L’expérience de Gilles-Eric Séralini est nulle mais pleine d’avenir

Le professeur Gilles-Eric Séralini lors d'une conférence au Parlement européen à Bruxelles, le 20 septembre 2012. REUTERS/Yves Herman.Sollicitée par le gouvernement dans l’affaire des rats et du maïs génétiquement modifié de Monsanto, l’Agence nationale de sécurité alimentaire vient de rendre son avis: l’expérience du Pr Séralini n’a aucune valeur scientifique, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en tenir compte. Une manière de conforter la volonté gouvernementale d’améliorer l’expertise toxicologique des OGM alimentaires. 

On n’attendait plus qu’eux pour savoir à quoi s’en tenir sur les spectaculaires conclusions de l’expérience hautement médiatisée menée, sous la direction du Pr Gilles-Eric Séralini, sur des rats nourris avec un maïs génétiquement modifié de Monsanto et l’herbicide RoundUp de Monsanto.

Le 19 septembre, soit le jour même où cette étude était publiée dans une revue scientifique et relayée par le Nouvel Observateur, le gouvernement avait curieusement saisi en urgence l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Haut conseil des biotechnologies (HCB). Avec cette saisine, il s’agissait, en substance, pour les trois ministres directement concernés (Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, Delphine Batho), de savoir à quoi s’en tenir sur un sujet hautement controversé. Plus d’un mois plus tard, ce lundi 22 octobre, ces deux institutions ont rendu leurs conclusions.

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Michel Alberganti et Jean-Yves Nau

 

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OGM, le sacrifice des rats

REUTERS/Science/AAAS

L’affaire Séralini semble tirer à sa fin. Les expertises françaises de l’étude scientifique publiée le 19 septembre 2012 risquent fort d’arriver après la bataille.

Certains verront de la sagesse dans cette lenteur. D’autres de l’embarras pour ne pas dire plus. Peu importe.

Les avis sont déjà assez nombreux pour qu’une issue se profile. Un organisme allemand (BfR) et un autre européen (EFSA) ont analysé l’étude en termes sévères. Des scientifiques de tout poil, antis et surtout pros OGM, se sont exprimés et Gilles-Eric Séralini accompagné de Corinne Lepage ont largement répondu. L’heure est donc au bilan.

Trois leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de cette affaire qui est passée, alternativement, du statut de scoop du siècle à celui de manipulation militante grossière. Au final, comme souvent, l’impact réel de ce coup médiatique échappe à de telles caricatures.

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La décevante moisson de Marie-Monique Robin

Le nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, “Les moissons du futur” a été diffusé ce soir, 16 octobre 2012, par Arte. En 2008, la journaliste avait défrayé la chronique avec son film précédent, “Le monde selon Monsanto, enquête à charge mais remarquablement documentée sur la multinationale des semences, en particulier OGM, et des pesticides comme le Roundup. On s’attendait donc à une nouvelle bombe. Ce fut plutôt un pschitt… Pourquoi une telle déception ? Pourquoi Marie-Monique Robin s’est-elle enlisée dans un sujet qu’elle maîtrise pourtant fort bien, dont l’enjeu est planétaire et qui est d’une actualité brûlante avec l’affaire de l’étude Séralini ?

Les rendements de l’agroécologie

Il semble que la journaliste soit désormais victime d’une proximité avec son sujet telle qu’elle en oublie la mise en perspective. Avec ce nouveau documentaire, elle veut répondre à une critique, adressée sur le plateau de Mots Croisés, l’émission d’Yves Calvi sur France 2, début 2011. L’agriculture dite biologique, ou plutôt l’agroécologie, ne serait pas en mesure de nourrir la planète, selon le ministre de l’agriculture de l’époque, Bruno Le Maire, grand spécialiste du travail de la terre, et  Jean-René Buisson, président de l’association nationale de l’industrie agroalimentaire, digne représentant… de l’industrie. Tous deux affirment alors que les pesticides sont incontournables. Le sang de Marie-Monique ne fait qu’un tour. Et la voilà partie, avec cameraman et preneur de son, pour un nouveau… tour du monde. Amérique du Sud, Afrique, Etats-Unis, Allemagne, Japon… Elle rencontre des fermiers qui nous démontrent, grâce à leurs années d’expérience, que l’agroécologie permet d’obtenir des rendements souvent égaux à ceux de l’agriculture issue de la révolution verte, celle qui utilise massivement engrais chimiques et pesticides pour faire pousser des plantes hybrides ou transgéniques.

Canards laboureurs

Tout ces portraits et ces témoignages sont convaincants et enthousiasmants. Un peu longs aussi, et redondants. Plus de 90 minutes de documentaire, même sur Arte, c’est assez éprouvant. Mais il s’agit d’une véritable découverte pour un citadin. On apprend comment la culture simultanée de plusieurs plantes peut résoudre les problèmes d’herbes nuisibles et de ravageurs. Comment le maïs peut servir de tuteur à des haricots. Comment on enrichit le sol en azote en enfouissant des branchages au pied des plans cultivés. Comment on peut semer sans labourer. Comment un paysan japonais peut vivre en totale autonomie, énergie comprise (d’où vient l’électricité ?), et nourrir directement une trentaine de familles. Comment des Allemands se sont convertis au bio. Comment un Américain regrette d’utiliser des pesticides au milieu de son champ de maïs tout sec (en fait simplement mûr, sans doute), alors que celui des paysans bio est tout vert. Comment les canards labourent un champ de riz avant le repiquage…

