renvoyer en annexe. Les 16 tâches devaient être effectuées par ensembles de 2, chacun suivi par un clip de 2 minutes destiné à entretenir l’état d’excitation de chacun des trois groupes de femmes.

Résultats

Les chercheurs ont été récompensés de leur peine. Il ont trouvé exactement ce qu’ils imaginaient. D’abord, les femmes du groupe sexuellement excité ont jugé les stimulations à caractère sexuel comme significativement moins dégoutantes que les femmes non excitées et celles du groupe des femmes excitées non sexuellement. En revanche, les jugements de degré de dégoût ont été similaires pour les trois groupes vis à vis des stimulations non sexuelles. Ensuite, pour l’ensemble des tâches sexuelles et non sexuelles, c’est le groupe sexuellement excité qui a effectué le plus grand nombre d’entre elles. Ces résultats corroborent ceux obtenus lors d’une étude précédente avec des hommes, malgré quelques différences dans la procédure de l’expérience.

Vive les préliminaires

Les chercheurs peuvent ainsi confirmer que l’excitation sexuelle, agissant sur la perception subjective du dégoût ainsi que sur les réactions d’évitement des situations induisant ce dégoût, “facilite l’engagement dans une relation sexuelle satisfaisante. En revanche, si l’un des deux partenaires ne parvient pas à cet état d’excitation, cela peut poser problème”. Sur le plan thérapeutique, cette étude peut conduire à aller chercher du coté d’un manque d’excitation sexuelle les problèmes rencontrés par certains couples. Une façon de justifier pleinement le rôle des préliminaires qui ont justement pour objet d’induire cet état d’excitation sexuelle permettant d”éviter les réactions de dégoût ultérieures. Moralité: une fois de plus, on constate que la nature est bien faite et qu’elle a pensé à tout…

Michel Alberganti

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L’effet placebo fonctionne aussi sans passer par la conscience

Avec l’effet placebo, on va de surprise en surprise. On a d’abord cru qu’il fallait que tous les protagonistes croient profondément à l’efficacité d’un  produit ou d’un traitement pour que le patient en bénéficie. C’est à dire qu’il soit soigné malgré l’absence de tout principe actif. D’où les précautions prises pendant les essais en double aveugle pour tester l’efficacité d’un nouveau médicament. Le médecin prescripteur ne devait surtout pas savoir s’il prescrivait la nouvelle molécule ou un placebo.

Inutiles mensonges

Ensuite, on a découvert que tous ces mensonges ne servaient à rien. Et même que, lorsque le patient sait qu’il prend un placebo, l’effet positif se produit quand même. Difficile à comprendre. Le cerveau, la conscience, ne jouerait donc aucun rôle. Ce que l’on sait, dans ce cas que l’on absorbe une pilule de sucre ou de vitamine, n’agirait pas sur les réactions du corps… Ce dernier recevrait donc un autre message. Et il réagirait en fonction d’une information erronée pour déclencher des mécanismes contribuant à la guérison. Des mécanismes qui ne se seraient pas activés sans ce processus improbable. Le corps aurait besoin d’un subterfuge, même grossier et cousu de fils blanc, pour décider de se soigner. Dans la mesure de ses possibilités, certes. Mais reconnaissez que l’on nage en plein mystère. Et qu’il s’agit de l’une des histoires les plus extraordinaires que l’organisme humain nous ait donné à découvrir. D’autant qu’il fonctionne dans les deux sens. A l’effet placebo, positif, répond l’effet nocebo, négatif.

Sans être au courant…

Cette histoire ne s’arrête pas là. Des chercheurs viennent d’en écrire un nouveau chapitre en découvrant que les effets placebo et nocebo n’ont tout simplement pas besoin de passer par la conscience pour agir. Ils lèvent sans doute ainsi un coin essentiel du voile pour tenter de comprendre les précédentes étapes. “Une personne peut avoir une réponse placebo ou nocebo même si elle n’est pas au courant d’une quelconque suggestion d’amélioration ou anticipation de détérioration”, affirme Karin Jensen, de l’hôpital Massachusetts General et de la Harvard Medical School, auteur principal de l’article paru dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) du 10 septembre 2012.

