Vous n’avez pas pu aller à Turin entre le 10 avril et le 23 mai pour l’ostension du Saint Suaire, la première depuis 2000 ? Tout n’est peut-être pas perdu : grâce à Luigi Garlaschelli qui vient de publier sa méthode de reproduction du suaire de Turin dans le Journal of Imaging Science and Technology daté juillet-août, vous allez pouvoir refaire vous-même, chez vous, votre propre copie du drap censé avoir été le linceul de Jésus.
Luigi Garlaschelli est un scientifique italien que j’ai rencontré et interviewé il y a quelques années à l’occasion d’un reportage sur la mystérieuse épée de San Galgano, véritable Excalibur enfoncée dans un rocher toscan depuis le XIIe siècle. Chercheur au département de chimie organique de l’université de Pavie, il a pour passion la démystification des pseudo-miracles telle la liquéfaction du sang de San Gennaro (Saint Janvier), qu’il a démontée dans un article paru dans Nature en 1991. En s’attaquant au suaire de Turin, il ne cherchait pas à démontrer qu’il s’agit d’un faux : cela a déjà été prouvé en 1989 dans une célèbre étude qui a daté au carbone 14 le fameux drap de lin, lequel a été fabriqué entre1260 et 1390 (ajoutons que, contrairement à de nombreuses dénégations apportées par des chercheurs et non-chercheurs plus ou moins proches des milieux chrétiens, cette étude et cette datation n’ont jamais été scientifiquement remises en cause). Non, Luigi Garlaschelli n’avait pour seul but que de reproduire, avec des ingrédients disponibles au Moyen-Age (puisque, redisons-le, c’est à cette époque que le suaire a été réalisé), une copie très proche de l’original, de ses caractéristiques tant “esthétiques” que physiques.
Il faut bien reconnaître que la tâche ne s’avère pas si simple. L’image figurant sur le suaire de Turin n’est pas une peinture (même si quelques traces d’ocre persistent) mais une empreinte. A ce titre, on ne voit presque rien sur le drap hormis quelques ombres brunâtres. C’est sur les négatifs des clichés que la silhouette d’un homme barbu apparaît nettement. En fait, cette silhouette est “imprimée” dans le lin et l’image contient des informations en trois dimensions. Pour ces raisons, on a longtemps pensé que le suaire était impossible à reproduire avec toutes ses qualités et que seul un phénomène paranormal avait pu le créer…
Mais comme vous êtes des sorciers, vous allez y parvenir, en suivant la recette de Luigi Garlaschelli. Il vous faut d’abord un homme, de préférence grand et maigre comme celui du suaire. Promettez-lui qu’il ne risque rien et qu’il œuvre pour la science. Peu importe la tête qu’il aura car le visage du suaire, qui n’a pas les proportions tridimensionnelles d’un visage humain recouvert d’un linge, a très probablement été obtenu à partir d’un bas-relief assez plat. Pour votre expérience, un masque en plastique de capitaine Haddock (sans casquette mais avec perruque) fera l’affaire… Vous avez votre cobaye ? Ecce homo. Allongez-le, tout nu, les mains sur le pubis, sur la moitié d’une pièce de lin clair de 4,4 mètres sur 1,1. Recouvrez-le de l’autre moitié. Ensuite, à l’aide d’un chiffon imprégné d’ocre rouge et d’un zeste d’acide pour simuler les impuretés présentes dans la préparation de l’artiste médiéval, tamponnez toutes les zones en relief. C’est ce processus de frottement avec cette mixture, comme me l’a expliqué Luigi Garlaschelli, qui, en attaquant le tissu, crée l’image fantôme du suaire. Après le côté pile, faites le côté face. Sortez ensuite votre bonhomme de là, étendez la toile bien à plat et complétez, toujours en frottant avec votre tampon, les zones mal teintes, afin d’obtenir un rendu uniforme, artistique, analogue à celui du suaire de Turin. N’oubliez pas d’ajouter quelques stigmates (traces de clous aux poignets et chevilles, d’une couronne d’épines sur la tête, de coups de fouet dans le dos et d’un coup de lance dans le flanc). Et voilà, le tour est joué.
Mais, me direz-vous, vous avez une espèce de tableau rouge, ce que le suaire “véritable” n’est pas. C’est juste. Il faut se débarrasser de l’ocre. Vous avez deux solutions : soit attendre quelques décennies ou quelques siècles que le pigment tombe, ce qui a dû se passer avec le suaire de Turin, soit vieillir artificiellement votre tissu. Pour ce faire, mettez votre suaire dans un four, température 140-145°C, pendant trois heures. Puis lavez votre drap afin que l’ocre s’en détache. Cette fois, c’est bon : une silhouette fantomatique se distingue à peine sur le lin. Etendez votre suaire, photographiez-le et regardez le négatif. En quelques heures et avec une très simple recette de chimie, vous avez résumé sept siècles d’histoire. Si vous pouviez extraire les informations en 3D du visage que vous avez produit, vous obtiendriez ceci, une empreinte très proche de l’originale :
Au fait, le suaire qui figure en photo sous le titre de ce billet n’est pas celui de Turin mais celui de Luigi Garlaschelli… La fameuse “image impossible” ne l’est sans doute plus tant que cela.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : les commentaires de ce blog étant modérés a priori, je n’hésite pas à censurer ceux qui ont l’insulte facile. Cela a déjà valu pour d’autres billets, cela vaut pour celui-ci et cela vaudra encore pour les suivants.
lire le billet
Derniers commentaires