L’Eden recréé par l’homme

L’émerveillement est total. Marie-Monique Robin nous décrit cet Eden retrouvé où l’homme et la nature sont en parfaite symbiose. Mieux encore, car désormais l’homme comprend la nature et il est capable de recréer cette harmonie massacrée par les tracteurs, les hélicoptères d’épandage et les moissonneuses-batteuses monstrueuses. Sérieusement, le documentaire rend perceptible la magie de l’équilibre écologique. Le témoignage final d’un Français (le seul ?), l’agronome Marc Dufumier (sic) achève de convaincre que tout cela est vraiment possible. Que la planète peut se nourrir sans Monsanto. Le débat qui suit ne parvient pas à briser le rêve. L’animatrice, Emilie Aubry, a beau poser la question banco :“Mais est-ce généralisable ?”, on reste sous le charme du “push-pull” et des canards laboureurs. D’autant que le contradicteur du plateau, Willi Kampmann, directeur du Bureau de Bruxelles du Deutscher Bauernverband (?) ressemble un peu trop à un VRP de l’industrie agroalimentaire.

Quelque chose ne va pas…

Et puis… Une fois le petit écran éteint, le rêve se dissipe assez rapidement. Qu’a-t-on vu ? Des agriculteurs exploitant des fermes de quelques hectares utilisant des méthodes à la fois très ingénieuses sur le plan agronomique et très rudimentaires, voire archaïques. Tout se fait à la main, ou presque. On voit des bœufs de labour… Une ferme nourrit quelques dizaines de familles…  Le paysan japonais a beau calculer qu’il existe assez de surface cultivable dans son pays pour nourrir la population nippone, quelque chose ne va pas… Même si les rendements de l’agroécologie peuvent  rivaliser avec ceux de l’agriculture intensive…

Combien de paysans agroécologiques ?

Ce qui ne va pas, c’est que le problème n’est pas de convertir les paysans actuels à l’agroécologie. Le problème, c’est de multiplier leur nombre par cent ou mille pour recréer des fermes de quelques hectares dont les champs ressemblent à de grands jardins. Bien sûr, il y a l’exemple de l’agriculteur allemand, converti dans les années 1970. Mais le documentaire de Marie-Monique Robin ne répond pas à la question essentielle de l’organisation humaine de la nouvelle agriculture qu’elle prône. Combien d’agriculteurs bio faut-il en France. Avec quelle taille d’exploitation pour éviter le recours aux machines polluantes ? Connait-on les solutions agroécologiques adaptées aux écosystèmes français ? Si le documentaire apporte une contestation passionnante sur l’argument du rendement, il nous laisse sur notre faim quant à la mise en oeuvre de l’Eden agricole. Pour Marie-Monique Robin, cela passe par une décision politique. Cela paraît bien court. Concrètement, comment la France, par exemple, peut-elle se convertir à l’agroécologie ? Le sujet du prochain documentaire de Marie-Monique Robin ? D’ici là, la France aura peut-être créé un institut national de la recherche agronomique qui pourra lui donner son avis sur la question…

Michel Alberganti

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Périscope: Nobel de chimie, mur du son et OGM


Un Nobel de chimie au goût de café

Le prix Nobel de chimie 2012 est avant tout un prix Nobel de biochimie: il récompense deux chercheurs qui ont élucidé l’un des principaux mystères de la transmission moléculaire des informations à l’intérieur de chaque cellule des mammifères. A commencer par les corps humains.

Un exemple: lorsque nous buvons une tasse de café, nous percevons et ressentons dans l’instant sa robe, ses fragrances, sa suavité exotique d’arabica. Comment ce miracle matinal peut-il se produire voire se reproduire pluri-quotidiennement? Pour une large part grâce aux précieuses clés moléculaires découvertes par Robert Lefkowitz et Brian Kobilka.

L’analyse (consciente ou non) des milliers d’informations qui nous parviennent de l’extérieur (mais aussi et surtout de l’intérieur) de notre corps réclame des myriades de molécules réceptrices situées à la surface des milliards de cellules qui constituent notre organisme. Ce sont ces récepteurs qui captent les substances moléculaires circulant dans leur environnement immédiat, des hormones ou des médicaments, par exemple.
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US Researcher: Nobel Prize Win a ‘Total Shock’ par AP-Tech


Nobel chemistry winner Kobilka hopes for better… par reuters

Le saut du mur du son encore retardé

Il devait avoir lieu le lundi 8 octobre. Il a été repoussé à mardi 9 octobre. Mais les conditions météorologiques, en particulier le vent trop fort, ont conduit à un nouveau report du saut en chute libre de l’australien Felix Baumgartner d’une altitude de près de 37 km. Le sauteur fou veut franchir le mur du son avec sa seule combinaison comme protection. Après une annonce pour jeudi 11 octobre, le saut a finalement été repoussé au dimanche 14 octobre. Si le ciel est d’accord…


Daredevil Felix Baumgartner ‘disappointed’ par andfinally

Les OGM devant l’Assemblée Nationale

Auditionné par l’Assemblée nationale mardi 9 octobre, Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude controversée sur la toxicité d’un du maïs Monsanto NK603, résistant à l’herbicide Roundup, et du Roundup lui-même, a appelé les députés à instituer une “expertise contradictoire” pour mettre fin à quinze ans de “débat stérile” sur les OGM. Le professeur ne cesse de demander une telle innovation qui ne laisse d’inquiéter sur son réalisme. Pour lui, les études devraient être soumises à deux expertises, chacune étant effectuée par l’un des deux camps.  La “solution” aurait surtout pour résultat de plonger le législateur dans une perplexité encore plus grande qu’aujourd’hui. Comment départager deux expertises ouvertement militantes ? En en commanditant une troisième, indépendante ? Autant aller tout de suite à cette solution, non?


