Une équipe internationale de chercheurs a annoncé une première, vendredi 27 août, dans la revue Science : le décryptage du génome de deux espèces de fourmis. Cette étude est captivante car ses auteurs ont montré la puissance des modifications épigénétiques sur la morphologie et la physiologie des fourmis, en fonction de la caste à laquelle elles appartiennent. L’épigénétique s’attache à repérer non pas ce que codent les gènes mais la manière dont, sous l’influence de facteurs environnementaux et de l’histoire personnelle, ces gènes s’expriment… ou sont rendus silencieux. Chez les fourmis, chaque individu naît avec un patrimoine génétique ressemblant mais, suivant la caste dans laquelle il atterrit, celui-ci ne s’exprime pas du tout de la même façon. Ainsi, dans l’espèce Camponotus floridanus, les fourmis qui protègent la colonie sont plus grandes que les travailleuses qui cherchent à manger. Et seule la reine est féconde. Lorsqu’elle meurt, la colonie trépasse avec elle. C’est une autre histoire chez Harpegnathos saltator, l’autre espèce, décrite comme plus primitive, dont le génome a aussi été décrypté : quand la reine meurt, une ouvrière peut prendre sa place. Avec tous les attributs y afférents y compris ses caractéristiques épigénétiques : non seulement la “promue” peut pondre, mais elle va aussi se mettre… à vivre plus longtemps car deux de ses gènes vont s’exprimer beaucoup plus fort. Le premier produit une protéine associée à la longévité chez l’homme tandis que le second code pour la télomérase, une enzyme qui, grosso modo, protège les chromosomes contre le vieillissement. On comprend mieux, à la lumière que nous apportent ces fourmis, l’importance potentielle de l’épigénétique, qui fait de nous plus que la somme de nos gènes.
Une étude passionnante donc. Sauf qu’à part une pauvrichonne dépêche AFP reprise plus ou moins proprement par quelques médias, personne en France ne s’est trop intéressé au sujet. Un peu par fainéantise, je le concède, j’ai tapé “ants” (fourmis en anglais) sur le Google News américain, histoire de voir si mes petits camarades d’outre-Atlantique avaient fait mieux. Ce fut la consternation. Non pas que mes confrères américains n’aient pas perçu l’importance de la nouvelle : ils étaient 43, dont le Scientific American par exemple, à l’avoir traitée. Non. Le choc a été de constater que, pour l’immense majorité des médias américains, les seules fourmis palpitantes du moment étaient celles qui “envahissaient” la maison dans laquelle se tourne la douzième saison de “Big Brother”, émission de télé-réalité à 8 millions de téléspectateurs, dont “Loft Story” et “Secret Story” sont les avatars français. Ces fourmis-là, qui dérangent les braves candidats dont la photo de groupe figure en tête de ce billet (ou du moins ceux qui restent après plus de 50 jours d’émissions et d’éliminations), ces fourmis-là ont été “couvertes”, comme l’on dit dans le jargon journalistique, dans 449 articles ! Plus de dix fois plus.
Après quelques pensées amères sur le fait que je me suis trompé de métier (j’aurais dû faire du “people”, c’est payant et moins fatigant pour les neurones), que l’espèce humaine préfère se délasser devant des “clones” bodybuildés et/ou siliconés plutôt que d’enrichir sa culture – scientifique ou pas –, que l’information traditionnelle n’a aucun avenir étant donné que les médias de masse s’ingénient vraiment à vider les cerveaux plutôt qu’à les remplir, je me suis demandé ce que des chercheurs découvriraient s’ils étudiaient la colonie “Big Brother”. Devant sa photo de groupe, j’ai d’abord constaté que ces étranges animaux avaient tous la peau claire, sans doute l’effet d’une mutation génétique qui les a privés de mélanine, et qu’hormis un dimorphisme sexuel assez évident, une certaine uniformité morphologique régnait : pas de gros, pas de vieux, pas de handicapés. L’environnement doit être tellement hostile qu’ils ne peuvent pas survivre… Je me suis ensuite aperçu que, comme chez les fourmis, certains rôles, comme celui du Saboteur, étaient prédéterminés (sans que cela entraîne pour autant des modifications physiques). En revanche, le Chef de maisonnée, contrairement à ce qui se passe chez Camponotus floridanus, change sans arrêt. Il a le pouvoir et la mission de nommer deux membres de la colonie, dont l’un sera chassé par les autres. Curieuse manière de vivre en société que de chercher à tout prix à éliminer les membres de son clan. C’est une colonie bizarre enfermée dans son territoire, qui ne passe son temps qu’à produire des déchets, vit dans l’égoïsme et la perpétuelle idée de la récompense ultérieure qui leur tombera toute cuite, lorsque la colonie sera détruite.
Si des chercheurs étudiaient “Big Brother” et ses dizaines de succédanés qui encombrent les télévisions du monde entier, ils préfèreraient retourner à leurs fourmis.
Pierre Barthélémy
Quelle différence avec la culture française …. où la trilogie que Bernard Werber a consacré aux fourmis rencontra un énorme succès auprès du public et révéla non seulement , un nouveau talent littéraire, mais une prise de conscience de l’univers du Vivant dont nous ne percevons encore que les prémices, proche de l’impact qu’aura eu en son temps, l’œuvre de Jules Verne !…