Conscience court-circuitée

Pour parvenir à cette affirmation assez incroyable, les chercheurs n’ont pas hésité à mettre en doute l’un des fondements de l’explication de l’effet placebo. Malgré les précédentes découvertes, il restait établi que ce phénomène fonctionnait grâce à une sorte de projection mentale du patient liée à l’espérance d’une guérison ou à la crainte d’une aggravation de sa maladie. Les chercheurs sont néanmoins partis d’une autre découverte, récente, concernant les mécanismes de récompenses ou de punition chez l’être humain. Certains travaux montrent que ces réactions pouvaient se produire très rapidement, sans que les patients aient besoin de consciemment enregistrer leurs stimulations dans leur cerveau. La neuro-imagerie a montré que certaines structures du cerveau, comme le striatum et l’amygdale, peuvent traiter des stimuli avant même qu’ils parviennent à la conscience. Elles peuvent ainsi avoir des effets directs sur la cognition et le comportement de l’individu. Tout se passe alors comme si la conscience était court-circuitée… Un tel phénomène peut-il se produire avec l’effet placebo ?

Deux expériences

Pour répondre à cette question, Karin Jensen et son collègue Jian Kong ont réalisé deux expériences avec 40 volontaires en bonne santé (24 femmes, 16 hommes, âge moyen de 23 ans). Dans la première, les chercheurs ont appliqué une source de chaleur sur le bras des participants tout en leur montrant des images de visages humains masculins sur un écran d’ordinateur. La première image était associée à une faible douleur de brûlure et la seconde image à une forte douleur. Les participants devaient ensuite noter leurs sensations de douleur sur une échelle de 0 à 100, 0 correspondant à une absence totale de douleur et 100 à la douleur la plus forte imaginable. Les patients ne savaient pas que la chaleur qui leur était appliquée restait rigoureusement la même au cours de l’expérience. Comme on pouvait le prévoir, la douleur ressentie s’est trouvée liée à l’association avec les images. Les participants ont noté, en moyenne, leur niveau de douleur à 19 lorsque les images montraient des visages associés à de faibles douleurs (effet placebo) et à 53 lorsque les images étaient associées à de fortes douleurs (effet nocebo). Jusque-là, rien de bouleversant. Juste la confirmation de l’effet placebo classique.

Images invisibles

Dans une seconde expérience, les participants ont reçu la même stimulation sous forme de chaleur. Les images ont également été projetées sur l’écran d’ordinateur mais, cette fois, d’une façon si brève que le cerveau ne pouvait les reconnaître consciemment. Après cette succession de flashes, les participants ont noté leur niveau de douleur : 25 de moyenne en réponse aux visages associés à une faible douleur et 44 pour les visages associés à une forte douleur. Les effets placebo et nocebo se sont donc produits de façon similaire malgré l’absence de conscience de l’association visage-douleur.

Nouvelle voie

Ted Kaptchuk, directeur du Program in Placebo Studies (PiPS) au Beth Israel Deaconess Medical Center/Harvard Medical School, coauteur de l’article, déclare : “Ce n’est pas ce que les patients pensent qu’il va se produire, c’est ce que le cerveau non conscient anticipe, malgré l’absence de toute pensée consciente, qui influence le résultat. Ce mécanisme est automatique, rapide et puissant. Il ne dépend pas des délibérations mentales et du jugement. Ces découvertes ouvrent une voie entièrement nouvelle vers la compréhension de l’effet placebo et des rituels de la médecine”.