OGM : l’étude qui dérange par LCP

Michel Alberganti

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Le champignon de Paris décrypté

L’INRA annonce aujourd’hui, 8 octobre 2012, la publication dans la revue PNAS de cette semaine des résultats obtenus avec le CNRS et les universités de Lorraine et d’Aix Marseille, sur le séquençage du génome… du champignon de Paris. Voici donc cet habitant des carrières, cavernes et autres caves… décrypté. Savoureux jeu de mots en sous sol.

Recyclage du carbone

On peut se demander à quoi peut bien servir de séquencer le génome de l’Agaricus bisporus… En dehors du fait que ce type de travail est devenu, semble-t-il, un véritable réflexe dans les laboratoires. On décrypte tout. Il est vrai que c’est tentant. Mais le champignon de Paris ?… L’INRA indique que “ces travaux permettent de mieux comprendre le rôle des champignons forestiers dans les processus de recyclage du carbone dans l’environnement” ainsi que d’“améliorer la culture industrielle du champignon de Paris”. Les scientifiques ayant identifié un ensemble de facteurs génétiques contrôlant sa croissance, ils visent “la sélection de nouvelles souches pour la filière agro-alimentaire”.

Pas d’OGM…

La sélection, pas la modification génétique… Il faut dire que les OGM n’ont guère bonne presse, surtout depuis quelques semaines. Dommage. De beaux champignons de Paris au courbes parfaites et à la taille XXL pourraient donner des idées nouvelles aux cuisiniers. Pour peu qu’ils prennent aussi de belles couleurs, style “Etoile mystérieuse” de Tintin.

Cette annonce donne également l’occasion de se pencher sur ce prolétaire des Eumycètes, ce parasite citadin ordinaire qui fait pâle figure à coté des girolles, des cèpes et autres morilles sur l’étal des marchés, ce colonisateur des sous-sols fleurant bon le fumier de cheval… L’INRA nous rappelle que le champignon de Paris est cultivé depuis plus de trois siècles dans les champignonnières, qu’il s’en produit aujourd’hui 1,4 million de tonnes par an, soit environ 2 milliards de dollars de ventes, dans le monde dont plus de 100 000 tonnes en France, surtout dans le Val de Loire. De Paris, ce champignon n’a le nom qu’en France. Ailleurs, il est encore moins valorisé puisqu’il s’appelle champignon commun, blanc, de table ou cultivé. Car pour être cultivé, il l’est. Dans 70 pays. Et il représenterait environ les trois quarts de la culture mondiale des champignons. Il devrait d’ailleurs, aujourd’hui, plutôt s’appeler champignon de Pékin puisque la Chine assure 70% de la production mondiale.

Mais, à la France, il doit tout de même la première description de sa culture commerciale par le botaniste Joseph Pitton de Tournefort en 1707 tandis qu’Olivier de Serres découvrit la technique de reproduction par transplantation du mycélium dès 1600. C’est dire notre antériorité en la matière. Au 18e et 19e siècle, les nombreuses carrières de la capitale aux rues encombrées de chevaux constituait un écosystème parfait pour son développement. Son nom n’est donc pas usurpé.

Et voici que l’INRA le remet sur le devant de la scène. Difficile de dire si le décryptage de son génome jouera un rôle important dans la réduction de l’effet de serre ou dans l’équilibre de notre balance commerciale. Mais il est agréable de savoir qu’il reste certains domaines dans lesquels, depuis 4 siècles, la France se maintient à la pointe de la recherche.

Michel Alberganti

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Périscope : Chute libre, OGM, Nobel…

“Périscope” est une nouvelle rubrique régulière que vous propose désormais Globule et télescope.
Un coup d’œil rapide devant, derrière et parfois sur les cotés sur ce qui va se passer, s’est passé ou aurait dû se passer dans les domaines de la science, de l’environnement et de la technologie. Pour le plaisir des découvertes avec le souci permanent de leur impact sur la société. Et toujours, bien entendu, des liens, des photos et de la vidéo.

En chute libre et en retard

Le saut en chute libre au cours duquel l’Autrichien Felix Baumgartner espère pouvoir franchir le mur du son devait avoir lieu lundi 8 octobre. Il est repoussé au mardi 9 octobre en raison des conditions météorologiques. Il est possible de suivre le compte à rebours sur le site de l’exploit, Redbull Stratos.

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OGM : donnant donnant

Gilles-Eric Séralini, sommé par différentes institutions (EFSA, BfR, HCB…) de fournir ses données d’expérience au sujet de sa publication du 19 septembre, a déclaré qu’il ne les fournirait que si l’agence européenne EFSA publiait celles qui l’on conduit à autoriser le maïs transgénique NK 83 et le Roundup… Blocage en vue. En attendant, voici une version du débat par l’émission en ligne “Arrêt sur image” sur ce sujet :

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La semaine des Prix Nobel

Chaque année, on s’y attend pas et puis, brusquement, c’est l’affolement. les Nobels se mettent à tomber et les rédactions s’affolent ! “Tu comprends de quoi ça parle ?” étant la question qui revient le plus souvent après la remise des prix. Cela commence lundi 8 octobre avec la médecine, suivie par la physique mardi, la chimie mercredi et la paix le 12 octobre. Il faudra attendre le 15 pour l’économie et on ne sait encore quand pour la littérature. Cette année, Slate.fr est fin prêt. Vous allez voir ! Pour patienter, voici quelques images de la cérémonie d’ouverture de l’an dernier. Un ambiance à la bonne franquette et une famille royale hyper détendue… Quelques mots de suédois qui rappellent les films de Bergman en VO et quelques notes de Mozart… Et de sublimes couronnes ! Royales en attendant celles des scientifiques.

