Sous la violence de l’attaque de Gilles-Eric Séralini, via le Nouvel Obs du 20 septembre 2012 divulguée la veille sur Internet, le géant Monsanto a d’abord fait le gros dos. Seule déclaration, en substance : “Nous analysons l’étude…”. Mais, très vite, des voix se sont “spontanément” élevées pour critiquer le travail du professeur de l’université de Caen, président du comité scientifique du CRIIGEN, organe ouvertement militant anti-OGM. Interrogé par l’AFP, ce dernier s’est plaint, lundi 24 septembre, des méthodes utilisées par Monsanto sans le citer :
“Je suis attaqué de manière extrêmement malhonnête par des lobbies qui se font passer pour la communauté scientifique. C’est le même lobby qui a permis l’autorisation de ces produits et qui est activé par les entreprises de biotechnologies”.
Le ton est donné. Il ne devrait guère s’adoucir avec la publication, mercredi 26 septembre, du livre de Gilles-Eric Séralini intitulé “Tous cobayes, OGM, pesticides, produits chimiques”. Au cinéma, ce même mercredi, sort le documentaire de Jean-Paul Jaud intitulé…, “Tous cobayes”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini. Le chercheur français, outre l’originalité qu’il revendique pour son étude de deux ans sur des rats nourris au maïs OGM et au Roundup, est certain d’établir un record difficile à battre dans son domaine (et même ailleurs). En huit jours, calendrier en main, il a réussi à :
Pour faire bon poids, sans tomber dans un excès qui pourrait être taxé de matraquage outrancier, il faut ajouter:
Résumons: un article scientifique, la une et 7 pages dans le Nouvel Obs, des centaines d’articles dans la presse et sur Internet et de “papiers” à la radio et à la télé, un livre, un film au cinéma, un documentaire à la télé et 2 DVD… Qui dit mieux ?
Même chez un géant américain des biotechnologies végétales comme Monsanto, qui emploie 20 600 personnes dans le monde et a réalisé 11,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011 avec un bénéfice net de près de 1,7 milliard de dollars (plus de 14% de marge nette), une telle volée de flèches empoisonnées provoque des démangeaisons désagréables. Pas étonnant que l’archer se trouve rapidement transformé en cible.
On imagine les services de communication de Monsanto France sur le pont. La réaction ne se fait pas attendre sur le site de la filiale française. Dès le 21 septembre, soit le lendemain de la sortie en kiosque du Nouvel Obs, on peut lire: “Monsanto répond concernant l’étude sur rat française”. Déclarant avoir “évalué l’étude”, le semencier n’y va pas de main morte pour la descendre en flamme dans un résumé en français et dans une réponse détaillée en anglais d’une dizaine de pages. Cette réponse cite un grand nombre d’articles de presse, essentiellement anglosaxons, qui tous, sont à charge pour la validité de l’étude. Voici trois exemples des critiques formulées :
Selon Monsanto, le protocole de l’expérience n’est pas conforme aux normes de l’OCDE en ce qui concerne le nombre de rats étudiés. Gilles-Eric Séralini en a utilisé 10 par groupe au lieu des 50 demandés par l’OCDE. Ce point est l’un des plus récurrents dans les critiques de l’étude. Selon le chercheur français, les études réalisées pendant 3 mois seulement par Monsanto ont également utilisé des groupes de 10 rats. Le semencier ne dit pas le contraire. Il se contente de relever une contradiction dans les affirmations de Gilles Eric Séralini vis à vis des normes de l’OCDE. Astucieux.