Michel Alberganti

 

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Baclofène : un Mediator à l’envers

Débattre du baclofène n’est pas une sinécure. Même lorsque tout le monde est d’accord sur l’efficacité de ce médicament contre l’alcoolisme. Nous en avons fait l’expérience lors de l’émission Science Publique du vendredi 7 septembre sur France Culture. Parmi les invités, Jean-Yves Nau, bien connu sur Slate.fr où il écrit les articles médicaux dont le dernier sur cette affaire en dénonçait le scandale, nous avait apporté les chiffres inédits établis par la firme Celtipharm, spécialisée dans le recueil et le traitement de l’information sur la commercialisation des médicaments. Révélées sur son blog à l’EHESP, ces données démontrent que le baclofène est largement prescrit en dehors de son indication officielle, c’est à dire le traitement de certaines maladies neurologiques comme la sclérose en plaques. Ainsi, sa consommation aurait augmenté de 30% au cours des 12 derniers mois. Sur les 45 000 patients qui ont pris du baclofène en août 2012, 11 000 l’aurait utilisé pour traiter leur alcoolisme.

Les médecins hors la loi

Le problème : le baclofène n’est pas reconnu par les institutions, l’Assurance maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex Afssaps), pour le traitement de l’alcoolisme. Son autorisation de mise sur le marché (AMM) ne concerne toujours que son indication initiale. Ainsi, en toute rigueur, les médecins qui prescrivent du baclofène contre l’alcoolisme devrait indiquer “hors AMM” sur leur ordonnance ce qui rendrait impossible le remboursement par la sécurité sociale. Beaucoup ne le font pas, ce qui est une faute, afin de ne pas pénaliser leur patient. Un essai en double aveugle est en cours qui pourrait conduire à une révision de l’AMM. En effet, aujourd’hui, l’efficacité du baclofène n’est pas reconnue officiellement. L’information sur ses résultats, si remarquables soient-ils, ne circule que de bouche à oreille et de sites Internet en blogs.

La découverte d’Olivier Ameisen

La situation : le recours au baclofène pour soigner l’alcoolisme a été découvert par un médecin, Olivier Ameisen, qui a fait connaître sa propre expérience de sevrage par ce moyen dans un livre publié en 2008 (Le dernier verre, Denoël). Depuis, Olivier Ameisen mène campagne de façon passionnée pour diffuser cette information et la pratique du sevrage alcoolique à l’aide du baclofène. Le problème réside, de sa part, dans une fougue souvent non maîtrisée et qui a rendu le dialogue difficile pendant l’émission Science Publique. Deux autres participants, Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université René Descartes et William Lowenstein, addictologue et directeur général de la clinique Montevideo, ont souvent eu du mal à s’exprimer alors même qu’ils apportaient des témoignages de leurs pratiques médicales allant tout à fait dans le sens de la croisade d’Oliver Ameisen. Ce dernier s’appuie sur le fait que l’alcool provoque, selon lui, 45 000 morts prématurées en France chaque année et qu’il est donc urgent d’agir.

Huit ans après…

Après le scandale du Médiator, nous assistons donc à une affaire similaire mais symétrique. Au lieu de présenter un danger pour les patients, le baclofène pourrait les soigner. Dans les deux cas, toutefois, les institutions restent muettes. Pas plus qu’elles n’ont pris assez tôt (euphémisme) la décision de retirer le Mediator de la vente, elles se révèlent incapables de prendre parti clairement en faveur du baclofène. Olivier Ameisen a publié sa découverte dans un journal international d’alcoologie en 2004 et son livre en 2008. Ainsi, huit ans après la révélation de l’étonnante efficacité du baclofène, personne n’est capable de dire quelle est la dose efficace contre l’acoolisme, ni quel est le taux de patients sur lesquels le traitement est efficace, ni s’il faut prendre ce médicament à vie. Tout repose sur l’empirisme de la pratique médicale.

Le silence des institutions

A une époque où de plus en plus de médicaments sont déremboursés au motif d’une trop faible efficacité découverte des années après leur mise sur le marché, voici donc la situation inverse: un médicament efficace de notoriété publique parmi les médecins mais non remboursé. On en arrive forcément à douter des institutions. D’autant qu’elles ne souhaitent pas s’expliquer. Invitée à Science Publique, l’ANSM n’a pas pu ou voulu y participer. Une attitude qui se répand de plus en plus, peut-être sous l’influence des services de communication. Lorsqu’une situation est embarrassante, les protagonistes s’abstiennent d’en débattre publiquement. C’est pratique. Mais est-ce vraiment démocratique ?