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Michel Alberganti

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OGM et cancer : les Allemands tirent les premiers, l’Europe suit

Tandis que l’ANSES tarde à remettre son analyse, pourtant demandée en urgence par le gouvernement français, sur l’étude publiée le 19 septembre 2012 par l’équipe de Gilles-Eric Séralini, les Allemands, à qui l’on avait, semble-t-il, rien demandé, publient leurs conclusions. Et elles sont dures. De son coté, l’Europe, dont l’EFSA avait, elle, reçu une demande d’expertise de la part de la France, grille, elle aussi, la politesse à l’ANSES en publiant dès le 4 octobre le résultat de son premier examen. Et il est sévère.

Insuffisant, inadéquat…

L’EFSA considère l’étude comme “de qualité scientifique insuffisante pour être considérée comme valable en matière d’évaluation du risque”. De plus, son examen préliminaire considère que “la conception, le rapport et l’analyse de l’étude sont inadéquats”.  Pour approfondir son jugement, l’EFSA a demandé à l’équipe Séralini de partager des informations supplémentaires essentielles. En attendant, à cause de ces défauts, l’organisme se déclare incapable de considérer les conclusions des auteurs comme scientifiquement justes. “Aucune conclusion ne peut être tirée de l’occurrence des tumeurs chez les rats testés”, note l’EFSA. Suivent une dizaine de points que l’autorité juge problématiques.

Pas d’objectif prédéfini

Parmi ces critiques, certaines sont déjà connues, comme la race des rats choisie (sensible aux tumeurs  au cours de leur vie normale) ou la non conformité de l’étude aux protocoles internationaux (10 rats par groupe au lieu de 50), d’autres le sont moins. Ainsi, l’EFSA souligne la présence d’un seul lot de contrôle au sein des 10 lots de rats testés. Elle en déduit qu’il n’y avait pas de groupe de contrôle pour 4 groupes, soit 40% des animaux, nourris avec du maïs OGM traité ou non avec de l’herbicide Roundup. L’EFSA note également que l’expérience n’avait pas d’objectif bien défini au départ alors que cela est nécessaire pour établir le protocole correspondant. L’autorité se plaint aussi de l’absence d’information sur la composition de la nourriture des rats, en particulier la présence ou non de mycotoxines. Absence, également, de données sur les quantités de nourriture ingérées, seuls des pourcentages d’OGM et de Roundup étant indiqués. La méthode statistique d’analyse des résultats est aussi contestée.

L’Europe ne remet pas en cause ses évaluations

L’EFSA en déduit qu’elle ne voit pas de motifs de ré-examiner ses évaluations précédentes du maïs Monsanto NK603 ni de prendre en compte les résultats de l’équipe Séralini dans l’évaluation du glyphosate, la molécule active du Roundup. Néanmoins, elle annonce une seconde analyse, plus approfondie, pour la fin du mois d’octobre. Cette dernière prendra en compte toutes les informations supplémentaires fournies par l’équipe Séralini, les évaluations réalisées par les pays membres ainsi que celle des autorités allemandes, responsables des autorisations concernant le glyphosate.

Conclusions non compréhensibles

Justement, l’institut BfR (Das Bundesinstitut für Risikobewertung) a publié son opinion sur l’étude Séralini daté du 1er octobre. Il semble que l’EFSA se soit inspiré des conclusions allemandes, tant les critiques se recoupent. Néanmoins, le BfR reconnaît l’intérêt d’une étude sur le long terme d’une alimentation contenant du glyphosate à 0,5%. Il explique que ce travail n’a pas été effectué auparavant car la règlementation internationale n’impose qu’un test des substances actives elles-mêmes. Ainsi, le glyphosate lui-même a été largement étudié par de nombreuses études à long terme sur des rats et des souris sans qu’aucun effet sur le développement de cancers, une augmentation de la mortalité ou un impact sur le système endocrinien n’ait été observé, contrairement aux résultats obtenus par l’équipe Séralini.
Si l’institut juge intéressante la démarche des Français, elle est encore plus sévère que l’EFSA lorsqu’elle évalue le protocole et les résultats de l’expérience. Elle estime ainsi que les données expérimentales ne justifient pas les principales conclusions de l’étude. Qu’en raison de défauts dans la conception de l’étude aussi bien que dans la présentation et l’interprétation des données, les conclusions correspondantes tirées par les auteurs ne sont pas compréhensibles. Que pour une évaluation plus approfondie, le BfR a demandé aux auteurs de fournir le rapport d’étude complet comprenant les données individuelles des animaux et a posé certaines questions précises. Des demandes n’ayant pas reçu de réponses pour l’instant.

Une position difficile à tenir

Le rapport de 7 pages du BfR relève également de multiples manques dans les informations nécessaires à une évaluation en profondeur de l’étude. Critique déjà formulée plusieurs fois par différents scientifiques qui y ont accédé. Au JT de 20 heures de France 2, le 4 octobre, Gilles-Eric Séralini a expliqué que le jugement de l’EFSA provenait du fait que l’organisme ne voulait pas se dédire vis à vis de ses évaluations précédentes du NK603 “avec des tests trop courts”. Il a également laissé entendre, assez confusément, que l’EFSA est sous l’influence des lobbies et des industriels des OGM.