L’étude française porte effectivement sur les effets du maïs NK 603 et du Round Up de Monsanto sur 200 rats répartis en groupes de 10. Le 25 septembre, Gilles Eric Séralini a défendu cette procédure en arguant du fait que ““toutes les études du monde sont faites là-dessus. Le NK 603 a été autorisé sur cette base. Si on ne peut pas tirer de conclusions, il faut aussi tout de suite interdire tous les OGM”. Il précise à l’AFP que “tous ceux qui ont aboyé [contre l’étude] sont à l’origine de l’autorisation de ces produits, et ils l’ont fait sur la base de tests sur la même souche de rat, avec des échantillons de 10 rats pendant seulement trois mois et pas avec autant de tests. C’est ridicule”. Pour autant, le chercheur se déclare conscient des limites de son travail comme il dit l’expliquer dans son livre. “On pourrait faire des groupes de 50 rats, mais c’est aux pouvoirs publics de financer, ça ne peut plus être un laboratoire indépendant qui finance 20 millions d’euros”, ajoute-t-il. L’étude réalisée avec son équipe a été financée à hauteur de 3 millions d’euros pour 200 rats étudiés pendant 2 ans, soit un coût de 15 000 euros par rat. S’il avait utilisé des groupes de 50 rats, il aurait eu besoin de 1000 rats. Au même coût, on arrive à 15 millions d’euros et non 20… Toujours est-il que l’on apprend, à cette occasion, le coût exorbitant de l’expérience sur les rats. Pas moins de 7500 euros par rat et par an… Même en intégrant le coût des croquettes, de l’hébergement, des soins et le salaire des personnels…
Monsanto relève l’absence ou le manque de données importantes dans la description des travaux de Gilles Eric Séralini. L’entreprise estime ainsi que l’origine et la qualité du maïs utilisé sont peu claires. Normal, le chercheur s’est procuré le maïs OGM Monsanto de façon clandestine au Canada. Pas terrible question traçabilité… Mais c’était le seul moyen trouve pour se procurer ce maïs sur lequel Monsanto interdit de faire des études sans son contrôle. Plus ennuyeux, l’entreprise souligne l’absence “de détails essentiels sur la préparation des rations et le niveau de consommation par les animaux”.
Dans ce domaine non plus, Monsanto ne fait guère dans la nuance : “L’analyse statistique concernant la mortalité ou l’incidence des tumeurs est complètement absente”. L’entreprise met également en avant la critique sur la race des rats utilisés dans une expérience sur 2 ans. “Les taux de mortalité et la fréquence des tumeurs dans tous les groupes de rats sont dans les normes historiques pour cette lignée de rats de laboratoire, qui est bien connue pour sa forte prédisposition aux tumeurs”. Alors que les rats Sprague Dawley sont utilisés par la plupart des laboratoires pour les expériences sur 90 jours, il semblent être moins adaptés aux études plus longues en raison de cette prédisposition aux tumeurs qui perturbe les observations.
De façon assez perverse, Monsanto lance une autre critique dans son analyse détaillée. L’entreprise reconnaît d’abord que les études sur 90 jours ne sont pas équivalentes à celles qui couvrent toute la durée de vie (environ 2 ans) des rats. Un bon point pour Gilles-Eric Séralini. Mais cela se gâte rapidement. Monsanto note que les auteurs de l’étude française détectent des tumeurs par palpation des rats dès le quatrième mois de l’expérience. “Etant donné que les tumeurs mettent un temps considérable pour parvenir à un stade de détection par palpation, et étant donné que seule une minorité de tumeurs atteint en général une taille importante, des tumeurs, même non détectables par palpation, auraient dû être constatées dans les expériences à 90 jours avec le NK-603. Or, cela n’a pas été le cas”.
Ces quelques exemples de critiques suffisent pour montrer que, comme l’on pouvait s’y attendre, Monsanto a décidé d’attaquer frontalement le travail de Gilles-Eric Séralini. Au delà du battage médiatique qui aura son effet sur le grand public, le chercheur français ne pourra éviter la confrontation sur le fond. La prochaine étape est, bien entendu, le verdict des autorités françaises (ANSES, HCB) et européennes sur l’étude. Après la semaine de gloire médiatique, Gilles-Eric Séralini devra se battre pied à pied sur le terrain scientifique.
Michel Alberganti
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