Michel Alberganti

Vous pouvez (ré)écouter l’émission :

France Culture – 07.09.2012 – Science publique :

Alcoolisme: faut-il prescrire du baclofène ?

avec:

Olivier Ameisen,  cardiologue, addictologue, professeur à l’Université de l’Etat de New York
Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université René Descartes et responsable du service psychiatrie à l’hôpital Tarnier  à Paris
William Lowenstein, addictologue, directeur général de la clinique Montevideo, à Boulogne-Billancourt, spécialisée dans la recherche et le traitement des dépendances,
Jean-Yves Nau, médecin et journaliste à Slate.fr

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L’ADN dit poubelle n’est autre que la tour de contrôle des gènes

Un véritable tableau de contrôle comprenant des millions d’interrupteurs régulant l’activité de nos gènes. Ce que l’on qualifiait, jusqu’à présent, d’ADN poubelle faute d’en connaître la véritable fonction, vient de livrer ses secrets. Pour obtenir ce résultat, des centaines de chercheurs de 6 pays se sont associés au sein du projet ENCODE. Leurs résultats font l’objet de pas moins de 30 articles reliés les uns aux autres et publiés en libre accès dans 3 revues scientifiques : NatureGenome Biology et Genome Research. Une orchestration rare. ENCODE fournit une carte détaillée du fonctionnement du génome qui comprend 4 millions d’interrupteurs de gènes. Cette cartographie va ouvrir de multiples pistes de recherches sur les maladies humaines.

80% du génome sert à quelque chose

Il faut dire que la découverte est de taille. Sans les millions d’interrupteurs de l’ADN ex-poubelle, les gènes ne pourraient pas fonctionner et les mutations qu’ils subiraient engendreraient de multiples maladies. “Notre génome vit tout simplement grâce à ces interrupteurs : à des millions d’endroits, ils déterminent si un gène est doit fonctionner ou être à l’arrêt”, explique Ewan Birney, coordinateur d’ENCODE à l’European Bioinformatics Institute (EMBL-EBI) en Angleterre. Le Projet génome humain a montré que seulement 2% du génome contient des gènes, les porteurs des instructions nécessaires à la production de protéines. Grâce à ENCODE, on constate qu’environ 80% du génome sert effectivement à quelque chose. “Nous avons découvert qu’une partie du génome beaucoup plus importante que prévu sert à contrôler quand et où les protéines sont produites”, précise Ewan Birney.

Découvrir des mécanismes qui jouent un rôle clé

La masse de données fournie par ENCODE va servir aux chercheurs qui travaillent sur toutes les maladies. “Dans de nombreux cas, vous avez une bonne idée sur les gènes qui sont impliqués dans une pathologie mais vous pouvez ignorer quels sont les interrupteurs concernés”, indique Ian Dunham, de l’EMBL-EBI. “Parfois, ces interrupteurs sont très surprenants car ils se trouvent à un endroit qui semble logiquement lié à une autre maladie. ENCODE nous donnent des pistes très intéressantes pour découvrir les mécanismes qui jouent un rôle clé en matière de santé et de maladies“, ajoute-t-il.

300 années de calcul

Le projet a mobilisé pas moins de 442 scientifiques provenant de 32 laboratoires situés au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Espagne, à Singapour et au Japon. Il a permis de générer et d’analyser plus de 15 téraoctets de données brutes qui sont désormais publiquement accessibles. L’étude a consommé l’équivalent de quelque 300 années de temps de calcul informatique pour l’analyse de 147 types de tissus afin de déterminer ce qui commande la mise en fonction des gènes et comment les interrupteurs diffèrent en fonction des types de cellules.

C’est donc une page importante de la biologie qui se tourne aujourd’hui. Avec, à la clé de cette compréhension approfondie de la mécanique du vivant, de nouvelles thérapies. A moins que la complexité ne rattrape les chercheurs…

Michel Alberganti

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