Cette position de Gilles-Eric Séralini devient ainsi de plus en plus difficile à tenir. On voit mal comment il pourra continuer à refuser de donner des informations détaillées sur son expérience afin qu’une évaluation complète de l’étude puisse être réalisée. A moins que sa stratégie vise uniquement le battage médiatique qu’il a déjà largement réussi à engendrer. Dans ce cas, nous risquons de rester sur notre faim en attendant le résultat d’une éventuelle nouvelle étude. Dans deux ou trois ans…

Michel Alberganti

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OGM : Le PDG de l’Inra s’exprime, les paysans indiens se suicident

18h24, le 3 octobre 2012. Tombe un mail venant de l’Inra et contenant un texte signé par François Houllier, son nouveau PDG, successeur de Marion Guillou depuis le 27 juillet 2012. Pas de traces, pour l’instant, sur le site de l’institut. Ce texte, adressé, semble-t-il, directement aux journalistes et à l’AFP, est intitulé: “OGM: quelle place pour la recherche publique ?”. François Houllier réagit à “l’étude secrète” de Gilles-Eric Seralini qui défraie la chronique depuis le 19 septembre.

Aussitôt, il souligne les “ambiguïtés de ces travaux” ainsi que “l’opération médiatique”. “Le poison de la peur et du doute est ainsi instillé”, en conclut François Houiller qui rappelle le sondage montrant que 8 Français sur 10 s’inquiètent de la présence d’OGM dans leur alimentation.

“Le doute, aussi, vis-à-vis de la recherche publique qui ne remplirait pas sa fonction”, poursuit-il en arrivant ainsi au fait. Ce texte dénonce, en effet, la suspicion “de conflits d’intérêts ou de collusion avec ces firmes et de surcroît coupables d’abandon de citoyens consommateurs en danger” dont est victime la recherche publique. Et d’en conclure: “Le mal est donc fait. Il est injuste, mais pas irréparable.”

Faucheurs de Colmar et maïs MON810

François Houiller cite, bien entendu, le cas “des porte-greffes de vignes génétiquement modifiés pour résister au virus transmis par de  minuscules vers du sol” et arrachés par des faucheurs volontaires à Colmar en août 2010. Il cite également le cas bien connu du maïs MON810 avec le moratoire sur la mise en culture en France, la dénonciation et l’annulation par le Conseil d’Etat après la Cour européenne de justice de ce moratoire, le rétablissement de l’interdiction de la culture, le 16 mars 2012 par NKM sous la pression des écologistes. L’Inra a été chargé par la Commission européenne d’une réévaluation des mesures de toxicité du MON810 (modifié pour résister à certains ravageurs). Résultats dans trois ans.

Plus d’argent pour l’Inra

En guise de synthèse de ces événements épars, François Houllier prend un risque en estimant que les travaux de M. Séralini “ne répondent probablement pas aux critères permettant d’en tirer des conclusions scientifiques solides”.

Voilà donc une expertise semble-t-il sans preuve de la part du dirigeant d’un organisme chargé, lui, de réaliser des études répondant à des critères scientifiques stricts. Comment exprimer un tel jugement avant la publication du rapport demandé par le gouvernement à l’Anses?

Le patron de l’Inra en arrive ensuite à la conclusion, convenue, de son texte. Si le public veut plus d’études sur les OGM, alors que l’institut en effectue déjà mais “à bas bruit médiatique”, il lui faut plus d’argent. Ainsi qu’une “confiance collective dans l’impartialité de ses résultats”. François Houllier estime que “notre société doit sortir de sa schizophrénie pour permettre à la recherche publique de poursuivre ses travaux selon des protocoles incontestables, sans être en permanence soupçonnée du pire et, dans certains cas, voir ses essais détruits”.

Quelques heures plus tard, Arte consacre un sujet de son journal à l’utilisation du coton OGM de Monsanto en Inde:

Monsanto oblitère l’image des OGM

En voulant, à toute force, démontrer que les OGM sont mauvais pour la santé humaine à partir d’un seul exemple, le NK603, Gilles-Eric Séralini a, une nouvelle fois, mis sur la table un débat mal ciblé. D’où le tollé des scientifiques concernés.

L’une des vraies questions n’est-elle pas posée par l’expérience indienne? Pas besoin de tests sur les rats pour constater que l’introduction du coton transgénique y réduit l’espérance de vie des cultivateurs. L’origine du problème des OGM n’est pas scientifique ou sanitaire. Elle est industrielle.

Une firme, Monsanto, a réussi à totalement oblitérer l’image des OGM en la confondant avec l’utilisation qu’elle en fait. Monsanto asservit les paysans et se moque de la santé humaine. Son seul but est de vendre des semences et d’en tirer le maximum de profit. En cela, elle joue son rôle de pure entreprise capitaliste.

Mais a-t-elle, pour autant, démontré tout le potentiel des OGM? Est-il impossible de faire mieux? Ces fameux OGM philanthropiques dont parle Jean-Pierre Berlan sans y croire sont-ils vraiment de doux rêves? La vigne française ne peut-elle profiter de la transgenèse sans y perdre son âme? La biodiversité est-elle forcément menacée par la culture des OGM? La diabolisation des plantes transgéniques se confond avec celle de l’entreprise dominante dans ce domaine. Mais pourquoi est-elle si dominante? Que fait l’Europe en recherche et en industrialisation d’OGM? L’Inra peut-il, seul, prendre en charge les travaux nécessaires? Peut-être, par ailleurs, n’avons-nous aucun besoin d’OGM pour nourrir une planète à 9 milliards d’habitants.

Schizophrénie française

Sortons, alors, de cette schizophrénie qui fait interdire en France la culture des OGM et, de facto, la recherche dans ce domaine, alors que nous importons massivement les mêmes OGM pour nourrir notre bétail et les intégrer à notre alimentation.

En France, on protège les cultures bio de la dissémination des OGM mais on laisse ces mêmes OGM en vente libre dans les supermarchés. Ces supermarchés qui financent une étude pour démontrer que les OGM, présents directement ou indirectement sur leurs rayons, engendrent des tumeurs… Tout cela pour mieux vendre leurs produits bio et soigner leur image verte.

