Pour l’instant, il s’appelle encore UUT, comme Ununtrium, c’est à dire… 113. Si sa création par l’équipe japonaise de Kosuke Morita, du laboratoire des éléments superlourds du Centre RIKEN Nishina, est confirmée, il prendra sans doute un vrai nom d’élément chimique comme ses voisins, le 112, baptisé Copernicium, ou le 114, Flerovium. Pour cela, l’expérience japonaise devra être homologuée par l’IUPAC. Mais pour Kosuke Morita, le résultat obtenu est concluant et il déclare: “Pendant 9 ans, nous avons cherché à obtenir des données identifiant l’élément 113 et maintenant, enfin, nous les avons. Nous ressentons comme un grand poids retiré de nos épaules”.
La réalisation de l’équipe japonaise s’inscrit dans la longue course que se livrent, depuis 1940, les chercheurs américains, russes et allemands pour débusquer les éléments chimiques superlourds. Ces derniers ont la caractéristique assez particulière… de ne pas exister dans la nature. Néanmoins, si les chimistes cherchent à les produire de façon artificielle, c’est parce qu’ils existent… dans la fameuse classification périodique des éléments établie par le russe Dmitri Mendeleïev en 1869. Ce dernier, qui compte parmi les plus grands génies de la science, a proposé alors de classer tous les éléments chimiques suivant l’ordre croissant de leur numéro atomique, c’est à dire du nombre de protons qui constituent leur noyau. L’idée était d’autant plus osée que, à la fin du 19ème siècle, un nombre important de ces éléments n’existaient pas dans le bestiaire des chimistes. Qu’à cela ne tienne ! Dimitri Mendeleïev, confiant dans une sorte de logique naturelle, a construit son tableau… avec des trous. Et le plus extraordinaire, c’est que les trous se sont peu à peu comblés.
Avec les éléments superlourds, cela se complique puisqu’il n’est plus question de les découvrir mais bien de les fabriquer. Le jeu consistait donc, pour les Japonais, à créer un élément dont le noyau contient 113 protons. Toute la difficulté réside dans l’instabilité extrême d’un tel élément. Ce qui explique d’ailleurs que l’on ne puisse l’observer dans la nature. Pour le créer, il faut faire appel à des réacteurs nucléaires ou à des accélérateurs de particules provoquant, par exemple, des phénomènes de fusion nucléaire. Kosuke Morita a procédé ainsi sans succès en 2004 et 2005. Avec l’accélérateur de particules RIKEN de Wako, près de Tokyo, le 12 août 2012, des ions de zinc voyageant à 10% de la vitesse de la lumière sont entrés en collision avec une fine couche de bismuth. Résultat : pendant un bref instant, l’élément au noyau contenant 113 protons a existé.
Mais comment en être sûr étant donné qu’un tel élément se désintègre instantanément ? Les 113 protons de ce fugace élément proviennent des 30 protons du zinc et des 83 protons du bismuth. Même si le compte de la somme est bon, encore faut-il vérifier qu’un noyau à 113 protons s’est bien créé. Pour cela, les chercheurs analysent les désintégrations qui suivent la collision. Pour homologuer la création de l’élément cherché, il faut observer 6 désintégrations alpha successives. Et ces dernières ont bien été identifiées comme des isotopes de l’élément 113. L’étude a été publiée le 27 septembre 2012 dans le Journal of the Physical Society of Japan.
Si cette réussite est confirmée, Kosuke Morita deviendra le premier Japonais, mais également le premier asiatique à s’inscrire dans le palmarès de la course aux éléments superlourds. Une épreuve qui n’est pas terminée. Sur les 118 éléments du tableau de Mendeleïev, tout a désormais été réalisé même s’il reste des débats entre Américains et Russes au sujet du plus lourd, le 118. Parmi ceux qui n’ont pas encore de nom définitif, on trouve le 117 , observé par les Russes du Flerov Laboratory of Nuclear Reactions en 2010 et le 115 qui résulte d’une collaboration entres Russes et Américains (2004). Qu’à cela ne tienne. Kosuke Morita s’est déjà fixé un nouvel objectif : sortir du tableau de Mendeleïev et créer… le 119.
Michel Alberganti
Un point technique,
Le tableau périodique, c’est plus lié aux électrons qui sont actifs en chimie (même si effectivement c’est le nombre de proton qui caractérise l’élément, c’est le nombre d’électron qui définit les propriétés chimiques)
Créer des éléments super lourd c’est plus un jeu de physicien nucléaire.
Il y a des jolies tables de stabilité suivant le nombre de proton et de neutron dans un noyau
On espère quand même tomber dans une “vallée de stabilité” au delà d’un certain numéro atomique (120 ? 125 ? je ne sais plus) et dans laquelle les éléments seraient moins instables (voire stables?).
Au vu de l’énergie et des phénomènes incroyables se déroulant dans l’univers comment peut-on être sûr que de tel éléments n’existent pas dans la nature ? Même l’espace d’un instant puisque de tel éléments se désintègrent instantanément ?
Il est intéressant de savoir que le principe de classification périodique des éléments conçu par Mendeleïev ne s’est pas démenti jusqu’à présent.Des éléments supposés ont bien été découvert dans la nature pour venir remplir des cases vides dans le tableau initial, et rien n’empêche ainsi de penser que l’élément 113 puisse exister, ne serait-ce qu’un instant, à moins d’une raison contraire…