Un “débat raisonné” ne doit pas avoir raison du débat

Il apparaît clairement aujourd’hui qu’à force de prendre des décisions sous la pression de différents lobbies (industriels et écologistes), la situation des OGM en France est devenue un sac de noeuds et d’absurdités qui insulte la cohérence et hypothèque l’avenir.

Ce «débat raisonné» ne doit pas avoir raison du débat. Un vrai débat ne consiste pas à ramener à la raison des ignorants égarés. Il ne s’agit pas d’évangéliser des foules ignares comme on fertilise des terres incultes. Cela signifie que, dans un débat démocratique digne de ce nom, les décisions ne sont pas prises à l’avance.

Un vrai débat met sur la table tous les éléments connus d’un dossier afin que chacun puisse forger sa propre opinion. Il peut aboutir à la nécessité de compléter ce dossier. Pour les OGM, à faire de nouvelles études sur la toxicité, mais également sur la dépendance des agriculteurs. Il peut aboutir à une réglementation, à des interdictions, à des autorisations. Pourquoi pas à des moratoires.

Mais toutes ces décisions ne doivent être prises qu’après le débat. Cela permet aux citoyens de comprendre les motivations de ces décisions. Même s’ils n’en approuvent pas certaines. Dans ce cas de la science, le peuple ne peut pas prendre la décision lui-même mais tout doit être fait pour qu’il la comprenne. Pour cela, il faut la justifier publiquement. Sans autoritarisme d’experts, ni mépris pour la contestation. En matière d’OGM en France, tout comme en ce qui concerne le nucléaire, le gaz de schiste ou les nanotechnologies, nous sommes à des années lumière de la possibilité d’un tel débat. Dommage.

Michel Alberganti

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La faible rhétorique de 63 chercheurs pro-OGM

Sur le site du journal Le Monde, le 27 septembre 2012, on trouve un point de vue intitulé “Pour un débat raisonné sur les OGM” signé par 63 chercheurs provenant surtout de l’INRA et du CNRS mais également du CEA, de l’Inserm et de quelques universités. Cette tribune est une réaction collective à la publication de l’étude du biologiste Gilles-Eric Séralini, professeur à l’université de Caen, dans la revue Food Chemical Toxicology suivie par la sortie, en librairie, de son livre, Tous Cobayes, et, au cinéma, du film éponyme qui en est tiré au cinéma. Une charge anti-OGM fort nourrie relayée par le gouvernement et largement diffusée dans la presse.

On pouvait s’attendre à une telle contre-attaque des pro-OGM.  Mais on reste largement sur sa faim. A vouloir beaucoup démontrer trop rapidement, les signataires font preuve, au mieux de simplisme, au pire de naïveté. Ils servent mal leur cause pour plusieurs raisons:

1°/ Un parallèle malheureux  avec les neutrinos

Le début du point de vue s’appuie sur le cas des neutrinos plus rapides que la lumière, la bourde récente du CERN. Mauvais exemple. Très mal exploité. Les signataires qualifient l’annonce de “formulée au conditionnel et avec d’infinies précautions”. La formule utilisée par le CERN le 23 septembre 2011 est: “Bien que nos mesures aient une incertitude systématique basse et une précision statistique élevée et que nous ayons une grande confiance dans nos résultats, nous sommes impatients de les comparer avec ceux d’autres expériences.” Pas vraiment de conditionnel et pas assez de précautions, comme la suite le montrera. Certes, rien à voir dans cette annonce avec celle du Nouvel Obs du 20 septembre 2011 (“Oui, les OGM sont des poisons !”). Pour autant, les neutrinos plus rapides que la lumière ne loin d’être un bon exemple de communication scientifique maîtrisée. Par ailleurs, Gilles-Eric Séralini a, lui aussi, livré ses résultats à la communauté scientifique pour vérification. De plus, il a publié son étude dans une revue, ce que les chercheurs du CERN n’avaient pas fait lors de leur annonce.

L’exemple est si mauvais que les signataires le détruisent eux-mêmes lorsqu’ils se demandent “Pourquoi une telle différence de traitement?” La réponse est édifiante : “Des enjeux scientifiques sans commune mesure ! Des contextes socio-économiques totalement différents !”. CQFD.

2°/ La sacralisation du milieu naturel

Autre motif du “bon” traitement des neutrinos et du massacre des OGM: on respecterait la Nature lorsque l’espèce humaine ne parvient pas à percer ses mystères alors que l’on condamnerait les transgressions de la Nature par l’Humain… La “sacralisation du milieu naturel” serait à l’origine de la condamnation des manipulations génétiques. Les signataires tentent de ridiculiser “l’agriculture biologique” (sic) avec l’exemple des graines germées contaminées par une bactérie pathogène, semble-t-il car ils restent imprécis, en dénonçant “l’emballement médiatique”et en concluant par un assez mystérieux: “Après tout, n’était-ce pas dans l’ordre des choses?”….
Voilà la grande coupable sur le billot : “une certaine presse”.  La même presse qui permet aux signataires de s’exprimer librement ? Encore faut-il en profiter avec un minimum de rigueur et de respect pour les lecteurs. Car les signataires enfilent ensuite les perles: synthèse de 24 études concluant à l’innocuité des OGM dans l’alimentation, aucun problème sanitaire chez les millions d’animaux nourris aux OGM, dont le mais NK603, depuis plus de 10 ans. Avec omission du questionnement sur la croissance du nombre de cancers dans les pays développés. Manipulation classique mais tellement grossière qu’elle devient ennuyeuse.

3°/ Un appel à financer… Gilles-Eric Séralini

Après avoir ainsi brillamment démontré qu’il n’y a pas de problème avec les OGM et que, depuis ses débuts, l’agriculture n’oeuvre que pour le bien de l’humanité, les signataires appellent à “un débat serein” (sic). Il est vrai qu’ils viennent d’en tracer la voie. Mais pour aller encore plus loin, et “apaiser” le climat, ils font une propositions tout bonnement sidérante : “Nous suggérons que des fonds suffisants soient alloués à l’équipe qui a publié cette étude pour vérifier leurs observations de façon complète et rigoureuse en partenariat étroit avec l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation et de l’environnement”. Magnanimes, les signataires proposent de financer ce pauvre Gilles Eric Séralini pour qu’il dispose enfin des moyens nécessaires pour sortir de l’erreur et de l’obscurantisme. Alors même qu’ils viennent de “démontrer” que les OGM ne posent pas de problèmes… Demander le financement d’une nouvelle étude plus poussée apparaît donc comme aussi méprisant que dispendieux. S’ils la jugent nécessaire, pourquoi les signataires ne l’ont-elles pas faite eux-mêmes ? Si elle est inutile, à quoi bon gâcher des fonds si précieux? La réponse est simple:  pour pouvoir passer aux choses sérieuses. Les signataires notent que “nos sociétés sont confrontées à des défis majeurs”. Histoire de rappeler qu’il faut se retrousser les manches, cesser de faire des études inutiles et utiliser les “outils disponibles”, c’est à dire les OGM, dans l’espoir“de plantes plus résistantes au manque d’eau, aux maladies (…) et même vecteurs de vaccins”. On croirait lire du Monsanto dans le texte. Et les signataires d’appeler à ce débat, le seul, le vrai. Le débat sur comment développer plus d’OGM sans “opposition stérile”.

Que 63 scientifiques aient accepté de signer un tel texte justifie presque le battage médiatique organisé par Gilles-Eric Séralini et le CRIIGEN. Si le camp des pro-OGM ne peut produire de meilleure rhétorique, on peut comprendre que, pour le combattre, le professeur de l’université de Caen ait choisi l’artillerie lourde. Et même l’excuser s’il s’avère que ses résultats sont erronés. Son étude aura eu le mérite d’attirer l’attention sur un domaine de la recherche barricadé dans ses certitudes. Et quand on sait que ce secteur est soumis à  la pression permanente des lobbies, on frémit.

Michel Alberganti

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OGM: L’Empire Monsanto contre-attaque

Sous la violence de l’attaque de Gilles-Eric Séralini, via le Nouvel Obs du 20 septembre 2012 divulguée la veille sur Internet, le géant Monsanto a d’abord fait le gros dos. Seule déclaration, en substance : “Nous analysons l’étude…”. Mais, très vite, des voix se sont “spontanément” élevées pour critiquer le travail du professeur de l’université de Caen, président du comité scientifique du CRIIGEN, organe ouvertement militant anti-OGM. Interrogé par l’AFP, ce dernier s’est plaint, lundi 24 septembre, des méthodes utilisées par Monsanto sans le citer :

“Je suis attaqué de manière extrêmement malhonnête par des lobbies qui se font passer pour la communauté scientifique. C’est le même lobby qui a permis l’autorisation de ces produits et qui est activé par les entreprises de biotechnologies”.

Le ton est donné. Il ne devrait guère s’adoucir avec la publication, mercredi 26 septembre, du livre de Gilles-Eric Séralini intitulé Tous cobayes, OGM, pesticides, produits chimiques”. Au cinéma, ce même mercredi, sort le documentaire de Jean-Paul Jaud intitulé…, “Tous cobayes”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini. Le chercheur français, outre l’originalité qu’il revendique pour son étude de deux ans sur des rats nourris au maïs OGM et au Roundup, est certain d’établir un record difficile à battre dans son domaine (et même ailleurs). En huit jours, calendrier en main, il a réussi à :

  • publier une étude dans une revue scientifique, certes assez modeste (Food and Chemical Toxicology),
  • susciter la une outrancière (Oui, les OGM sont des poisons!) d’un grand hebdomadaire (Nouvel Obs)
  • provoquer une pluie de critiques discourtoises et une cascade de reprises dans la presse
  • publier un ouvrage sur cette même étude chez un grand éditeur (Flammarion)
  • apparaître sur les écrans de cinéma dans un documentaire de près de 2 heures consacré… à ce même livre et projeté dans 5 salles à Paris.

Pour faire bon poids, sans tomber dans un excès qui pourrait être taxé de matraquage outrancier, il faut ajouter:

  • un documentaire intitulé “OGM, vers une alerte mondiale”, de 52 minutes réalisé par Clément Fonquernie et produit par Lieurac Production, diffusé sur France 5 le 16 octobre à 20h40.
  • un DVD du documentaire bientôt disponible, tout comme celui du film de Jean-Paul Jaud.

Résumons: un article scientifique, la une et 7 pages dans le Nouvel Obs, des centaines d’articles dans la presse et sur Internet et de “papiers” à la radio et à la télé, un livre, un film au cinéma, un documentaire à la télé et 2 DVD… Qui dit mieux ?

Même chez un géant américain des biotechnologies végétales comme Monsanto, qui emploie 20 600 personnes dans le monde et a réalisé 11,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011 avec un bénéfice net de près de 1,7 milliard de dollars (plus de 14% de marge nette), une telle volée de flèches empoisonnées provoque des démangeaisons désagréables. Pas étonnant que l’archer se trouve rapidement transformé en cible.

On imagine les services de communication de Monsanto France sur le pont. La réaction ne se fait pas attendre sur le site de la filiale française. Dès le 21 septembre, soit le lendemain de la sortie en kiosque du Nouvel Obs, on peut lire: “Monsanto répond concernant l’étude sur rat française”. Déclarant avoir “évalué l’étude”, le semencier n’y va pas de main morte pour la descendre en flamme dans un résumé en français et dans une réponse détaillée en anglais d’une dizaine de pages. Cette réponse cite un grand nombre d’articles de presse, essentiellement anglosaxons, qui tous, sont à charge pour la validité de l’étude. Voici trois exemples des critiques formulées :

1°/ Le protocole

Selon Monsanto, le protocole de l’expérience n’est pas conforme aux normes de l’OCDE en ce qui concerne le nombre de rats étudiés. Gilles-Eric Séralini en a utilisé 10 par groupe au lieu des 50 demandés par l’OCDE. Ce point est l’un des plus récurrents dans les critiques de l’étude. Selon le chercheur français, les études réalisées pendant 3 mois seulement par Monsanto ont également utilisé des groupes de 10 rats. Le semencier ne dit pas le contraire. Il se contente de relever une contradiction dans les affirmations de Gilles Eric Séralini vis à vis des normes de l’OCDE. Astucieux.

L’étude française porte effectivement sur les effets du maïs NK 603 et du Round Up de Monsanto sur 200 rats répartis en groupes de 10. Le 25 septembre, Gilles Eric Séralini a défendu cette procédure en arguant du fait que ““toutes les études du monde sont faites là-dessus. Le NK 603 a été autorisé sur cette base. Si on ne peut pas tirer de conclusions, il faut aussi tout de suite interdire tous les OGM”. Il précise à l’AFP que “tous ceux qui ont aboyé [contre l’étude] sont à l’origine de l’autorisation de ces produits, et ils l’ont fait sur la base de tests sur la même souche de rat, avec des échantillons de 10 rats pendant seulement trois mois et pas avec autant de tests. C’est ridicule”. Pour autant, le chercheur se déclare conscient des limites de son travail comme il dit l’expliquer dans son livre. “On pourrait faire des groupes de 50 rats, mais c’est aux pouvoirs publics de financer, ça ne peut plus être un laboratoire indépendant qui finance 20 millions d’euros”, ajoute-t-il.  L’étude réalisée avec son équipe a été financée à hauteur de 3 millions d’euros pour 200 rats étudiés pendant 2 ans, soit un coût de 15 000 euros par rat. S’il avait utilisé des groupes de 50 rats, il aurait eu besoin de 1000 rats. Au même coût, on arrive à 15 millions d’euros et non 20… Toujours est-il que l’on apprend, à cette occasion, le coût exorbitant de l’expérience sur les rats. Pas moins de 7500 euros par rat et par an… Même en intégrant le coût des croquettes, de l’hébergement, des soins et le salaire des personnels…

2°/ Les données

Monsanto relève l’absence ou le manque de données importantes dans la description des travaux de Gilles Eric Séralini. L’entreprise estime ainsi que l’origine et la qualité du maïs utilisé sont peu claires. Normal, le chercheur s’est procuré le maïs OGM Monsanto de façon clandestine au Canada. Pas terrible question traçabilité… Mais c’était le seul moyen trouve pour se procurer ce maïs sur lequel Monsanto interdit de faire des études sans son contrôle. Plus ennuyeux, l’entreprise souligne l’absence “de détails essentiels sur la préparation des rations et le niveau de consommation par les animaux”.

3°/ Les résultats

Dans ce domaine non plus, Monsanto ne fait guère dans la nuance : “L’analyse statistique concernant la  mortalité ou l’incidence des tumeurs est complètement absente”. L’entreprise met également en avant la critique sur la race des rats utilisés dans une expérience sur 2 ans. “Les taux de mortalité et la fréquence des tumeurs dans tous les groupes de rats sont dans les normes historiques pour cette lignée de rats de laboratoire, qui est bien connue pour sa forte prédisposition aux tumeurs”. Alors que les rats Sprague Dawley sont utilisés par la plupart des laboratoires pour les expériences sur 90 jours, il semblent être moins adaptés aux études plus longues en raison de cette prédisposition aux tumeurs qui perturbe les observations.

De façon assez perverse, Monsanto lance une autre critique dans son analyse détaillée. L’entreprise reconnaît d’abord que les études sur 90 jours ne sont pas équivalentes à celles qui couvrent toute la durée de vie (environ 2 ans) des rats. Un bon point pour Gilles-Eric Séralini. Mais cela se gâte rapidement. Monsanto  note que les auteurs de l’étude française détectent des tumeurs par palpation des rats dès le quatrième mois de l’expérience. “Etant donné que les tumeurs mettent un temps considérable pour parvenir à un stade de détection par palpation, et étant donné que seule une minorité de tumeurs atteint en général une taille importante, des tumeurs, même non détectables par palpation, auraient dû être constatées dans les expériences à 90 jours avec le NK-603. Or, cela n’a pas été le cas”.

En attendant le verdict des autorités

Ces quelques exemples de critiques suffisent pour montrer que, comme l’on pouvait s’y attendre, Monsanto a décidé d’attaquer frontalement le travail de Gilles-Eric Séralini. Au delà du battage médiatique qui aura son effet sur le grand public, le chercheur français ne pourra éviter la confrontation sur le fond. La prochaine étape est, bien entendu, le verdict des autorités françaises (ANSES, HCB) et européennes sur l’étude. Après la semaine de gloire médiatique, Gilles-Eric Séralini devra se battre pied à pied sur le terrain scientifique.

Michel Alberganti

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